La chanson par auteur


Pier Paolo Pasolini



On oublie souvent de rappeler que Pasolini fut un des quelques intellectuels qui s’intéressèrent à la musique et qui écrivirent des chansons. Les intellectuels italiens (et les nôtres ?) ont la plupart du temps considéré la chanson avec un sentiment mêlé de répulsion et de fascination : c’était un genre inférieur, un « art mineur », mais aussi un genre qui connaissait une diffusion de masse bien supérieure à celle de leurs œuvres de poésie, essais, etc. Quant aux politiques, ils ne cherchent qu’à contrôler et censurer !

Il y a eu bien sûr de grandes exceptions, d’abord la chanson napolitaine du XIXe et du début du XXe siècle, avec des poètes comme Salvatore Di Giacomo (1860-1934) ou Libero Bovio (1883-1942), et même D’Annunzio (1963-1938) s’y essaya ; à Rome, le poète dialectal Trilussa (1871-1950 - anagramme de Carlo Alberto Camillo Mariano Sallustri) écrit des chansons (sa Ninna nanna della guerra, de 1914 est encore célèbre), et le « café-chantant » fut un lieu de contact entre les littérateurs et la chanson. Puis le fascisme, sa censure, sa volonté de soumettre l’expression musicale et chansonnière à la propagande du régime, son mépris des dialectes, éloigna pour des années la littérature et la poésie de la chanson, et après la guerre il faudra attendre la fin des années ’50 pour voir apparaître d’autres rapprochements, avec les groupes Cantacronache de Turin et Nuovo Canzoniere Italiano, la participation d’intellectuels comme Italo Calvino, Franco Fortini, Michele Straniero, Umberto Eco … ; au début des années ’60, l’expérience de Laura Betti (1927-2004) avec son spectacle Giro a vuoto (1960), repris à Cagliari en 2016, pour lequel elle fait écrire de grands écrivains comme Alberto Moravia (1907-1990), Giorgio Bassani (1916-2000), Ennio Flaiano (1910-1972), Mario Soldati (1906-1999), Alberto Arbasino (1930- ), Camilla Cederna (1911-1997), Goffredo Parise (1920-1986) … Il faudrait citer aussi Dario Fo (1926-2016) (Voir notre dossier « Quelques chansons de Dario Fo » dans la rubrique « Chanson »), ou Roberto Roversi (qui collabora avec Lucio Dalla), et puis quelques grands « cantautori » comme Francesco Guccini (1940- ), Giorgio Gaber (1939-2003) (parfois avec l’écrivain et acteur Umberto Simonetta, 1926-1998 puis l’artiste et parolier Sandro Luporini, 1930- ), Franco Battiato (1945- ), qui collabora avec le philosophe Manlio Sgalambro (1924-2014) dans l’écriture de ses chansons, Piero Ciampi (1934-1980), Enzo Jannacci (1932-2013), Paolo Conte (1937- )… des chanteuses comme Ornella Vanoni (1934- ), ou Maria Monti (1935- ), etc. (après la France qui, dès le lendemain de la guerre eut de grands auteurs-compositeurs-interprètes comme Brel (1929-1978), Brassens (1921-1981), Trenet (1913-2001), Ferré (1916-1993), Jean Ferrat (1930-2010), etc.). Il y aurait beaucoup à écrire sur ce thème des intellectuels et la chanson, sans oublier les nombreux chanteurs qui sont aussi écrivains, comme Guccini, Gianfranco Manfredi (1948- ), Mino Reitano (1944-2009), Roberto « Freak » Antoni (1954-2014), et tant d’autres.

Image 183 Image 184

C’est Laura Betti qui, la première, en 1959, inspira à Pier Paolo Pasolini l’idée d’écrire des chansons, mais Pasolini s’intéressait depuis son enfance à la musique classique et aux chansons populaires. En 1955, il publie chez Guanda son Canzoniere italiano, Antologia della poesia popolare (réédité chez Garzanti), après trois ans de recherche ; il passe de région en région, étudiant le dialecte et les formes locales de poésie chantée, « vilote » frioulanes ou de Vénétie, « rispetti » toscans, « stornelli », « ninne nanne », chants populaires des deux guerres, fascistes ou de Résistance, près de 800 textes malheureusement dépourvus de partition. En 1952, il avait déjà composé un poème, repris plus tard dans Le ceneri di Gramsci, intitulé Il canto popolare, Le chant populaire (traduction de Jean Guichard, Nadia Clavaud, Françoise Fromental) :

Il canto popolare

Improvviso il mille novecento cinquanta due passa sull'Italia:
solo il popolo ne ha un sentimento vero:
mai tolto al tempo, non l'abbagliala modernità,
benché sempre il più moderno sia esso, il popolo,
spanto in borghi, in rioni, con gioventù sempre nuove -
nuove al vecchio canto - a ripetere ingenuo quello che fu.
Scotta il primo sole dolce dell'anno sopra i portici
delle cittadine di provincia, sui paesi che sanno ancora di nevi,
sulle appenniniche greggi : nelle vetrine dei capoluoghi
i nuovi colori delle tele, i nuovi vestiti come in limpidi roghi
dicono quanto oggi si rinnovi il mondo, che diverse gioie sfoghi...
Ah, noi che viviamo in una sola generazione ogni generazione
vissuta qui, in queste terre ora umiliate, non abbiamo nozione vera
di chi è partecipe alla storia solo per orale, magica esperienza;
e vive puro, non oltre la memoria della generazione in cui presenza
della vita è la sua vita perentoria.
Nella vita che è vita perché assunta nella nostra ragione
e costruita per il nostro passaggio - e ora giunta a essere altra,
oltre il nostro accanito difenderla - aspetta - cantando supino,
accampato nei nostri quartieri a lui sconosciuti, e pronto finodalle
più fresche e inanimate ère - il popolo : muta in lui l'uomo il destino.
E se ci rivolgiamo a quel passato ch'è nostro privilegio, altre fiumane
di popolo ecco cantare : recuperato è il nostro moto fin dalle cristiane
origini, ma resta indietro, immobile, quel canto. Si ripete uguale.
Nelle sere non più torce ma globi di luce, e la periferia non pare
altra, non altri i ragazzi nuovi...
Tra gli orti cupi, al pigro solicello Adalbertos komis kurtis !,
i ragazzini d'Ivrea gridano, e pei valloncelli di Toscana,
con strilli di rondinini : Hor atorno fratt Helya !
La santa violenza sui rozzi cuori il clero calca, rozzo,
e li asserva a un'infanzia feroce nel feudo provinciale
l'Impero da Iddio imposto : e il popolo canta.
Un grande concerto di scalpellisul Campidoglio, sul nuovo Appennino,
suona, giganteggiando il travertino nel nuovo spazio in cui s'affranca
l'Uomo : e il manovale Dov'anda stà jersera... ripete con l'anima spanta
nel suo gotico mondo. Il mondo schiavitù resta nel popolo. E il popolo canta.
Apprende il borghese nascente lo Ça ira, e trepidi nel vento napoleonico,
all'Inno dell'Albero della Libertà, tremano i nuovi colori delle nazioni.
Ma, cane affamato, difende il bracciante i suoi padroni, ne canta la ferocia,
Guagliune 'e mala vita ! in branchiferoci. La libertà non ha voce
per il popolo cane. E il popolo canta.
Ragazzo del popolo che canti, qui a Rebibbia sulla misera riva
dell'Aniene la nuova canzonetta, vanti è vero, cantando, l'antica,
la festa leggerezza dei semplici. Ma quale dura certezza tu sollevi insieme
d'imminente riscossa, in mezzo a ignari tuguri e grattacieli,
allegro seme in cuore al triste mondo popolare.
Nella tua incoscienza è la coscienza che in te la storia vuole,
questa storia il cui Uomo non ha più che la violenza delle memorie,
non la libera memoria...
E ormai, forse, altra scelta non ha che dare alla sua ansia di giustizia
la forza della tua felicità, e alla luce di un tempo che inizia
la luce di chi è ciò che non sa.

Le chant populaire

Soudain, l’année mille neuf cent cinquante-deux passe sur l’Italie :
Seul le peuple en a un sentiment Véritable : jamais arraché au temps,
il n’est pas ébloui par la modernité, bien que toujours ce soit lui
le plus moderne, le peuple, éparpillé dans des bidonvilles,
des quartiers, avec des jeunes gens toujours nouveaux –
nouveaux pour le vieux chant – pour répéter avec innocence ce qui fut.
Il brûle, le premier doux soleil de l’année sur les portiques
des petites villes de province, sur les villages qui ont encore
un goût de neige, sur les troupeaux des Apennins :
dans les vitrines des chefs-lieux les nouvelles couleurs des toiles,
les nouveaux vêtements, comme dans des brasiers limpides
disent combien aujourd’hui se renouvelle le monde,
combien il explose de joies nouvelles …
Ah, nous qui vivons en une seule génération chaque génération
qui a vécu ici, dans ces terres maintenant humiliées,
nous n’avons pas une notion vraie de ceux qui ne participent
à l’histoire que par la parole orale, expérience magique ;
et qui vivent purs, pas au-delà de la mémoire de la génération
dans laquelle la présence de la vie s’impose impérativement.
Dans la vie qui est vie parce que engagée dans notre raison
et construite pour notre passage – et maintenant arrivée
à être différente, au-delà de notre acharnement à la défendre –
le peuple – en chantant passivement installé dans nos quartiers
qu’il ne connaît pas, et prêt dès les ères les plus fraîches
et les plus inanimées – attend : son destin en lui transforme l’homme.
Et si nous nous retournons vers ce passé qui est notre privilège,
d’autres mutitudes de peuple se mettent à chanter :
notre mouvement est récupéré dès les origines chrétiennes,
mais il reste en arrière, immobile, ce chant. Il se répète fidèle à lui-même.
Le soir, plus de torches mais des globes de lumière,
et la périphérie ne semble pas différente,
et les garçons ne semblent pas différents.
Entre les jardins sombres, au petit soleil paresseux
Adalbertos komis kurtis !, les petits garçons d’Ivrée crient,
et dans les vallons de Toscane, avec des cris de jeunes hirondelles :
Hor atorno fratt Helya !
Le clergé fruste imprime la sainte violence dans leurs cœurs fruste
et les asservit dans une enfance féroce dans son fief provincial
l’Empire imposé par Dieu : et le peuple chante.
Un grand concert de burins sur le Capitole, sur le nouvel Apennin,
résonne, rendant gigantesque le travertin dans le nouvel espace
où s’affranchit l’Homme : et le manœuvre répète
Dov’anda stà jersera …, avec son âme éparpillée dans son monde gothique.
Le monde de l’esclavage reste dans le peuple. Et le peuple chante.
Le bourgeois qui naît apprend le Ça ira, et agitées dans le vent napoléonien,
à l’Hymne de l’Arbre de la Liberté, tremblent les nouvelles couleurs des nations.
Mais, chien affamé, le journalier défend ses maîtres,
il en chante la férocité, Guagliune ‘e mala vita ! en troupeaux féroces.
La liberté n’a pas de voix pour le peuple chien. Et le peuple chante.
Enfant du peuple, toi qui chantes, ici à Rebibbia sur la rive misérable
de l’Aniene ta nouvelle chansonnette, tu exaltes c’est vrai,
en chantant, l’ancienne, la joyeuse légèreté des simples.
Mais comme une dure certitude tu soulèves en même temps
une imminente révolte, au milieu de taudis et de gratte-ciels ignorants,
graine de joie dans le cœur du triste monde populaire.
Dans ton inconscience est la conscience que l’Histoire veut en toi,
cette histoire dont l’Homme n’a plus que la violence des souvenirs,
et non une mémoire libre …
Et désormais, peut-être qu’il n’a d’autre choix que de donner
à sa soif anxieuse de justice la force de ton bonheur,
et à la lumière d’un temps qui commence la lumière de celui
qui est ce qu’il ne sait pas.

(« Adalbertos komis kurtis » sont les paroles d’une chansonnette satirique (entre la dernière décennie du IXe siècle et la première du Xe siècle) que Francesco Novati (1859-1915) recherchant les origines du chant populaire italien, a retrouvé dans un passage des Chroniques de Liutprando (685-744). Quant à « hor attorno Frat Helya », nous sommes déjà en 1240 : il s’agit d’une blague faite par des enfants à Frère Elia et à ses compagnons en dévotion, dont nous informe (toujours dans un texte joint de Novati) Salimbene de Adam (1221-1288). dans sa Chronique. L’hymne à l’arbre de la liberté est un chant naturellement non populaire ; d’abord les prorévolutionnaires italiens étaient en effet en possession de simples traductions du Ça ira ! populaire (Ah ça ira, ça ira, ça ira, le patriotisme répondra : Sans craindre ni fer ni feu les Italiens vaincront - ah ça ira etc.), puis ils produisirent, par une intervention « cultivée », les divers « Arbres de la Liberté ». Apparaissait ainsi la tradition romantique du Risorgimento des chants de la bourgeoisie libérale irrédentiste, auxquels le peuple restait naturellement étranger. Il chantait éventuellement en politique des chants réactionnaires, par exemple un chant de gouapes favorables aux Bourbons contre les forces de l’ordre de l’Italie à peine unifiée » (Note de Pasolini dans les Ceneri di Gramsci).

Et Pasolini a utilisé la musique classique dans beaucoup de ses films (Bach, Vivaldi, Mozart…). En 1956, Pasolini écrivait ceci : « Je ne vois pas pourquoi tant la musique que les paroles des chansonnettes ne devraient pas être plus belles. L’intervention d’un poète cultivé et même raffiné n’aurait rien d’illicite. Au contraire son intervention devrait être sollicitée et recommandée. Personnellement il ne m’est jamais arrivé d’écrire des vers pour des chansons ; ou plutôt, comme à la plus grande partie de mes amis, l’occasion ne s’est jamais présentée. Musiciens et paroliers se sont renfermés dans un clan impénétrable, ils se sont bien protégés de la concurrence (et on le comprend : les droits d’auteur rapportent parfois des millions). Quant à moi, je crois que ça m’intéresserait et que ça m’amuserait d’appliquer des vers à une belle musique, de tango ou de samba » (Enquête de la revue Avanguardia).

C’est donc Laura Betti, dans son appel aux écrivains, qui décida Pasolini à écrire trois chansons en dialecte de Rome (Valzer della toppa, Macrì Teresa detta Pazzia et Cristo al Mandrione) qu’il avait étudié pour écrire ses deux romans Ragazzi di vita et Una vita violenta. Pour les deux premières chansons, la musique fut écrite par Piero Umiliani (1926-2001), et par Piero Piccioni (Piero Morgan, 1921-2004) pour la troisième (gravée seulement en 1972). Pasolini écrivit encore pour la seconde édition du spectacle de Laura Betti le texte de Ballata del suicidio, mis en musique par Giovanni Fusco (1906-1968).

Il valzer della toppa

Me so' fatta un quartino m'ha dato a la testa
ammazza che toppa a Nina, a Roscetta, a Modesta,
lassateme qua !
An vedi le foje ! An vedi la luna !
An vedi le case ! E chi l'ha mai viste co' st'occhi ?
Me viè da cantà.
Lassame perde, va da n'altra stasera, a cocco, niente da fa !
E poi so' vecchia, ciò trent'anni e er mondo ancora l'ho da guardà !
Mamma mia che luci che vedo qua attorno
Le vie de Testaccio me pareno come de giorno de n'arta città !
An vedi le porte ! An vedi li bar !
An vedi la gente ! an vedi le fronne che st'aria se fa sfarfallà !
Va via moretto, fa la bella stasera godo la libertà,
spara er Guzzetto e torna a casa che mamma tua se sta a aspettà !
Me sò presa la toppa e mò so' felice!
Me possi cecamme me sento tornata a esse un fiore de verginità !
Verginità ! Verginità ! Me sento tutta verginità !
Che sarà ! Che sarà ! Che sarà !

La valse de la cuite

J’ai bu un bon coup
Il m’est monté à la tête
Putain, quelle cuite !
À Nina, à Roscetta, à Modesta
Laissez-moi là !
Regarde les feuilles ! Regarde la lune !
Regarde les maisons !
Qui les a jamais vus avec mes yeux ?
J’ai envie de chanter.
Laisse-moi, va chez une autre
Ce soir, mon coco, rien à faire !
Et puis je suis vieille, j’ai trente ans
Et j’ai encore à regarder ce monde !
Ma mère, quelles lumières
Je vois là autour
Les rues du Testaccio
Me semblent comme le jour
D’une autre ville !
Regarde les portes ! Regarde les bars !
Regarde les gens ! Regarde les feuillages
que cet air fait vibrer !
Va-t-en petit brun, dit la belle,
Ce soir, je jouis de ma liberté,
Fais tourner ta Guzzi et rentre chez toi
Où ta maman t’attend !
J’ai pris ma cuite
Et maintenant je suis heureuse !
Je peux être aveugle
Je sens que je redeviens une fleur
De virginité !
Virginité ! Virginité !
Je me sens toute vierge !
Qu’en sera-t-il ? Qu’en sera-t-il ? Qu’en sera-t-il ?

MACRÌ TERESA DETTA PAZZIA

Macri Teresa detta Pazzia, fu Nazareno e Anna Mei,
abbito a Via del Mandrione a la baracca ventitré,
ciò dieciott'anni ... Embéh, è così, che vòi da me ?
Me do a la vita da più de n'anno, che artro ancora vòi sapé ?
So' disgraziata, ma ciò un ragazzo che, sanvognuno, pare un re.
Je passo er grano ... Embéh, è così, che vòi da me ?
Sì ! 'O vesto da 'a testa ai piedi !
La raspa, i bighi, la capezza, er bugiardello d'oro !
Me s'è allumata ch'ero ciumaca mentre che stavo a lavorà,
lui è un danzone, e me portava su la Gilera a danzà,
tutto pastoso ... Embéh, è così, che ce vòi fa ?
Pe' più de n'anno tutta moina, io me te sposo e qua e là,
Poi è venuto per me er momento de ripiegamme a camminà
a Caracalla... Embéh, è così, che ce vòi fa ?
E mo' che te sei messo in testa ?
N'a faccio 'sta cantata de core !
N'ce so' n'infamona ! lo so' de vita, sor commissario,
onnai so' fatta : ecchela là !
Un giomo o l'artro ce lo sapevo che me toccava annà
a provà le Mantellate ... Ahò, per me, a tremà nun stà !
Solo me rode, se me chiudete, che s'aritrova senza argian !
Ma a ogni modo, per quarche tempo, coll'oro mio camperà
senza fà buffi ... Ahò, per me, a tremà nun stà !
None ! None ! Nun lo dico er nome !
Er nome suo nun l'ancordo !
Se chiama amore, e basta.

Macrì Teresa appelée La Folie

Macrì Teresa appelée La Folie, de feu Nazareno et Anna Mei,
J’habite rue du Mandrione dans la baraque 23
J’ai dix-huit ans … Bon, c’est comme ça, Que veux-tu de moi ?
Je me donne à la vie depuis plus d’un an,
qu’est-ce que tu veux savoir d’autre ?
Je suis malheureuse, mais j’ai un mec qui me paraît un Roi.
Oui ! Je lui passe les sous … Bon, c’est comme ça,
qu’est-ce que tu veux de moi ?
Oui, je l’habille de la tête aux pieds !
La veste, les pantalons, la chaîne en or,
La montre en or !
Il m’a allumée que j’étais encore jeune fille
tandis que je travaillais,
C’est un dragueur, et il m’emmenait danser sur sa Gilera,
Tout bien habillé … Bon, c’est comme ça,
qu’est-ce que tu veux y faire ?
Pendant plus d’un an, très cajolée,
moi je t’épouse et ci et çà,
Puis est venu pour moi le moment
de recommencer à marcher à Caracalla…
Bon, c’est comme ça, qu’est-ce que tu veux y faire ?
Et maintenant qu’est-ce que tu t’es mis dans la tête ?
Je ne fais pas cette chanson-là de bon coeur !
Je suis du milieu, M’sieur l’commissaire,
désormais je suis faite : voilà !
Un jour ou l’autre, je le savais que je devais aller
essayer les Mantellate … Oh, pour moi je ne tremble pas !
Ce qui me ronge, si vous m’enfermez,
c’est qu’il se trouvera sans le sou !
Mais de toute façon, pendant quelque temps,
avec mon or, il survivra sans faire de dettes …
Oh, pour moi je ne tremble pas !
Non ! Non ! je ne dis pas son nom !
Son nom je ne m’en souviens pas !
Il s’appelle amour, et ça suffit.

Le Mandrione était une banlieue de Rome, entre la Via Tuscolana et la Via Casilina, connue pour ses baraquements habités par des immigrés venus d’autres régions d’Italie, mais aussi pour l’abondance de ses bordels clandestins montés après l’abolition décidée par la Loi Merlin le 20 février 1958. C’était auparavant une zone de campagne traversée par la Via del Mandrione, où passaient les troupeaux de moutons (« le greggi ») et de vaches (« le mandrie »), d’où le nom ; puis vinrent s’entasser des gitans et des méridionaux qui avaient tout perdu dans les bombardements de 1943 (San Lorenzo à Rome) et 1944 ; puis dans la seconde moitié des années ’70, sur l’initiative d’une psychologue et institutrice d’enfants Roms et gitans, Linda Zammataro, le quartier fut peu à peu détruit, ses habitants relogés dans des appartements décents du quartier Spinaceto, et ses baraques remplacées par des maisons élégantes et des boutiques d’artisans. Le quartier fut suivi par de nombreux intellectuels, Franco Cagnetta, Elsa Morante, le photographe de Fellini Franco Pinna (1925-1978), Goffredo Parise, Pasolini…

Image 210

CRISTO AL MANDRIONE

Ecchime dentro quà tutta ignuda
fracica fino all'ossa de guazza.
Intorno a me che c'è ?
Quattro muri zozzi, un tavolo, un piqué.
Fileme, se ce sei, Gesù Cristo
guardeme tutta sporca de fanga,
abbi pietà de me, io che nun so' gnente,
e te er Re dei Re !
Lavorà. senza mai rifiatà
Moro : e l'anima nun sa.
Fileme, se ce sei, Gesù Cristo ;
guardeme tutta sporca de pianto.
Abbi pietà de me, io che nun sò gnente,
e te er Re dei Re !
Fileme, se ce sei, Gesù Cristo.

Le Christ dans le quartier du Mandrione

Me voici là-dedans toute nue,
Trempée de rosée jusqu’aux os.
Qu’y a-t-il autour de moi ?
Quatre murs sales, une table, un bidet.
Écoute-moi, si tu es là, Jésus-Christ
Regarde-moi toute souillée de boue,
Aie pitié de moi
Moi qui ne suis rien, et toi le Roi des Rois !
Travailler sans jamais s’arrêter
Je meurs : et mon âme ne le sait pas
Écoute-moi, si tu es là, Jésus-Christ
Regarde-moi, toute salie de larmes.
Aie pitié de moi,
Moi qui ne suis rien, et toi le Roi des Rois.
Écoute-moi, si tu es là, Jésus-Christ.

BALLATA DEL SUICIDIO

Pietà, pietà ! Voi mi volete morta e sepolta :
senza voce, senza gesti, senza viso, senza vita…
che non torni - vo’ dite - mai più la pazzia ch’essa fu,
qui tra noi !
Pietà, pietà ! Gente felice, voi mi sperate :
impiccata, annegata, incendiata, maciullata…
Che sta a fare - voi dite - se fa solo rabbia,
e lo sa, qui tra noi ?
Pietà, pietà ! Gente per bene, voi mi temete :
nel mio amore, nel mio vizio, nel mio ardore, nel mio odio…
Perché vive - voi dite - quaggiù, peccatrice e tabù,
qui tra noi ?
Pietà, pietà ! Gente normale, mi condannate :
a tremare, ad odiare, a celarmi, a sparire…
Chi è diverso - voi dite - non può rimaner
neanche un po’ qui tra noi !
Pietà, pietà! Gente al potere, voi minacciate :
con l’arresto, con la cella, con la gogna, con il rogo…
La passione - voi dite - non dà che fastidi e ansietà
qui tra noi !
Pietà, pietà ! Pareva eterno il mio destino :
di parlare, di cantare, di godere, di peccare…
Ma sì, ma sì ! Per me è finita, state tranquilli…
Entro nell’ombra, vi lascio il mondo…

Ballade du suicide

Pitié, pitié !
Vous me voulez
Morte et enterrée :
Sans voix,
Sans gestes,
Sans visage Sans vie…
Que ne revienne– dites-vous – jamais plus
la folie que fut cette femme
ici parmi nous !
Pitié, pitié !
Gens heureux,
Vous m’espérez :
Pendue,
Noyée,
Incendiée,
Broyée …
Que fait-elle donc– dites-vous – si elle ne crée
que de la rage, et elle le sait,
ici parmi nous ?
Pitié, pitié !
Gens de bien,
Vous me craignez :
Dans mon amour,
Dans mon vice,
Dans mon ardeur,
Dans ma haine …
Pourquoi vit-elle– dites-vous – ici-bas,
pécheresse et tabou,
ici parmi nous ?
Pitié, pitié !
Gens normaux,
Vous me condamnez :
A trembler,
A haïr,
A me cacher,
à disparaître …
Qui est différent– dites-vous – ne peut pas
rester même un peu
ici parmi nous.
Pitié, pitié !
Gens au pouvoir,
Vous menacez :
Par l’arrestation,
Par la cellule,
par le pilori,
par le bûcher …
La passion– dites-vous – ne donne
que des ennuis et de l’anxiété
ici parmi nous !
Pitié, pitié !
Il semblait éternel
Mon destin :
De parler,
De chanter,
De jouïr,
De pécher …
Mais oui, mais oui !
Pour moi c’est fini,
Soyez tranquilles
J’entre dans l’ombre,
Je vous laisse le monde …

Marilyn

Del mondo antico e del mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu,
povera sorellina minore,
quella che corre dietro i fratelli più grandi,
e ride e piange con loro, per imitarli,
e si mette addosso le loro sciarpette,
tocca non vista i loro libri, i loro coltellini,
tu sorellina più piccola,
quella bellezza l’avevi addosso umilmente,
e la tua anima di figlia di piccola gente,
non ha mai saputo di averla,
perché altrimenti non sarebbe stata bellezza.
Sparì, come un pulviscolo d’oro.
Il mondo te l’ha insegnata,
Così la tua bellezza divenne sua.
Del pauroso mondo antico e del pauroso mondo futuro
era rimasta sola la bellezza, e tu
te la sei portata dietro come un sorriso obbediente.
L’obbedienza richiede troppe lacrime inghiottite,
il darsi agli altri, troppi allegri sguardi
che chiedono la loro pietà !
Così ti sei portata via la tua bellezza.
Sparì come un pulviscolo d’oro.
Dello stupido mondo antico
e del feroce mondo futuro
era rimasta una bellezza che non si vergognava
di alludere ai piccoli seni di sorellina,
al piccolo ventre così facilmente nudo.
E per questo era bellezza, la stessa
che hanno le dolci ragazze del tuo mondo...
le figlie dei commercianti
vincitrici ai concorsi a Miami o a Londra.
Sparì come una colombella d'oro.
Il mondo te l’ha insegnata,
e così la tua bellezza non fu più bellezza.
Ma tu continuavi a essere bambina,
sciocca come l’antichità, crudele come il futuro,
e fra te e la tua bellezza posseduta dal Potere
si mise tutta la stupidità e la crudeltà del presente.
La portavi sempre dietro come un sorriso tra le lacrime,
impudica per passività, indecente per obbedienza.
Sparì come una bianca colomba d’oro.
La tua bellezza sopravvissuta dal mondo antico,
richiesta dal mondo futuro, posseduta
dal mondo presente, divenne un male mortale.
Ora i fratelli maggiori, finalmente, si voltano,
smettono per un momento i loro maledetti giochi,
escono dalla loro inesorabile distrazione,
e si chiedono: «È possibile che Marilyn,
la piccola Marilyn, ci abbia indicato la strada ?»
Ora sei tu, la prima, tu sorella più piccola
quella che non conta nulla, poverina, col suo sorriso,
sei tu la prima oltre le porte del mondo
abbandonato al suo destino di morte.

Marilyn

Du monde antique et du monde futur
il n’était resté que la beauté, et toi,
pauvre petite soeur cadette
celle qui court derrière ses frères aînés,
qui rit et qui pleure avec eux, pour les imiter,
qui porte leurs petites écharpes,
qui touche, sans être vue, leurs livres, leurs canifs,
toi, petite soeur cadette,
cette beauté, tu la portais sur toi humblement,
et ton âme de fille de petites gens
n’a jamais su qu’elle l’avait,
car sans cela ce n’aurait pas été de la beauté.
Elle a disparu, comme une poussière d’or.
Le monde te l’a apprise.
Ta beauté est ainsi devenue sienne.
De l’effrayant monde antique et du féroce monde futur
il n’était resté que la beauté, et toi
tu l’as portée derrière toi comme un sourire obéissant.
L’obéissance demande trop de larmes avalées,
se donner aux autres, trop de regards joyeux
qui demandent la pitié !
Comme çatu as emporté ta beauté.
Elle a disparu comme une poussière d’or.
Du stupide monde antique
et du féroce monde futur
il était resté une beauté qui n’avait pas honte
de faire allusion aux petits seins de sa petite soeur,
à son petit ventre si facilement nu.
Et voilà pourquoi c’était de la beauté, celle-là même
qu’ont les douces jeunes filles de ton univers,
les filles des commerçants
gagnantes aux concours de Miami ou à Londres.
Elle a disparu, comme une petite colombe d’or.
Le monde te l’a apprise,
et ainsi ta beauté ne fut plus de la beauté.
Mais tu continuais à être une enfant,
sotte comme l’Antiquité, cruelle comme le futur,
et entre toi et ta beauté possédée par le Pouvoir
se mit toute la stupidité et la cruauté du présent.
Tu la portais toujours derrière toi, comme un sourire au
milieu des larmes,
impudique par passivité, indécente par obéissance.
Elle a disparu, comme une blanche colombe d’or.
Ta beauté qui a survécu au monde antique,
demandée par le monde futur, possédée
par le monde présent, devint ainsi un mal mortel.
Maintenant, tes grands frères se retournent enfin,
cessent pendant un moment leurs maudits jeux,
sortent de leur inexorable distraction,
et ils se demandent : « Est-il possible que Marilyn,
la petite Marilyn, nous ait indiqué le chemin ? »
Maintenant c’est toi, la première, toi la soeur cadette,
celle qui ne compte pour rien, pauvre petite, avec son sourire,
c’est toi la première, au-delà des portes du monde
abandonné à son destin de mort.

Uccellacci e uccellini est simplement le texte des titres de tête du film de Pasolini (1966), mis en musique par Ennio Morricone et chanté par Domenico Modugno.

Uccellacci uccellini

Alfredo Bini presenta
l'assurdo Totò
l'umano Totò
il matto Totò
il dolce Totò
nella storia
UCCELLACCI E UCCELLINI
raccontata da Pier Paolo Pasolini
con l'innocente
col furbetto
Davoli Ninetto
Trovati per le strade del mondo
tutti gli altri attori da Femi Benussi a Vittorio Vittori
Nel triste girotondo nel lieto girotondo
Luigi Scaccianoce architettò
Danilo Donati acconciò
Nino Baragli montò e rimontò
Ennio Morricone musicò
Mario Bernardo e Tonino Delli Colli fotografò
Fernando Franchi organizzò
Sergio Citti da filosofo aiutò
Una piccola troupe per le periferie vagabondò
per campagne e paeselli si scannò
Producendo rischiò la sua posizione
Alfredo Bini
dirigendo rischiò la reputazione
Pier Paolo Pasolini

Vilains oiseaux et petits oiseaux

Alfredo Bini présente
L’absurde Totò
L’humain Totò
Le fou Totò
Le doux Totò
Dans l’histoire de
VILAINS OISEAUX ET PETITS OISEAUX
Racontée par Pier Paolo Pasolini
Avec l’innocent
Avec le petit fripon
De Davoli Ninetto
Trouvés sur les routes du monde
Tous les autres acteurs
De Femi Benussi
À Vittorio Vittori
Dans la triste ronde
Dans la joyeuse ronde
Luigi Scaccianoce a construit le projet
Danilo Donati a adapté
Nino Baraglia monté et remonté
Ennio Morricone a fait la musique
Mario Bernardo
Et Tonino Delli Colli a photographié
Fernando Franchi a organisé
Sergio Citti a aidé en philosophe
Une petite troupe
À travers les banlieues
A vagabondé dans les campagnes et les petits villages
S’est saignée aux quatre veines
En produisant a risqué sa position
Alfredo Bini, risqué sa réputation en dirigeant
Pier Paolo Pasolini.

Che cosa sono le nuvole ? est de même la chanson mise en musique par Ennio Morricone dans le film homonyme de Pasolini, qui est un des six sketchs du film Capriccio al’Italiana (1967), le dernier film où Totò ait joué avant sa mort le 15 avril 1967 ; le sketch de Pasolini est joué avec Laura Betti et Ninetto Davoli ; l’auteur s’était inspiré de l’Othello de Shakespeare, récité par des marionnettes :

Che cosa sono le nuvole ?

Che io possa esser dannato
se non ti amo, e se così non fosse
non capirei più niente.
Tutto il mio folle amore
lo soffia il cielo
lo soffia il cielo ... così.
Ah ! Malerba soavemente delicata
di un profumo che dà gli spasimi !
Ah ! Ah ! Tu non fossi mai nata !
Tutto il mio folle amore
lo soffia il cielo
lo soffia il cielo ... così.
Il derubato che sorride
ruba qualcosa al ladro
ma il derubato che piange
ruba qualcosa a se stesso.
Perciò io ti dico : finché sorriderò
tu non sarai perduta.
Ma queste son parole
e non ho mai sentito
che un cuore, un cuore affranto,
si curi con l'udito.
Tutto il mio folle amore
lo soffia il cielo
lo soffia il cielo ... così.

Que sont donc les nuages ?

Que je puisse être damné
Si je ne t’aime pas,
Et si ce n’était pas ainsi
Je ne comprendrais plus rien.
Tout mon fol amour,
le ciel le souffle,
le ciel le souffle … comme ça.
Ah ! Mauvaise herbe doucement délicate
D’un parfum qui fait frissonner !
Ah ! Ah ! Puisses-tu n’être jamais née !
Tout mon fol amour,
le ciel le souffle
le ciel le souffle … comme ça.
L’homme volé qui sourit
Vole quelque chose au voleur
Mais l’homme volé qui pleure
Vole quelque chose à lui-même.
C’est pourquoi je te dis : tant que je sourirai
Tu ne seras pas perdue.
Mais ce ne sont que des mots
Et je n’ai jamais entendu dire
Qu’un coeur, un coeur brisé,
se soigne par l’audition.
Tout mon fol amour,
le ciel le souffle,
le ciel le souffle … comme ça.

I ragazzi giù nel campo est un texte adapté par Pasolini et Dacia Maraini, version italienne du texte de Mànos Hadjidakis, musicien grec, utilisé dans le film Sweet Movie, de Dusan Makavejev (1974), qui fit scandale lors de sa sortie en 1974 : on y voyait une copie d’un documentaire tourné par les nazis en 1943, pour se faire de la propagande en exhumant les corps de 22.000 Polonais tués par Staline en 1940, dans le massacre de Katyn. Le texte fut chanté par la chanteuse polonaise Anna Prucnal (1940- ), ce qui lui valut des ennuis de la part des autorités polonaises (elle fut interdite de séjour en Pologne pendant 15 ans, jusqu’en 1989).

I ragazzi giù nel campo

I ragazzi giù nel campo
Non si curano del tempo
Ma si buttano dentro i fiumi
Per pescare la croce premio
I ragazzi giù nel campo
Dan la caccia ad un pazzo
Poi lo strozzano con le mani
E lo bruciano in riva al mare.
Vieni figlia della Luna
Della stella mattutina
Che regala a questi ragazzi
Le carezze del gran cielo !
I ragazzi giù nel campo
Dan la caccia ai borghesi
Tagliano a pezzi
A pezzi le teste
Dei nemici e dei fedeli.
I ragazzi giù nel campo
Colgono rami e rosmarino
E camuffano buche e pozzi
Per acciuffare le ragazze.
I ragazzi giù nel campo
Dan la caccia ad un ricco
Gli fan togliere i denti d’oro
E li portano al mercato.
Vieni figlia della Luna
Della stella mattutina
Che regala a questi ragazzi
Le carezze del gran cielo!
I ragazzi giù nel campo
Non possegono memoria
Perciò vendono gli antenati
Poi son presi da tristezza.

Les garçons là-bas dans le champ

Les garçons là-bas dans le champ
Ne se soucient pas du temps qu’il fait
Mais ils se jettent dans les rivières
Pour pêcher le prix de la croix.
Les garçons là-bas dans le champ
Donnent la chasse à un fou
Puis ils l’étranglent de leurs mains
Et le brûlent au bord de la mer.
Viens fille de la Lune
De l’étoile du matin
Qui fait cadeau à ces garçons
De la caresse du grand ciel !
Les garçons là-bas dans le champ
Donnent la chasse aux bourgeois
Ils coupent en morceaux
En morceaux les têtes
Des ennemis et des fidèles.
Les garçons là-bas dans le champ
Cueillent des branches et du romarin
Et camouflent des trous et des puits
Pour attraper les filles.
Les garçons là-bas dans le champ
Donnent la chasse à un riche
Ils lui font enlever ses dents en or
Et ils les portent au marché.
Viens fille de la Lune
De l’étoile du matin
Qui fait cadeau à ces garçons
De la caresse du grand ciel !
Les garçons là-bas dans le champ
Ne possèdent pas de mémoire
C’est pour ça qu’ils vendent leur ancêtres
Puis ils sont pris par la tristesse.

Les « ragazzi » sont peut-être aussi ceux de Ragazzi di vita, le roman de Pasolini paru en 1955. La chanson suivante C’è forse vita sulla terra est également une adaptation d’une séquence du même film, Sweet Movie.



C'è forse vita sulla terra ?

C'è forse vita sulla terra ?
C'è forse vita nella guerra ?
C'è forse vita sulla terra ?
C'è forse vita nella guerra ?
È una gioia essere vivi, è bello essere furtivi.
È bello sopravvivere, è dolce saper vivere.
È bello essere matti, non tenere fede ai fatti,
fare tutto tutti nudi e mangiare sassi crudi.
C'è forse vita sulla terra ?
C'è forse vita nella guerra ?
C'è forse vita sulla terra ?
C'è forse vita nella guerra ?
Prendi la libertà, la morte non ti avrà.
Prendi quello che vuoi, respira affondo e poi
è bello fare l'amore, è bello schiantare il cuore.
È dolce essere contenti, finché non te ne penti.
C'è forse vita sulla terra ?
C'è forse vita nella guerra ?
C'è forse vita sulla terra ?
C'è forse vita nella guerra ?
È una gioia essere tristi, fare il male senza esser visti.
È bello essere pigri, mordere come tigri.
È bello essere cattivi e nel vizio molto attivi.
Bello morire per uno scopo, bello vincere a gatto e topo.
C'è forse vita sulla terra?
C'è forse vita nella guerra?
C'è forse vita sulla terra?
C'è forse vita nella guerra?

Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?

Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
C’est une joie d’être vivants, c’est bon d’être furtif
C’est bon de survivre, c’est doux de savoir vivre.
C’est beau d’être fou, de n’avoir pas foi en les faits,
de faire tout tout nu et de manger très cru.
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
Prends ta liberté, la mort ne t’aura pas
Prends ce que tu veux, respire à fond et puis
C’est bon de faire l’amour, c’est bon de briser le cœur.
C’est doux d’être content, tant que tu ne t’en repends pas.
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
C’est une joie d’être triste, de faire le mal sans être vu.
C’est bon d’être paresseux, de mordre comme des tigres.
C’est bon d’être méchant et très actif dans le vin.
Bon de mourir pour un but, bon de gagner au chat et à la souris.
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?
Y a-t-il donc de la vie sur la terre ?
Y a-t-il donc de la vie dans la guerre ?

Enfin un dernier texte poétique est écrit par Pasolini pour être mis en musique, à la demande d’Ennio Morricone (1928-) à qui avait été commandée une œuvre originale pour un disque destiné à célébrer le centenaire de Rome capitale en 1970 :

Meditazione orale

Che Roma fosse città coloniale
dove venire in vacanza
Ne dimorarono molti, poeti non socialmente determinati
liberi dalla burocrazia e con un po' di paura della polizia ;
né mancarono i bei soli, in questo secolo ;
ciò che scompariva dava un breve dolore,
l'unico vero dolore era nei sogni ;
nei sogni in cui pareva di essere costretti
a lasciare questa città per sempre !
Non si piange su una città coloniale,
eppure molta storia passò sotto questi cornicioni
(col colore del sole calante) e fu spietata ;
fu una scommessa tra i fascisti e i liberali ;
inaspettatamente questi ultimi, imbelli e anche un po' buffi,
(meridionali delicati di fegato) l'ebbero vinta.
I forti furono battuti ;
molta storia passò all'ombra dei Ministeri,
ma che lacrime fossero sparse in sogno per questa città
ciò sa di miracoloso, è quasi incomprensibile ;
lacrime violente, che parevano sparse sul cosmo ;
le lacrime degli addii alle partenze senza ritorno.
Poi ricominciava la vacanza e una sete insaziabile di solitudine
Molta storia passò su questo asfalto
e lungo i muretti di pietra, insensibili al sole d'agosto,
molta storia.
I vecchi parlamentari onestamente con solennità sedentaria
ripresero il loro posto, or ridenti or severi
verso i loro elettori, condividendone la pace col mondo :
a ognuno il suo realismo !
Avevano vinto la scommessa
nel Settentrione eroico
nel Meridione segreto
e un sorriso popolare o una serietà piccolo borghese
insomma la ritrovata dignità
riportò pellegrinaggi di poeti
liberi da classe sociale, senza obblighi né orari
sì che dopo il pianto, la cosa più incredibile
fu quel desiderio di solitudine,
che dava una felicità completa e tenuta tutta per sé.
Gli occhi che avevano pianto in sogno
ora guardavano senza limiti di tempo o scadenze,
con pomeriggi o notti intere davanti,
in cui non accadeva che ciò che la storia dimenticava.
Oh, certo, non fu serio ; fu una vacanza
Tutto doveva poi essere ragione di rimprovero ;
Roma fu sede di nuove battaglie.
Da dove erano discesi questi barbari ?
Beh, erano nati qua, a Via Merulana, a Piazza Euclide,
a Centocelle : e infatti bastava che impallidissero un po',
ed ecco le faccie dei loro padri,
o sconfitti o vittoriosi,
ma tutti perduti nel passato
in cui le lacrime non contano
e il desiderio di solitudine non è serio ;
la storia ricominciò a passare,
ma ai posteggi verso le quattro del pomeriggio
c'era calma e sole,
dietro al Quadraro i prati erano deserti.

Méditation orale

Que Rome soit une ville coloniale
où venir en vacances
Beaucoup le confirmèrent, poètes non déterminés socialement
Libres de la bureaucratie et avec quelque peur de la police ;
Et les beaux soleils ne manquèrent pas, en ce siècle ;
Ce qui disparaissait donnait une courte douleur,
La seule vraie douleur était dans les rêves ;
dans les rêves où, semblait-il, on était obligés
de quitter cette ville pour toujours !
On ne pleure pas sur une ville coloniale,
et pourtant Beaucoup d’histoire est passée sous ces grandes corniches
(avec la couleur du soleil couchant) et elle fut impitoyable ;
Ce fut un pari entre les fascistes et les libéraux ;
De façon inattendue, ces derniers, lâches et même un peu
drôles, (méridionaux délicats du foie) eurent la victoire.
Les forts furent battus ;
Beaucoup d’histoire est passée à l’ombre des Ministères,
mais que de larmes furent répandues en rêve pour cette ville
C’est ça qui est miraculeux, et presque incompréhensible,
Des larmes violentes qui semblaient répandues sur le cosmos ;
Les larmes des adieux aux départs sans retour.
Puis recommençaient les vacances
Et une soif insatiable de solitude
Beaucoup d’histoire est passée sur ce goudron
Et le long des petits murs de pierre, insensibles au soleil d’août,
Beaucoup d’histoire.
Les vieux parlementaires honnêtement
Avec une solennité sédentaire
Reprirent leur poste, tantôt riants tantôt sévères
Envers leurs électeurs, dont ils partageaient la paix avec le monde :
à chacun son réalisme !
Ils avaient gagné leur pari
dans le Nord héroïque
dans le Midi secret
Et un sourire populaire ou un sérieux petit bourgeois
En somme la dignité retrouvée
Ramena des pèlerinages de poètes
Libres de classe sociale, sans obligations ni horaires
Si bien qu’après les pleurs, la chose la plus incroyable
Fut ce désir de solitude,
Qui donnait un bonheur complet que l’on gardait tout pour soi.
Les yeux qui avaient pleuré en rêve
Regardaient maintenant
Sans limites de temps ou d’échéances,
Avec des après-midis ou des nuits entières devant eux,
Dans lesquelles il n’arrivait que ce que l’histoire oubliait.
Oh, certes, ce ne fut pas sérieux ;
Ce fut une vacance
Tout devait être ensuite une raison de reproche ;
Rome fut le siège de nouvelles batailles.
D’où étaient descendus ces barbares ?
Beh, ils étaient nés là, rue Merulana, Place d’Euclide,
À Centocelle : et en effet il suffisait qu’ils pâlissent un peu
Et voilà le visage de leurs pères,
Ou vaincus ou victorieux,
Mais tous perdus dans le passé
Où les larmes ne comptent pas
Et le désir de solitude n’est pas sérieux ;
L’histoire recommença à passer,
Mais dans les parkings vers quatre heures de l’après-midi,
Il y avait le calme et le soleil,
Derrière Quadraro les prés étaient déserts.

C’était le dernier texte composé par Pasolini pour être une chanson, les suivants seront des poésies déjà écrites et mises en musique plus tard. Ces dix chansons sont écrites en vue de spectacles théâtraux, comme celui de Laura Betti, ou pour le cinéma, c’est significatif de l’intérêt multiple de Pasolini pour divers modes d’expression : chanson, oui, mais liée à d’autres formes d’art, théâtre ou cinéma. Quant aux compositeurs ils ne sont jamais jusqu’alors des chanteurs, mais toujours des musiciens qui travaillent hors de la sphère de la chanson commerciale de « consommation », mais ils sont musiciens de jazz, de musique expérimentale ou de colonnes sonores de cinéma ; une seule exception, Domenico Modugno, dont Pasolini appréciait l’inspiration populaire et dialectale.

En 1964, Pasolini portait dans un article de Vie Nuove ce jugement sur la chanson : « Sur les chansonnettes, je pourrais donner deux types opposés de réponse. Rien mieux que les chansonnettes n’a le pouvoir magique, abjectement poétique de réévoquer un « temps perdu ». Je défie quiconque de réévoquer l’après-guerre mieux que ne peut le faire le boogie-woogie, ou l’été 1963 mieux que ne peut le faire Stessa spiaggia stesso mare (chanson de Mogol et Soffici interprétée par Mina. NDR). Les « intermittences du cœur » les plus violentes, aveugles, irréfrénables sont celles que l’on éprouve en écoutant une chansonnette. (…) La façon immédiate que j’ai de me mettre en rapport avec les chansonnettes est donc particulière et je ne peux en faire abstraction. Je ne suis pas un bon juge. Je souffre en outre d’antipathies et de sympathies profondes pour les chanteurs et les mélodies (le maximum d’antipathie va à la chansonnette crépusculaire dont je pourrais donner comme paradigme Signorinella pallida). J’ajoute enfin que j’aime assez le timbre orgiastique qu’ont les musiques transmises par les juke-boxes. Tout cela est honteux, je le sais ; et donc en même temps, je dois dire que le monde des chansonnettes est aujourd’hui un monde idiot (« sciocco ») et dégénéré. Il n’est pas populaire mais petit-bourgeois. Et comme tel profondément corrupteur. La Rai-TV est coupable de la mauvaise éducation (« diseducazione ») de ses auditeurs pour cela aussi. Les fanatismes des chanteurs sont pires que les Jeux du cirque ».

D’autres textes de Pasolini vont donc être mis en musique. Le premier est un texte dialectal frioulan des années 1944-49, publié dans La meglio gioventù et chanté par Grazia De Marchi et Giovanna Marini, Lied :

Lied (Frioulan)

Sot i poj na veciuta
si mòuf ta l’altun lun
lontana da la vila,
a agrumà bachetùs
se Domènia tranquila !
L’alba a la jodarù
pleta cub chè fassinas
tal so spierdut fugùt
ultins dis inciantas
Di un vivi scunussut

Lied (Italien)

Sotto i pioppi una vecchina
si muove nell’ultima luce,
lontana dal paese,
a raccogliere sterpi.
Che Domenica tranquilla !
L’alba la vedrà,
piegata con quella fascina,
sul suo sperduto fuocherello :
ultimi giorni incantati
di un vivere sconosciuto.

Lied (Français)

Sous les peupliers, une petite vieille
Se déplace dans la dernière lumière,
Loin du village,
Pour ramasser des brindilles.
Quel dimanche tranquille !
L’aube la verra,
Pliée avec ce fagot,
Sur son petit feu perdu :
Derniers jours enchantés
D’une vie inconnue.

Il soldato di Napoleone est la reprise en italien par Pasolini d’un texte qu’il écrivit en dialecte frioulan dans La meglio gioventù en 1953 et reprit dans La Nuova gioventù en 1973. C’était inclus dans un cycle de poésies consacré aux Colussi, les ancêtres de la mère de Pasolini. Les personnages de la chanson sont la trisaïeule du poète, juive polonaise et son ancêtre frioulan, Vincenzo Colussi qui l’épousa au retour de la guerre de Napoléon en Russie et la conduisit à Casarsa. Sergio Endrigo choisit ce texte dans son premier album de 1962 :

Il soldato di Napoleone

Addio, addio Casarsa vado via per il mondo
Lascio il padre e la madre vado via con Napoleone
Addio vecchio paese, addio giovani amici
Napoleone chiama la meglio gioventù.
Quando si alza il sole al primo chiaro del giorno
Vincenzo col suo cavallo di nascosto se ne è partito
Correva lungo il Tagliamento e quando suona mezzodì
Vincenzo si presenta a Napoleone.
Come furono passati sette mesi sono in mezzo al ghiaccio
A conquistare la Russia perduti e abbandonati
Come furono passati sette giorni sono in mezzo al gelo
Della grande Polonia feriti e prigionieri.
Spaventato il cavallo, fuggiva per la neve
E sopra aveva Vincenzo che ferito delirava
Gridava fermati cavallo, ferma, fermati ti prego
Che è ora che ti dia un mannello di fieno.
Il cavallo si ferma e con l’occhio quieto buono
Guarda il suo padrone che ormai muore di freddo
Vincenzo gli squarcia il ventre con la sua baionetta
E dentro vi ripara la vita che gli avanza.
Susanna con suo padre passa di lì sul carro
E vede il giovincello nei visceri del cavallo
Salviamolo padre mio questo povero soldato
che muore nella Polonia caduto e abbandonato.
Chi siete bel soldato venuto da lontano ?
Sono Colussi Vincenzo un giovane italiano
E voglio portarti via appena sarò guarito
Perché nel petto con gli occhi mi hai ferito.
No, no che non vengo via perché mi sposo questa Pasqua
No, no che non vengo via perché a Pasqua sarò già morta
La domenica degli ulivi piangevano tutti e due
E l’uno e l’altra a piangere si vedevano di lontano.
Il lunedì santo si vedono nell’orto
E si danno un bacio come due colombi
Il giovedì santo che nascono rose e fiori
Scappano dalla Polonia per saziare l’amore.
La domenica di Pasqua che tutto il mondo canta
Arrivano innamorati in terra di Francia
La domenica di Pasqua che tutto il mondo canta
Arrivano innamorati in terra di Francia.

Le soldat de Napoléon

Adieu, adieu Casarsa, je m’en vais par le monde
Je quitte mon père et ma mère je m’en vais avec Napoléon
Adieu vieux pays, adieu jeunes amis
Napoléon appelle le meilleur de la jeunesse.
Quand se lève le soleil à la première lueur du jour
Vincent avec son cheval est parti en cachette
Il courait le long du Tagliamento et quand sonne midi
Vincent se présente à Napoléon.
Quand furent passés sept mois, ils sont au milieu de la glace
À conquérir la Russie perdus et abandonnés
Quand furent passés sept jours ils sont au milieu du gel
De la Grande Pologne blessés et prisonniers.
Son cheval épouvanté fuyait dans la neige
Et il avait sur lui Vincent qui blessé délirait
Il criait Arrête-toi cheval, arrête-toi je t’en prie
Car c’est l’heure que je te donne une botte de foin.
Le cheval s’arrête et de son oeil calme et bon
Regarde son maître qui désormais meurt de froid
Vincent lui ouvre le ventre avec sa baïonnette
Et y met à l’abri la vie qui lui reste.
Suzanne avec son père passe par là sur sa charrette
Et voit le jeune homme dans les tripes du cheval
Sauvons-le mon père ce pauvre soldat
Qui meurt tombé et abandonné dans la Pologne.
Qui êtes-vous beau soldat venu de loin ?
Je suis Colussi Vincent un jeune italien
Et je veux t’emmener dès que je serai guéri
Parce que dans ma poitrine tu m’as blessé avec tes yeux.
Non, non je ne viens pas, je me marie pour Pâques
Non, non je ne pars pas car pour Pâques je serai déjà morte
Le dimanche des oliviers ils pleuraient tous les deux
Et l’un l’autre en pleurant se voyaient de loin.
Le lundi saint ils se voient dans le potager
Et ils se donnent un baiser comme deux pigeons
Le jeudi saint où naissent les roses et les fleurs
Ils fuient la Pologne pour apaiser leur amour.
Le dimanche de Pâques où tout le monde chante
Ils arrivent amoureux en terre de France
Le dimanche de Pâques où tout le monde chante
Ils arrivent amoureux en terre de France.

La chanson fut censurée en 1966 par la RAI qui demanda de changer quelques vers considérés comme « dégoûtants », mais les auteurs avaient refusé.

Le Notturno de Danze della sera est un texte extrait de Il pianto della rosa, seconde section de L’usignolo della chiesa cattolica, de 1946 :

Danze della sera (Notturno)

Ah, se un giomo ancora ti potessi rivedere
schiaccerei la testa sopra i tuoi vestiti
ed allora io vivrei del tuo odore
Canta forte laggiù senza pietà
grida forte alle donne di ridere
con te rideranno pazze le donne insieme a te.
O vecchia madre tu non devi piangere più
non lavare tutto con il tuo dolore
se piangi ancora un altro figlio devi dare
vecchio padre, ciò che tu mi fai veder
non mentire non è un simbolo d'amore
è un uomo matto per gridare forte : « Amor »
Voi non mi conquistate
Con le gioie o i terrori
Dei freschi silenzi
Vostri, stelle invecchiate
E non mi trepidate gelide, nel fiore
dove impera un Ardore dolce, la mia esistenza.
Ma con voi è lontano (non piango, non rido)
di questo cielo il Dio che io non so nè amo.

Danse du soir (Nocturne)

Ah si un jour encore je pouvais te revoir
J’écraserais ma tête sur tes vêtements
Et alors je vivrais de ton odeur
Chante fort là-bas sans pitié
Crie fort aux femmes de rire avec toi
Folles avec toi les femmes riront.
Oh vieille mère tu ne dois plus pleurer
Ne lave pas tout avec ta douleur
Si tu pleures encore tu dois donner un autre fils
Vieux père, ce que tu me fais voir, ne mens pas,
N’est pas un symbole d’amour,
C’est d’un homme fou de crier : « Amour ».
Vous ne me conquérez pas
Avec les joies ou les terreurs
De vos frais silences
Etoiles vieillies.
Et vous ne me rendez pas anxieux
Glacées, dans la fleur
Où commande une Ardeur
Douce, mon existence.
Mais avec vous, il est loin
(je ne pleure pas, je ne ris pas)
le Dieu de ce ciel
que je ne connais pas et que je n’aime pas.

Enfin La recessione provient aussi de La meglio gioventù, texte frioulan traduit en italien par Pasolini. Alice la chante dans le texte italien en 1992, mais nous vous donnons ici le texte frioulan originel, dont Alice ne chante pas la dernière strophe, peu « politiquement correcte » : « Mais ça suffit avec ce film néoréaliste / Nous avons abjuré ce qu’il représente. / En refaire l’expérience ne vaut la peine que / si on lutte pour un monde vraiment communiste ». Mieux vaut « lisser » un peu ce Pasolini si « différent », communiste, homosexuel, on ne sait ce que la censure démocrate-chrétienne lui reprochera le plus !

La recessione (Frioulan)

I jodarìn bargèssis cui tacòns ;
tramòns ros su borcs
vuèis di motòurs e plens di zòvins strassòns
tornàs da Turin o li Germàniis.
I vecius a saràn paròns dai so murès
coma di poltronis di senatòurs ;
i frus a savaràn che la minestra a è pucia,
e se ch'a val un toc di pan.
La sera a sarà nera coma la fin dal mond,
di not si sentiràn doma che i gris o i tons ;
e forsi, forsi, qualchi zòvin - un dai pus zòvins bons
tornàs al nit- a tirarà fòur un mandulin.
L'aria a savarà di stras bagnàs.
Dut a sarà lontàn.
Trenos e corieris a passaràn di tant in tant
coma ta un siun.
Li sitàs grandis coma monds,
a saràn plenis di zent ch'a va a piè
cui vistis gris, e drenti tai vuj 'na domanda,
'na domanda ch'a è, magari, di un puc di bès,
di un pissul plasèir,
ma invessi a è doma di amòur.
I antics palàs a saràn coma montagnis
di piera soj e sieràs,
coma ch'a erin ièir.
Li pissulis fabrichis tal pi bièl di un prat verd
ta la curva di un fIun,
tal còur di un veciu bosc di roris,
a si sdrumaràn un puc par sera,
murèt par murèt
lamiera par lamiera.
I bandis (i zòvins tornàs a ciasa
dal mond cussi divièrs
da coma ch'a èrin partìs)
a varàn li musis di 'na volta,
cui ciaviej curs e i vuj di so mari
plens dal neri da li nos di luna
- e a saràn armàs doma che di un curtìs.
Il sòcul dal ciavàl al tociarà la ciera,
lizèir coma 'na pavèa,
e al recuardarà se ch'al è stat,
in silensiu, il mond e che! ch' al sarà.
Ma basta con questo film neorealistico.
Abbiamo abiurato da ciò che esso rappresenta.
Rifarne esperienza val la pena solo
se si lotterà per un mondo davvero comunista.

La récession (Français)

Nous verrons des pantalons avec des pièces ;
Des couchers de soleil rouges sur des bourgs
vides de moteurs
Et pleins de jeunes fatigués
Venus de Turin ou d’Allemagne.
Les vieux seront les maîtres de leurs murets
Comme de fauteuils de sénateurs ;
Les enfants sauront qu’il y a peu de soupe,
Et combien vaut un morceau de pain.
Le soir sera noir comme la fin du monde,
La nuit on n’entendra que les grillons
Ou les coups de tonnerre ; et peut-être, peut-être que quelque jeune
– un des rares jeunes revenus au nid –
sortira une mandoline.
L’air
sera celui de haillons mouillés.
Tout
sera lointain.
Des trains et des autocars
passeront de temps en temps comme dans un rêve.
Les villes grandes comme des mondes
Seront pleines de gens qui vont à pied
Avec des vêtements gris, et dans les yeux
Une question, une question qui est,
Qui sait, un peu d’argent, et une petite aide
Mais au contraire c’est une demande d’amour.
Les anciens palais
Seront comme des montagnes de pierre
Seuls et fermés comme ils étaient autrefois.
Les petites usines sur le plus beau
D’un pré vert dans la courbe
D’un fleuve, dans le coeur d’un vieux
Bois de chênes, s’écrouleront
Un peu plus chaque soir, mur après mur
Tôle après tôle.
Les bandits
(les jeunes revenus du monde chez eux
si différents de comme ils étaient partis)
auront les visages d’autrefois
avec des cheveux courts et les yeux de leur mère
pleins du noir des nuits de lune
et ils ne seront armés que d’un couteau.
Le sabot du cheval touchera
La terre, léger comme un papillon,
Et rappellera ce qu’a été
En silence, le monde et ce qu’il sera.
Mais ça suffit avec ce film néoréaliste.
Nous avons abjuré ce qu’il représente.
En refaire l’expérience ne vaut la peine que
si on lutte pour un monde vraiment communiste.

Giovanna Marini a aussi mis en musique quatre textes de Pasolini dans son disque Partenze, Vent’anni dopo la morte di Pier Paolo Pasolini, de 1995, parmi lesquels Lied. L’avant-dernière chanson du disque est le Lamento per la morte di Pasolini, dont elle écrit le texte et la musique pour son disque de 1978, Correvano coi carri :

Lamento per la morte di Pasolini

Persi le forze mie persi l'ingegno
la morte mi è venuta a visitare
"e leva le gambe tue da questo regno"
persi le forze mie persi l'ingegno.
Le undici le volte che l'ho visto
gli vidi in faccia la mia gioventù
O Cristo me l'hai fatto un bel disgusto
le undici le volte che l'ho visto.
Le undici e un quarto mi sento ferito
davanti agli occhi ho le mani spezzate
la lingua mi diceva "è andata è andata"
le undici e un quarto mi sento ferito.
Le undici e mezzo mi sento morire
la lingua mi cercava le parole
e tutto mi diceva che non giovale
undici e mezzo mi sento morire.
Mezzanotte m'ho da confessare
cerco perdono dalla madre mia
questo è un dovere che ho da fare
mezzanotte m'ho da confessare.
Ma quella notte volevo parlare
la pioggia il fango l'auto per scappare
solo a morire lì vicino al mare
ma quella notte volevo parlare
non può non può può più parlare
più parlare.

Lamento pour la mort de Pasolini

J'ai perdu mes forces, perdu mon génie
la mort est venue me rendre visite
« Ôte donc tes jambes de ce royaume-ci »
J'ai perdu mes forces, perdu mon génie.
Onze heures toutes les fois que je l'ai vu
J'ai vu sur son visage ma jeunesse
O Christ tu m'as donné un beau dégoût
Onze heures toutes les fois que je l'ai vu.
Onze heures un quart et je me sens blessé
Devant mes yeux j’ai les deux mains brisées
Ma langue me disait "C'en est fait c'en est fait"
Onze heures un quart et je me sens blessé.
Onze heures et demie et je me sens mourir
Ma langue ne trouvait plus de mots
Et tout me signifiait que ça ne sert à rien
Onze heures et demie et je me sens mourir.
Minuit il faut que je me confesse
Je cherche le pardon de ma mère
C’est un devoir que je dois faire
Minuit il faut que je me confesse.
Mais cette nuit je voulais parler
La pluie, la boue, la voiture pour fuir
Seul en train de mourir près de la mer
Mais cette nuit je voulais parler
Il ne peut plus il ne peut plus il ne peut plus parler,
plus parler.

--- Discographie ---

* Luna di giorno - Le canzoni di Pier Paolo Pasolini, par Micocci Dischitalia, edité par BMG et Ricordi, 1995 : 16 enregistrements par Pasolini, Laura Betti, Anna Nogara, Domenico Modugno, Daniela Davoli, Sergio Endrigo, Chetro & Co, Avion Travel, Giovanna Marini, Fabrizio De Andrè.
* Tutto il mio folle amore, Grazia De Marchi canta Pasolini, 10 chansons de Pasolini, 1984, Blu Disc, avec un dessin de Milo Manara en couverture.
* Pier Paolo Pasolini, 5 enregistrements de textes de Pasolini par lui-même, BMG Ricordi, 1962, 1970, 1995 : Il canto popolare, Le ceneri di Gramsci, La terra di lavoro, La Guinea, Meditazione orale.
* Les deux disques cités ci-dessus de Giovanna Marini.