La chanson traditionnelle


Le pouvoir du chant

Petit tour en chanson des régions d’Italie, de 1968 à 2018

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La chanson du Val d’Aoste

La chanson du Piémont

La chanson de Ligurie

La chanson en Lombardie

La chanson en Vénétie

La chanson dans le Frioul

La chanson du Trentin-Haut Adige

La chanson en Emilie-Romagne

La chanson des Marches

La chanson des Abruzzes

La chanson du Molise

La chanson de Toscane

La chanson en Ombrie

La chanson du Latium

La chanson de Campanie et de Naples

La chanson napolitaine de la seconde guerre mondiale à aujourd’hui.

La chanson des Pouilles

La chanson en Basilicata

La chanson de Calabre

La chanson de Sicile

La chanson de Sardaigne

Prologue : unité nationale et diversité régionale de l’Italie

J’aurais pu l’appeler Dictionnaire amoureux ou Dictionnaire pour les nuls de la chanson en Italie. « Nuls », les Français, dans le domaine de la chanson en Italie ? Dans une large mesure, et ce n’est pas entièrement de leur faute : ils ne sont que les victimes d’une société qui ne leur parle que de ce qu’ils connaissent un peu mieux, parce que cela se vend bien, victimes de médias d’une société dominée par quelques grandes entreprises qui ne connaissent pas et donc ne vendent pas cette chanson ; et l’Italie a aussi quelque responsabilité dans cette absence de diffusion de sa chanson. Et pourtant, qu’est-ce qu’elle est intéressante, cette chanson non pas « italienne » mais « en Italie », parce qu’elle est en langue italienne mais aussi dans chacun des dialectes de ce pays. C’est pourquoi nous avons appelé ce livre « Petit tour en chanson des régions d’Italie ». Et qu’est-ce qu’elle a été influencée par la meilleure chanson française ! Et qu’elle est digne d’être écoutée et aimée !

Il faut ajouter que de nombreux groupes et chanteurs, souvent de qualité, ne retiennent pas l’attention des maisons de disques, par incompétence ou par souci de rentabilité, et ne sont donc jamais enregistrés, malgré leur valeur. Comme dit Ligabue, « Disons-le franchement, ce n’est pas que les maisons de disques soient pleines d’aigles en mesure de comprendre au vol si un chanteur vaut quelque chose ou non. (…) Rien qu’à Reggio Emilia il y a plus de cent groupes rock « officiels » dont au moins trente de très bon niveau : mais personne ne va les écouter. Et s’ils n’arrêtent pas de faire de la musique, c’est seulement parce que la passion est plus forte que toute contrariété » (L’Espresso, 20 octobre 1991). Malgré ces limites, nous avons choisi de décrire l’évolution de la chanson, région par région.

Ce sera donc la suite de l’ouvrage que nous avons publié en 2019, La chanson en Italie, des origines populaires aux lendemains de 1968, Presses Universitaires de Provence, Aix-Marseille.

Parler de la chanson région par région en Italie, est-ce céder à un esprit de clocher, un « campanilisme » compulsif et rétrograde ?

Non c’est simplement reconnaître la réalité d’aujourd’hui, à savoir que l’Italie est à la fois une unité nationale et linguistique et une diversité régionale et dialectale. Il n’y a pas UNE Italie, mais DES Italies. Pensons à une image : comme les catholiques croient en UN Dieu unique en TROIS personnes, on pourrait dire que l’Italie est UNE nation en VINGT régions. L’Italie dispose à la fois d’UNE identité nationale et de PLUSIEURS identités régionales, qui sont ses veines et son sang.

La constitution de 1948 définit l’Italie comme « une République une et indivisible » qui « reconnaît et favorise les autonomies locales ; elle réalise dans les services qui dépendent de l’État la plus large décentralisation administrative ; elle adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l’autonomie et de la décentralisation » (article 5 des Principes fondamentaux). Cette autonomie se réalise peu à peu depuis 1945 ; en 1963, le Molise est déclaré indépendant des Abruzzes (on devrait dire maintenant l’Abruzze et non plus les Abruzzes) ; peu à peu, 5 régions ont été reconnues « autonomes ». Les régions sont inégales en nombre d’habitants (de plus de 10 millions en Lombardie à un peu plus de 126.000 en Val d’Aoste) et en richesse économique (le PIL – Produit Intérieur Brut – va de 41.000 euros dans le Trentin-Haut Adige à 16.000 en Calabre) ; d’autres régions vont marcher vers l’autonomie, et d’abord la Lombardie et la Vénétie.

Surtout cela est le produit de l’histoire : avant la conquête par les Romains, le territoire italien était occupé par une grande diversité de peuples ayant chacun sa langue, son mode de vie, ses traditions, ses légendes ; l’imposition de la langue latine créa dans chaque région une contamination différente avec la langue d’origine, ce qui fait que l’Italie connaît encore une grande diversité de « dialectes », de patrimoines culturels, et donc aussi de chansons ; le même fait vaut pour le reste de l’Empire romain qui connaît une grande diversification des langues que l’on appelle « romanes » ; la France a fait une révolution très jacobine et centralisatrice, et sa langue a une autre histoire. Malgré l’affaiblissement des dialectes, cela est encore vrai, et justifie l’étude de la chanson en Italie par région : on doit constater qu’il n’y a pas une seule culture « nationale-populaire », mais que d’une part celle-ci se présente de façon différente dans chaque région et que d’autre part elle est doublée d’une culture populaire propre à la vie et à la langue de chaque région ; tous les Italiens sont en ce sens bilingues et héritiers de plusieurs cultures et patrimoines. Un seul exemple : le rock ne se présente pas de la même façon en Lombardie, en Émilie-Romagne, dans les Marches, à Rome ou dans le Sud du pays. Et on peut se demander si le Festival de Sanremo n’a pas complètement raté la création d’une véritable chanson « nationale-populaire » italienne tout en restant représentatif de l’Italie dominante (Voir le bel ouvrage de Serena Facci et Paolo Soddu, Il Festival di Sanremo - Parole e suoni raccontano la nazione, Roma, Carocci, 2011).

Cela nous permet de commencer aussi par le commencement : partir de la chanson populaire traditionnelle paysanne et dialectale, évidemment régionale, autre nouveauté de cet ouvrage.

Voilà la problématique de ce texte, décrire la chanson par région en partant de sa chanson traditionnelle jusqu’à sa réalité d’aujourd’hui, en insistant sur les cantautori et cantautrici (auteurs-compositeurs-interprètes, voir plus loin) et sur les groupes musicaux, en ne faisant que citer les principaux chanteurs et chanteuses de valeur, et en écartant le rap qui fera l’objet d’autres textes (voir sur ce site notre Petite histoire du rap en Italie et le chapitre 22 de Vingt-deux portraits d’une autre Italie).

Il n’est donc pas question d’un retour nostalgique au passé ; nous savons que le monde a changé et que la base paysanne de la culture populaire s’est considérablement rétrécie en Italie, comme partout dans l’Europe technologique du XXIe siècle. Mais d’une part cette base existe encore fortement en particulier dans le Sud, d’autre part cette culture est vivante en ce sens que de nombreux poètes, chanteurs et groupes musicaux populaires continuent de s’en inspirer et se proposent d’exprimer la réalité contemporaine avec des formes musicales, des textes, des instruments, une langue locale qui est toujours leur langue « maternelle » dans laquelle ils disent leur vie quotidienne, leurs sentiments, leurs passions, leurs souffrances. Il ne s’agit ni d’un particularisme passéiste, ni d’une attitude réactionnaire analogue à celle d’un mouvement comme la Ligue autrefois « du Nord ». Et cela nous permettra de mieux apprécier la spécificité et la grande créativité de l’Italie dans son ensemble.

Ce ne sera pas complet, car la richesse est grande et les évolutions rapides, mais en tout cas ce sera plus à jour pour le passé et pour le présent que la plupart des ouvrages publiés, même en Italie.

Nous sommes allés du nord au sud, en commençant par le Val d’Aoste.

Les « cantautori »

Nous avons évoqué dans notre livre précédemment cité l’apparition des cantautori comme le genre le plus nouveau de la chanson à partir des années 1960, aidé par le soutien financier de Nanni Ricordi et de Franco Crepax. On appela cantante-autore = « cantautore » celui qui interprétait les chansons dont il écrivait lui-même le texte et/ou la musique (« auteur-compositeur-interprète ») : pour Nanni Ricordi, c’est « et » (paroles et musique) ; le Dizionario etimologico della lingua italiana de Manlio Cortelazzo et Paolo Zolli (Zanichelli, 1979) dit, de façon plus large : « par le chanteur écrites ou composées » ; on peut ainsi y intégrer Lucio Battisti, dont tous les premiers textes sauf un furent écrits par Mogol, tandis qu’il écrivait la musique et interprétait les chansons, et Piero Ciampi, qui écrivait les textes et interprétait les chansons, mais dont la musique était écrite par ses amis Gianfranco Reverberi ou Gianni Marchetti, ou encore les couples Giorgio Gaber et Umberto Simonetta ou Sandro Luporini à partir de 1969, ou Franco Battiato et Manlio Sgalambro, Umberto Bindi et Giorgio Calabrese. On parla parfois aussi de « bandautore », ce chanteur qui écrivait pour une formation musicale ou était interprété par elle, et on créa même l’expression amusante de « santautore », pour le cantautore (rare) auteur de chants à thème religieux. Enfin on utilisa l’expression « canzone d’autore », inventée par Enrico De Angelis en 1969.

Les groupes musicaux

Quant aux groupes, il y a d’une part les groupes qui accompagnent un chanteur ou un cantautore, que nous citerons si nécessaire à propos du chanteur, et les groupes autonomes, qui ont un ou plusieurs chanteurs, mais que l’on connaît comme groupe autonome et non comme accompagnateurs. Nous indiquerons les principaux, mais vous pourrez consulter une liste de centaines de noms de groupes sur Wikipedia.org. « Categoria : gruppi musicali italiani » et « Categoria : gruppi e musicisti italiani per regione », qui mêlent dans le même ordre alphabétique les musiciens anciens, les chanteurs, les groupes, les instrumentistes, etc. Il faut se souvenir que le développement des « complessi » (les groupes, les ensembles) a commencé de façon explosive à partir des groupes américains et anglais de rock, où les Beatles (ci-contre à gauche) et les Rolling Stones (ci-dessous à droite) ouvrent la route. C’est l’époque du « beat », la découverte des « jeunes », l’affirmation de leur autonomie, de leur existence comme marché potentiel de la chanson. Cela commencera par la création de « covers », reprises en italien de succès étrangers, par des groupes qui prennent souvent des noms anglais (Stormy Six), et des noms d’animaux (I Dik Dik, I Camaleonti, I Corvi, etc.), à tel point que l’on va souvent croire que les Rokes sont un groupe italien doté d’un nom anglais, alors qu’ils sont vraiment d’origine anglaise.

Bibliographie sommaire

Quelques définitions rapides

Le « blues » est le chant de travail des populations afro-américaines et des immigrés pauvres du Mexique et des Etats-Unis ; il exprime les peines et la tristesse de ces travailleurs. Il est à l’origine du jazz, du rythm and blues et du rock and roll.

Le « rythm and blues » naît dans les années 1940 aux Etats-Unis, il est la musique populaire de la population afro-américaine : c’est un blues rythmé joué par des noirs américains.

Rock = Forme abrégée de « Rock’n Roll » (littéralement = « danser » et « faire l’amour »). Genre musical apparu aux Etats-Unis dans les années 1950, pour distinguer une musique inventée par les blancs de la musique des noirs, le « rythm and blues », d’où vient le rock, en ajoutant une influence de la musique « country » qui était la musique populaire blanche.

Le rock va prendre de nombreuses formes et s’exprimer en de nombreuses tendances : le « gothic rock » qui s’inspire du « post punk » (voir ci-dessous), la « new wave » (= nouvelle vague) de la fin des années 1970 ; le « hard rock » (rock dur) aux sons plus agressifs.

Le « grunge » apparaît dans les années 1980 à Seattle ; c’est une forme de rock « alternatif » qui s‘inspire d’autres genres comme la musique folklorique, le jazz, le reggae, la musique électronique.

Le « rock progressif » apparaît en Angleterre vers la fin des années 1960, et préfère la contamination avec le jazz et la musique classique.

On parlera aussi de « postrock » qui se développera à partir des années 1990, qui intègre des caractéristiques du rock alternatif.

Punk = décrit la musique basée sur des guitares électriques. Le mot anglais est d’origine inconnue et désigne à partir de 1976-78, un mouvement de jeunes aux cheveux teints de couleurs vives et aux vêtements et comportements anticonformistes.

La musique pop (« pop music ») apparaît dans les années 1950-1960, elle met plus l’accent sur la mélodie et les harmonies vocales, et elle s’affirme avec l’arrivée des Beatles.

La musique « soul » (en anglais = musique de l’âme ») dérive, à la fin des années 1950, du gospel et du rythm and blues, et elle est au départ la musique noire américaine (Ray Charles).

La « musique folk » désigne d’abord la musique populaire traditionnelle (Woody Guthrie) ; influencée par le rock, elle exprime la chanson contestataire qui lutte pour la paix, les droits de l’homme, la justice (Joan Baez, Bob Dylan, Léonard Cohen).

La « musique électronique » est conçue à partir de générateurs de signaux et de sons synthétiques, de la simple bande magnétique au synthétiseur moderne, dans des studios de musique électronique (Luciano Berio et Bruno Maderna), puis par des synthétiseurs.

Le « reggae » apparaît en Jamaïque dans les années 1960 ; le mot vient peut-être du mot d’anglais jamaïcain « streggae » qui désigne une personne mal habillée ou une prostituée ; d’autres l’expliquent comme un mot désignant l’homme de la rue. Il se développe avec Bob Marley dans le monde entier.

NOTES :

  1. Cf Intervista a Enrico De Angelis, in : Céline Pruvost, Luigi Tenco, parcours d’un des premiers cantautori, Mémoire de Master 2 d’études italiennes, Université de Paris IV-Sorbonne, Juin 2010, p. 128.
  2. Voir le livre de Ezio Guaitamacchi, 1000 canzoni che ci hanno cambiato la vita, avec préface de Zucchero « Sugar » Fornaciari et una note introductive di Renzo Arbore, Rizzoli, 2009, 927 pages. Le livre traite des chansons de 1951 à 2009 ; environ 20% sont des chansons italiennes. Les chansons populaires sont absentes !
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