Analyse Politique Italienne des Années 1960-1970

Introduction

L'analyse de la politique de réforme en Italie dans les années 1960-1970 met en lumière les défis rencontrés par le gouvernement de l'époque. Cette période est marquée par des tentatives de transformation sociale et économique, mais aussi par des oppositions internes et externes qui ont souvent entravé ces efforts.

Contexte Politique

Le contexte politique de l'Italie dans les années 1960-1970 était complexe. Le Parti Socialiste Italien (PSI) et la Démocratie Chrétienne (DC) ont formé une coalition pour promouvoir des réformes structurelles. Cependant, cette alliance a rencontré une forte opposition de la part des formations néofascistes, des États-Unis, et même de certains segments de la gauche communiste.

Réformes et Oppositions

Les réformes envisagées visaient à transformer les rapports sociaux de production, de consommation et d'échange. Cependant, elles ont été perçues par certains comme favorisant uniquement les classes dominantes et les riches, au détriment des classes populaires. Cette perception a conduit à des mouvements de masse comme les « Gilets Jaunes » en France, illustrant les tensions sociales sous-jacentes.

Conclusion

L'échec de la politique de réforme en Italie dans les années 1960-1970 soulève des questions sur la faisabilité de telles transformations dans un contexte de forte opposition. Il met également en lumière les défis auxquels sont confrontés les gouvernements qui tentent de réaliser des réformes profondes dans des sociétés marquées par des inégalités et des divisions politiques.

Quelle politique de réforme : l’expérience italienne des années 1960-1970

Quelle politique de réforme : l’expérience italienne des années 1960-1970

Dans notre pays, le gouvernement parle beaucoup de « politique de réformes », mais il rencontre plein de difficultés dès qu’il essaie de réaliser plus que de promettre. Et certaines prévisions de réformes provoquent des mouvements de masse comme les « Gilets Jaunes ». Il faut alors se demander quel est le contenu véritable de ces « réformes » : ne sont-elles pas purement technocratiques, de transformation qui ne répondent qu’à une nouvelle technologie ? À qui profitent-elles vraiment ? Est-il vrai qu’elles ne favorisent que les riches et ne défavorisent que les pauvres ? ou en d’autres termes, que souvent les médias se refusent à employer, mais qui correspondent bien à une réalité sociale, qu’elles ne favorisent que les classes dominantes, ouvriers, petits paysans, petites classes moyennes, petits commerçants, etc. ? C’est à chaque Français à se poser ces questions.

Pour nous, nous avons pensé utile pour notre réflexion de rappeler cette époque de la vie politique italienne où les socialistes du P.S.I. avaient décidé de passer un compromis avec la Démocratie Chrétienne pour promouvoir une politique de « réformes » qui devaient pour eux déboucher à petits pas sur une transformation sociale radicale, un changement des rapports sociaux de production, de consommation, d’échange, en somme sur une « révolution ». Malgré quelques réussites au début, ce fut finalement un échec qui conduisit le P.S.I. à devenir le parti le plus corrompu du système et à disparaître à partir de 1994. Pourquoi ?

On constate que ce fut non seulement à cause d’une opposition très forte de la droite patronale, des formations néofascistes et des États-Unis, mais aussi à cause de l’hostilité de la gauche communiste et de l’extrême gauche. Les conditions parlementaires auraient pourtant pu permettre des opérations positives (est-ce le cas aujourd’hui chez nous ? Il ne semble pas, comparez les chiffres). Mais les communistes du P.C.I. combattirent cette tentative, ils la firent échouer provoquant l’affaiblissement du P.S.I. après quoi ils proposeront pourtant à la D.C., un « compromis historique » semblable lorsqu’ils auront un peu plus tard une importance électorale plus grande que celle du P.S.I. : leur refus n’était-il donc qu’une opération électorale ?

Réfléchissons bien à tout cela, peut-être serions-nous conduits à conclure qu’une majorité comme celle de La République en Marche, composée surtout de personnalités de droite et du centre (les deux ministres les plus à gauche, Gérard Colomb et Nicolas Hulot ont finalement décidé de jeter l’éponge), ne peut pas réaliser une véritable politique de réformes, ce qui expliquerait des mouvements comme les « Gilets Jaunes ». Il y aurait besoin sur ce point d’une réflexion de fond, théorique et politique, se fait-elle vraiment ?

1. - La crise ministérielle en Italie (Monde Ouvrier, 3 juin 1957)

J’étais depuis longtemps en rapport avec l’Italie, du fait de mes études, et j’avais très tôt lu Gramsci et Gobetti dans le texte, alors que les traductions françaises de Gramsci étaient filtrées par le P.C.F. et par son dirigeant culturel Roger Garaudy qui en faisait un léniniste classique. Gobetti m’avait aussi beaucoup marqué par sa « révolution libérale ». Chaque fois que j’allais en Italie, je rencontrais des militants communistes, socialistes et syndicalistes de la C.G.I.L., des intellectuels comme Raniero Panzieri des Quaderni Rossi, je discutais beaucoup avec eux et leur parlais de ce que faisait le Mouvement de Libération du Peuple (M.L.P.), cela les intéressait. Jusqu’en 1978, je participe à des rencontres et à un colloque à Milan avec la gauche du Parti Socialiste Italien (P.S.I.), où je suis le seul représentant du Parti Socialiste Unifié (PSU), ce qui veut dire que les contacts du PSU avec l’Italie étaient très réduits.

Je retrouve cet article de Monde Ouvrier de 1957, c’est-à-dire d’une époque où, en Italie, se pose le problème de l’unification (la réunification) entre le Parti Socialiste Italien dirigé par Pietro Nenni et le Parti Socialiste Démocratique (P.S.D.I.) formé après la scission du palais Barberini du 10 janvier 1947 et dirigé par Giuseppe Saragat, et, en France, les projets d’unification entre la Mouvement de Libération du Peuple et la Nouvelle Gauche pour former l’Union de la Gauche Socialiste et plus tard le PSU. Les réticences des socialistes italiens m’étaient évidemment précieuses par rapport aux miennes vis-à-vis du rapprochement avec la Nouvelle Gauche, et en 1957, je fais le point sur la question dans Monde Ouvrier, où j’étais le seul à écrire sur la situation italienne.

J.G. 7 février 2017

La crise ministérielle que connaît depuis 15 jours l’Italie a d’autres causes plus profondes que la démission de M. Saragat de la Vice-Présidence du gouvernement Segni. Elle s’inscrit dans toute une évolution qui marque peu à peu la décadence de ce que l’on a appelé le « centrisme », symbolisé par le quadripartisme Démocrates-Chrétiens, Libéraux, Sociaux-démocrates et Républicains, qui dure depuis 1948. Peut-être en mettant en place un ou plusieurs ministères qui se contenteront d’expédier les affaires courantes va-t-elle ouvrir une période de transition, qui permettra de mûrir une des données les plus importantes de la politique italienne : le renforcement du mouvement socialiste, en qui réside la seule possibilité pratique de progrès, si l’on mise sur la détente internationale, – donc l’impossibilité d’une poussée communiste, – et sur la démocratie, donc l’impossibilité d’un « salazarisme italien » que risquerait d’apporter une Démocratie Chrétienne disposant d’une majorité absolue.

Depuis l’entrevue de Pralognan, entre Nenni et Saragat en septembre 1956, le renforcement semblait passer par la réunification du Parti Socialiste italien (P.S.I.) et du Parti Socialiste Démocratique italien (P.S.D.I.). Or, depuis 6 mois, Saragat n’a fait vers l’unification que des pas de « crabe » : récemment encore, il a posé au P.S.I. des ultimatums que celui-ci ne peut pas accepter. La position de Saragat est au fond tout aussi schématique que celle des communistes. Le Parti Communiste Italien (P.C.I.) dit : « Ou totalement avec nous ou totalement avec la réaction » ; Saragat à l’autre bout affirme : « ou rupture totale avec les communistes ou pas d’unification socialiste » : entre ces deux absolus il faut reconnaître que la position de Nenni n’est pas facile : il occupe cette place délicate de tout innovateur, violemment attaqué par tous les « conservateurs » de droite et de gauche qui condamnent, au nom des « principes », toute réalité nouvelle. Il y a un peu là une sorte de querelle entre les « classiques » et les « modernes ».

À Saragat qui l’accuse d’« opportunisme », Nenni répond très justement en refusant « les grandes et mythiques antithèses entre le bien et le mal, la liberté et la dictature, le matérialisme et le spiritualisme, le collectivisme et l’individualisme, etc. … Ce sont là les chevaux de bataille des grands inquisiteurs et des grands épurateurs (y compris les rouges). Ce sont les haridelles de la rhétorique bon marché des Mac Carthy et des Scelba ; elles servent à justifier les sales pratiques des discriminations ; elles servent à préparer ou à justifier les guerres froide ou chaude, les meurtres et les tueries ». « Les principes acquièrent une valeur quand ils se transforment en action, quand ils se traduisent dans cette politique des choses qui est la pierre de touche des classes, des partis, des hommes. Aucun d’entre nous ne songerait à nier la valeur des principes. Mais nous sommes tous désireux de les voir marcher les pieds sur terre ».

Mais cette « politique des choses » ne peut pas aller sans une formulation idéologique plus élaborée encore et plus capable de se condenser en des mots d’ordre clairs et simples susceptibles d’être largement suivis par les masses. Il est un fait que depuis près d’un an, le P.S.I., loin de recueillir les fruits attendus de la politique d’unification et de la modification des rapports avec le P.C.I., perd un peu de la faveur des électeurs dans toutes les élections partielles : perte de 0,3% à Gorizia le 16 décembre 1956, de près de 50% le 25 février (où la liste commune P.S.I.- P.S.D.I. n’a recueilli que la moitié des suffrages de 1952), d’environ 50% à Crémone le 24 mars, et d’environ 20% à Rimini le 31 mars. Nenni a reconnu dans l’Avanti du 7 avril qu’il y avait là un symptôme non négligeable.

La politique actuelle du P.S.I. est sans doute juste, mais elle comporte aussi une certaine subtilité qui n’a pas encore pénétré les grandes masses populaires portées à voir dans l’unification plus qu’un compromis politique une compromission avec des forces plus ou moins conservatrices, ainsi qu’en témoignent les votes de Saragat au Parlement sur la question des baux ruraux ou sur la nomination de M. Giuseppe Togni au Ministère des Participations d’État (NDR-2017 : Gouvernement Segni, 6 juillet 1955-20 mai 1957). Il semble que le P.S.I. soit en train de remédier à ces difficultés par un double travail d’approfondissement et de clarification. Un jeune intellectuel socialiste nous disait l’an dernier à Rome qu’il regrettait l’insuffisance de travail dans son parti sur les questions théoriques et « culturelles » dans leur ensemble. On peut constater, à la lecture de Mondo Operaio, que le P.S.I. cherche à combler cette lacune ; alors qu’il tend plutôt à resserrer l’unité d’action avec le P.C.I. sur le plan syndical et municipal, il semble se différencier plus nettement des communistes par un travail intense sur le plan idéologique et culturel, où ses positions sont souvent très loin de celles du P.C.I. Citons dans les derniers numéros de M.O. les « Notes pour un examen de la situation du mouvement ouvrier » de Raniero Panzieri (janvier 1957), le compte-rendu de l’ouvrage de Lukacs, le philosophe hongrois, « La lutte entre progrès et réaction dans la culture d’aujourd’hui » (février 1957), l’essai de E. Agazzi sur « Socialisme et vérité » (avril 1957) 1, et de façon générale l’intérêt porté au problème d’une culture socialiste qui ne soit pas réduite au simple rang d’instrument politique. La même réflexion est menée sur le problème d’un syndicat qui, restant un des outils de la libération ouvrière, ne doit pas être pour autant une simple « courroie de transmission » entre le parti et les masses.

Toutes ces recherches vont à l’encontre de la théorie classique, justifiant la pyramide État-guide, sur le plan international, et dans chaque nation, parti-guide, « identifié avec l’avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière et dépositaire de la vérité révolutionnaire » (R. Panzieri, op.cit. p.38), et faisant dépendre par conséquent l’action culturelle et syndicale de la tutelle étroite du Parti. C’est par rapport à la théorie communiste quelque chose de « fondamentalement nouveau » 2 et dont le contenu démocratique répond aux besoins de nombreuses couches du peuple et des intellectuels italiens. C’est quelque chose qui est aussi éloigné d’ailleurs du « réformisme » des sociaux-démocrates : ce n’est pas de la « social-démocratie » mais de la « démocratie révolutionnaire ». Quoi qu’en disent les communistes, il y a plus qu’une nuance : il y a toute l’option de classe, réaffirmée dans la motion finale du Congrès de Venise, qui anime le P.S.I.

À travers tout ce travail visant à ouvrir à tout le mouvement ouvrier italien des perspectives radicalement nouvelles – qui est son but depuis près de deux ans –, le P.S.I est amené à remettre en cause la politique d’unification telle qu’elle a été menée jusqu’à présent. Le thème des quatre articles de tête du dernier numéro de Mondo Operaio est celui-ci : nous avons été trop vite ; nous avons tout subordonné à des exigences « tactiques » ; la voie de l’unification est désormais fermée ; nous n’aurions pas dû négocier avec Saragat ; l’unification ne peut être envisagée qu’avec l’aile gauche du P.S.D.I. ; comme l’écrit Emilio Lussu : « Que celle-ci fasse son devoir et nous le nôtre. Nous verrons à la fin si nous sommes mûrs pour appartenir à un même Parti : le P.S.I. ».

L’entrevue de Pralognan appartient maintenant à l’Histoire, échec non d’une politique, mais des méthodes mises en œuvre pour la réaliser. Le P.S.I. entreprendra seul la tâche qu’il voulait faire progresser par l’unification. Ses problèmes majeurs seront sans doute, dans la période de calme politique que risque d’ouvrir le Ministère Zoli jusqu’aux élections de 1958, de faire face aux problèmes posés par le recul de la C.G.I.L. aux élections syndicales dans les grandes entreprises, de formuler plus clairement l’idéal d’une nouvelle « morale », d’une nouvelle « culture » socialiste et de donner de nouvelles structures au Parti et au mouvement socialiste pour que puissent s’y intégrer toujours plus largement les militants des entreprises ou des milieux intellectuels. Car, confronté à l’idéal moral et culturel du mouvement communiste, nullement en faillite après les événements de Hongrie, et à l’idéal des démocrates chrétiens qui fondent, comme le disait récemment le Président Gronchi, « la vie individuelle et sociale sur les valeurs idéales issues de leur formation religieuse et spirituelle » – le mouvement socialiste, en Italie comme ailleurs, n’a de chances de s’affirmer qu’en élaborant sa propre culture et sa propre morale, qui, sur une base de laïcité, puissent faire appel aux aspiration les plus profondes et les meilleures des hommes.

2. - Après le congrès du P.S.I. (Perspectives Socialistes, n° 66, novembre 1963, pp. 28-30)

Le 35e Congrès national du Parti socialiste italien vient de s'achever. Il a redonné à Pietro Nenni la majorité qui lui avait été refusée en juillet dernier par le Comité central, sur le même problème : celui du soutien d'un gouvernement de centre gauche. En un sens, le choix qui était demandé au P.S.I. rappelait quelque peu celui qu'il eut à faire en 1923. Deux ans après la scission de Livourne, qui devait donner naissance au Parti communiste italien, le IVe congrès de l'Internationale communiste, à Leningrad (Petrograd) lançait au P.S.I. un « ultimatum » en quatorze points, l'invitant à fusionner avec le jeune P.C.l., après avoir exclu tous ceux de ses adhérents qui seraient hostiles à cette fusion, pour former un « Parti communiste unifié d'Italie ». Le leader du P.S.l., Giacinto Menotti Serrati (1872-1926), invita alors son parti à accepter ces quatorze points : « Au front unique de la bourgeoisie, les socialistes doivent opposer leur front unique. L’union des deux partis socialiste et communiste est la première condition indispensable de ce front unique ». Le même jour, l'Avanti publiait un article de son rédacteur en chef, Pietro Nenni (1891-1980), qui s'opposait à cette « liquidation» du parti », « sans aucun bénéfice ni pour l'Internationale, ni pour le prolétariat ». C'est cette position qui l'emporta au congrès national qui suivit.

Quarante ans plus tard, la « gauche » du P.S.!. continue à prôner une politique d'alliance avec le Parti communiste. Nenni lui oppose une affirmation de l'« autonomie » totale du P.S.I., et sa volonté d'une stratégie autonome, qui le conduit à demander que le P.S.I. continue à accorder son soutien à la politique de « centre-gauche » (c'est-à-dire d'un gouvernement « bourgeois », composé de la gauche de la Démocratie-Chrétienne (DC), du Parti socialiste démocratique (PSDI) et du petit Parti Républicain (PR). Car une autre expérience pèse sur Nenni : celle du fascisme. Et sans doute n'est·il pas loin de penser que si, en 1922, les socialistes avaient accordé leur soutien à un gouvernement « bourgeois », au lieu de se retirer sur « l'Aventin » avec les autres forces d'opposition, la montée du fascisme aurait pu être enrayée. Et il craint aujourd'hui que, si les socialistes se retirent, ce ne soit, pour la démocratie italienne, le début d'une déchéance analogue à celle de la France, qui conduirait le pays à une sorte de « gaullisme » autoritaire. Et il est exact que, si les socialistes ne soutiennent plus l'expérience de centre-gauche, celle-ci devient impossible ; or, comme un gouvernement de centre-droit n'est pas plus pensable qu'un gouvernement communiste-socialiste, c'est l'impasse probable, la dissolution, de nouvelles élections et qui sait quelles aventures, dont les socialistes porteraient une lourde part de responsabilités.

À cela, la « gauche » du P.S.I. répond par le rappel d'une autre expérience : la collaboration des socialistes avec des gouvernements bourgeois les a toujours menés à l'échec et a ouvert la voie à la dictature, que ce soit en Allemagne, avant le nazisme, ou en France, avec la déchéance de la S.F.I.O. Cela est-il vraiment à craindre ? Si l'on veut dire que le P.S.I. prend des risques en poursuivant l'expérience amorcée il y a deux ans, on énonce une évidence et une banalité : on ne fait pas de politique sans en prendre. Plusieurs choses inclinent par contre à plus d'optimisme. 1) Le P.S.I. est un parti de masse assez solidement implanté (on lui donne de 600.000 à 700.000 adhérents) 1, et jouissant entre autres de l'appui de la tendance socialiste organisée dans la C.G.I.L. (équivalent italien de la C.G.T.). On ne pouvait en dire autant de la S.F.I.O. en 1956 ou 1958. 2) Le P.S.I. a une doctrine politique, une stratégie d'ensemble. Il sait où il veut aller, et vers quel type de société il veut conduire l'Italie. Il sait aussi ce qu'il ne veut pas : ni l'État communiste, ni l'État bourgeois paternaliste, ni le « socialisme distributif » à la manière des sociaux-démocrates. La Tribune libre qui précéda le congrès dans la revue du P.S.I., Mondo Operaio, fut sur tous ces points particulièrement riche. 3) Le P.S.I. a comme partenaire une gauche démocrate-chrétienne dont de nombreux éléments sont socialement et politiquement très avancés, et qui veut des réformes de structures, profondes pour le pays. Certes, cette gauche n'est pas majoritaire dans la D.C., très sensible aux appels des libéraux et du grand capitalisme, mais elle est vigoureuse, et elle ne peut que se sentir encouragée par le déroulement actuel du concile Vatican II. 4) Il y a enfin ce fait objectif que l'Italie a besoin de ces réformes profondes ; même le néo-capitalisme a besoin que de nouvelles initiatives économiques soient prises par le secteur public pour que se poursuive le rythme d'expansion rapide qu'a connu l'Italie depuis dix ans. En jouant sur ce développement de l'initiative publique, il est possible, pense Nenni, de peser directement sur les contradictions internes du capitalisme, et de procéder à des réformes irréversibles qui rapprocheront l'Italie du socialisme. Ceci dit, qu'il reste des problèmes à régler, c'est vrai. Que les conditions posées par Aldo Moro (1916-1978), le président du Conseil DC en piste, soient en-deçà de ce qu'avait fait le gouvernement Amintore Fanfani (1908-1999), c'est vrai aussi. La « gauche » du P.S.I. a joué là-dessus pour accentuer l'hésitation du congrès. Nenni, lui, compte sur la dynamique que peut créer cette expérience, pour contrebalancer ces éléments négatifs. Il est un des rares socialistes à croire encore que le socialisme, c'est le « parti du mouvement ». Rien n'est donc joué définitivement. Nenni a gagné encore une manche. L'expérience politique où il engage son parti mérite en tout cas d'être suivie avec toute la sympathie que nous pouvons éprouver pour un mouvement socialiste qui a su repenser son action, et retrouver une dynamique sur des perspectives adaptées aux réalités de cette seconde moitié du XXe siècle.

J. G. 1. Aux élections du 28 avril 1963, le P.S.I. a obtenu à la Chambre des Députés 4.251.966 voix et 87 sièges ; au Sénat, 3.856.088 Voix et 44 sièges.

3. Le « testament » de Togliatti de 1964 : référence pour aujourd’hui ?

Je n’ai cessé d’écrire sur l’Italie, d’analyser ce qui s’y passait de nouveau : l’Italie restait une de nos sources d’inspiration politique et idéologique. En particulier en 1964, je publie dans Perspectives Socialistes plusieurs articles dont celui sur le dernier texte de Palmiro Togliatti avant sa mort et celui sur les raisons de la présence socialiste au gouvernement. Je me battis contre l’interprétation du texte de Togliatti par Gilles Martinet, qui visait toujours une fusion entre la SFIO et le PCF, dont il pensait que le PSU pourrait être un ciment ; il voyait donc dans le texte de Togliatti l’annonce d’une « nouvelle naissance » qui rapprochait le Parti Communiste Italien (PCI) du Parti Socialiste Italien (PSI) ; à mon avis, il se trompait fondamentalement, entraîné par une vision du monde tournée vers le passé, de plus un passé mythique. Il apparaît que, sur un autre plan, je pense alors encore comme un « chrétien » de gauche, qui critique un « marxisme » que je commence à étudier sérieusement pour mes cours à l’Institut Social et pour le livre que m’a demandé la Chronique Sociale : je confonds encore la pensée dominante chez les communistes (souvent peu « marxiste ») avec le contenu réel de la théorie marxiste. Je vais peu à peu progresser vers une autre vision du marxisme et de la religion.

Mais sur le problème de la stratégie politique, je vois dans la politique de « réforme de structures » du PSI un modèle possible pour notre propre parti ; j’en avais parlé à plusieurs reprises avec Michel Rocard, lui aussi très intéressé par cette perspective. Puis, après l’entrée des Socialistes au gouvernement en 1963, vint le complot du Général De Lorenzo en 1964 (le « Plan Solo »), la mise en place de la « stratégie de la tension » par la droite de la Démocratie Chrétienne, les attentats néofascistes, la grande réaction « révolutionnaire » de 1968 à 1977, et puis l’échec, la régression, l’erreur du passage à la violence armée, la fin d’une époque, le berlusconisme …, la fin des partis communistes et socialistes.

L’échec fut dû à plusieurs causes : d’une part la réaction violente des services secrets américains et italiens et de la droite italienne contre une politique socialiste qu’ils combattaient en tant que telle et dont ils craignaient qu’elle ramène à terme les communistes au gouvernement, mais d’autre part le combat mené par les organisations communistes contre la politique socialiste considérée comme une collaboration négative avec les forces néocapitalistes. Dans ces conditions la lutte était en effet vouée à l’échec, et cela entraîna aussi la régression des socialistes et leur compromis avec le monde corrompu de la vie politique démocrate-chrétienne, sous la direction de Bettino Craxi, jusqu’à leur disparition à partir de 1992. Par ailleurs, dans le monde chrétien, l’évolution n’a pas aidé non plus la réussite de l’opération : les tendances qui luttaient pour une transformation de leur Église n’ont pas réussi, en particulier en Italie, à modifier la domination des forces réactionnaires dans le Clergé, et beaucoup ont abandonné soit la lutte soit leur «foi », faute d’avoir sérieusement pensé la réalité.

Y avait-il une possibilité de réussite de la politique des réformes de structures ? C’est encore notre problème d’aujourd’hui. Certes les rapports de force sont différents : les partis communistes ont pratiquement disparu, même si des militants existent encore en nombre : en France les communistes se sont fondus dans un « front de gauche » qui s’est ensuite fracturé, en Italie, l’ex-PCI, devenu Parti Démocrate (PD) après plusieurs fusions et transformations, se retrouve sous l’emprise d’une direction d’origine et de tendance démocrate-chrétienne (Matteo Renzi) avant de se décomposer peu à peu et de perdre sa base électorale (passée d’environ 40% à environ 17%) ; les partis socialistes sont en voie de disparition et leurs militants vont se retrouver dispersés ; il n’y a plus beaucoup de forces « chrétiennes » assez organisées pour combattre la remontée d’un catholicisme traditionnel, politiquement de droite, en particulier en France. Quels seront les lendemains de l’élection présidentielle d’avril/mai 2017, où triomphe Emmanuel Macron avec 17% des voix (50% d’abstentions), dont les « réformes » révèlent tout autre chose qu’un changement ? Mais entre « réforme » et « révolution », que ferons-nous ?

J.G., 23 décembre 2018

REMARQUES SUR UNE INTERPRETATION DU « TESTAMENT » DE TOGLIATTI (Perspectives Socialistes, n° 78, novembre 1964, pp. 2-8)

Cet article, écrit au mois de septembre 1964, n'avait pu, pour des raisons matérielles, être publié à cette époque. Les débats suscités, en Italie comme ailleurs, par la destitution de Khrouchtchev, lui redonnent une actualité immédiate. Cet article soulignait en effet combien les ouvertures de Togliatti restaient formelles tant que les bases mêmes, théoriques et politiques, de la pensée communiste n'étaient pas remises en cause. Aujourd'hui la destitution de M. K. autorise à être sceptiques vis-à-vis de tout processus d'évolution de la société soviétique qui ne se ferait pas à partir d'un refus des principes politiques et théoriques constituant la base de cette société. « Rien n'a changé à Moscou et dans le parti communiste italien » : tel est le thème de l'introduction qui précède, dans l'Avanti du 25 octobre, la publication d'une correspondance entre Nenni et Souslov, qui date de 1956. « La valeur des documents cités réside surtout dans leur date : 3 août 1956 la lettre de Souslov ; 24 octobre 1956 la lettre de Nenni. Huit ans. Huit ans sans que rien ou presque rien ait changé dans le monde communiste, à Moscou et à Rome. A Moscou on « dé-khrouchtchevisait » comme hier on déstalinisait ; à Rome le parti communiste italien se déclare critique et préoccupé, il affirme qu'il faut approfondir, dans la théorie et dans la pratique, l' « indissoluble » lien entre socialisme et démocratie, et il envoie des délégués à Moscou pour demander des informations, comme il y a huit ans il s'était déclaré critique et préoccupé de la façon dont se faisait la déstalinisation, avait affirmé qu'il fallait faire avancer la démocratisation du parti; et avait envoyé des délégués à Moscou pour demander des informations » (Avanti, quotidien du parti socialiste italien, 25 octobre 1964).

Pendant ce temps le P.S.I. s'engageait dans la politique du centre-gauche qui, malgré l'opposition toujours plus acharnée des communistes à la veille des élections municipales du 22 novembre 1964, va peu à peu de l'avant. Après la réforme du métayage, la loi sur l'urbanisme 1 est en préparation et dès décembre le Parlement aura à décider du plan de programmation économique ; d'autres réformes se préparent pour le début de l'année 1965, tandis que la situation économique s'est sensiblement améliorée. La victoire travailliste devrait renforcer ce courant en Europe ; et le premier gouvernement européen que va rencontrer le ministre anglais des Affaires étrangères est le gouvernement italien de centre-gauche, à participation socialiste. Une question cependant: d'où surgiront en France les prémices théoriques et politiques d'une telle stratégie de « réforme de structures » ? Le P.C.I. va bientôt se rallier à une politique de « compromis historique » avec la D.C., sous l’impulsion d’Enrico Berlinguer en 1973 après la chute d’Allende au Brésil et à partir du moment où il s’est renforcé électoralement, devenant plus important que le P.S.I. : leur refus n’était-il donc qu’une opération électorale ?

Qui, en France, se donnera pour but de chercher une formule de « centre-gauche « adaptée aux conditions de notre pays ? Plutôt que de courir après des mythes comme celui de « l'unité de la gauche», c'est pourtant bien la question qu'il serait urgent de se poser.

J.G. 2017 1, Proche à certains égards des projets français de « municipalisation du sol ». Des deux dirigeants communistes morts pendant ces vacances, l'un a disparu en silence le 11 juillet 1964 : au lendemain de ses imposantes funérailles, on ne parle plus de Maurice Thorez qu'au passé comme d'une personnalité qui, pendant quarante ans, aura marqué l'histoire politique française ; au-delà de sa mort, il n'a laissé pour l'avenir aucun message politique ou idéologique, susceptible de donner un cours nouveau à la vie politique de notre pays. Au contraire; le second de ces dirigeants, Palmiro Togliatti, mort le 21 août 1964, a laissé derrière lui un texte que beaucoup considèrent comme une bombe à retardement. Ce que l'on a appelé son « testament », – en réalité une lettre destinée à préparer une discussion avec M. Khrouchtchev–, a même été qualifié par Gilles Martinet de « manifeste de la réforme communiste », et salué comme un fait aussi important dans l'histoire du communisme que la rupture de Martin Luther avec l'Eglise catholique en 1520, rupture qui fut à la source du protestantisme 1. 1. - La réalité du texte de Togliatti

Dans son article, parfois plein de fraîcheur et de lyrisme (« Car un autre vent vient de se lever ... C'est le vent de la liberté »), Martinet analyse six principes contenus dans le texte de Togliatti, et il y voit le point de départ d'une transformation fondamentale du mouvement communiste, allant jusqu'à envisager « la disparition des partis communistes occidentaux » au sein d'organismes regroupant tous les socialistes. De ces analyses, que reste-t-il lorsqu'on se reporte a la réalité du texte de Togliatti (publié dans Le Monde du 5 septembre 1964) ? 1. - Rien de nouveau depuis 1956

À première lecture, le « testament » contient en effet des affirmations étonnantes dans la bouche d'un dirigeant communiste, par exemple la critique de la politique et de certains aspects du régime soviétique. Il faut cependant rappeler qu'aucune des affirmations de Togliatti n'est nouvelle. La plupart datent des textes de 1954 où était proposée entre autres la formule du « polycentrisme » du mouvement communiste 2. On trouvait dans ces textes d'il y a huit ans, un exposé très cohérent de la presque totalité des thèses de 1964. « Il se crée ainsi, disait par exemple le texte de 1956, divers points ou centres d'orientation et de développement. Il se crée ce que j'ai appelé ... un système polycentrique, correspondant à la situation nouvelle... et à ce système correspondent aussi de nouvelles formes de relations entre les partis communistes eux-mêmes. La solution qui, aujourd'hui, probablement, correspond le plus à cette situation nouvelle, peut être celle de la pleine autonomie de chaque mouvement et parti communiste et des rapports bilatéraux entre eux ... » 3. Ailleurs, Togliatti insistait sur les contradictions internes des pays socialistes 4. La stratégie des réformes de structures y est déjà évoquée. Pratiquement, les seuls points nouveaux du texte de 1964 sont : a) La reconnaissance de contradictions entre pays socialistes : depuis huit ans est intervenue la rupture avec la Chine, et une tendance de certaines démocraties populaires à l'émancipation s'est affirmée (cf. Roumanie, par exemple). b) Les propositions de solution aux difficultés internes du mouvement communiste, qui répondent au problème précis de la convocation d'une conférence « anti-chinoise » des partis communistes. Substantiellement, il n'y a rien de « nouveau » dans le « testament » de Togliatti.

Récemment encore, le leader communiste avait repris plusieurs de ces thèmes dans une interview accordée à K.S. Karol, parue dans l'Express du 23 mai 1963. Il faut donc avoir la mémoire singulièrement courte pour voir dans le « testament » la « naissance d'un nouvel âge politique ». Comme tout testament, c'est peut-être le bilan d'une vie, cela n'a rien d'une nouvelle « naissance ». De là à parler de « manifeste de la réforme » il y a de toute façon un pas qu'il est périlleux de franchir en deux pages.

Avant de se référer à Luther et à 1620, faudrait-il déjà se demander si le texte de Togliatti veut préparer un « schisme » dans le monde communiste et créer une nouvelle « église », c'est-à-dire, par exemple, une nouvelle « internationale communiste » en-dehors de Moscou ? Il ne semble pas pour l'instant et c'est plutôt l'unité du monde communiste qui le préoccupe dans ce texte. Si Togliatti était mort en 1956, on aurait dit aussi que les textes que nous avons cités étaient son « testament » ! Et déjà, quand ils avaient paru, des journalistes avaient crié au miracle ... 2. - Une discussion qui traduit les difficultés d'adaptation du mouvement communiste à l'évolution du monde

Si l'on examine maintenant le contenu du texte de 1964, plutôt qu'une « réforme », on y trouve l'expression des difficultés où se trouvent actuellement les partis communistes occidentaux, le parti communiste italien inclus. Les plus lucides des dirigeants de ces partis (Togliatti était de ceux-là, et il eut sans doute une exceptionnelle intelligence politique) sont conscients de cette situation, ils essaient de l'analyser et d'y trouver des remèdes ou de faire tomber les « résistances » 5. Mais ils révèlent du même coup leur incapacité de fait à surmonter les contradictions du mouvement communiste. Prenons-en deux exemples : a) Premier exemple: la « transformation de l'Etat bourgeois de l'intérieur ». M. Togliatti a sur ce point des phrases qui lui vaudront, aujourd’hui – comme dans le passé – le mépris des « léninistes » orthodoxes : « La question se pose de la possibilité pour les classes laborieuses, de conquérir des positions de pouvoir dans le cadre d'un Etat qui n'a pas changé sa nature d'Etat bourgeois, et de la possibilité de lutter pour une transformation progressive, de l'intérieur, de cette nature d'Etat bourgeois ... Voilà la question fondamentale qui se pose aujourd'hui dans la lutte politique. » Cette affirmation appelle deux remarques : 1) On ne peut pas à la fois affirmer que l'Etat bourgeois et le capitalisme ont gardé leur « nature » d'Etat bourgeois et de régime capitaliste 6, mais pourtant qu'ils se sont transformés au point de permettre au mouvement communiste de s'y intégrer pour « transformer cette nature de l'intérieur ». À la limite cela ne pose pas qu'un problème de stratégie politique, mais introduit un doute plus fondamental sur la validité même des bases théoriques du marxisme-léninisme sur ce point 7. Pour avancer, il faut avoir le courage d'aller jusque-là. Voilà une première limite, d'ordre théorique. 2) Il en est une deuxième d'ordre pratique. En Italie, l'affirmation de M. Togliatti est un des points fondamentaux de l'analyse que faisait M. Nenni au Congrès d'octobre 1963 du Parti Socialiste Italien : « ... La voie au socialisme est la voie démocratique... c'est-à-dire la voie d'une évolution de la société, où l'objectif qui est proposé aux socialistes et aux travailleurs est de vaincre par saturation, en élargissant constamment leur sphère de présence et d'influence dans tous les domaines, politique, syndical, culturel... La théorie du pouvoir, que le parti a élaborée ces dernières années ... n'est pas celle de la conquête violente de l'hégémonie et de la dictature de parti, elle n'est pas celle de l'assaut frontal de l'Etat ... , mais celle d'une action extérieure et intérieure, de masse et parlementaire, pour empêcher que l'Etat soit monopolisé par la défense exclusive des intérêts bourgeois et capitalistes, et pour le transformer, d'instrument de conservation de tout ce qui est vieux et caduc dans la société, en instrument de libération de tout ce qui y germe de nouveau ». 8 La seule différence, c'est que M. Nenni a commencé à incarner cette perspective théorique, qu'il semble avoir en commun avec M. Togliatti. La politique de « réformes de structures », et de « transformation progressive de l'Etat de l'intérieur », c'est lui qui se bat aujourd'hui pour la réaliser au milieu des difficultés que lui créent les opposants de toutes sortes, au premier rang desquels sont les camarades de M. Togliatti. C'est confrontée à ces réalités que la thèse de Togliatti apparaît dans toute sa lucidité intellectuelle, certes, mais aussi dans toute son inefficacité politique. Cette théorie ne correspond pas à la pratique du mouvement communiste 9.

Là encore, il faut avoir le courage d'aller jusqu'au bout de l'analyse : le problème qui est posé est celui de la validité même du parti communiste en tant que parti capable d'être aujourd'hui le guide de la transformation des sociétés occidentales dans un sens démocratique, et d'y assurer la promotion collective des travailleurs. L'analyse de l'action du P.C.F. confirmerait ce que nous disons du P.C.I. Il est nécessaire de relire à ce propos les développements d'Annie Kriegel sur les conditions dans lesquelles sont nés les partis communistes occidentaux : fondés en 1920 sur la certitude que la révolution était proche, ils se sont bientôt trouvés dans une situation qui n'avait rien de révolutionnaire. Ils ont pu y survivre, ils ont pu s'y développer considérablement : ils n'ont pas pu sortir de cette ambiguïté originelle, qui fait qu'aujourd'hui ce n'est pas à eux qu'il peut revenir de guider les travailleurs occidentaux sur la voie démocratique du socialisme. 10 b) Deuxième exemple : la « main tendue » aux catholiques. M. Togliatti écrit : « Dans le monde catholique organisé et dans les masses catholiques, il y a eu au temps du pape Jean un déplacement à gauche violent. Maintenant le sommet reflue à droite. Mais, à la base, restent les conditions et l'impulsion vers un déplacement à gauche, que nous devons comprendre et aider. Dans ce but, la vieille propagande athéiste ne nous sert à rien. Le problème de la conscience religieuse, de son contenu, de ses racines au sein des masses, et de la façon de la dépasser doit être posé de façon différente que dans le passé, si nous voulons accéder aux masses religieuses et être compris par elles. Sinon, il se passe que notre « main tendue » aux catholiques est considérée comme un expédient et presque comme une hypocrisie ». Gilles Martinet interprète ce texte comme une volonté de « renoncer à faire du matérialisme dialectique la philosophie officielle des partis ouvriers ». Par contre il refuse l'interprétation selon laquelle les marxistes devraient « renoncer à leur athéisme ». On retrouve là les vieilles thèses de Gilles Martinet, qu'il exprimait entre autres dans la conclusion de son ouvrage Le marxisme de notre temps : coexistence dans un même parti de travailleurs athées et chrétiens, reprise à l'extérieur du parti de la lutte « contre la religion et contre toutes les tendances de l'idéalisme moderne » 11. Mais rien ne permet de dire que l'interprétation de Martinet corresponde à la pensée de Togliatti. Celui-ci a en effet souvent précisé sa pensée sur ce point. Il a affirmé en particulier à maintes reprises que la conception selon laquelle la disparition de la religion dépendait étroitement de la suppression de l'aliénation économico-sociale, et de la diffusion des connaissances scientifiques était « ingénue et erronée » 12 ; il explique que cette conception, héritée du rationalisme du XVIIIe siècle et du matérialisme du XIXe n'a pas « tenu à l'épreuve de l'histoire ». D'où son appel fréquemment répété, surtout au cours des campagnes électorales, à adopter une autre attitude vis-à-vis des catholiques. Mais cela aussi appelle quelques remarques : 1) Les affirmations de Togliatti reviennent, sur le plan théorique, à remettre en cause la vision marxiste de la religion dans ce qu'elle a de plus fondamental, car ce qu'il refuse comme « ingénu et erroné » en est le noyau. Si on veut que ces affirmations prennent une portée pratique, il faut donc, là encore, remettre en cause une des bases de la philosophie marxiste. Togliatti n'ayant jamais été jusqu'au bout de son raisonnement (il lui arrivait cependant d'être aussi philosophe), ou en reste à la position boiteuse qui est celle du P.C.I. 13 : - chercher d'autres formes d'appel aux masses catholiques sur le plan politique ; - rendre plus « intelligente », moins simpliste, la lutte idéologique antireligieuse en se servant de données sociologiques ou philosophiques plus modernes que celles de Marx pour expliquer et combattre la conscience religieuse. Il est probable que Togliatti s'est battu sincèrement pour éliminer de son parti toute propagande antireligieuse. Il n'aurait pu le faire qu'en l'amenant à renoncer en tant que parti aux bases idéologiques de cette propagande : l'explication marxiste de la religion. Cela, l'eût-il voulu, il ne le pouvait pas. C'est ce qui fait que toutes ses avances théoriques restent à peu près lettre morte 14. 2) Sur le plan pratique, le P.C.I. a retrouvé la même difficulté : de cette force politique qu'est l'organisation des catholiques italiens dans le parti démocrate-chrétien, il n'a jamais su donner des explications claires, pour les mêmes raisons. Et il a toujours oscillé entre l'opportunisme (qui, par exemple, lui a fait accepter, en 1946, l'intégration dans la Constitution italienne des accords signés entre Mussolini et le Vatican), et l'hostilité qui lui fait condamner dans la démocratie chrétienne, le parti clérical, émanation du capitalisme monopoliste, etc. 15. Là aussi, dans les faits, c'est le parti socialiste qui a su trouver la voie malaisée d'une collaboration avec les catholiques. Ce second exemple nous confirme donc les conclusions du premier : la fameuse « réforme » n'est guère qu'une tentative lucide, mais de peu de portée, de sortir le mouvement communiste de l'impasse où il se trouve dans les sociétés occidentales, et des contradictions qui l'agitent sur le plan international. Conclusion : Un texte interne au mouvement communiste

Texte important, nous ne le nierons donc pas. Texte symbolique, qui rassemblait une nouvelle fois avec force des thèses déjà exprimées, mais à qui la mort imprévisible de son auteur a donné une force et un éclat particuliers. Texte qui, pour Togliatti, traduisait une recherche, dans le but d'une confrontation avec M. Khrouchtchev, mais qui, fixé définitivement par sa mort, est devenu pour les lecteurs un testament. Mais, texte dont l'importance reste néanmoins interne au mouvement communiste, destiné à un débat interne entre deux grands dirigeants de ce mouvement. Cela ne veut pas dire qu'il ne nous intéresse pas, qu'il ne nous concerne pas, mais qu'il nous intéresse d'une manière différente que si nous étions partie prenante dans le mouvement communiste. Il était important qu'un dirigeant communiste de la classe de Togliatti écrivît ce qu'il a écrit, mais il faut bien reconnaître aussi qu'il ne nous apprend rien d'essentiel qui n'ait déjà été dit depuis près de dix ans par d'autres socialistes, comme M. Nenni, pour n'en citer qu'un (sur la crise du camp socialiste, l'analyse du capitalisme, la stratégie des « réformes de structures », etc). Il nous intéresse donc, mais en quelque sorte notre intérêt reste « extérieur » : Ce n'est pas à partir de là que peut progresser notre propre pensée et notre propre action de socialistes non communistes et non marxistes.

Jean Guichard. 8-10-1964. Note du 02 mai 2017 : les gouvernements de centre-gauche (DC, PSI, PSDI, PRI) * Gouvernement Aldo Moro 1 : 4 décembre 1963 - 22 juillet 1964 * Gouvernement Aldo Moro 2 : 22 juillet 1964 - 23 février 1966 * Gouvernement Aldo Moro 3 : 23 février 1966 - 24 juin 1968 * Gouvernement Mariano Rumor 1 : 12 décembre 1968 - 10 août 1969 * Gouvernement Mariano Rumor 3 : 27 mars 1970 -12 août 1970 * Gouvernement Emilio Colombo 1 : 12 août 1970 - 17 février 1972 * Gouvernement Mariano Rumor 4 : 07 juillet 1973 -14 mars 1974 * Gouvernement Arnaldo Forlani 1 : 18 octobre 1980 -28 juin 1981 * Gouvernement Giovanni Spadolini 1 :28 juin 1981 - 23-août 1982 ANNEXE

Un jugement de M. De Martino, Secrétaire général du Parti socialiste italien

L'Avanti du 4 octobre 1964 a publié un jugement de M. De Martino sur le « testament » de Togliatti. Il est intitulé : « Le document de Yalta : un point de départ ». Soulignant l'importance du document, dont il considère que les deux thèmes centraux sont la recherche de « l'unité » du mouvement communiste international et « l'autonomie » des partis communistes, M. De Martino note qu'il constitue « le plus grand succès des idées soutenues par le P.S.I. », et que ce résultat n'aurait pas été atteint si, au lieu de mener une polémique serrée avec le P.C.I., le P.S.I. avait suivi les scissionistes du Parti Socialiste Italien d’Unité Prolétarienne (P.S.l.U.P.), qui se contentent d'une « couverture aussi complaisante qu'inutile des positions communistes ». « 1. - UNITÉ ET AUTONOMIE PEUVENT-ELLES COEXISTER?

Le problème historico-politique est de savoir si unité et autonomie peuvent coexister et s'il n'existe pas entre les deux dans l'état de choses actuel, une contradiction telle que toute action de renouveau soit stérilisée si l'on s'obstine dans la tentative de les concilier. Le conflit sino-soviétique met en évidence le heurt entre deux stratégies du communisme, qui correspondent très probablement au degré de développement différent des deux pays, et à leurs caractéristiques nationales et ethniques, même si toutes les deux prennent leur source commune dans la version communiste du socialisme scientifique, et dans sa caractéristique principale, qui est d'avoir choisi la force et la puissance comme moyens presque exclusifs de la victoire du socialisme. On lit dans le document que l'aggravation du conflit conduirait à mettre en discussion les principes mêmes du socialisme. Mais les principes sont déjà profondément mis en discussion par les faits, et il ne sert à rien de jeter sur les faits un voile de circonspection et de diplomatie pour en atténuer l'énorme force de persuasion. Une doctrine internationaliste par excellence, comme la doctrine socialiste, qui a précisément souhaité l'abolition des Etats nationaux et l'union de tout le prolétariat dans une seule patrie, se trouve aujourd'hui bruyamment contredite par les deux plus grands protagonistes du mouvement révolutionnaire mondial dans une si grande partie du monde. Comment ne pas nous sentir obligés de méditer sur les principes de notre doctrine et de rechercher non pas seulement des compromis utiles dans les rapports entre les Etats et entre les partis, mais aussi les causes effectives de ce flagrant démenti des principes ? »

M. De Martino ne se résigne pour autant à une conclusion pessimiste sur l'internationalisme socialiste ; mais il ajoute aussitôt que les choses sont aggravées par la conception dogmatique qu'ont les Etats communistes de leurs rapports, « conception absolue, exclusive, dogmatique, système clos et rendu impénétrable aux idées des autres ... Ils ont ressuscité ... le principe qui régla les confessions religieuses dans les Etats européens, autrefois « tel prince, telle religion », exigeant de leurs sujets une conformité absolue avec la pensée de l'Etat et considérant les dissidents comme criminels et coupables. Ainsi aujourd'hui, en U.R.S.S., on n'admet pas l'existence d'une position chinoise, de même qu'en Chine on nie la légitimité d'une position soviétique. Le conflit entre les partis devient conflit entre les Etats et entraîne les peuples entiers. Comment est-il possible de concilier cette conception des rapports intérieurs et internationaux des Etats communistes et donc cette réalité politique, avec l'exigence de la démocratie, qui est par nature anticonformiste, qui ne considère pas le désaccord comme hérésie ou crime, qui ne fait pas appel au fanatisme mais à la raison et qui se refuse à transformer une position idéologique et politique en un heurt dangereux entre les Etats ? Voilà la première question à laquelle il ne semble pas que le document de Yalta donne une réponse, parce que la seule réponse possible devrait être la fin de l'identification du parti et de l'Etat, c'est-à-dire la fin de la théorie et de la pratique politique du communisme ». 2. - UNE VISION DU MONDE ACTUEL PERIMÉE

Passant à l'examen du conflit sino-soviétique, M. De Martino remarque d'abord qu'il est assez utopique d'envisager que la rupture puisse être évitée, bien que lui-même ne souhaite pas le maintien des méthodes « d'excommunication » employées jusqu'alors par les communistes. Il est d'autant plus utopique de tout subordonner à l'union des forces du communisme international comme le fait Togliatti, que cette recherche est liée « à une prévision de la situation mondiale assez pessimiste... Pour soutenir la nécessité de ne pas briser l'unité du mouvement communiste, le document part de l'opinion a priori que le monde est menacé par de graves dangers d'avancée de la droite.» Et M. De Martino conteste la probabilité d'une victoire de Goldwater, de même que l'affirmation de Togliatti selon laquelle sa candidature aurait déjà poussé tout l'Occident vers des positions réactionnaires. « De même, ajoute-t-il, le jugement selon lequel l'Occident serait engagé dans un processus de plus grande concentration monopoliste, qui aurait son centre dans le Marché commun, et qui aurait pour conséquence de poser les bases d'une politique réactionnaire, ne nous semble pas fondé ... » Mais ce qui, pour De Martino, est la partie la plus faible et la plus caduque du rapport Togliatti, c'est « la conception d'un monde divisé en deux blocs presque impénétrables, celui du socialisme et de la paix, celui de l'impérialisme et de la guerre ... C'est la partie la plus en contradiction avec la tendance fondamentale de la politique soviétique qui a réussi à se libérer dans une large mesure de cette opposition fanatique... La base de la politique de détente est précisément que, des deux côtés, on admet la possibilité d'une atténuation des contrastes entre les deux blocs, et en dernière analyse de leur dépassement... Si les communistes d'Occident restent liés à la conception selon laquelle l'Occident est dominé par l'impérialisme américain, et que celui-ci est fauteur de guerre, alors, la thèse chinoise est juste, et l'on ne comprend pas que l'on pense la réfuter par des conférences et autres moyens semblables. » De même si l'on considère parallèlement que le monde communiste est immobile, les perspectives ne peuvent être que « catastrophiques ».

Cette conception des blocs rigides appartient au passé. L’Église catholique ne renonce pas à l'œcuménisme de Jean XXIII, la démocratie américaine n'abandonne pas l'orientation fondamentale de Kennedy, l'Europe traverse une crise que l'OTAN ne peut pas résoudre, et l'URSS recherche un équilibre de paix avec l'Occident et de meilleures relations politiques et commerciales, dont elle a besoin pour son propre développement. On est loin du tableau pessimiste de Togliatti sur lequel repose toute son argumentation. 3. - LES CÔTÉS POSITIFS DU DOCUMENT

Citant quelques-uns des points que nous avons analysés, mais sans s'y attarder, De Martino insiste sur les questions suivantes : a) Critique des méthodes soviétiques : « Le passage le plus important est constitué par la critique du retard avec lequel en URSS et dans les autres pays communistes on procède au « dépassement du régime de limitation et de suppression des libertés démocratiques et personnelles, instauré sous Staline »; ... les observations sur la survie de méthodes apologétiques, visant à montrer que tout va bien, nous semblent aussi positives, même s'il faut reconnaître qu'en général la technique de propagande des communistes italiens n'a pas beaucoup changé ... » b) Critique des explications officielles du stalinisme données en URSS. c) Critique de la Fédération syndicale mondiale (F.S.M.) : « Très pertinentes sont les critiques de la F.S.M., accusée de ne faire qu'une propagande générale et de n'avoir aucune action politique en direction du mouvement syndical des autres pays non communistes, ce qui précisément ne peut que nous induire à persister dans l'exigence posée par le courant socialiste dans la C.G.I.L. 16 d'un retrait d'une organisation, qui agit dans une aire qui nous est absolument étrangère et qui a des problèmes et une finalité totalement différents de ceux du mouvement syndical italien ». d) « De même, l'affirmation que l'on peut opposer à la programmation capitaliste ou imposée d'en haut une programmation démocratique, qui puisse permettre un passage graduel au socialisme », est la reconnaissance du bien-fondé de l'un des thèmes essentiels avancés par le P.S.I. De Martino conclut en exprimant le vœu que ce texte marque le début de l'abandon de l'« orgueilleuse certitude » qu'ont les communistes de posséder la vérité ; et de toute « prétention hégémonique de parti », conditions pour que soit repris un dialogue tant avec· les socialistes qu'avec d'autres forces politiques. 1. France-Observateur, 10-9-1964. 2. Interviews à la revue Nuovi Argomenti, n° 20, mai-juin 1956, et rapport au Comité Central du P.C.I. du 24 juin 1956. 3. D'après le texte italien, Editions Riuniti, 1956, p. 86. 4. Idem p. 40. 5. Thème que l'on retrouvait déjà dans le texte de 1956. 6. Cf. texte de 1956, p.76. 7. Togliatti rappelait d'ailleurs en 1956 les divergences entre les premières analyses de Marx et d'Engels et l'interprétation léniniste, qui n'a développé que les analyses postérieures à la Commune de Paris (idem, p. 108). 8. Rapport au Congrès, pp. 6-7. 9. M. Togliatti remarque même que l'unité avec les « Chinois » de son propre parti se fait très facilement sur « le terrain concret des problèmes de notre politique courante », et il cite : « lutte contre le gouvernement, critique du parti socialiste ... ». Voilà ce que deviennent dans la pratique les grandes affirmations sur la « transformation progressive de l'Etat de l'intérieur » : pour y arriver, on occupe les cellules du P.C.l. à faire leur unité interne sur le dos de ceux qui se battent pour cette « transformation », C'est confrontée à ces réalités que la thèse de Togliatti apparaît dans toute son inefficacité politique. Cette théorie ne correspond pas à la pratique du mouvement communiste 10. Voir en particulier A. Kriegel. Le Congrès de Tours (Julliard,1973). 11. p. 165.12. Cf. Rinascita, 31-8-1963, Paese Sera, 18-11-63, etc. 13. La position de Martinet, dans le passage cité, relève d'ailleurs de la même ambiguïté. 14. On pourrait ajouter que, rejetant une interprétation de la religion, Togliatti n'a jamais rien mis à la place : ni une autre analyse du fait religieux, ni une affirmation de « laïcité » du domaine politique. 15. Récemment encore, au Comité central du P.C.l. du 8 octobre, M. Longo a repris une critique d'ensemble de la Démocratie Chrétienne l'accusant de mener une politique conservatrice ; il a même étendu sa critique à la gauche de la D.C. « incapable de se libérer de l'anticommunisme ». Parallèlement, il a rappelé la nécessité d'un dialogue avec les catholiques, et la possibilité de mener ce dialogue ... sans que la D.C. renonce en rien à ses conceptions philosophiques. 16. Confédération Générale Italienne des Travailleurs, équivalent de la C.G.T., et comme elle adhérente à la Fédération Syndicale Mondiale.4. - APRÈS LES ÉLECTIONS ITALIENNES(Perspectives Socialistes, n° 79-80, décembre 1964, pp. 47-50)

Les élections municipales et provinciales 1 se sont déroulées en Italie les 22 et 23 novembre 1964. Il s'agissait d'élire les Conseils municipaux et provinciaux. La participation électorale a été forte : 90,1 % (90 % en 1960). Intervenant environ un an après la mise en place du gouvernement de centre-gauche 2, ces élections ont confirmé un double fait : d'une part, si on exclut le retour à une majorité « centriste » avec les libéraux (droite patronale) et sans les socialistes, il n'y a pas aujourd'hui d'autre majorité possible que l'actuelle majorité de centre-gauche, il n'y a pas en particulier d'autre majorité disponible pour une politique de progrès social et démocratique. D'autre part, les élections ont rappelé les difficultés auxquelles se heurte encore le centre-gauche, et le dynamisme réformateur dont il doit maintenant faire preuve s'il veut étendre plus nettement sa base populaire.

LE CONTEXTE DE L'ÉLECTION

Ces élections se présentaient d'abord dans un contexte économique et social assez défavorable à la coalition gouvernementale : les difficultés économiques de l'Italie sont loin d'être toutes écartées, quels que soient les progrès réalisés depuis un an ; par ailleurs, les réformes en cours n'ont pas encore pu modifier substantiellement la réalité sociale du pays, et de conquérir les masses populaires intéressées, mais elles ont été déjà suffisamment avancées pour provoquer un durcissement de la « droite économique ». De plus, les difficultés internes rencontrées par la coalition de centre-gauche (querelles intestines de la Démocratie-Chrétienne; déceptions à la suite du dernier congrès D.C. ; scission du P.S,I. en décembre 1963, etc.) ont offert une cible facile à toutes les oppositions. d'un côté les libéraux ont poursuivi leur campagne d'affolement de l'opinion publique, annonçant la crise économique et le chômage prochains et agitant le spectre du communisme triomphant. De l'autre, les communistes ont utilisé à fond la C.G.I.L. (malgré l'opposition des syndicalistes socialistes, qui se sont ralliés aux grèves par discipline syndicale, mais qui ont dit publiquement leur désaccord) pour provoquer dans toutes les corporations des mouvements de grève spectaculaires, même lorsque les autres centrales syndicales se refusaient à suivre, et même lorsque des formes du statut des travailleurs étaient en cours de discussion avec le gouvernement. Dans cette situation, ce sont les socialistes qui ont été l'objet des attaques les plus dures. En particulier toute la campagne des communistes et du P.S.I.U.P. a été dirigée contre le P.S.I., mis dans le même sac que les fascistes et les réactionnaires par la propagande communiste. Il est vrai que les socialistes ne se sont pas privés d'évoquer les problèmes internes du mouvement communiste, après la « démission » de Krouchtchev, la bombe chinoise, et la publication du « testament » de Togliatti. Il faut reconnaître qu'ils l'ont fait en maintenant le débat sur le terrain d'une discussion idéologique et politique de fond, sur les perspectives du socialisme en Italie ; les communistes n'ont reculé devant aucune polémique, aucune calomnie, aucun mensonge même 3.

LES RÉSULTATS DES ÉLECTIONS

a) Le durcissement de la droite patronale contre la politique de réforme de structures.

Si les monarchistes semblent en voie de disparition, et si les néo-fascistes plafonnent, le parti libéral a, par contre, légèrement progressé. On attribue généralement son avancée de 0,9 % à un déplacement de voix de la droite démo-chrétienne hostile à la collaboration avec les socialistes ; mais elle traduit surtout l'hostilité accrue à la politique actuelle de réformes de structures. C'est le plus souvent là où des réalisations précises sont à l'actif de la majorité que le P.L.I. a progressé. L'exemple le plus typique est celui de Milan, où une municipalité de centre gauche est en place. Les résultats sont les suivants : voir schéma ci-contre. La majorité, qui disposait jusque-là de 50 sièges sur 80, n'en a plus que 40. Les libéraux qui progressent de 2,5 % depuis 1963, ont gagné, depuis 1960, 15 % des voix et 11 sièges. On ne peut pas ne pas rapprocher ce fait de la lutte menée par la municipalité de centre-gauche contre la spéculation foncière : pour la première fois, Milan applique actuellement une loi de 1963, selon laquelle les propriétaires sont tenus de payer un impôt spécial qui s'élève de 8 à 15 % de la plus-value réalisée depuis 1953 sur les terrains à bâtir. Cette mesure, qui a déjà permis de fixer plus de 100 milliards d'impôts, touche environ 10.000 propriétaires. Inutile de se demander longtemps pourquoi les possédants de Milan ont manifesté leur hostilité à la formule de centre-gauche en votant libéral !

b) La scission socialiste de 1963 : efficacité politique nulle, entrave au progrès du centre-gauche.

Le P.S.I.U.P. 4 attendait de ces élections la preuve qu'il y avait un « espace politique » sur la scène italienne. Or, il n'a obtenu que 2,9 % des voix, arrachées au P.S.I., faisant passer celui-ci de 14,2 % à 11,3%. De plus, le P.S.I.U.P. n'a retrouvé ni la totalité des voix ni la totalité des sièges qu'il se vantait il y a six mois d'avoir enlevés au P.S.I. On estimait à un quart l'hémorragie d'adhérents ; le P.S.I.U.P. ne retrouve qu'un cinquième de l'électorat socialiste. La scission avait été une scission de sommet, suivie par un certain nombre de cadres et d'élus ; aujourd'hui le P.S.I.U.P. est loin d'avoir fait réélire tous les conseillers municipaux et provinciaux qui l'avaient suivi en 1963 ; même dans les Fédérations où il avait obtenu une majorité dans les Conseils fédéraux, il n'a pas pu déplacer l'électorat socialiste. C'est le cas à Turin : le P.S.I.U.P. avait entraîné cinq des douze conseillers P.S.I. ; il en a fait élire un avec 13.995 voix. alors que le P.S,I. en retrouve neuf avec 80.467 voix. C'est aussi le cas des Fédérations du sud et des îles où le P.S.I.U.P. avait cependant obtenu l'appui d'une bonne partie des cadres fédéraux. Les statisticiens électoraux calculent que, sur la base de ces élections, le P.S.I.U.P. n'aurait fait réélire que douze députés et six sénateurs sur les vingt-six députés et douze sénateurs qui ont quitté le P.S.I., il y a un an. Ainsi, comme toutes les scissions socialistes italiennes, celle-ci a provoqué un affaiblissement électoral du mouvement ; son efficacité politique aura été toute négative : retarder la réalisation d'une politique de réformes de structures. L'exemple de Milan est là encore caractéristique: le centre-gauche ne dispose plus que de quarante conseillers sur quatre-vingts ; il n'a plus de majorité ; mais il n'y en a pas d'autre possible : P.S.I.U.P. + P.C.L. = 19 sur 80 ; P.L.I. + M.S.I. = 21 sur 80. • L'unique conseiller du P.S.I.U.P. a donc le choix entre deux formules: ou bien appuyer une formule de centre-gauche, ou bien laisser nommer un « Commissaire » du gouvernement, comme cela est prévu lorsqu'un Conseil municipal ne dégage en son sein aucune majorité pour élire le maire et les adjoints. Dans le premier cas, c'est la démonstration de l'absurdité de la scission ; dans l'autre, c'est l'appui à la formule la moins démocratique et progressiste de gestion démocratique.

1. L'Italie est divisée en « régions » (au nombre de 19 en 1964 : Piémont, Lombardie, Toscane, Sicile, par exemple); chaque région est divisée en « provinces » (au nombre de 92 en 1964) qui correspondent à peu près aux départements français. Le vote concernait 74 provinces et 6.727 communes sur 8.027. 2. Gouvernement quadripartite comprenant la D.C., le P.R.I., le P.S.D.I., et le Italien P.S.I.. Voir plus haut Perspectives Socialistes n° 75 . 3. Le Nouvel Observateur du 26 novembre rend compte de ce fait par la phrase suivante : « Le P.S.I. tombe à 11,4 % des votants après une campagne électorale au cours de laquelle il a concentré toutes ses attaques sur les communistes » ... et plus loin il parle d'une « propagande anticommuniste rappelant la période de guerre froide ». De la basse polémique communiste contre les socialistes, pas un mot. Pourquoi ? 4. Parti Socialiste Italien d'Unité Prolétarienne, fraction du P,S.I. qui a fait scission en 1963. suite au congrès socialiste qui décida la participation au gouvernement de centre-gauche 'APRÈS LES ÉLECTIONS

Au delà de la formation des « giunte difficili », comme on les appelle en Italie, (ce sera le cas de Milan, Gênes, Naples, de plusieurs villes d'Emilie et de Toscane, etc.), d'autres problèmes vont se poser maintenant. (Pour la province de Milan, voir le schéma en fin d’article).

Le fléchissement électoral de la Démocratie-Chrétienne va obliger celle-ci à faire en son sein la clarification que l'on a attendue en vain des dernières assises nationales. Le centre-gauche ne peut progresse r que s'il s'engage plus résolument encore dans la voie de la « programmation » et des réformes de structures ; c'est à cette condition qu'il peut « dégeler » l'électorat de gauche. Cela exige que la D.C. renonce à ses propres ambiguïtés ; les syndicalistes et le courant de « base » l'ont souligné dans un texte publié le 28 novembre. Du côté socialiste, on recommence à parler d'« unité socialiste ». Analysant les élections, M. Saragat, du P.S.D.I., déclarait le 24 novembre : « Dans l'ensemble, le gouvernement ne sort pas affaibli des élections. Il se pose cependant le problème de la réorganisation unitaire des forces socialistes qui croient dans le lien indissoluble entre socialisme et démocratie... Un tel processus renforcerait la politique de centre-gauche. » M. Cattani, du P.S.I.. a repris le thème le 2 décembre, soulignant que le problème actuel était celui de l'unité entre les forces socialistes qui ont des perspectives semblables sur les points essentiels, mais que ce serait « vouloir ne rien faire » que de parler de l'unité de tous ceux qui se réclament du socialisme : « Il ne s'agit pas de réunir tous les socialistes, mais ceux qui ont des idées communes sur une certaine base idéale et politique, c'est-à-dire le P.S.I. et le P.S.D.I. En particulier il n'est pas question, a-t-il ajouté, de parler, comme le font les communistes, de « parti unique de la gauche ». Nous suivrons ces questions dans P.S. Signalons en terminant que, une fois de plus, la presse française aura peu ou mal informé ses lecteurs sur la situation italienne 5 . On relèvera, entre autres, l'étonnant écho du Nouvel Observateur, qui occupe un peu moins d'une demi-colonne, et qui commence par ces mots : « Après avoir enterré toutes les réformes prévues à son programme initial, la coalition de centre-gauche a subi, dimanche dernier, un revers spectaculaire... ». Jean GUICHARD.5. Sinon Le Monde qui, après son bon numéro spécial du 17 novembre sur l'Italie, a donné une information objective, mais dont on peut déplorer la faiblesse des commentaires de son envoyé spécial à Rome.

5. - Pourquoi l’élection du Président de la République italienne fut si longue : une étape dans la réalisation du centre-gauche (Perspectives Socialistes, n° 81, février 1965, pp. 31-34)

Il y a des deux côtés des Alpes beaucoup d'indignation sur la longueur de l'élection présidentielle italienne : on a évoqué la crise de la IVe République française, durant laquelle, remarquait-on, aucun président ne fut aussi difficile, à élire. Mais les lecteurs français de la presse de droite ou de gauche, ne connaîtront que peu de choses sur le déroulement exact du scrutin 1. 1. La préparation de l'élection

Il faut rappeler d'abord dans quel contexte politique se présentait l'élection du 16 décembre :* d'abord, un vaste mouvement de la droite pour imposer à l'opinion un candidat qui soit « au-dessus de la lutte politique », « au-dessus des partis », « arbitre impartial », etc., ce qui était une façon de manifester son hostilité au centre-gauche, et sa volonté d'aboutir à une solution « modérée ». L'argument avancé était qu'il fallait élire un « modéré » pour rétablir « l'équilibre » avec le gouvernement de centre-gauche à participation socialiste, comme ce fut le cas pour Segni en 1962. La campagne de presse de la droite fut d'autant plus violente, qu'elle pesait moins au Parlement (109 voix). * La Démocratie-Chrétienne disposait d'une majorité relative (399 voix), mais insuffisante pour lui permettre de faire élire seule un des siens (alors qu'il ne lui manquait que 28 voix en 1962 pour avoir la majorité absolue, il lui en manquait 82 en 1964) ; elle était donc obligée de s'allier avec d'autres : la droite ? la gauche ? En 1962, il lui fut encore possible de s'allier à la droite pour faire élire Segni tout en acceptant pour la première fois un ministère de centre-gauche ; en 1964, la même opération serait apparue comme un complet renversement de vapeur. Le 12 décembre, elle prenait la décision d'un candidat unique de la démocratie chrétienne, décision qui ne fut respectée ni par la droite ni par la gauche du parti : ce fut la première indiscipline. Le 15 décembre, M. Leone était désigné comme candidat officiel. * Le PSI, le PSDI et le PRI s'étaient dès le départ entendus sur le nom de M. Saragat, précisant bien que cette décision ne recouvrait aucune discrimination envers les catholiques, mais un choix politique. * Enfin le PCI était lui-même divisé sur la tactique à suivre, entre Amendola et Longo ; autre élément d'incertitude qui ne pouvait se clarifier qu'après plusieurs tours de scrutin.

2. Première phase : la valse des candidats démo-chrétiens

Dès le premier tour, il manque à Leone 71 voix démocrates chrétiennes ; au deuxième il lui en manque 86, parmi lesquelles 53 vont à Fanfani (gauche), 8 à Taviani et 6 à Scelba (droite). Les autres formations votent de façon compacte pour leur candidat. C'est donc une confrontation interne à la Démocratie-Chrétienne qui s'annonce. Elle se confirme au quatrième tour, qui voit le retrait de Taviani et Scelba, et l'apparition de Pastore, autre candidat de la gauche DC, qui obtient 12 voix. Il manque maintenant 109 voix DC à Leone (290 voix) et Fanfani obtient 117 voix, la masse de ses voix nouvelles venant du PSIUP (36 voix) qui décide de voter pour lui afin d'accentuer la cassure interne de la Démocratie-Chrétienne, opération sans issue : Fanfani n'a que 71 voix DC, et il lui faudrait donc l'appui de la droite pour être élu. Certains hommes de droite y songent d'ailleurs, espérant ainsi faire élire un candidat par les deux oppositions de droite et de gauche au gouvernement actuel.

3. Deuxième phase : la tentative de centre-droit, repoussée grâce à une large frange de la démocratie-chrétienne

Au dixième tour Leone a 299 voix, malgré l'appui apporté par les libéraux, et malgré les appels de l'Osservatore Romano, organe du Vatican, à l'unité· des catholiques. Fanfani en a 123 (son maximum était 132 au huitième tour), Pastore en a 40 ! Saragat a abandonné depuis le septième tour ; Nenni, leader du PSI est par contre candidat, il obtient 96 voix, soit la totalité des voix socialistes. Par contre le PSDI, le PRI et le MSI s'abstiennent. 4. Troisième phase : la candidature de « transition » de Nenni

Au douzième tour, coup de théâtre toute la droite, PLI, PDIUM et MSI, décide de voter pour Leone qui n'obtient malgré cela que 401 voix. Il lui manque donc 105 à 110 voix DC, votes blancs ou dispersés sur divers noms (dont celui du sénateur Montini, frère du Pape !...). Ainsi, toute une frange de la DC marque jusqu'à l'indiscipline ouverte son refus d'une opération de droite sur le tour d'un démo-chrétien, et ceci, malgré les menaces de sanctions de la direction du Parti, qui manifeste elle aussi sa gêne de l'appui des néo-fascistes. Là se marque aussi le progrès accompli depuis 1962 où toute la démocratie chrétienne avait accepté les voix PLI-MSI et PDIUM pour faire élire Segni. Au quatorzième tour, Leone a disparu, Nenni en obtient 353, c'est-à-dire les voix du PSI, du PRI et du PCI. Ce dernier justifie son vote dans un communiqué qui déclare notamment : « Cette décision vise à faciliter une ultérieure convergence de toutes les forces démocratiques et de gauche, afin de donner au pays un président de la République qui en interprète la volonté de renouveau, selon la ligne tracée par la Constitution républicaine ».Au dix-huitième tour, Leone a disparu, Nenni a 380 voix (PSI - PSIUP - PCI) ; il propose de se retirer, à condition que soit assurée une majorité sans exclusive sur le nom d'un autre candidat de centre-gauche ; la DC refuse, en se déclarant incapable d'assurer plus de 200 voix à Saragat, et en maintenant l'exclusive contre le PCI. Par ailleurs, des contacts sont pris entre le PSDI et le PCI. La Démocratie-Chrétienne refuse de prendre en considération le communiqué commun issu de la rencontre : l'obstination continue ; l'irritation se traduit par une sanction contre deux députés de la gauche DC, coupables d'avoir publiquement refusé de voter pour Leone (MM. Donat-Cattin et De Mita). 5. La décision : l'élection de Saragat

Au vingt et unième tour, Saragat est élu par 646 voix (56 voix vont au PLI, 40 au MSL et il y a 162 votes blancs nuls ou dispersés, dont les 35 PSIUP, les DC de droite et certains partisans de Fanfani). Avant le vote, le Président avait fait appel au vote de tous les partis démocratiques et antifascistes sans exclusives. La Démocratie-Chrétienne avait dû accepter, pour sortir d'une impasse que son hésitation initiale à prendre clairement position avait contribué à créer. 6. Conclusions

On peut tirer plusieurs conclusions de cette élection : a) ECHEC DE LA DROITE. L'impossibilité d'une coalition de droite a été confirmée, de façon sans doute définitive. Il suffit de lire les vociférations et les insultes de la « presse de droite » envers le Président du Conseil (« reptile venimeux et insinuant de la politique italienne ») pour saisir l'ampleur de cet échec. b) CONFIRMATION DU CENTRE-GAUCHE. L'impossibilité d'une coalition qui ne· comprendrait que la gauche a été aussi confirmée. La seule majorité actuellement possible est celle du centre-gauche. L'obligation où a été la Démocratie-Chrétienne, d'accepter les voix du PCI ouvre la porte à de nouveaux développements politiques de la formule, à condition que les communistes abandonnent - comme ils ont déjà su le faire pour cette élection leur stupide ligne d'attaque systématique du centre-gauche et des socialistes. c) EVOLUTION DE LA DEMOCRATIE CHRETIENNE. Il est apparu clairement que le monopole politique que la Démocratie-Chrétienne avait conservé pendant près de quinze ans n'existe plus. Le sort de l'Italie ne se joue plus dans les luttes internes des rangs démo-chrétiens. De plus, l'intervention du Vatican n'a pas été publique, en-dehors d'une note de L'Osservatore Romano, et s'il y a eu des interventions -personnelles auprès de Fanfani pour l'amener à renoncer à une candidature de « division », le Pape par contre n'est pas intervenu (à la différence de Pie XII autrefois). En tout cas, le poids du Vatican n'a rien changé, c'est le moins qu'on puisse dire. De plus, les luttes internes de la Démocratie-Chrétienne sont maintenant apparues au grand jour, et les courants de gauche ont pu s'affirmer publiquement. Celui de Forze Nuove (Pastore) qui représente 20 % du parti a déjà annoncé qu'il retirait son appui à l'actuelle direction, ce qui l'obligera à se marquer plus il gauche pour retrouver une majorité qu'elle ne peut plus réaliser seule (46 % des voix). Le problème doit se régler dans le prochain Conseil national. Le courant de Forze nuove propose que ce Conseil débute par un débat de fond entre les différents courants, et envisage que, à l'issue de ce débat, se constitue un « cartel des gauches démo-chrétiennes », c'est-à-dire entre Forze Nuove et le courant de M. Fanfani, Nuove Cronache. C'est également dans ce sens que la majorité du Congrès des jeunesses démocrates chrétiennes, vient de conclure. De plus, M. Pastore pose comme condition de discussion le retrait des sanctions contre les deux députés de la gauche DC : sinon, les représentants du courant menacent de se retirer et du gouvernement et du Conseil national. d) VERS L'UNITE SOCIALISTE. La pratique du centre-gauche et l'élection de Saragat contribuent enfin à débloquer le PSDI de l'immobilisme où il était souvent resté entre 1948 (date de la scission PSI-PSDI) et 1962. Ses positions se rapprochent de celle du PSI : le problème de J'unité est à nouveau posé, mais de façon plus concrète qu'il y a cinq ans. De même, le Conseil national du Parti Communiste Italien a laissé apparaître, nettement cette fois, l'opposition entre la direction du parti menée par M. Longo, qui a finalement imposé le vote pour Saragat, et la tendance menée par M. Ingrao qui aurait préféré le vote pour M. Fanfani, dont M. Longo pensait au contraire qu'il aurait brisé l'unité qui commence à se réaliser entre forces « laïques » et « catholiques ». Par là, la direction du PCI a implicitement et pour la première fois reconnu la validité de l'expérience actuelle de centre-gauche, tout en poursuivant par ailleurs la polémique contre le PSI : il n'y a pas de « raccourci » vers le socialisme, il y a la voie lente et difficile d'une progressive démocratisation des structures du pays. Ainsi, l'un des objectifs de la politique de centre-gauche que s'était fixés M. Nenni, se réalise peu à peu : contraindre à l'évolution les forces politiques italiennes, et en premier lieu la Démocratie-Chrétienne, qui vient de subir sa première grande défaite et qui est maintenant acculée aux choix politiques clairs que réclame sa gauche revigorée. Le centre-gauche sort renforcé de cette élection, et la présence d'un socialiste à la Présidence de la République ne pourra que l'encourager à poursuivre son difficile travail. Nous devons le suivre avec attention et sympathie : il est une des voies concrètes au socialisme.

Jean Guichard1. Le Nouvel Observateur, pour n'en prendre qu'un exemple, aveuglé par son hostilité de principe au Centre-gauche, n'a su voir dans cette élection qu'une nouvelle preuve de l'intervention du Vatican dans la vie politique italienne, ce qui est absurde, comme nous le verrons tout à l'heure.

6. - Réalités italiennes Juillet 1974

Voici venu le temps où quelques millions de touristes vont s'élancer vers l'Italie. Ils passeront à Milan, à Venise, à Ravenne, à Florence, à Rome, éviteront Naples où courent encore quelques rumeurs de choléra, et se concentreront sur les plages moins polluées de l'Adriatique. Ils s'attarderont de trente secondes à deux minutes devant quelques tableaux célèbres, histoire de dire qu'ils les ont vus. Quelques photos sur fond de Saint-Marc ou de Saint-Pierre ...Et ils seront passés à côté de l'essentiel, loin du « pays réel », loin des Italiens vivants, atteints tout au plus par un retard de courrier, ou par quelque grève d'employés de Musées - Caricature ? C'est pourtant bien le comportement moyen de la plus grande partie des touristes étrangers en Italie. Avant de partir, allez donc, par exemple, voir le dernier film de Fellini, Amarcord. Il vous portera d'emblée au coeur de cette Italie que les touristes ne voient généralement pas, l'Italie des petites villes provinciales qui n'a trouvé une dimension nationale et universelle qu'à travers le cléricalisme et le fascisme ; c'est cette Italie qui n'en finit pas de mourir, dont Visconti fournit une autre image dans ses grands films nostalgiques de la civilisation sicilienne ou vénitienne à son couchant ; depuis Napoléon, Venise meurt, et elle est toujours là, un peu plus engloutie mais toujours la même, malgré des prévisions scientifiques qui laissent froids les vieux Vénitiens. Pendant ce temps, une autre Italie se développe, celle d'Antonioni, de la Nuit ou de Désert Rouge, celle de la grande industrie capitaliste, en même temps que celle des grandes luttes ouvrières, – la classe ouvrière n'est pas encore au paradis ! –, ou des rivalités entre quelques managers, qui ne reculent pas toujours devant le meurtre, comme en témoigne l'affaire Mattei (assassiné en 1962, peut-être par la mafia exécutant la commande des monopoles du pétrole).

A) La montée d'un nouveau fascisme

Les balles n'effleurent généralement pas les touristes, et les bombes n'éclatent pas encore dans les grands musées. Ne croyons pas pour autant que le fascisme n'est qu'un mot, un slogan de discours politique ! En Italie, le fascisme tue régulièrement ; depuis cinq ans, le meurtre est sa méthode préférée de lutte politique, en même temps qu'il tente de se donner une façade légale et parlementaire, ce qui justifie l'appel pressant de M. Rumor, Président du Conseil (D.C.) 1, le 27 juin dernier: « Combattre toute tentative de retour au fascisme est, pour l'État démocratique, un devoir constitutionnel ».La D.C. porte cependant quelques lourdes responsabilités dans cette renaissance du fascisme. C'est une histoire qui mérite d'être racontée. À partir de 1948, après l'exclusion des ministres communistes du gouvernement, la D.C. gouverne à peu près seule dans le cadre d'alliances dites de « centre droit » ; c'est l'euphorie, le « miracle économique » italien ; à l'abri économique de l'aide américaine, sous la protection étroite et vigilante des Etats-Unis, le capitalisme italien se relève de la guerre, prend son nouveau visage et se place souvent au premier rang des grandes entreprises européennes ; la force du mouvement populaire, retrouvée dans la résistance au fascisme et au nazisme, impose à ce développement néo-capitaliste un cadre démocratique sanctionné par la nouvelle Constitution : « l'ltalie est une République démocratique fondée sur le travail ». Il va donc falloir intégrer au régime une partie de ce mouvement; avec la bénédiction du Vatican où l'intransigeance atlantique et anticommuniste de Pie XII fait place à l'ouverture et au « dialogue » de Jean XXIII, la D.C. accepte la constitution de gouvernements de « Centre-Gauche », avec la participation de représentants du P.S.I., du P.S.D.I. et du P.R.I. 2, après une tentative de collaboration avec le M.S.I. 3 , qui provoqua une violente réaction populaire.

Mais, avec l'année 1964, arrive la première récession économique et la première crise du Centre-Gauche ; en Grèce, les colonels se préparent ; en Italie, commencent à courir des bruits de coup d'État militaire ; un fascisme nouveau se manifeste alors, prenant un peu les Italiens par surprise ; on y retrouve, dans une formule nouvelle, d'anciens fascistes, des néonazis, des industriels, des magistrats nostalgiques de l'ordre fasciste, des officiers de carabiniers, des généraux qui utilisent déjà les services de contre-espionnage pour ficher tous les dirigeants et militants importants des partis de gauche, des syndicats, voire du clergé, qu'il serait nécessaire d'arrêter ou de réduire à l'impuissance au lendemain d'un coup d'État.B) La stratégie du « double péril »

Il faut aussi légitimer aux yeux de l'opinion cette offensive de « l'ordre nouveau ». A partir de 1968 et de l' « automne chaud » de 1969 (un puissant mouvement revendicatif ouvrier, le début des « grèves sauvages »...), on crée systématiquement le mythe d'un « péril rouge », on dresse le spectre d'un nouvel anarchisme menaçant de mettre l'Italie à feu et à sang. En décembre 1969, une bombe éclate dans une banque de Milan : 17 morts, de nombreux blessés ; on accuse les anarchistes ; l'un d'entre eux, Pierre Valpreda, est arrêté ; un autre, Pinelli, se « suicide » en se jetant par la fenêtre de la Préfecture de Milan où il est interrogé. En mars 1972, l'« éditeur rouge », Jean-Jacques Feltrinelli, est trouvé mort au pied d'un pylône électrique que, paraît-il, il tentait de faire sauter ; deux mois après, le Commissaire Calabresi, celui qui « interrogeait » Pinelli, est assassiné : aucun doute, c'est une vengeance des anarchistes ! Chaque fois qu’un crime est commis, les services politiques des Préfectures de police laissent entendre dans leurs communiqués qu'il s’agit d'actions subversives d’extrémistes « rouges ».Il faudra quatre ans d'efforts acharnés de la gauche, d'enquêtes courageuses menées par quelques journalistes (comme Camilla Cederna 4, Giorgio Bocca, etc.), d'interventions d'avocats et de magistrats « démocrates » pour démolir peu à peu le mythe : on sait aujourd'hui que Valpreda est innocent et que l'attentat de Milan est l'oeuvre de néo-fascistes infiltrés dans un groupe anarchiste ; beaucoup de doutes s'accumulent sur le « suicide » de Pinelli ; il est probable que Feltrinelli a été assassiné par des néo-fascistes; on vient d'arrêter les trois assassins (néo-fascistes) du commissaire Calabresi ; on a beaucoup de raisons de croire que les « Brigades rouges », coupables récemment de crimes et d'enlèvements, dissimulent en réalité des « brigades noires » néo-fascistes * ; et la récente bombe de Brescia, placée sur le passage d'une manifestation antifasciste, porte, elle aussi, la signature fasciste. On pourrait multiplier les épisodes.

La vérité est donc maintenant connue, mais le procès de Valpreda traîne dans l'ambiguïté, et le résultat est la création, dans la tête des Italiens, d'un autre mythe, celui du « double danger : péril rouge anarchiste, péril noir fasciste ». On parle de la « double piste », rouge et noire, de la nécessité d'une double lutte contre l'extrême gauche et contre l'extrême droite. G. Bocca a même remarqué d'étranges séries de coïncidences destinées à entretenir dans une opinion, désormais intoxiquée, l'idée du double péril :– 3 mars 1972 : le juge Stiz dénonce la « piste noire », identifie les fascistes comme véritables responsables des attentats attribués jusqu'alors aux anarchistes ; 15 mars : découverte du cadavre de Feltrinelli ; 17 mai : assassinat de Calabresi. Piste noire, piste rouge !– 24 mars 1973: arrestation d'un fasciste notoire, Ponzi ; 7 avril : arrestation d'un autre fasciste Azzi, porteur de plastique, dans un train ; 13 avril : bombe fasciste lancée contre un agent de police, – Piste noire. Le 15 avril : incendie dans la maison d'un dirigeant M.S.I., la Préfecture de Police met en cause l'extrême gauche ; mais un « anarchiste» jette une bombe devant la Préfecture de Milan, – Piste rouge. L'« anarchiste » se révèle être un faux, néo-fasciste dissimulé : peu importe, l'impression de balancement est créée.– Juin 1974 : bombe fasciste à Brescia ; quelques jours après : deux fascistes assassinés à Padoue – Par qui ? par les « Brigades Rouges », laisse-t-on entendre à la Préfecture de Milan 5. Lesdites brigades se révèlent être plutôt « noires ». Peu importe : piste noire, piste rouge ! Mon père, gardez-vous à droite ...Qui a entretenu le mythe ? Qui en profite ? Qui accepte depuis des années que des généraux figurent dans des manifestations néo-fascistes, que des dossiers s'enterrent ou disparaissent au Ministère de l'Intérieur, que des magistrats continuent à défendre et à pratiquer des codes fascistes jamais abolis ? Il faut bien reconnaître que la D.C. a fait sa soupe dans cette marmite Ia. Quel meilleur moyen de garder le pouvoir que d'entretenir les masses dans la conviction que la seule façon d'éviter l'horreur des deux périls extrêmes, c'est de rester au centre, c'est-à-dire dans l'aile protectrice de la D.C. ? Quel argument plus fort pouvait maintenir dans l'immobilisme les classes moyennes, où les 15 millions de plus de 45 ans formés par le fascisme à un anticommunisme viscéral, et à la peur de tout ce qui ressemble à une transformation sociale et à un mouvement populaire ?

Entre le fascisme et une partie de la D.C., il y a d'ailleurs un lien plus profond. Dans les périodes de crise, l' « intégralisme » catholique s'est toujours retrouvé d'accord avec les groupes qui se représentent comme défenseurs de la tradition, de l'ordre social, de la patrie, de l'armée et des « valeurs morales », ces groupes fussent-ils fascistes ; et lorsqu'il le faut, le « compromis historique » entre l'Église et le fascisme, symbolisé par le Concordat de 1929, se renouvelle aisément.C) Une opération politique : le référendum pour l'abrogation de la loi sur le divorce

Il s'est renouvelé récemment dans l'opération du référendum anti-divorce. Rappelons les faits : en 1970, le Parlement italien adopte une loi instituant ce que l'on a appelé le « mini-divorce » 6, qui venait modifier le régime antérieur qui ne reconnaissait que la « séparation » des conjoints. Aussitôt les secteurs de droite des milieux catholiques lancèrent l’idée d'un référendum populaire 7 pour abroger la loi infâme ; combattue par la gauche, par les libéraux, par la L.I.D. 8 ; l'idée n'enthousiasme guère de nombreux secteurs de la D.C. ; plusieurs prélats de la Curie romaine déconseillent au Pape d'intervenir en ce combat douteux.Amintore Fanfani 9 se fait alors peu à peu le dirigeant d'une tendance dure favorable au référendum, qui va peu à peu mobiliser l'appareil de la D.C., les anciens « Comités Civiques », l'Action Catholique, les paroisses et l'ensemble de l'épiscopat, qui s'engage finalement dans la bataille. Seul allié politique de la D.C. : le M.S.I., les néofascistes. Quand on analyse cette conjoncture, on est légitimement porté à penser que les raisons politiques ont été plus fortes que toutes les raisons morales et religieuses. Dans le climat actuel de crise économique et sociale, l'idée d'un pouvoir fort progresse dans un certain nombre de milieux d'affaires italiens. On a souvent parlé d'une tentation de « gaullisme » italien dont M. Fanfani serait précisément le héros. Le divorce a paru être l'occasion rêvée de battre la gauche parlementaire, de redonner une majorité aux tendances les plus « intégralistes » de la D.C., et, M. Fanfani étant au pouvoir, de transformer peu à peu le régime parlementaire en un régime plus musclé, restaurateur de l'ordre social nécessaire au bon fonctionnement des grands monopoles publics 10.On sait que cette opération a échoué misérablement : le « non » au référendum l'a emporté par une majorité de près de 60 % (19 093 929 voix contre 13 188 184 voix pour le « oui ») 11 D) Un courant nouveau dans l'Église italienne : les « catholiques du non »

Le double échec de l'Église et de la D.C. marque sans doute une rupture importante dans l'histoire de l'Italie, dans l'évolution des rapports entre l'Église et l'État, dans la vie de l'Église italienne elle-même. Le succès du « non » est dû en effet d'abord à des raisons politiques : la cohésion de la gauche, le réflexe du camp « laïque » 12 face à l'offensive massive de l'Église contre le divorce, la réaction contre le fascisme et ce que l'on appelle ouvertement en Italie le « clérico-fascisme » 13 ; mais l'élément nouveau est incontestablement l'apparition d'un courant inexistant jusqu'alors, que l'on a appelé les « catholiques du non ».Un nouveau pôle se manifeste donc dans une Église qui, en Italie, apparaissait jusqu'alors très monolithique, aussi bien sur le terrain religieux que sur le terrain politique, étant donné la faveur exclusive accordée par l'Église hiérarchique à la Démocratie Chrétienne. On remarquera cependant que, quelle que soit la dureté des paroles du Pape et des Évêques contre ces catholiques qu'ils reconnaissent aujourd'hui être « nombreux » (« non pochi », a dit le Pape dans son allocution du 14 mai), aucune excommunication n'a été prononcée ; certains prélats, comme le Cardinal Poletti, Vicaire de Rome, ont même pris avec humour le succès du « non » dans la ville de Rome (1 146 075 « non » contre seulement 538 156 « oui ») : « Je croyais qu'iI pleuvait, a-t-il déclaré, et non que c'était le déluge ». Si la réprobation est donc totale, elle se mêle paradoxalement à une reconnaissance de fait que le « non » était un choix tout à fait compatible avec l'appartenance à l'Église. La logique voudrait alors que les sanctions canoniques prises contre certains ecclésiastiques soient levées rapidement.Maintenant les « catholiques du non » s'organisent, ils ont convenu de poursuivre leur travail sous des formes qui vont se préciser peu à peu, à travers l'action ou des colloques, comme celui qui les a déjà réunis quelques jours après le référendum du 12 mai. Un tel phénomène aura sans doute pour la vie italienne des conséquences importantes, tant au niveau politique que religieux, en particulier dans le développement de la lutte antifasciste.

Jean GUICHARD.(7 juillet 1974,) (Paru dans À l’Écoute du Monde, juillet 1974)(1) D.C. = Démocratie Chrétienne. Pour ne citer que le dernier en date des crimes fascistes, le 25 juin dernier, un conseiller municipal communiste, promoteur d'un Cercle Antifasciste, a été tué dans la rue, en public, à coups de pistolet par un militant fasciste connu, puisqu'il figurait parmi les candidats néo-fascistes aux dernières élections municipales.(2) P.S.I. = Parti Socialiste Italien (Nenni, De Martino). P.S.D.I. = Parti Socialiste Démocratique Italien (Saragat). P.R.I. = Parti Républicain Italien (La Malfa).(3) M.S.I. = Mouvement Social Italien ; l'étiquette recouvre le parti néofasciste, toute reconstitution du parti « fasciste » étant constitutionnellement interdite en Italie.(4) Cf. son ouvrage Piste Noire, Piste Rouge., traduit dans la collection 10/18). (5) Cf. Il Giorno, 27 juin 1974.(6) La loi du 1er décembre 1970 prévoit une dissolution du mariage lorsque « la communion spirituelle et matérielle des conjoints ne peut être maintenue ou reconstituée », dans l'un des cas suivants : (1) quand l'un des conjoints a été condamné : a) soit à plus de 15 ans de bagne, b) soit pour délit commis sur un descendant ou un conjoint, ou pour incitation d'un descendant ou d'un conjoint à la prostitution, c) soit pour homicide volontaire ou tentative d'homicide sur un descendant ou un conjoint, d) soit à une peine de détention avec deux ou plusieurs condamnations, pour délits commis aux dépens du conjoint ou des enfants ; (2) a) quand l'un des conjoints a été acquitté pour débilité mentale totale de l'un des délits prévus en b) et c) de (1), b) quand la séparation est de fait ou a été prononcée par le juge, depuis au moins 5 ans, c) en cas de non-lieu prononcé dans les délits prévus en b) et c) de (1) si le juge « estime que subsistent les éléments constitutifs et les conditions de sanction des délits eux- mêmes, d) en cas de procédure pénale pour inceste terminée par un acquittement pour manque de scandale public », e) quand l'autre conjoint a obtenu le divorce à l'étranger ou y a contracté un autre mariage, f) quand le mariage n'a pas été consommé.(7) Une loi peut être abrogée par un référendum ; celui-ci doit être demandé par au moins 500 000 citoyens, électeurs inscrits.(8) L.I.D. = Ligue Italienne pour le Divorce. (9) Un des principaux dirigeants de la D.C., actuellement son Secrétaire Général. (10) On peut noter que cette carte politique, jouée par M. Fanfani, était plus celle des Monopoles d'État que des monopoles privés, du moins les plus importants. Des hommes comme M. Agnelli, directeur de la FIAT. misent plus sur le libéralisme, l'intégration politique de la classe ouvrière, la reconnaissance des syndicats dans l'entreprise, etc. Or, c'est la tendance qui l'a emportée, à l'issue de la lutte très âpre qui l'a opposée aux tendances conservatrices à l'intérieur de la Confindustria (organisation patronale italienne, équivalent du C.N.P.F.) .(11) « Non » au référendum voulait dire « oui » à la loi sur le divorce, et inversement. Rien n'avait été fait pour faciliter le travail des partisans du divorce et la clarté du vote !(12) En faveur du « non » outre le P.S.I., les deux partis socialistes et le parti Républicain, est intervenu le parti libéral, parti de la droite classique, mais partisan, depuis l'unité italienne de la laïcité de l'État, selon la formule de Cavour : « l'Église libre dans l'État libre ».(13) Il faut ajouter que la propagande des « antidivorcistes » prévoyait depuis des mois une avalanche de causes de divorce, une course à la rupture du lien matrimonial, un processus irréversible de dissolution des familles. Or, les Italiens se sont servis avec prudence de la nouvelle loi : en 3 ans, 90 000 divorces accordés, dont la majorité concernait des couples mariés civilement avant le Concordat de 1929 (qui créait le blocage en donnant des effets civils au seul mariage religieux). La loi ne fut pas le mal absolu : on ne gagne rien à crier « au loup » !* Nous ne sommes qu’en 1974, et les Brigades Rouges sont encore un phénomène récent mal analysé, en un temps où cette dégradation de l’extrême gauche vers une lutte armée désespérée n’apparaît pas encore clairement ; l’assassinat d’Aldo Moro date de1978 (Note du 25 août 2016).7. - Les Italiens ont voté, 19761 - Analyse des résultats

a) Les déplacements de voix

Quatre phénomènes sont immédiatement perceptibles dans les résultats du 20 juin 1976 : – Affaiblissement du Centre et de l'Extrême droite : deux groupes de partis perdent un nombre important de voix. D'une part, l'Extrême Droite néo-fasciste qui perd 2,6 '% de ses voix par rapport à 1972, soit près d'un tiers ; d'autre part, les trois petits partis laïques du Centre, P.L.1. (de 3,9 à 1,3 %), P.R.1. (maintien de ses voix mais perte d'un siège), P.S.D.1. (de 5,1 à 3,4 %). – Récupération de ses voix par la D.C.: La D.C. passe de 38,8 à 38,7, c'est-à-dire qu'elle maintient ses voix, malgré la quantité de scandales publics qui lui est imputable, et la profondeur de la corruption que tous lui reconnaissent. En réalité, ce maintien traduit un déplacement des voix vers la Droite et le Centre. Pendant toute la campagne, les leaders D.C., en particulier M. Fanfani, ont appelé les électeurs du M.S.I. à reporter leurs voix sur la D.C., meilleur rempart contre le communisme ; l'appel a été entendu. Par ailleurs, la D.C. avait pris soin de renouveler une partie de ses candidats, grâce aux militants du mouvement « Communion et libération », plus jeunes, moins compromis dans les scandales et idéologiquement plus orthodoxes, plus fidèles défenseurs de la doctrine sociale chrétienne et d'un certain « intégrisme » catholique. La D.C. tend à devenir le grand parti conservateur de l'Italie. – Progrès du P.C.!. : Le P.C.I. passe de 27,2 à 34,4 %. C'est un grand succès qui confirme celui des régionales de 1975. Le P.C. a définitivement rompu son isolement, mordu sur les voix catholiques, grâce aux candidats catholiques indépendants présents sur ses listes. Il recueille les fruits d'une politique à la fois dynamique et plus « démocratique » tant dans sa pratique intérieure que dans sa politique internationale. Il ne sera plus possible de gouverner en dehors d'un parti qui recueille plus du tiers des suffrages. – Apparition parlementaire de l'Extrême Gauche : Pour la première fois en Italie et en Europe, l'Extrême Gauche, jusqu'alors appelée « extraparlementaire », conquiert 6 sièges à la Chambre, auxquels il faut ajouter les 4 du parti radical.

b) L'attitude de l'Eglise

Les résultats sont d'autant plus remarquables que l'épiscopat italien et le Vatican se sont engagés à fond dans le soutien de la D.C. Il n'est pas de jour où l'Osservatore Romano, quotidien du Vatican, n'ait publié des articles condamnant l'attitude des catholiques de gauche ; des sanctions ont été prises contre les prêtres qui ont pris position pour la gauche. Ainsi Don Isidoro Rosolen, candidat non élu sur les listes D.P., a été suspendu. Par contre, Don Olindo dei Donno, candidat élu du M.S.I. néo-fasciste, n'a été l'objet que d'un rappel à l'ordre de son évêque, au nom du Concordat. Quant à Don Franzoni, ex-abbé bénédictin de Saint-Paul, à Rome, il a été appelé par Mgr Poletti, cardinal-vicaire de Rome, à choisir entre son adhésion au P.C.I. et son statut de prêtre. Deux poids, deux mesures : on peut être prêtre et fasciste, mais pas prêtre et de gauche. C'est le blocage qu'ont voulu briser les catholiques candidats sur les listes communistes. La communion ecclésiale continue à être mise en rapport avec l'unité culturelle et politique des catholiques dans la D.C. ; aux « chrétiens pour le socialisme », on commence à opposer le mouvement « chrétiens pour le christianisme », qui a fortement soutenu la D.C. ; le Concile Vatican II n'a pas été très bien assimilé à Rome ! c) La représentation des femmes

L'une des caractéristiques du précédent Parlement était le petit nombre de femmes : 29 sur 945 parlementaires. Les dernières élections portent au contraire au Parlement une soixantaine de femmes, dont 44 au P.C.I. (34 à la Chambre, 10 au Sénat), 10 à la D.C., 1 au P.S.I., 2 au Parti Radical (sur 4 élus), 1 à D.P. et 1 au P.R.I. (Susanna Agnelli, sœur du patron de la Fiat). Le doublement de la représentation féminine au Parlement est sans doute le résultat de la pression exercée depuis plusieurs années par les mouvements féministes et par les luttes de masse des femmes, sur des problèmes comme le divorce, le statut de la famille, l'avortement, ou la reconnaissance d'une égalité réelle entre les sexes : égalité économique (à travail égal, une femme est encore aujourd'hui moins payée qu'un homme), égalité sexuelle, etc. ... Il est probable que cette présence féminine va pousser très rapidement le nouveau Parlement à adopter des lois laissées en suspens par la dissolution de l'ancien. En premier lieu sera certainement votée la légalisation de l'avortement, qui a maintenant une majorité parlementaire (seule les démocrates-chrétiens et les néo-fascistes voteront contre, soit 298 voix sur 630). Il faudra s'attaquer ensuite aux problèmes d'emploi : à la grande masse des femmes sans qualification et sans travail professionnel est venu s'ajouter un million de femmes qui ont perdu leur emploi à cause de la crise.

d) Le vote des jeunes

Pour la première fois en Italie, les jeunes de 18 à 21 ans étaient électeurs, pour la Chambre des Députés ; l'âge minimum pour l'élection des sénateurs restait de 25 ans. On peut donc se faire une idée du vote des 18-25 ans en comparant les pourcentages obtenus par les partis à la Chambre et au Sénat. On peut constater que les voix des jeunes se sont donc portées pour une part importante à l'Extrême Gauche et à la Gauche, et dans une moindre mesure aux petits partis laïques du Centre-gauche. D.P. trouve en particulier 475 000 voix sur 555 000, soit plus de 80 %, parmi les moins de 25 ans ; le Parti Radical y trouve, quant à lui, un quart de ses voix ; le P.C.1. gagne près de 2 millions de voix parmi cette couche d'électeurs, soit environ 17 '% de ses voix ; le P.S.D.I., 270 000 voix, soit environ 20 % de son électorat ; le P.R.I., 289 000 voix, soit environ 25 '% de ses voix.D'un autre point de vue, la D.C. et le P.C.I. se partagent 70 % des voix jeunes, l'Extrême Gauche en totalise plus de 10 %, les petits partis laïques plus de 10,1% également, les socialistes moins de 6 % et l’Extrême Droite un peu plus de 3 %. 2 - l'avenir politique

Tandis que se négocie le choix des présidences et des postes de ministres, une seule certitude peut être dégagée : si la D.C. a terminé son règne, la Gauche n’a pas encore conquis le sien, et nul ne voit comment sortir de l’impasse politique que tracent les résultats du 20 juin. Aucune coalition traditionnelle ne dispose de 51% au Parlement et toutes se traduiraient par un éclatement de la D.C. ou de l’un des composantes de la coalition : le Centre droit avec l’appui des néo-fascistes est impossible car il provoquerait l’éclatement de la D.C. à gauche ; le Centre gauche est récusé par les Socialistes ; le compromis historique provoquerait l’éclatement de la D.C. à droite.Il faudra pourtant bien sortir de cette impasse par un accord politique clair ou un Gouvernement « d'urgence » pour régler les principaux problèmes en cours. Et la doctrine sociale chrétienne et l’anticommunisme forcené se révéleront impuissants à fournir la moindre solution pratique. Les masses italiennes n'attendront plus très longtemps une réponse concrète à leurs questions.

Jean GUICHARD, 1" juillet 1976. (Chronique Sociale -À l’Écoute du Monde, juillet 1976)