4.3. Histoire des villes : Torino - début
ÉLÉMENTS D’HISTOIRE DE TURIN
1) La Turin préromaine et romaine.
a) On a peu de documents sur la Turin préromaine. Une seule chose sûre : au IIIe siècle av. J.C. existait au débouché de la
vallée de Suse, au confluent du Po et de la Dora Riparia, un village fortifié qui put résister 3 jours à la forte armée d’Hannibal.
Les habitants étaient, selon Pline, les « Taurini » (d’un mot indoeuropéen « taur » signifiant le mont), une des plus
importantes tribus ethniques celto-ligures, provenant d’une fusion entre les Ligures d’origine ibérique, premiers occupants de
l’Italie depuis le 2ème millénaire et les Gaulois celtes venus dans la plaine du Po au Ve siècle av. J.C.. C’était la tribu du
Taureau, qui reste l’emblème de Turin (Cf. l’équipe de football de la Juve).
Selon la légende, Turin aurait été fondée par Phaéton Éridan, prince égyptien, qui traversa la Méditerranée, remonta l’Italie
et s’installa au confluent de la Dora et du Po ; il appela la ville « taurina » en souvenir du dieu égyptien Apis à tête de taureau ;
il se noya dans le Pô, appelé en latin « Eridanus », suite à une chute de char. Cela rejoint la légende grecque de Phaéton, fils
du Soleil, précipité dans l’Éridan par son père pour éviter une catastrophe alors qu’il conduisait le char du Soleil.
b) Au IIIe siècle av. J.C., expansion romaine dans la plaine du Po : défaite des Gaulois en – 221. En –218, les Gaulois
s’allient à Hannibal, mais Turin reste fidèle à Rome qui lui permettait de dominer les autres tribus. Arrivant des Alpes, Hannibal
détruit la ville pour 150 ans.
En –89, les Taurini obtiennent la citoyenneté romaine partielle. Au Ier s. av. J.C., par décision de Jules César, Turin devient
une position avancée pour les opérations en Gaule et en Grande-Bretagne : Turin naît comme campement pour les garnisons
(3000 vétérans) de garde des vallées alpines, position stratégique au croisement de voies consulaires et alpines. La ville est appelée « Julia Augusta
Taurinorum » en 28 av. J.C.
Voir le plan de la ville : un « castrum » romain presque carré entouré de murailles, traversé par un
« cardo » (voie Nord - Sud) = Via Porta Palatina, d’un « decumanus » (voie Est - Ouest) = Via Garibaldi,
de « decumanus » mineurs = rues Bertola et Monte di Pietà à dr. et rues Corte d’Appello et San
Domenico à g., et de « cardines » mineurs = rues Stampatori et Botero à dr., rues Delle Orfane et Milano
à g. de la rue Garibaldi).
c) Les murs de la ville étaient renforcés par des tours
polygonales situées à 70 mètres l’une de l’autre (2 sont
visibles à l’angle de via della Consolata et via Giulio, et à
l’intérieur du Théâtre romain) ; l’enceinte est formée d’un
conglomérat de chaux et de cailloux du fleuve, avec des
rangées de briques intercalées. la ville s’ouvrait par 4
portes ; 2 restent visibles : le sommet des deux tours de
Porta Praetoria dans le Palais Madame, et la Porte
Palatine avec ses 2 tours à 16 côtés pour dévier les
projectiles des catapultes et ses 4 ouvertures, larges pour
les chars et étroites pour les piétons.
De la ville romaine reste encore le Théâtre, derrière
le Palais Royal, mais aucun autre reste de maison ou
édifice. Au Museo di Antichità, on peut voir des stèles
funéraires, des frises, des instruments domestiques, de chirurgie, d’ornement féminin (aiguilles, boucles
d’oreille, colliers, bagues …).
Le christianisme s’installe à Turin en particulier grâce à San Massimo, premier évêque de Turin (fin IVe – début Ve siècles), à qui Charles-Albert fera
construire une église de 1844 à 1853.
2) Turin au Moyen-âge.
Turin reste pendant toute cette période une ville enfermée dans les
anciennes murailles romaines, petite mais stratégiquement importante pour
sa position territoriale : la route du Mont Cenis est un site-clé d’un point de
vue économique, religieux (Via Francigena entre Rome et la France) et
militaire, donc politique. La ville subit les invasions barbares, est dévastée
par les Burgondes en 492, devient duché longobard en 570, puis comté franc
au IXe siècle. Elle est dominée au XIe siècle par Adélaïde (fille d’Olderico
Manfredi, le dernier de la famille des Arduinici, une des plus grandes familles
italiennes de l’époque), comtesse de Turin et à la tête d’une « marche » qui
comprend une partie du Piémont et descend jusqu’à la Ligurie (comtés
d’Asti, Alba, Albenga, Ventimiglia, Susa). Vers 1050, Adélaïde épouse en
troisièmes noces le comte Odon de Maurienne–Savoie, fils d’Umberto
Biancamano, et étend son domaine au-delà des Alpes ; le mariage fut
suscité par l’empereur qui souhaitait une continuité territoriale le long des routes de France, de Turin à
Chambéry. Adélaïde fut, comme Mathilde de Canossa en Toscane, l’un des grands personnages de l’histoire ; c’est elle qui
projettera les Savoie dans l’histoire italienne.
Jusqu’au XIIIe siècle, la Commune se développe, sous l’égide de l’évêque et avec l’appui de l’empereur qui la soutient pour
limiter la puissance des marquis de Maurienne–Savoie et pour mieux contrôler lui-même la route de France. C’est seulement
en 1290 que les Savoie obtiennent la possession définitive de Turin.
Les Savoie, comme les Arduinici, étaient l’une des familles qui s’étaient affirmées au cours de la désagrégation de l’empire
carolingien, en dirigeant et organisant un territoire donné (le « regno », petit royaume). On sait peu de choses de ses
débuts, sinon qu’elle est originaire de Bourgogne ; le premier comte et marquis connu est Umberto Biancamano (« aux
blanches mains », mais le nom était en réalité « aux blanches forteresses », couvertes de neige, « Blanchis moenibus »
qu’un copiste distrait écrit « blanchis manibus ». Mort vers 1048) ; la légende dit qu’il serait fils d’un noble Beroldo, neveu
de l’empereur Othon II de Saxe ; dans la chanson de gestes des Savoie écrite au XVe siècle, il aurait surpris l’impératrice
avec son amant, les aurait tués pour venger son oncle et aurait pris la fuite pour devenir un chevalier errant. Son fils
Umberto Biancamano est fait connétable du royaume de Bourgogne par l’empereur Conrad II ; il possède une partie du
Viennois, les comtés de Sermorens et Belley, la Savoie, Aoste, la Maurienne, le Chablais, la Tarentaise, et l’abbaye de Saint
Maurice d’Agaune en Valais ; il est enseveli dans le vestibule de l’abbaye de Saint Jean de Maurienne (Cf. Jean d’Orville,
dit Cabaret, La chronique de Savoie, XVe siècle, La Fontaine de Siloé, Éditeur).
Le nom de Savoie était chez les latins « Sapaudia » devenu en dialecte « Sapodia » ; on trouve « Saboia » en 806,
puis « Savoia ». L’origine est le mot « SAP », le sapin = le pays riche en sapins
(en gaulois, « sappere » = produire de la sève). D’autres expliquent le mot
comme reste de « Sauve voye » = voie sûre entre France et Italie…
Les domaines des Savoie se démembrent à partir de l’héritier d’Adélaïde, son fils Umberto II (mort en 1103), à
qui il ne reste que les vallées d’Aoste et de la Doria Riparia et quelques fiefs en Piémont ; mais il fonde sa
puissance sur la possession de Susa et du versant italien du Mont Cenis, par où passe la via Francigena, la voie
de communication préférée entre Chambéry (puis Vienne, la Bourgogne ou la Champagne) et Turin puis Gênes,
Rome. Les Savoie sont petits mais seigneurs des routes et des cols. Le fils d’Umberto II, Amedeo III (1095-
1148) prend le titre de Comte de Savoie, adopte comme emblème la croix blanche sur fond rouge et crée en
1135 l’abbaye d’Hautecombe, lieu de sépulture des Savoie, source
de renseignements sur la famille par la Chronique d’Hautecombe. Bien que petite, la famille de Savoie est
pourtant insérée parmi les « grands » d’Europe : l’oncle maternel d’Amedeo III, Guy de Bourgogne, est
archevêque de Vienne et devient pape (Calixte III) ; sa sœur Adélaïde épouse le roi de France Louis VI le Gros,
et devient mère de Louis VII ; sa mère Gisèle se marie en secondes noces avec le marquis Ranieri di Monferrato. Amedeo III
s’allie à la France qui le pousse à s’étendre vers l’Italie. Son petit-fils, Tommaso I (1178-1233) renforce le comté, acquérant le
comté de Vaud ; il enlève Béatrice, la fille du comte de Genève, avec laquelle il a 12 enfants, dont une fille, Béatrice qui sera
mère de 4 reines (Marguerite épouse Louis IX, roi de France, Éléonore épouse Henri III, roi d’Angleterre, – d’où l’afflux de
savoyards à Londres, cf. l’Hôtel de Savoy –, Béatrice épouse Charles d’Anjou qui devient roi de Naples, Pouilles et Sicile, et
Sanzia épouse Richard de Cornouailles qui devient roi d’Allemagne).
Ce n’est que peu à peu que les rapports évolueront entre le Comte et la ville. Turin
est une commune relativement autonome ; le Comte y a un pouvoir certain, mais tout
se règle entre eux par des contrats. Ce n’est qu’en 1424 qu’Amedeo VIII (1391-1440)
abandonne sa résidence à Chambéry et choisit Turin comme demeure officielle.
Depuis 1360, la Commune a des statuts que chacun peut consulter, qui réglementent
les droits et devoirs de chaque individu ou corporation, dans ce qui est devenu un
centre d’intense activité civile, commerciale et militaire ; chaque rue prend le nom des
artisans qui y travaillent, commerçants de charbon, de drap, artisans du cuir, du
métal, maçons, aubergistes, boulangers, médecins, avocats, notaires, etc.
Par ailleurs, les liens de Turin avec la campagne sont très étroits, la ville possède des
champs tout autour sur un rayon de 15 kms, les monastères y sont abondants et
riches et la production agricole se fait aussi à l’intérieur des murs (jardins, champs
…). Enfin, la féodalité laïque – contre laquelle lutte la Commune en s’appuyant sur
l’évêque – a une abondance de châteaux dans la campagne.
Il reste peu de traces de la ville médiévale : quelques maisons (Via dei Mercanti,
n° 9 : fenêtres ogivales ; La casa del Pingone, Via IV Marzo, angle via Tasso), de
rares églises (clocher roman de S. André, XIe siècle ; église gothique de S.
Dominique avec des fresques du XIVe siècle et un portail surmonté d’une haute
guimberge), un château (château des Savoie-Acaja, aujourd’hui Palais Madame,
commencé en 1276 comme maison forte adossée aux 2 tours romaines de la porte
Praetoria, complétée par 2 autres tours entre 1337 et 1420).
Turin a une Université et de nombreux hôpitaux. Elle a environ 4000 habitants.
3) Turin aux XVe et XVIe siècles.
a) Avant la domination française.
Jusqu’au début du XVIe siècle, Turin est encore semblable à la ville médiévale. Outre la construction de 4 bastions aux angles
des murs romains, la seule initiative est la construction de la cathédrale San Giovanni (1490-1498). Sur commission de
l’évêque Domenico della Rovere, on abat les 3 églises existantes sur cet espace et on demande la construction d’une
cathédrale à l’architecte toscan Amedeo da Settignano, dit Meo del Caprino. Il construit un édifice de style Renaissance
toscane, en croix latine, avec une coupole octogonale. L’abside fut détruite pour faire place à la chapelle du Saint Suaire
en 1656 : Charles Emmanuel II commande cet édifice pour y placer le Saint Suaire en possession des Savoie depuis
1452 et déplacé de Chambéry à Turin en 1578, à l’architecte Amedeo di Castellamonte ; c’est Guarini qui la termina.en
style baroque en 1694.
Parmi les comtes de Savoie, les plus importants furent les Amédée : Amédée V dit « Le Grand » (1285-1323),
Amédée VI dit « le Comte Vert (1344-1363), Amédée VII dit « Le Comte Rouge (1383-1391). Amédée VIII (1391-
1440) fut le premier Duc de Savoie à partir de 1416
b) La domination française (1536-1559).
En 1536, François I envahit le Piémont, en se présentant comme le souverain légitime, soutenant qu’il
avait droit à la possession du duché comme héritier de sa mère, Louise de Savoie. Le Vice-roi français
fit fortifier la ville, raser des quartiers populaires pour raisons de sécurité et fermer l’Université qui avait
la réputation d’être favorable aux Savoie ; il fait aussi développer les hôpitaux, pour répondre à la
surabondance de mendiants et de malades, victimes de la guerre entre François I et Charles Quint. Le
Piémont est alors intégré à la France : c’est un lieu de passage essentiel pour les armées françaises.
Pendant l’occupation française, les ducs de Savoie se réfugient à Vercelli. Emmanuel–Philibert, fils de
Charles III, exilé à la cour de Philippe II de Habsbourg, fut nommé capitaine de l’armée impériale. Il fut vainqueur des Français à Saint-
Quentin en 1557 ; par le Traité de Cateau-Cambrésis en avril 1559, il récupéra ses états, et en 1563, il déplaça définitivement la capitale
de Chambéry à Turin. : il oriente désormais la stratégie politique des Savoie en direction de l’Italie ; le Sénat est installé à Turin,
l’Université est ramenée de Mondovì à Turin. Turin a désormais 30.000 habitants, et Emmanuel-Philibert se consacre à la restructuration
d’une ville désormais trop petite et trop peu aménagée pour être une véritable capitale.
c) Après 1559.
Emmanuel-Philibert (1553-1580) se réconcilie avec la France et épouse la fille de François I, Marguerite de
Valois. Turin reste semblable jusqu’en 1620, mais Emmanuel Philibert :
* fait construire la Citadelle (1566), selon les techniques militaires les plus modernes, ce qui en fait un
modèle d’architecture militaire en Europe (l’architecte Francesco Paciotto est un disciple de Francesco di
Giorgio Martini) ;
* favorise le développement de manufactures urbaines et la culture du mûrier dans la zone du Parc Royal ;
* fait construire des palais pour les membres de la cour qui se sont installés à Turin (palais Scaglia) ;
* appuie l’Université, développe l’imprimerie (l’imprimeur Bevilacqua), et fait écrire la première histoire de
Turin par Filiberto Pingone, Augusta Taurinorum (1582) ; les intellectuels et artistes viennent à Turin.
4) Les agrandissements des XVIIe et XVIIIe siècles.
Les ducs de Savoie prennent vite place parmi les grandes puissances européennes. Ils deviennent rois à
partir de l’obtention de la Sardaigne en 1713. Sur le plan intérieur, l’État se renforce, passant des compromis
avec les forces politiques et économiques communales et l’Église ; à partir d’Emmanuel-Philibert, les ducs
seront attentifs à la restructuration administrative de la ville, à son développement urbain vers une capitale
digne de ce nom, et à sa défense militaire qui assure son autonomie, tout cela dans le climat de la Contre-Réforme qui impose de bons rapports avec
l’église romaine. Cependant, dans ce domaine aussi, les Savoie gardèrent le maximum d’autonomie : certes, les ducs font appliquer avec sévérité les
décrets du Concile de Trente, mais ils pratiqueront aussi une tolérance de plus en plus large vis-à-vis des Vaudois et des protestants (Marguerite de Valois
reçoit à sa cour et protège des protestants ; en 1694, un édit de tolérance autorise les Vaudois à vivre en Piémont).
Car Emmanuel-Philibert, qui avait l’habitude de tourner dans les grandes capitales de toute l’Europe, arrive dans une petite ville où les maisons sont
tassées (c’est encore la ville du Moyen-âge), où les rues sont sales, où l’écoulement des eaux se fait souvent dans la rue (les égouts du camp romain
avaient cessé de fonctionner). Il est atterré. En 1560 Turin a 30.000 habitants, 32.000 en 1596, 36.000 en 1631 (il y a eu deux épidémies de peste en 1598
et 1630), 48.000 en 1700, 69.000 en 1750, 92.000 en 1789 : c’est la population qu’avait déjà Florence au XIIIe siècle ! Pour la cour installée dorénavant à
Turin, il faut construire des palais, élargir les rues, les assainir, et construire des édifices politiques prestigieux.
La caractéristique des trois séries d’agrandissements est le respect de la structure originelle du camp romain : on construit des structures identiques, avec
des rues qui se croisent à angle droit et une place qui correspond à l’ancien Forum. Chaque fois que l’on crée un nouveau quartier, on déplace les murailles
fortifiées. C’est le gouvernement ducal qui commande le nouvel urbanisme (un Magistrat des
Constructions est chargé de contrôler la construction du patrimoine ducal et des édifices privés), ce qui
va donner à Turin une grande unité architecturale et
décorative : la ville doit être l’image de pierre de la
grandeur de la famille ducale.
a) Le premier agrandissement : il est dû à Carlo di
Castellamonte. C’est une structure rationnelle et unitaire,
autour d’une place et d’un axe autour desquels s’organise
un réseau de rues perpendiculaires et de bâtiments. Les
façades sont uniformes avec une décoration identique. La
place, ample, simple et claire, fait fonction de place
d’armes, de marché, de processions, de tournois, de foire,
et elle est le point de départ des diligences postales (Place
Royale, aujourd’hui place San Carlo).
Au sud de la place, 2 églises baroques, à dr. San Carlo
(1619, Carlo di Castellamonte), à g. Santa Cristina (1639, du même, mais façade de Filippo Juvarra, de 1715).
b) Restructuration de Piazza Castello : il s’agit de créer un grand centre politico–religieux. En 1606, sur la place, on donne
gratuitement le terrain aux propriétaires qui acceptent de construire devant leur maison des arcades surmontées de terrasses,
remplacées ensuite par des façades homogènes caractérisées par l’alternance régulière de
tympans triangulaires et semi-circulaires au-dessus des fenêtres, motifs repris de la place
San Carlo. L’architecte est Vittozzi ; la fonction de la place est la célébration de fêtes et de
manifestations ouvertes à la population.
On construit au fond le Palais (Royal) qui devient le siège du gouvernement et de la cour. Il
est commencé par Amedeo di Castellamonte, fils de Carlo, sur ordre de Madame Royale
Christine de France, épouse de Victor-Amédée I. Il est modelé en forme de U
communiquant avec les jardins dessinés en 1697 par Le Nôtre. Sur la place se détachent à
g.
le palais Chiablese et à dr. l’Armurerie Royale ; une galerie, – aujourd’hui détruite –, joignait
l’Armurerie au Palais Madame ; une autre galerie – aujourd’hui remplacée par une grille avec
les statues des Dioscures : imitation de Rome –, fermait l’espace entre le palais Chiablese et
l’Armurerie, séparant la place du Château de la petite place Royale.
Face au palais Madame se dresse l’église San Lorenzo (Guarini, 1634-1667), reliée au Palais
Chiablese et donc au Palais Royal. La façade est identique à celle de toutes les maisons de la
place ; les deux coupoles de Guarini sont des chefs d’œuvre d’art baroque.
c) Présence de l’autorité civile de la Municipalité : pour affirmer le pouvoir indépendant de la
Commune à côté de celui des ducs, est construite l’actuelle Mairie (Palazzo di
Città. Architecte : Lanfranchi, 1658) au centre de la vieille ville médiévale, dans
un style moins sévère que celui des édifices ducaux. Devant l’édifice, la Place
delle Erbe (Lanfranchi), refaite en 1756 par Benedetto Alfieri en harmonie avec
tous les édifices du quartier, dont ceux de la via Palazzo di Città ouverte en 1619
pour faire communiquer la Mairie avec la place Castello ; sur cette rue, Ascanio
Vittozzi construit en 1603 l’église du Corpus Domini, en mémoire du miracle
eucharistique du très Saint Sacrement de Turin (1453). Derrière, l’église dello
Spirito Santo de G. B. Feroggio (1765).
La place conserve sa fonction commerciale de l’époque romaine (c’était sans
doute le Forum) ; tout autour se concentrent les boutiques des marchands, et les
auberges ; il y avait aussi les services populaires, dentistes, barbiers,
aiguiseurs… ; on y faisait des fêtes, des représentations de Commedia dell’Arte,
parallèle populaire du Théâtre de Cour devenu stable à partir de 1680.
d) Le second agrandissement (1673). Turin devient la capitale d’un État de plus en plus vaste, où
croissent les exigences administratives, militaires, industrielles et commerciales ; de nombreux
travailleurs y émigrent. On prolonge donc la ville vers l’Est avec la diagonale de via Po pour
rejoindre le fleuve où il y avait déjà un pont en pierre et bois depuis le XVe siècle. Les façades
sont identiques à celles de la via Nuova (via Roma), mais les maisons sont plus hautes, avec des
boutiques au rez-de-chaussée, surmontées d’une mezzanine sous l’arcade ; l’appartement du
propriétaire est au 1
er
étage ; au-dessus les logements sont loués. Au centre, la place Carlina,
décentrée (1678).
Les ducs font construire le palais Carignano pour la branche cadette des Savoie (Guarini, 1679-
1685). Sur la place Carlo Alberto, écuries (aujourd’hui, bibliothèque Nationale). Guarini construit
aussi le Collège des Nobles (Aujourd’hui Académie des Sciences, musée
égyptien) pour les Jésuites qui ont le monopole de l’instruction avec quelques
autres ordres religieux. Enfin se développent les hôpitaux (Ospedale di Carità,
entre via Po et via Verdi, par Amedeo di Castellamonte en 1678).
En 1717-1731, Juvarra construit sur la colline la Basilique de Superga, en
remerciement pour la victoire de 1706 sur les armées françaises. En 1713, la
paix d’Utrecht achève la guerre de succession d’Espagne et donne au Piémont
le royaume de Sicile, échangé en 1715 avec le royaume de Sardaigne.
e) Le troisième agrandissement (1719) : le Piémont s’est encore agrandi, et
ont augmenté les exigences militaires : Juvarra construit donc les quartiers
militaires de l’autre côté de la ville.
Victor Amédée II (1684-1730), premier roi de Sardaigne, réorganise aussi
l’administration (Conseil d’État, Secrétariat d’État à la guerre, Archives,
Chambre des Comptes, etc.) et fait construire les bâtiments nécessaires à
les abriter (l’actuelle Préfecture de Piazza Castello). Il fait restructurer le
Palais Madame par Juvarra (1718-1721), avec de grandes verrières qui
permettent que, de la place, on voie les lumières des fêtes royales.
Charles-Emmanuel III (1730-1773) fait restructurer les places (Piazza della
Repubblica) et les rues (via Garibaldi, via Milano …) selon un modèle
imposé à Juvarra et exposé au Palazzo di città (1753-1775).
Enfin, le territoire environnant, même au-delà du Pô est l’objet d’une
organisation scénographique par la construction d’églises (Santa Maria
del Monte, église des Capucins sur la colline) et de villas princières ayant
en annexe une propriété agricole (vignes, fruits, bois) : Villa della Regina
(refaite par Juvarra en 1729), Château du Valentino (Carlo et Amedeo
Castellamonte), Venaria, châteaux de Rivoli, Mirafiori, Moncalieri, palazzina de Stupinigi (Juvarra, 1729-1731) avec
un grand parc utilisé pour les chasses royales.
5) Turin au XIXe siècle : une ville bourgeoise
a) La domination napoléonienne : en 1792, le royaume de Sardaigne
participe à la guerre contre la France révolutionnaire ; en 1798, Turin,
abandonnée par la famille royale qui s’est réfugiée en Sardaigne occupée
par les Anglais, est conquise par les Français ; en 1802, la ville devient
capitale du Département du Pô. Les transformations sont profondes :
Napoléon favorise l’insertion de la bourgeoisie dans l’activité
administrative, il se forme donc une couche bureaucratique compétente
dans l’exercice du pouvoir ; il fait abattre les murailles le 23 juin 1800
(elles sont inutiles dans une guerre de mouvement) : la ville est donc libre
de son expansion et s’ouvre aux futurs agrandissements ; il modifie
l’urbanisme, fait abattre la galerie entre le palais Royal et le palais Madame ainsi que l’autre galerie remplacée par la
grille de Pelagio Pelagi, fait remplacer le pont de bois par un pont de pierre, favorisant la liaison avec la zone des
collines (Voir les itinéraires).
b) Après la restauration de 1815 :
* La colline s’intègre dans la ville par la place Vittorio Veneto,
débouché monumental sur le Pô de la via Po, longue de 718 m.
(Giuseppe Frizzi, 1825-1830), tandis que de l’autre côté du Pô on
construit la Gran Madre di Dio pour célébrer le retour de Vittorio
Emanuele I dans ses États (Ferdinando Signore, 1818-1831 ).
* La via Milano est prolongée jusqu’à la Dora en 1826 et Carlo
Bernardo Mosca installe la place della Repubblica en 1830, siège d’un
grand marché dans le quartier du Balôn.
* Au bout de la via Roma, on ouvre la place Carlo Felice en 1850, et
on construit le long du Boulevard Vittorio Emanuele II en intégrant des
zones vertes (Jardins Cavour, places Balbo et Maria Teresa) ; les
quartiers ouest sont dispensés des règlements sur les façades et les
édifices peuvent être plus hauts. Un pont en fer est construit au bout du
Boulevard V.E. II en 1840 par l’entreprise lyonnaise Paul Lehaitre.
Dans tout cela domine un goût néoclassique (la Gran Madre a pour
modèle le Panthéon de Rome).
c) Après 1840, Turin capitale de l’Italie de 1861 à 1865 : Charles -Albert
fait adopter un goût néogothique libéré des règles néoclassiques ;
parallèlement il est le promoteur du « néo guelfisme », théorie politique
qui favorise la poussée nationaliste des Savoie et de la bourgeoisie du
XIXe siècle. Pelagio Pelagi rénove le Palais Royal, installe le monument
au Comte Vert sur la place palazzo di Città (1853) et construit les
châteaux de Pollenzo et Racconigi.
Mais surtout Turin sera, de 1848 à 1861, une des principaux centres
politiques où s’élabore l’Europe nouvelle ; la forme de la ville se forge
alors et va donner la ville que nous parcourons aujourd’hui.
* Les communications ferroviaires se développent : on construit la gare de Porta Nuova (Alessandro Mazzucchetti et Carlo
Ceppi, 1861-1868), une synthèse d’exigences fonctionnelles (séparation des services de départ et d’arrivée) et de solutions
techniques et esthétiques modernes (utilisation du métal et du verre : grande verrière de façade subdivisée par de fines
membranes métalliques, rappelant aussi la verrière du palais Madame). Affirmation d’une grande culture turinoise qui combine art
et science, dont le maître sera Alessandro Antonelli (1798-1888) qui concilie la technique nouvelle et l’imagination dans la Mole
Antonelliana (1863-1889), commencée comme synagogue juive pour célébrer l’émancipation des Juifs par le Statut de Charles -
Albert en 1848.
* On continue la lotisation pour répondre à la forte augmentation de la population due en particulier à l’accueil des très
nombreux Italiens qui fuyaient les monarchies absolues et autoritaires des autres États d’Italie, Lombards, Toscans, Vénètes,
Napolitains, Siciliens : création de la place Statuto (Giuseppe Bollati, 1864),
dernière intervention cohérente avec le goût baroque et premier exemple de
spéculation et de scandales immobiliers. On assainit le centre historique, on ouvre de
nouvelles rues : via XX Settembre, via Pietro Micca en diagonale (1898) et places :
place Solferino (1898). Les places deviennent un lieu de circulation autour d’un
monument central qui célèbre les grands hommes du Risorgimento (Monument
équestre à Ferdinand duc de Gênes, place Solferino, 1877 ; monuments à
Emmanuel-Philibert, place San Carlo (1838), à Charles-Albert, place Carlo-
Alberto (1861), à Cavour, place Carlina (1873), à Vincenzo Gioberti, place
Carignano (1859), aux savants Joseph-Louis Lagrange (1867) et Pietro
Paleocapa (1871) sur les côtés de la place Carlo -Felice, à Alessandro
Lamarmora (1867) dans le Jardin Lamarmora, à Vittorio -Emanuele II
boulevard V. E. II (1899), mais aussi à Giuseppe Mazzini, Cesare Balbo,
Daniele Manin, Giuseppe Garibaldi ...
*On célèbre le passé médiéval de Turin pratiquement éliminé par l’architecture baroque :
restauration des rares maisons médiévales, et surtout construction par Alfredo d’Andrade du
bourg médiéval dans le parc du Valentino en 1884, par reproduction d’édifices du XVe siècle
existant en Piémont ou Val d’Aoste.
* Turin s’affirme surtout comme un grand centre industriel moderne : la FIAT est créée
en 1899, par le rachat de plusieurs petites usines automobiles par la famille Agnelli ; se
développent aussi en Piémont l’industrie textile, chimique (les allumettes), du tabac, des bougies, du
papier. Les infrastructures se modernisent : réfection des égouts, arrivée de l’eau, lignes de transport
électrifiées à partir de 1897, ville éclairée au gaz en 1837, à l’électricité en 1884.
La promotion est assurée par une série d’Expositions internationales de l’industrie et de l’artisanat (1871,
1880, 1884, 1888, 1890, 1911) où se manifeste le style turinois, plus éclectique que celui de Rome et
ouvert au néo-gothique, au roman, à l’art de la Renaissance, à l’art égyptien, mauresque, baroque, qui
correspond aux goûts de la nouvelle bourgeoisie industrielle. À la fin du siècle naît un style l’ Industrie
Subalpine, place Castello, Galerie Saint Frédéric, via Roma : c’est un lieu de rencontre de la
bourgeoisie turinoise, d’exposition des marchandises dans un centre qui exclut les marchés populaires, les
petites boutiques, l’artisanat.
* Sont créés de grands musées : Musée égyptien, développé à partir de 1824 par Charles-Félix, qui
acquiert en 1824 la collection de l’archéologue Bernardino Drovetti, enrichie par le produit des fouilles de
Ernesto Schiapparelli et Giulio Farina de 1903 à 1930 et par des dons égyptiens en 1969-1970. C’est un
des plus importants musées égyptiens du monde après celui du Caire ; la Galleria Sabauda (peinture
italienne et piémontaise), le palais Madama (appartements, peinture, sculpture, céramique…), le Musée
National du Risorgimento au palais Carignano, l’Armurerie Royale, le Museo Civico d’Arte antica,
restes romains, le Musée de Psychiatrie et Anthropologie criminelle, et plus récemment le Musée
National de l’Automobile, le Musée du Cinéma, etc.
Turin au XIVe siècle
Umberto Biancamano et sa
femme Ancilla (gravure XIXe s.)
Abbaye d’Hautecombe, in Theatro Sabaudiae, 1682
Statuts communaux, gros volume
relié peau, attaché par deux
chaînes
Boutique de boulanger, et scène de marché
(miniatures XVe siècle, Lyon et Bologne
San Domenico (XIV e siècle)
Cathédrale San Giovanni
Turin en 1572
Turin en 1682
Santa Cristina, 1639
À g., Palais Royal (façade principale) : à dr. l’ensemble, avec la cathédrale, la
coupole de la chapelle du St Suaire, et en bas, la Porte Palatine.
Dessous ; San Lorenzo. Il n’y a plus de voitures !
Turin en 1673
Basilique de Superga
(Juvarra, 1717)
Palazzo Carignano (Guarini, 1679-1685).
Turin en 1750
le palais Madame
résidence de chasse de Stupinigi
Piémont aux XVII – XVIIIe siècles
via Po à partir de piazza Castello
place V. Veneto
Gran Madre
place della Repubblica
Via Roma, de place Carlo Felice en
haut à place San Carlo et place
Castello en bas
Via Pietro Micca
galerie subalpine
Mole Antonelliana
Façade de la gare
Pietro Fenoglio, Villa Scott
Palazzina di Via Principe
d’Acaja
Toute reproduction (papier ou numérique) est interdite sans une autorisation écrite du propriétaire du site.