6.4. La langue italienne : les dialectes
Langue et dialecte en France et en Italie
La question des « dialectes » est difficile pour les Français, qui ont une histoire et
une langue différentes de celles de l’Italie. On ne parle en France que de « patois »
(qui a souvent pris un sens péjoratif : le langage des paysans qui étaient
analphabètes parce qu’ils n’étaient pas allés à l’école, et qui parlaient une langue
dégradée d’usage exclusivement local et non-écrit) et de « langues régionales » pour
le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole, le gallo (rapproché du breton),
l’occitan, la langue d’oc (provençal, niçois…), l’alsacien et le mosellan, le tahitien et
les langues mélanésiennes et polynésiennes. Mais ces langues ne sont reconnues et
enseignées que depuis peu de temps (La loi Deixonne du 11 janvier 1951 est la
première à en parler) ; nous héritons en fait d’une idéologie forgée à partir de la
Révolution (les rapports de l’abbé Grégoire de 1791 et 1794) qui pense que les
langues régionales sont le rebut d’un passé révolu et dont il faudrait se débarrasser
pour construire l’unité nationale de la République ; elles relèvent du « folklore » (sont
« folkloriques » en un autre sens). Suite aux discussions provoquées par la Charte
européenne, ces langues sont inscrites dans la Constitution française depuis 2008
(article XII, article 75-1) qui reconnaît qu’elles font partie du « patrimoine de la France
». La Charte déclare que « la protection et la promotion des langues régionales ou
minoritaires dans les différents pays et régions d'Europe représentent une
contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la
démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et
de l'intégrité territoriale ». En 1999, Bernard Cerquiglini, dans un rapport au
gouvernement Jospin, décompte 75 langues régionales ou minoritaires, sans inclure
les dialectes de la langue officielle nationale ni les langues des migrants. En juin
2015, le député Jean-Jacques Urvoas a annoncé l’intérêt du président de la République pour un projet de loi constitutionnelle qui
ratifierait la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992. Mais il y a peu de
chances que le Parlement actuel adopte en 2016 la révision constitutionnelle nécessaire (Cf Le Monde du 9/10 août 2015 : « La France
bégaie ses langues régionales ».
Nous avons donc quelque retard, et cela ne nous a pas permis encore de comprendre que l’Italie a une autre histoire, qu’elle ne
constitue un État unifié que depuis 1861, que l’unité républicaine italienne n’est pas identique à la nôtre, et que la majorité
des Italiens restent bilingues : tous parlent maintenant l’italien, enseigné dans les écoles et pratiqué par la télévision et la radio, et une
majorité, de Venise à Palerme, parlent dialecte quand ils sont en famille, entre amis, etc. Reste d’un passé révolu et qui doit disparaître ?
Nous ne le pensons pas, surtout dans une période qui voudrait nous imposer une langue unique, l’anglais. La « mondialisation » va de
pair avec un renforcement des patrimoines culturels locaux, et chaque dialecte est l’expression d’une culture locale. Les dialectes sont
des langues qui ont été souvent des langues « nationales » des États qui existaient avant l’unité, le sicilien, le napolitain, le vénitien par
exemple. C’est le dialecte toscan et le milanais qui ont fourni la base de la nouvelle langue nationale italienne à partir du XIXe siècle
(Voir notre Histoire de la langue italienne).
Mais en Italie, les « dialectes » ne sont pas objet d’enseignement : ils sont encore objet de la langue parlée de la réalité nationale dans
sa diversité (on compte jusqu’à 10.000 dialectes !), et il serait difficile de les enseigner. Seule la Ligue du Nord a fait une fois une
proposition d’enseigner les dialectes, c’était pour elle un mode d’affirmation politique. Ce qui serait plus intéressant ce serait d’enseigner
les « cultures populaires exprimées en dialecte ». La création d’une « langue nationale » est moins qu’en France une « affaire d’État », et
le Constitution italienne consacre la diversité régionale tout en affirmant l’unité de la République : « La République, une et indivisible,
reconnaît et favorise les autonomies locales ». Cela reste un grand problème d’interprétation de la réalité italienne (Voir des éléments de
discussion importants dans : www.letterefilosofia.it/2010/06/dialetti).
C’est pourquoi notre site inclura peu à peu des dossiers sur les dialectes des différentes régions italiennes. Nous attendons la
participation de tous ceux d’entre vous qui peuvent nous adresser des documents référenciés, des bibliographies, des éléments de
vocabulaire. Merci à vous.
J.G. 10 août 2015