4.3. L’histoire des villes italiennes : NAPOLI
Voir aussi La chanson napolitaine depuis 1945 Naples : éléments d'histoire (1° partie) Aller à la 2°partie
Naples est une des villes les plus anciennes du bassin méditerranéen ; à la différence de
beaucoup d'autres qui ont disparu, elle a conservé au cours de ses 29 siècles d'existence une
vitalité exceptionnelle, pour une raison historique : son sort est lié initialement aux grandes
civilisations méditerranéennes, - la Grèce et Rome -, puis à l'ascension du monde féodal, -
monarchie normande, Frédéric II de Souabe, monarchies angevine et aragonaise -, enfin à la
constitution des grands Etats modernes à partir du XVIIIe siècle.
1) Ville de fondation et de culture grecques.
Fondée par les Grecs à partir du IXe siècle av.J.C., Naples reste pendant toute
l'Antiquité une ville de culture (et souvent de langue) grecque.
Elle est la « ville nouvelle » (Neapolis) par opposition à la « vieille ville »
(Palaepolis) fondée par des colons grecs de Cumes et d'Ischia et constituée par des
couches rurales liées aux Samnites. Palaepolis se trouvait sur la colline de
Pizzofalcone, reste d'un ancien cratère (cf. carte), et selon la tradition, elle aurait été
construite sur la tombe de la Sirène Parthénopé, autre nom attaché au site de
Naples.
Neapolis serait au contraire une fondation de marchands et d'armateurs grecs venus de
Syracuse, en relation de commerce maritime avec la Grèce et les plus grands centres de la
Méditerranée ; elle est moins liée aux populations de l'intérieur, par rapport auxquelles elle
représente une réalité urbaine autonome, d'une culture plus étendue et plus complexe.
Il reste peu de traces de la ville grecque : des monnaies et quelques
rares sculptures (statue du Nil ?), copies romaines d'original grec. Mais, si tous
les monuments ont disparu, la structure de la ville ancienne est encore visible
dans le centre : malgré les sièges, sacs, incendies, pillages, épidémies ... et
malgré le développement sauvage imposé après 1945 par la classe dominante
démocrate-chrétienne, le système urbain de Naples est marqué par une
persistance rare à travers presque trente siècles d'histoire (Cf carte).
Le forum était sur l'axe du décumanus (rue est-ouest de la ville
ancienne) moyen (Via dei Tribunali), la basilique se trouvait à l'emplacement de
San Lorenzo ; les colonnes du Temple des Dioscures sont encore visibles sur
la façade de San Paolo Maggiore ; les thermes, marchés et édifices
commerciaux étaient sur le décumanus inférieur (Via San Biagio), le Théâtre et
l'Odéon vers le décumanus supérieur (Anticaglia). Le noyau habité s'étendait à
l'ouest autour de Piazza Dante et au nord jusqu'à Via Foria ; il était donc séparé
du port et de la côte par des terrains agricoles en pente légère.
Conquise par les Samnites en 390 av. J.C., puis par Rome (328 av. J.C.) à laquelle elle
reste fidèle, Naples demeure une ville de population, de langue et de culture grecques : la
République est dure avec les Samnites, surtout après l'alliance de Capoue avec Hannibal,
tolérante envers les colons grecs. Auguste supprime l'autonomie de la ville au profit de ses
vétérans, mais Claude lui conserve son autonomie culturelle. Misène devient le principal port
militaire romain et Baia le Saint-Tropez de la noblesse romaine. « La Grèce conquise séduit son
rude vainqueur » et Naples devient le centre qui apaise la soif d'hellénisme des intellectuels et
des patriciens romains. C'est à ce titre qu'elle fut choisie comme lieu de résidence et d'éducation
par les classes dirigeantes romaines (empereurs : Auguste, Tibère à Capri ; Claude et Néron à
Naples : villa de Lucullus, aujourd'hui Castel dell'Ovo) et par les poètes (Horace, Virgile). C'est de
cette époque que date la fortune littéraire et esthétique de Naples, dont la fonction commerciale
s'efface au profit d'une fonction résidentielle : « ville de loisirs », « Naples reposante », douceur
du climat, sources d'eau chaude, splendeur des paysages, spectacles théâtraux : Naples hérite de
la vitalité et du réalisme des populations paysannes soumises par les Romains et devient un
centre du théâtre comique ; Néron vient y faire des tournées, applaudi par une "claque"
d'immigrés grecs, et y organiser de grands banquets identiques à celui de Trimalcion dans le
Satyricon de Pétrone (et le film de Fellini). Les rues du centre de Naples, qui suivent encore le
tracé des voies grecques et romaines, donnent sans doute une idée assez exacte de la foule qui
grouillait dans le Forum d’alors et de comportements très proches de ceux des premiers siècles.
Le théâtre romain de Naples est célèbre. Grande activité littéraire : le rhéteur Polémon,
maître de l'empereur Marc Aurèle ; Virgile, qui compose à Naples ses Géorgiques et devient l'objet
d'un véritable culte jusqu'au XIVe siècle : il est considéré comme poète, sage et magicien, il est le
guide de Dante dans la Divine Comédie, et souvent le protecteur de la région contre les éruptions
du Vésuve. Virgile meurt à Naples en 19 av.J.C. : cf. le dit « Tombeau de Virgile » à Piedigrotta ;
Stace (45-96 ap.J.C.), auteur d'une Achilléide et d'une Thébaïde.
Mythologie dans la baie de Naples : La Campanie est riche de références mythologiques
grecques, rappelées par Homère, Strabon, Virgile, Ovide, Boccace, etc. Parmi celles-ci, les Sirènes
Leucosia, Lighea, Parthénopé. Cette dernière, à laquelle la tradition veut que Naples doive son
site, fit l'objet d'un culte au moins jusqu'au premier siècle ap. J.C. : on pratiquait en son honneur
des courses appelées "lampare"(courses de lampes) consistant en une compétition dans laquelle
des jeunes gens couraient en portant sur la tête une lampe allumée ; le gagnant était celui qui
terminait la course sans l'avoir éteinte, vers la tombe de Parthénopé. La dernière de ces courses
eut lieu en 65 ap. J.C..
On dit aussi que le gâteau napolitain , la « pastiera », est composée des 7 ingrédients qui
étaient offerts à Parthénopé par 7 jeunes filles à l'occasion de sa fête : la farine et le blé comme
produits significatifs de la terre, les œufs pour représenter la cellule qui se renouvelle, la
« ricotta » en hommage aux bergers, l'eau de fleur d'oranger et de rose et le miel pour symboliser
les parfums et la douceur du printemps. La « pastiera » est encore à Naples le gâteau traditionnel
de Pâques.
Le christianisme s'implante à Naples dès le IIe siècle, époque de construction des
catacombes de San Gennaro (St Janvier) à partir du tombeau d'une famille noble convertie,
où furent déposés les corps des évêques martyrs St Agrippin (IIIe s.), St Janvier (305), puis de
St Athanase (877). La première basilique chrétienne est construite par St Sévère à la fin du IVe s.
(aujourd'hui San Giorgio Maggiore, remaniée au XVIIe s.), suivie de San Gennaro extra-moenia et
Santa Maria della Sanità. Une légende, probablement fausse, voulait que St Pierre et St Paul
fussent passés à Naples en se rendant à Rome ; l'emblème cruciforme trouvé dans la Maison du
Bicentenaire à Herculanum pourrait confirmer la présence d'un culte chrétien antérieur à 79 dans
la région. Le peuple napolitain est passé de l'adoration des idoles au culte des saints et de la
Vierge.
2) Domination byzantine (536 - 763).
Après la chute de l'Empire romain en 476 (le dernier empereur romain est envoyé à Naples
par Odoacre dans la Villa de Lucullus et y meurt), Naples reste rattachée à l'empereur byzantin
pendant plus de deux siècles. Principale ville du Sud (40.000 habitants au VIIIe s.), elle résiste
aux invasions lombardes, se repeuple de byzantins, adopte le grec comme langue officielle à côté
du latin, construit des églises et des monastères grecs ; elle est dirigée par un « Duc » qui
dépend de l'exarque de Ravenne (représentant de l'empereur d'Orient en Italie).
Catacombes chrétiennes et peintures (IIème - Xème s.) : 34 sont répertoriées entre
l’actuel Musée National et Capodimonte (la dite « Vallée des morts », alors hors des murs).
Creusées dans le tuf jaune, elles manifestent l’importance du culte des morts à Naples, elles
sont l’emblème de l’enchevêtrement entre la vie et la mort, le sacré et le profane, l’histoire et
la légende, le mystère et la mémoire.
Construction de basiliques : absides de San Giorgio Maggiore et de San Gennaro
extra-moenia ; baptistère de San Giovanni in Fonte (Ve s.) d'influence orientale (mosaïques).
3) Duché autonome (763 - 1139) et monarchie normande (1140-1194)
En 763, le Duc Stéphane II, devenu veuf, tout en restant formellement soumis à l'Empereur
byzantin, se fait élire Evêque de Naples. A partir de ce moment les ducs de Naples (dynastie des
Comtes de Cumes dès 840) maintiennent l'indépendance de Naples contre les incursions
lombardes, byzantines et musulmanes (victoire du consul Césarion, fils du duc Serge I, à Ostie
sur les Sarrasins en 849) ; ils étendent le Duché, développent les écoles, les bibliothèques (le Duc
Jean IV fait copier des manuscrits à Constantinople), l'architecture (campanile de Santa Maria
Maggiore), l'orfèvrerie, le commerce des étoffes. Cela permet un important renouveau de la
culture grecque.
Les monastères (dont celui de Pizzofalcone, auj. Castel dell'Ovo) deviennent les véritables
centres de la vie sociale et économique et commencent même à s'étendre hors des murailles,
vers Sant'Elmo et Posillipo. C'est autour d'eux que se concentrent les habitations. La communauté
monastique de Pizzofalcone constitue, avec celle de Montecassino, l’un des centres les plus
importants de la chrétienté. À partir de l’éruption terrifiante du Vésuve en 685, se développe le
culte de l’évêque Agnello qui avait annoncé que la colère du volcan punirait les péchés de
Napolitains.
En 1027, le duc Serge IV doit s'allier au chef normand Raynulf Drengot pour lutter contre
les Lombards. C'est le début de la pénétration à Naples des Normands qui, avec Robert Guiscard,
avaient commencé la conquête de la Sicile et de l'Italie du Sud, pour en faire bientôt un royaume
unifié qui dura jusqu'en 1860. Après une longue résistance, les Napolitains remettent la ville à
Roger, roi normand de Sicile en 1139. L'histoire de Naples se confond alors avec celle du
Royaume de Sicile qui avait Palerme pour capitale. Roger est un grand roi, sage et respectueux
des coutumes locales ; il confie l'administration aux Napolitains mais impose aussi une
organisation unitaire du Royaume qui, à la différence des villes du Nord et du Centre de l'Italie,
interdit toute évolution vers une commune libre dotée d'une forte bourgeoisie locale, et ce au profit
d’une bureaucratie de cour et des groupes de marchands étrangers. La priorité est donnée aux
œuvres défensives, Castel dell’Ovo, restructuré comme tête de pont avancée sur la mer et Castel
Capuano, construit au XIIème s. par Guillaume I au bout du décumanus médian, sur la route qui
menait à Nola, d’où venait la plus forte pression lombarde.
4) La monarchie Souabe (1204 -1266).
La dynastie normande se maintient jusqu'en 1194, date à laquelle la mort de Tancrède fait
passer le Royaume aux mains de l' Empereur d'Allemagne, Henri VI, puis du Roi d'Allemagne et
Empereur de Sicile, Frédéric II de Souabe, de 1197 à 1250. Celui-ci renforce les tendances
étatiques, mais fait aussi de Naples la métropole intellectuelle ; il y crée en 1224 une Université
qui devint une des plus importantes d'Italie, - rivale de celle de Bologne marquée par son hostilité
à l'empire -, où se formèrent de grands intellectuels (Thomas d'Aquin) et la future classe
dirigeante du Royaume, dont l'éducation échappe ainsi aux monastères. Frédéric II fait traduire
les œuvres d'Aristote et de Ptolémée à partir du grec et de l'arabe ; il tente une synthèse des
cultures grecque, chrétienne et musulmane qui lui vaudra une féroce inimitié du pape
(excommunication). Frédéric fait une résidence royale de Castel Capuano. Son règne marque le
début du développement urbain de Naples. Les trafics maritimes se font plus intenses, en
particulier du fait de la ruine d’Amalfi.
Après sa mort, Naples se révolte contre Conrad IV et Manfred et se constitue en commune
libre sous la protection du pape Innocent IV, qui meurt à Naples ; en échange, les couvents
franciscains et dominicains, les églises fleurissent dans la ville qui restera marquée par une
religiosité qu'accentuera encore la domination espagnole. «La population ne se libérera jamais
plus, surtout dans sa partie féminine, de cette cape pesante de bigoterie et de superstition que
l’occupation espagnole exaspérera jusqu’au fanatisme » (Antonio Ghirelli, Storia di Napoli,
Einaudi, 1973, p. 13).
5) Monarchies angevine et aragonaise (1266 - 1503). Un prestige européen.
Après la défaite et la mort de Manfred (dernier descendant de la dynastie Souabe) en 1266
à Benevento, Naples se rallia à la dynastie d'Anjou, à laquelle le Pape avait fait appel pour lutter
contre l'Empereur Frédéric II et ses descendants.
Charles Ier d'Anjou, frère du roi Louis IX, transfère alors la capitale de Palerme à Naples ;
le Royaume de Sicile devient « Royaume de Naples ». La ville s'étend et les murailles incluent le
port et les zones adjacentes ; après les colonies pisanes et génoises, viennent s'y installer des
commerçants et marchands catalans, marseillais, florentins. Les nouvelles constructions se
multiplient : Castel Nuovo (nouveau palais royal construit entre 1279 et 1283, qui remplace la
résidence de Castel dell’Ovo, et comble le vide défensif entre Pizzofalcone et la ville ancienne),
Castel S.Elmo, mais surtout églises de style gothique (S. Chiara, S. Domenico Maggiore, S.
Lorenzo Maggiore, S. Martino …) imité du pays de Loire : c'est sur Rome et les ordres
monastiques que s'appuie Charles d'Anjou, frère d'un roi saint et croisé et Vicaire pontifical en
Toscane ; apparaissent les premières places publiques (le marché est transféré à San Lorenzo).
Le centre directionnel et politique se déplace vers l'actuelle Piazza Municipio autour de Castel
Nuovo; les vieux quartiers restent des centres religieux et d'habitation populaire. Les
manufactures et les tanneries se transportent plus à l'Est dans une nouvelle zone commerciale et
marchande (Piazza del Mercato). Le port est rénové, doté d'un grand arsenal pour la construction
d'une flotte militaire et marchande. Naples devient une grande capitale européenne.
Charles confie la gestion du Royaume à des fonctionnaires féodaux coupés de la
population : craignant les initiatives locales qui risqueraient de se retourner contre lui, il confie le
pouvoir politique à des barons français, l’économie aux banquiers florentins, la production
artistique à des ateliers extérieurs, français ou toscans : ce sont des orfèvres français payés par
la cour qui font le Reliquaire de S. Janvier. Cette coupure avec la population provoquera en Sicile
(1282) la révolte populaire dite des « Vêpres siciliennes », germe d'une nouvelle domination
étrangère, celle des Aragonais, et la perte de la Sicile. A Charles succède de 1309 à 1343 Robert
d'Anjou, le bon roi qui enracine le sentiment monarchique dans un peuple qu'il protège, mais aussi
roi dépensier qui ruine l'économie napolitaine par le luxe effréné de sa cour. Après le règne de
Jeanne I, petite-fille de Robert (1343-1381), la reine Jeanne II, restée sans héritier, adopte d'abord
René d'Anjou et sa femme Isabelle d'Aragon, puis en 1420 Alphonse V d'Aragon, qui entre dans
la ville en 1442 et chasse René : la famille d'Aragon règne jusqu'à ce que les Napolitains
favorisent l'entrée à Naples de Consalvo de Cordoba, général en chef du Roi d'Espagne,
Ferdinand le Catholique (1503).
Les Aragonais continuent et perfectionnent la structure urbaine mise en place par Charles
d'Anjou : ils renforcent les fortifications, ouvrent de nouvelles voies, construisent des aqueducs,
des fontaines, des abreuvoirs, font élever des villas et résidences princières, dans la ville (palais
autour de l'ancien décumanus médian) et en-dehors (Villa et parc de Poggioreale), selon un
véritable plan d’urbanisme avant la lettre, contribuant ainsi à bonifier les zones marécageuses qui
entourent la ville. Naples atteint les 100.000 habitants. Alphonse fait aussi venir des quantités de
moines espagnols qui apaisent ses angoisses mystiques et soudent son alliance avec le Saint-
Siège. La situation économique de la ville continue à être compromise par la prodigalité du roi, qui
exonère les barons et accable d'impôts ses sujets qui vivent sur les terres domaniales. À la mort
d'Alphonse, la couronne passe à son fils Ferrante I (1458-1494), puis à ses petits-fils Alphonse II
et Frédéric (1496-1501).
Sous les Angevins, venue d'architectes français (Pierre d'Angicourt, Gautier d'Asson,
Thibaud de Saumur) : portail de S. Eligio, Abside de S.Lorenzo, puis d'architectes siennois (Lando
di Pietro, Tino da Camaino) : Eglise et cloître de S. Chiara, Chartreuse de S.Martino et Castel
S.Elmo. Les églises gothiques se multiplient : S.Domenico, S.Pietro a Maiella, S.Maria Egiziaca, S.
Gregorio Armeno, Donnaregina, S.Martino.
En peinture, peintres romains (Pietro Cavallini), siennois (Simone Martini de 1317 à 1320),
florentins (Giotto de 1329 à 1332, dont toutes les créations napolitaines ont été perdues), puis
leurs disciples : Lello da Orvieto (S.Chiara). École napolitaine sous Jeanne I (1343 -1381) : Roberto
d’Oderisio. Perinetto da Benevento qui réalise avec le lombard Leonardo da Besozzo les fresques
de la chapelle Caracciolo à San Giovanni a Carbonara (vers 1440). Présence de sculpteurs
toscans : Arnolfo di Cambio et Tino da Camaino.
Présence à Naples de S. Thomas d'Aquin, Cino da Pistoia, Pétrarque, Boccace (1327 -1339)
qui aurait aimé la fille naturelle de Robert d'Anjou,, Marie, évoquée peut-être ensuite dans le
personnage de Fiammetta.
Sous les Aragonais, viennent des architectes et sculpteurs romains ou toscans, surtout à
partir de l'alliance avec Laurent de Médicis (1480), des sculpteurs lombards, mais aucune école
proprement napolitaine ne se développe, à part celle du sculpteur Giovanni di Nola. De même, les
peintres viennent d'autres régions : Lombardie, Vénétie, Catalogne. Seul peintre local important :
Colantonio (à partir de 1442), maître d'Antonello da Messina. Contacts avec les artistes flamands
et catalans.
Alphonse d'Aragon, précurseur de la Renaissance, rassemble à sa cour les humanistes (Lorenzo
Valla) et les lettrés (Beccadelli, Pontano qui préside l'Académie fondée en 1442). Nombreux
poètes : Jacopo Sannazaro, chantre de la vie pastorale (Arcadia), B. Cariteo, Galateo, Tristano
Caracciolo, Luigi Tansillo. Après la chute de Constantinople en 1453, sous la poussée des Turcs,
se réfugient à Naples plusieurs intellectuels grecs, dont C. Lascaris.
6) Les vice-rois (1503 -1707). Deux siècles de domination espagnole et 27 ans de
présence autrichienne (1707-1734).
La crise de 1494 et les guerres d'Italie firent passer Naples sous une brève domination
française (Charles VIII, 1495) puis sous celle de l'Espagne : Naples accueille Consalvo avec joie
en 1503 comme elle avait accueilli Charles VIII en 1495, suscitant l'amère définition : « Ils servent
le maître du moment, regrettent le maître du passé, attendent le maître qui viendra ». Mais qui
aurait pu forger une conscience civique chez les Napolitains, soumis à des monarques étrangers,
à des barons avides de pouvoir, à des nuées de frères et de prêtres qui les terrorisent et qui tous
les maintiennent dans l'ignorance et la misère accrue par les épidémies et les éruptions du
Vésuve ? Derrière tout cela, la douceur du climat et l'enchantement du milieu naturel ont sans
doute contribué à enraciner la résignation populaire.
La domination espagnole marque par ailleurs la véritable rupture entre le nord et le sud de
l'Italie : les représentants du Roi Très catholique, pour protéger le pays de nouvelles invasions
françaises, étendent un véritable rideau de fer au nord du Royaume, anéantissant les rêves de
politique italienne des Aragonais ou de politique « européenne » de Frédéric II et de la famille
d'Anjou. Cela assure au pays plus de deux siècles de paix, mais la contrepartie intérieure est
lourde : domination totale du pouvoir espagnol, écrasement des plus pauvres par une fiscalité
exorbitante, imposition des modèles idéologiques de la noblesse espagnole (culte de l'apparence,
des cérémonies mondaines, idéologie du courtisan sur le modèle du hidalgo espagnol plus que
sur celui du chevalier français, influence de la mode espagnole, plus austère, introduction dans la
langue de nombreux hispanismes – dont la troisième personne de politesse -, formes extérieures
de religiosité), isolement des courants de pensée européens. Seules les révoltes périodiques des
Napolitains (refus de l'Inquisition espagnole en 1547, révolte de 1585 contre l’augmentation du
prix du pain, révolte anti-espagnole et « républicaine » de Calabre en 1599 sous la directions de
Tommaso Campanella, révolte de Masaniello en 1647) imposeront aux vice-rois une certaine
terreur, un certain respect de la plèbe et un dialogue avec les intellectuels napolitains.
Pour l’Espagne, dans le conflit avec les Pays-Bas, l’Italie reste la base de départ de toutes
ses actions : il s’agit « de trouver sur place, en Sicile, à Naples, à Milan, les moyens de faire la
guerre, c’est-à-dire de lever des troupes, fantassins ou cavaliers, de réunir des vivres et, pour
organiser le tout, de se procurer de l’argent. Toute la situation napolitaine se résume à ce dernier
terme du problème. Partout en Europe, l’effort de guerre provoque des tours de vis fiscaux
supplémentaires, énergiques, efficaces. Sous Richelieu, le trésor royal double ou triple ses
rentrées. Rien d’étonnant, donc, si, à Naples, (…) le Vice-Roi et ses aides sont sans fin en quête
d’impôts nouveaux, de perceptions mieux assurées, de ressources, de redevances
extraordinaires ». Et c’est l’Etat lui-même, seule « industrie » encore active, qui est mis en
coupe réglée : « Ce n’est pas, en effet, le revenu qui est mis à l’encan par le vice-roi, sur ordre
de Madrid, mais ce que l’on pourrait appeler le capital de l’Etat, les postes mêmes de l’impôt, la
propriété des juridictions, les droits régaliens plus ou moins ébréchés, les douanes du port, l’impôt
sur la soie, les titres nobiliaires, enfin les paysans c’est-à-dire les communes du domaine royal »
(F. Braudel, Le modèle italien, Arthaud, 1989, p. 208). (Mais tout l’argent récolté est loin d’arriver
dans les caisses de l’Etat espagnol : les vols, prélèvements opérés par les Ministres et
fonctionnaires provinciaux sur les revenus de l’Etat sont énormes : 10.000.000 de ducats, estime
Juan de Herrera en 1603 ; c’est une des causes du déficit chronique du Vice-Royaume de
Naples).
On assiste ainsi à un retour, sous le contrôle de la monarchie espagnole, à la situation
féodale existante deux siècles auparavant. Les historiens parlent d’une « reféodalisation » de
l’Italie. Dans le Royaume de Naples, la grande féodalité triple entre 1600 et 1670 ; le pouvoir des
barons et de la petite noblesse augmente, surtout après 1647, malgré les efforts du
Gouvernement central et les lois contre les abus des barons.
Pendant plus de deux siècles, Naples est gouvernée par une suite de 60 vice-rois
espagnols, parmi lesquels Pedro di Toledo (1532-1553), qui ouvrit la Via Toledo, assainit et
transforme radicalement la ville grâce aux impôts dont il l'accable ; son fils fait élever une nouvelle
Université, sur le modèle de celle de Salamanque (auj. Musée National). Les quartiers
« espagnols » se développent à l'Est de la Via Toledo, comme logements d'abord militaires puis
populaires. La paysannerie des alentours émigre en ville et Naples devient une énorme
concentration urbaine ; à partir de 1556 jusqu'en 1716, il est interdit de construire hors des
murailles de la ville ; la lutte contre les barons, souvent de sympathie française, l'obligation qui
leur est faite de résider en ville, transforme la noblesse en une classe de grands propriétaires
fonciers qui vivent de rentes loin de leur fief, cessent de s'intéresser aux luttes politiques et
militaires et dissipent leurs avoirs dans la manie de rivaliser en luxe et en magnificence avec la
noblesse espagnole.
Les vice-rois avaient en effet favorisé l'immigration paysanne pour affaiblir le pouvoir des
barons féodaux du Royaume ; ils avaient ainsi concentré dans la ville une plèbe misérable, sans
logis, désespérée, violente, superstitieuse et créé une situation sociale préoccupante : chômage,
problèmes de logement et d'hygiène. Naples a 300.000 habitants à la fin du XVIe s. (elle est la
plus grande ville italienne devant Rome, Milan, Gênes, et une des pus grandes villes
européennes), et la ville éclate sur les pentes des collines proches. La spéculation immobilière se
développe, en particulier du fait des ordres religieux qui accaparent les terrains du centre-ville où
se concentre une population toujours plus dense et plus paupérisée dont les révoltes sont
sanglantes. L'offensive du pouvoir contre les voleurs et les bandits est non moins terrible : mille
pendus indigènes par an pendant le règne de Toledo, tandis que la justice est plus indulgente
pour les soldats espagnols coupables « d'actes contraires à l'honnêteté et à la chasteté
féminines ». La loi du silence (l' « omertà ») imposée par la camorra naissante élève un mur
entre la plèbe et le pouvoir.
La ville traverse une période tourmentée par de grandes épidémies de peste (1528, 1656
qui réduit de moitié la population de Naples et des environs) et par de grandes révoltes
bourgeoises et populaires tendant à démocratiser l'administration de la ville entièrement aux
mains des vice-rois, le Parlement se contentant de voter les impôts voulus par l'Espagne. La plus
importante fut dirigée en 1647 par un juriste, Giulio Genuino, qui s'appuya sur un poissonnier,
Tommaso Aniello, dit Masaniello. Puis les nobles prirent le parti de Philippe IV d'Espagne, et en
avril 1648, malgré l'appui d'une armée française commandée par le Duc de Guise (nouvelle
occasion pour la France d’intervenir dans une possession espagnole pour y créer des divisions en
soulevant les « opprimés » du royaume d’Espagne), la République tomba et l'Amiral Don Juan
d'Autriche restaura le pouvoir espagnol. « Le retour de Naples et de la Sicile au calme, c’est la
découverte, par les aristocraties en place, que l’Espagnol reste le garant de la paix et de l’ordre
social qui les avantagent » (F. Braudel, Le Modèle italien, p. 211).
Dans ces conditions, le Royaume (ou vice-royaume) de Naples se caractérise dorénavant
par une prospérité largement artificielle fondée sur la rente et l’exploitation des richesses de l’Etat,
et non plus sur le profit industriel et commercial, sur le modèle d’une Espagne qui vit au-dessus de
ses moyens grâce aux trésors de l’empire américain, dans le mépris du travail manuel et du travail
tout court ; l’opposition est totale avec la pratique et l’idéologie de l’Europe du Nord. L’envers de
cette richesse fastueuse, source d’un épanouissement culturel exceptionnel, est une extrême
misère de la masse de la population. C’est le temps de la pauvreté. Mais le pauvre n’est plus
perçu comme une partie de la société, image du Christ souffrant sur la terre, mais comme un être
repoussant, sale, potentiellement dangereux, formant une sorte d’anti-société qu’il faut
marginaliser, isoler dans les grandes constructions des « alberghi dei poveri » (cf. le beau livre
de Tahar Ben Jelloun, L’Auberge des pauvres, Ed du Seuil, 1999, situé à l’Albergo dei poveri de
Naples), mi-prison, mi-hospice, mi-usine où l’on tente de faire travailler les pauvres. C’est le temps
des abandons massifs d’enfants près des portes et des hôpitaux. Dans une société où la pauvreté
est devenue structurelle, la seule réponse vient de l’ordre franciscain ou de congrégations laïques
ou religieuses qui instituent les « Monts de Piété » ayant pour but de soustraire aux usuriers juifs,
qui pratiquent le prêt sur gage et avec intérêt, les couches les plus défavorisées de la population
et tous ceux qui ont besoin d’argent liquide pour survivre (cf. La cappella del Monte di Pietà).
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