4.3. L’histoire des villes italiennes : Firenze - 2
IV. – L’ART DE LA COMMUNE BOURGEOISE
La création artistique est inséparable de cette organisation communale et de l’activité économique, elle-même imbriquée avec la vie religieuse qui lui donne
souvent sa forme et son sens.
1. Architecture et urbanisme.
La ville s’est développée : en 1336, elle a 125.000 habitants ; la peste de 1348 la réduit à 30.000 ; après la peste de 1376, elle se stabilise autour de 60.000
pendant deux siècles.
Ce développement induit un renouveau de la construction, accru par les nouveaux besoins de luxe, mais aussi par les incendies fréquents, provoqués par les
guerres civiles, et par les inondations dues aux crues de l’Arno (dont celle de 1333).
Le mouvement communal s’exprime à travers de grandes constructions civiles, qui sont à la fois une nécessité pour les nouveaux pouvoirs et un instrument de vie
démocratique. La grandeur et la beauté des monuments doit exprimer la puissance économique et politique de la Commune, mais aussi maintenir au moins les
apparences de démocratie par leur ouverture à toutes les classes de la population. Les commanditaires sont la Commune elle-même, à travers les Arts Majeurs.
Florence devient une ville-chantier, dont le maître d’œuvre est un personnage important (Arnolfo di Cambio, puis Giotto).
La foi populaire, encadrée et stimulée par les ordres religieux, s’exprime dans de grandes constructions religieuses, financées par les dons des riches familles
marchandes.
Monuments civils
a) Le Palais du Podestat, puis siège du Bargello.
Au XIIIe s., il fut le siège du « Podestat », capitaine du Peuple, défenseur des libertés florentines ; son emblème est le
« marzocco », le lion, symbole du gouvernement populaire. Plus tard il devient le siège du « Bargello » (du latin médiéval «
barigildum » = homme libre chargé de maintenir l’ordre, peut-être d’un mot lombard), préfet de police, capitaine de Justice, élu
souvent parmi des personnalités politiques ou militaires étrangères pour qu’il ne soit pas l’instrument de l’une des factions.
Construit à partir de 1255, achevé en 1346, le palais est le symbole de la victoire de la bourgeoisie en 1250 (Ordonnances dites «
del primo Popolo »). C’est à ce moment que la Commune limite la hauteur des tours des palais aristocratiques et démolit les palais
des familles gibelines. Encore marqué par les risques de la guerre civile : fortifié à l’extérieur, avec une tour (57 m.) mais beau à
l’intérieur (MUSÉE NATIONAL).
b) Palazzo della Signoria (Palazzo Vecchio), siège des Prieurs et d’autres magistrats de la
Commune, le palais Cerchi où ils siégèrent d’abord étant devenu trop petit. Construit de 1299 à
1314 (Arnolfo di Cambio), il marque la conquête définitive du pouvoir par la bourgeoisie en
1293. Comme le Bargello, il a encore comme modèle les châteaux fortifiés de l’ancienne
noblesse, plus précisément le château des comtes de Poppi, un des plus grands feudataires
de la Toscane. Il est fortifié en 1342 par le Duc d’Athènes, puis modifié par les Médicis
jusqu’en 1598.
c) Le « logge » citadines : au XIIIe s., les « magnati » s’enferment dans leurs maisons-tours ; au début du XIVe s., les
Conseils se réunissent dans les couvents puis dans les deux grands palais communaux. Vers le milieu du XIVe s., les
citoyens sortent de cet enfermement rendu nécessaire par les exigences de sécurité, et
ouvrent leurs palais sur l’extérieur.
La Loggia dei Priori servit de modèle. Elle est construite entre 1376 et 1382 (Benci di Cione
et Simone Talenti) dans un but démocratique, permettre à la Signoria de haranguer le peuple
réuni sur la place ; elle fut ensuite un lieu de réceptions, et fut appelée « Loggia dei Lanzi » à
partir de 1531 lorsque Alessandro de’ Medici revint d’exil accompagné par une troupe de
lansquenets qui campèrent sous la loggia. En haut, sur fond d’émail bleu, représentation des
Vertus : de dr. à g. la Force, la Tempérance, la Justice et la Prudence ; sur le côté,
l’Espérance, la Charité, la Foi. Depuis la chute de la République, elle abrite un petit musée de
sculpture : l’Enlèvement des Sabines (Giambologna, 1583), Persée (Benvenuto Cellini, 1553),
Hercule en lutte avec le centaure Nessus (Giambologna, 1599), Ajax soutient le cadavre de Patrocle (copie de grec IVe s. av. J.C.),
Enlèvement de Polyxène (Pio Fedi, 1866), 6 statues de femmes romaines.
La mode se répandit : à côté de chaque palais se dressa une « loggia » : celle des Cerchi, des Peruzzi, des Adimari
(représentée sur un « cassone », coffre de noces) … Chaque quartier a aussi sa loggia ornée des gonfalons et des emblèmes du quartier, pour les inscrits à la
milice.
Le palais du Bigallo, place San Giovanni, était le siège de l’Archiconfrérie de la Miséricorde qui pourvoyait à l’assistance gratuite aux malades et aux blessés et à
leur transport à l’hôpital ; elle est le modèle des institutions semblables dans le monde. La loggia del Bigallo (1352-8) était le lieu où l’on déposait les enfants
égarés ou abandonnés, qui étaient ensuite accueillis par l’institution.
Monuments religieux
a) Orsanmichele.
Ce fut d’abord l’ oratoire de Saint Michel construit sur un jardin (« or » = orto = jardin) au VIIIe s, .qui devient un lieu de dévotion mystique pour les compagnies de
« laudesi » (les chanteurs de « laudes ») et les communautés de « fraticelli » franciscains ; en 1243, Arnolfo di Cambio y édifie la Loggia del Grano, siège des
magasins et de la vente du blé. Elle brûle en 1304, et en 1337, on y construit, sous la direction de l’Arte della Seta, une loggia-marché plus grande dont la
surélévation contient les réserves de blé pour les cas d’urgence jusqu’en 1569. C’est du haut de Orsanmichele que la Commune faisait surveiller la maturation du
blé dans les campagnes et donnait l’ordre de moissonner.
La Loggia est consacrée à la Vierge et à Sainte Anne, et confiée aux soins des Arti qui font construire, sur les pilastres extérieurs, des tabernacles portant les
statues des saints protecteurs et les emblèmes des corporations. Les arcades sont fermées en 1387 : on avait installé à l’intérieur le tabernacle d’Orcagna, créé
en 1349 après la Grande peste de 1348.
Ainsi, Orsanmichele réunit les symboles de la vie religieuse, de la vie politique et de la vie de travail.
b) La cathédrale, le « Duomo ».
La construction est décidée en 1294, après les « Ordonnances de Justice » : on ne restaurera pas l’ancienne cathédrale, Santa Reparata, mais on en édifiera
une nouvelle, plus grande « en l’honneur et louange de Dieu et de la Bienheureuse Vierge Marie, et en l’honneur de la Commune et du Peuple de Florence, et
pour embellir la ville ». On l’appellera Santa Maria del Fiore, associant pour la première fois depuis l’Antiquité romaine (Temple à Vénus et à Rome construit par
Hadrien) la divinité(Vierge) et la ville (Fiore) dans un même culte. Florence veut avoir la plus grande cathédrale, signe de puissance économique de la ville et du
pouvoir de la bourgeoisie. La direction des travaux est confiée à Arnolfo, puis à l’Art de la Soie, puis à l’Art de la Laine qui administre les fonds (impôts et taxes sur
les successions).
c) La décoration du Baptistère
Construit au IVe s. sur un ancien lieu de culte au dieu Mars, et consacré à S. Jean-Baptiste, il est restauré en 1200 par les corporations des « Baldrigari » et des
« Linaioli », édifice octogonal à deux étages, revêtu de marbre blanc et vert sombre, et surmonté d’une coupole. Entre 1330 et 1336, Andrea Pisano décore la
porte Sud de 20 reliefs (Histoires de S. Jean) et de 8 autres rappelant les 3 Vertus théologales (Foi, Espérance et Charité), les 4 Vertus cardinales (Force,
Tempérance, Justice, Prudence) et la Vertu d’Humilité. La direction des travaux est confiée à l’Arte di Calimala. (Voir en annexe)
d) Le clocher, Campanile. (Cf. fiche en annexe)
Commencé sous la direction de Giotto en 1334, continué par Arnolfo jusqu’en 1348 et achevé entre 1348 et 1359 par Francesco Talenti qui le porte
à une hauteur de 81,75 m. Travaux sous la direction de l’Arte dells Lana, dont l’emblème figure dans la montée d’escalier de 414 marches. Il frappe
par la légèreté de ses murs (15 m. de côté et moins de 50 cm d’épaisseur au sommet) accrue par le jeu des fenêtres géminées et trilobées et par
son revêtement de marbre blanc de Carrare, vert de Prato et rose de la Maremme toscane.
Il est remarquable surtout par sa décoration sculptée d’Andrea Pisano (quelques dessins de Giotto) et d’Alberto Arnoldi. C’est une œuvre populaire,
comprise alors par tous, selon le schéma des Encyclopédies du XIVe s. telles qu’elles étaient répandues par les poèmes didactiques diffusés en
Toscane. Sur le thème général du Salut des hommes, sont représentées à la fois les anciennes catégories scolastiques (la mystique du nombre 7)
mêlées aux activités de la vie quotidienne, aux classiques 7 Arts libéraux, et aux activités productives, rurales et urbaines (arts mécaniques, peu
représentés jusqu’alors, industrie de la laine, tissage, etc. avec leurs inventeurs). S’y ajoutent les Arts figuratifs, ce qui est nouveau, par exemple la
sculpture, représentée par un nu ( et non plus par un saint) ; ; les planètes remplacent les traditionnels signes du zodiaque, selon la leçon de S.
Thomas d’Aquin reprise par Dante dans la Divine Comédie.
La décoration du Campanile est donc une exceptionnelle synthèse entre l’ancienne théologie et la nouvelle société fondée sur le travail urbain,
l’activité industrielle et scientifique (le travail, imposé à Adam et Eve est ce qui limite les effets du péché originel ; c’est à travers lui que se réalise
l’histoire du Salut) et magnifiée par les Arts figuratifs, sous la conduite des Planètes autour des quelles s’organise le Cosmos créé par Dieu.
e) Santa Croce. (Cf. fiche en annexe)
Commencée en 1294 pour les Franciscains sur dessin d’Arnolfo di Cambio, à la place d’une petite église franciscaine de 1228. Les fonds
proviennent des dons de grandes familles de banquiers qui se font ainsi pardonner leur péché d’usure (Bardi, Peruzzi, Alberti, Baroncelli …). La
façade est de 1853-1863, le clocher n’est construit qu’en 1847 (il était à l’origine interdit par l’Ordre, parce que considéré comme symbole de
puissance)
La construction rencontra l’opposition des Franciscains « Spirituels » (Ubertino da Casale) et des Augustiniens (Fra Simone Fidati) qui voyaient
dans le luxe de Santa Croce un signe de l’Antéchrist et dans l’inondation de 1333 un châtiment de cet excès de faste contraire à l’idéal de pauvreté
qui réglementait strictement les constructions (ordonnances du Chapitre Général de Narbonne en 1260).
f) Santa Maria Novella. (Cf. fiche en annexe)
Est commencée en 1246 pour les Dominicains (S. Dominique est mort en 1221), achevée en 1360. L’intérieur est commandé par le schéma
cistercien (L. = 100 m. ; l. = 28 m. ; H. = 62 m.). L’illusion de profondeur est accrue par la diminution de l’intervalle entre les piliers (de 15 m. à 11,50
m.) à mesure que l’on avance de la façade vers l’abside.
Le style de ces églises a plusieurs éléments communs :
* C’est un style de gothique tardif particulier, marqué par l’horizontalité plus que par la verticalité ; il est plus rationnel que mystique, plus clair que le
gothique français ou allemand : « Il manque décidément à Florence cette spiritualité dynamique, ce verticalisme qui tend vers le ciel, si typiques de pays
également bourgeois, mais d’une bourgeoisie moins développée, et moins ‘grande bourgeoise’ » (Frédéric Antal, p. 185). Beaucoup d’éléments sont repris de
l’Antiquité plus que du gothique.
* une importance première est donnée à la prédication au peuple : chaque fidèle devait être en mesure de voir et d’entendre le prédicateur et le célébrant. Il
y a donc une salle unique, l’intervalle entre les piliers est important. L’espace de l’église prend un caractère plus « démocratique ». le soin accordé à la décoration
des chaires confirme l’importance des prédicateurs populaires dans les villes toscanes.
* En conséquence, le chœur est une longue paroi (à Santa Croce en T, croix égyptienne) interrompue par un grand nombre de chapelles privées. Le
maître-autel n’est donc plus isolé mais entouré de nombreux autres autels, ce qui permettait d’augmenter le nombre de messes simultanées. Les riches familles
étaient propriétaires des chapelles et en faisaient assurer la décoration par les peintres les plus renommés.
* Ces églises expriment donc très bien le compromis socio-politique réalisé entre le pouvoir communal qui contrôle le programme architectural, le pouvoir
de l’Eglise et des Ordres religieux qui conçoivent les grands programmes décoratifs, le pouvoir des grandes familles bourgeoises qui financent la décoration. Les
espaces ainsi conçus et décorés encadrent la masse du peuple sans pouvoir et assurent sa formation spirituelle et son intégration sociale.
2) La peinture
La peinture du XIVe s.
1)
est la plupart du temps destinée à la décoration des églises des ordres mendiants. Elle répond à une exigence démocratique (on peint dans les lieux
où le peuple se rassemble) ; elle exprime parallèlement le prestige personnel des grandes familles bourgeoises ;
2)
privilégie la fresque (la mosaïque disparaît : la dernière est celle de l’abside de San Miniato, de 1297) et la peinture sur bois des tableaux d’autel ;
3)
plus tard, décorera les chapelles privées des églises et commencera à décorer l’intérieur des palais.
La personnalité de Giotto
Giotto (1266-1337) est l’initiateur d’une nouvelle ère de la peinture, qui se développe en convergence avec la montée du pouvoir de la bourgeoisie à Florence.
a) Il travaille pour les milieux les plus modernes de l’Italie de l’époque, d’une part au service des cours
* pour la Commune de Florence (dont il deviendra le maître d’œuvre),
* pour la Curie romaine (à San Pietro, la mosaïque de la Navicella, symbole de l’Eglise triomphante), alliée de la bourgeoisie florentine. Il travaille au
temps de papes comme Boniface VIII, fauteur d’une politique dominatrice de la papauté et d’un art au service de cette politique, et de Jean XXII, auteur de la
bulle contre la pauvreté du Christ.
* pour le roi de Naples, allié et de Florence et de la Curie. A Naples Giotto était un « familiaris » du roi et logé au palais royal.
* pour les Franciscains « conventuels », installés dans de grands couvents, en contradiction avec l’idéal franciscain des origines (Vies du Christ et de
François à’Assise, quartier général de l’Ordre)
d’autre part pour les grandes familles riches dont il décore les chapelles privées
* Les Scrovegni à Padoue : le père était un usurier assez célèbre pour que Dante le mette parmi les damnée dans l’Enfer ;
* Les Bardi et les Peruzzi à Santa Croce : ce sont les banquiers du roi d’Angleterre et du roi de Naples.
b) C’est un artiste riche, un des seuls de l’époque : outre son atelier de peintre, très important du fait de sa position d’architecte de la ville, il possédait
des métiers à tisser qu’il louait aux tisseurs pauvres, pour un profit annuel de 120 % ; il prêtait de petites sommes d’argent, et si le débiteur ne remboursait pas à
temps, il s’appropriait ses terres ou son atelier. En 1314, Giotto emploie 6 hommes de loi pour faire payer ses débiteurs.
c) Dans les débats religieux de l’époque, il se prononce contre la pauvreté, dont il dit qu’elle est la cause des maux, qu’elle conduit au péché et à
l’hypocrisie. Un de ses sonnets commence par « Nombreux sont ceux qui louent la pauvreté … », ils ont tort. Il se prononce donc contre les « Spirituels »
attachés à l’idéal de pauvreté de François d’Assise, en faveur des thèses pontificales condamnant l’idée que le Christ et les apôtres ne possédèrent aucun bien, et
des Franciscains « conventuels » alliés des « Magnati » ; il partage l’idéologie de la grande bourgeoisie florentine dont il sera le peintre. Ses protecteurs à
Rome étaient les cardinaux Stefaneschi et Orsini, adversaires des « Spirituels ». Les scènes de la Vie de S. François dans la chapelle Bardi de Santa Croce
(1320) sont inspirées par la vie du saint rationalisée et officialisée par Saint Bonaventure. À la chapelle Bardi, il peint les saints choisis par les Bardi, ceux de
souche royale à l’exception de sainte Claire : S. Louis roi de France, S. Louis de Toulouse, petit-neveu de Louis IX et fils de Charles d’Anjou, à peine canonisé
(1317), S. Elisabeth de Hongrie, fille du roi André II de Hongrie, patronne du Tiers ordre franciscain.
d) Il se forme à l’école des peintres romains : Pietro Cavallini (1240-1302) et Cimabue (1272-1302) qui furent ses maîtres à une période où la bourgeoisie
florentine est en pleine affirmation mais n’est pas encore installée au pouvoir ; elle manifeste encore un dynamisme conquérant, une impétuosité, une inquiétude
aussi, que ces deux peintres traduiront dans un style passionné, un mouvement dramatique intense (cf. les représentations du Christ crucifié, ou d’un S. François
ascétique, priant dans la nature, proche du peuple des pauvres, peu conforme aux idéaux montants). Giotto appartient à la période suivante où la grande
bourgeoisie a triomphé et conquis le pouvoir. Son style est moins tourmenté, plus rationaliste, il situe le plus souvent ses personnages dans le cadre de la ville, il
insiste plus sur les scènes officielles de la vie de François (l’approbation de la Règle par le pape) que sur les miracles et les guérisons plus mystiques et
conformes à la foi populaire. Il introduit le décor monumental d’inspiration antique ; il traite le corps humain en figures solides, inspirées de la statuaire, avec un
naturalisme prononcé ; il intègre dans ses fresques des éléments classiques d’architecture romaine antique. On disait de Giotto que son art émerveillait les
connaisseurs mais laissait froids les ignorants. L’art des Siennois connaîtra pour cette raison une diffusion internationale plus importante, en particulier à Avignon ;
son caractère plus populaire influença aussi des successeurs de Giotto comme Maso di Banco, Bernardo Daddi.
Le contraste est en effet évident avec DUCCIO, plus lié à la moyenne bourgeoisie siennoise, plus lyrique, émotif, contemplatif, qui reste aussi plus proche d’un
style décoratif gothique et byzantin. On peut aussi opposer Giotto à des peintres contemporains comme le MAITRE DE LA SAINTE CECILE (fin XIIIe- début XIVe
s. Réalisme des détails) et PACINO DI BUONAGUIDA (actif entre 1303 et 1320. Schématisation des personnages), dont les ateliers travaillent pour des milieux
plus modestes, qui sont moins liés aux Franciscains officiels et plus sensibles aux thèses des « Spirituels ». Pacino travailla d’ailleurs aussi pour les Dominicains,
dont le public est plus populaire.
Il reste que le génie de Giotto fait de lui le pivot d’une nouvelle orientation de la peinture italienne. Sa clarté, sa précision, sa mesure influenceront toute la peinture
du XIVe s. Il est certes réctionnaire, peintre de la grande bourgeoisie, mais il a un grand génie pictural.
Les successeurs de Giotto
Parmi les peintres qui travaillèrent comme Giotto pour la grande bourgeoisie, citons TADDEO GADDI, qui décore la chapelle Baroncelli de Santa Croce (1332-38,
Vie de la Vierge) et le Réfectoire de Santa Croce (Allégorie de la Croix, illustration de la doctrine de la Rédemption, avant 1366) et peint les panneaux décoratifs
des armoires de la Sacristie (Histoires du Christ et de S. François).
BERNARDO DADDI (Chapelle des Pulci à Santa Croce, 1330, Martyr de S. Laurent et S. Etienne ; Tableau d’autel du Tabernacle d’Orcagna à Orsanmichele,
1347) a une sensibilité plus délicate (couleurs), moins aristocratique et moins austère que Giotto (cf. aussi tableau du maître-autel de Santa Maria Novella :
Couronnement de la Vierge, auj. à l’Académie).
MASO DI BANCO décore la chapelle des Bardi di Vernio, (1336-1341, Histoires de S. Silvestre et de l’empereur Constantin, Jugement dernier : Constantin est
celui qui officialise le christianisme sous l’impulsion de S. Silvestre).
Les frères NARDO DI CIONE (actif entre 1343 et 1365, Jugement dernier, Enfer et Paradis) et ANDREA ORCAGNA (1308-1368, Polyptyque avec le Christ, S.
Pierre et S. Thomas d’Aquin) décorent la chapelle des Strozzi à Santa Maria Novella. L’inspirateur fut sans doute Don Piero Strozzi (l’oncle du donateur Tommaso
Strozzi), dominicain, professeur de théologie et prieur de Santa Maria Novella, auteur des premières prédications contre la spéculation sur les prêts d’Etat qui
avaient perdu de la valeur(1353). Son inspiration est à la fois ecclésiastique et plus populaire ; Nardo di Cione fut aussi conseillé par le prédicateur
populaire,Jacopo Passavanti. (Cf. fiches Santa Maria Novella).
GIOVANNI DA MILANO peint les Histoires de la Vierge et de S Madeleine pour les Franciscains de Santa Croce (chapelle Rinuccini, 1365).
Par contre les grandes fresques d’ANDREA DA FIRENZE (1333-1392) commandées par les Dominicains pour Santa Maria Novella en 1365, reflètent déjà le
temps où s’affaiblit l’influence de la grande bourgeoisie d’affaires et où monte à Florence la petite et moyenne bourgeoisie (CF. fiches Santa maria Novella).
On peut suivre la même évolution stylistique dans la sculpture : sous la direction de l’Arte della Lana, ANDREA PISANO (1290-1348), contemporain et disciple de
Giotto, sculpte la porte Sud du Baptistère (Histoires de S. Jean-Baptiste, 1330-1336) et les bas-reliefs du Campanile. FRANCESCO TALENTI réalise en 1357 un
projet de façade du Dôme (aujourd’hui au Musée de l’Oeuvre du Dôme), ORCAGNA dresse à Orsanmichele le grand tabernacle de la Vierge de 1352 à 1359, sur
commande de la Corporation des Banquiers..
V. – VERS LA FIN DE LA COMMUNE ET VERS LE PRINCIPAT
1) Affaiblissement de l’ancienne bourgeoisie et montée d’une nouvelle classe dominante
Les faillites dues à la mauvaise conjoncture internationale affaiblissent l’ancienne grande bourgeoisie d’affaires ; la crise est accrue par la grande peste de 1348 («
la grande morìa ») qui réduit la population de Florence à 30.000 habitants. La peste est apportée par des pèlerins et alimentée par les guerres, les famines
conséquentes et les conditions hygiéniques désastreuses de la ville (manque d’égouts, saleté des rues, etc.). Les plus riches fuient dans leur villa à la campagne
(Lire l’Introduction du Décaméron de Boccace, qui raconte la peste de 1348 et le départ des jeunes gens) ; en ville, on réorganise les hôpitaux (en 1340, il y a à
Florence 30 hôpitaux et une capacité de 1000 lits) gérés par les ordres religieux et financés par des particuliers (par exemple les Portinari, la famille de la Béatrice
de Dante). Le culte de S. Roch se développe. Pour éviter la contagion, les gens désertent les églises, on construit donc au croisement des rues de petits autels et
tabernacles (cf. : angle via Ricasoli / via de’ Pucci : Tabernacle des 5 lampes ; angle via Borgo Pinti / via Alfani : Tabernacle de la Compagnie de l’Assunta ; angle
Borgo la Croce / via dei Macci : Tabernacle de S. Ambroise ; à l’angle du Palais de l’Art de la Laine, Tabernacle de Santa Maria della Tromba, etc.).
La peste de 1348 sert de prétexte à un nouveau mouvement réactionnaire de la « Parte guelfa » : la bourgeoisie tente de réduire le nombre des Corporations de
21 à 14 en excluant les « Arti minori ». Or le duc d’Athènes et les Bardi avaient fait appel au petit peuple et au prolétariat pour se maintenir au pouvoir. Le
mécontentement est donc grand de ces petits artisans et des ouvriers salariés, surtout du textile, les « ciompi » (étymologie du mot incertaine), qui sont encadrés
par les Arti dont ils jurent de respecter les règlements, mais qui ne sont pas représentés dans les conseils. Plusieurs tentatives de reconstituer les Arti supprimées
et plusieurs grèves (les Teinturiers en 1368) sont réprimées durement ; elles étaient appuyées par les Fraticelli franciscains et par quelques citoyens nobles et
riches, dont Salvestro de’ Medici, hostile à l’attitude réactionnaire du Parti Guelfe et favorable aux droits d’association réclamé par le peuple.
En mai 1378, Salvestro de’Medici est élu Gonfalonier de Justice, malgré l’hostilité des Capitaines du Parti Guelfe. Il propose une loi contre les « Magnati », qui est
repoussée par les Conseils. Les « Ciompi » se révoltent, Salvestro démissionne pour ne pas avoir à réprimer la révolte et il est acclamé par le « Popolo minuto ».
Le 19 juillet, la répression provoque un nouveau mouvement guidé par le cardeur Michele di Lando. C’est la victoire du petit peuple qui impose la création de trois
nouvelles corporations, les « Tintori » (Teinturiers), les « Farsettai » (Fabricants de pourpoints) et les « Ciompi » (qui rassemblent tous les ouvriers non qualifiés).
Les Arts Mineurs se regroupent en une « Consorteria » qui obtient une part importante dans les Conseils. Le mouvement se maintient au pouvoir pensant 4 ans.
Puis Michele di Lando est acheté par les « Magnati », nommé Capitaine du Peuple à Volterra en 1381 ; le « Popolo grasso » engage des troupes de mercenaires
qui remportent la victoire en 1382. Les privilèges des « Arti Maggiori » sont rétablis, le Gonfalonier ne peut être choisi que parmi ces corporations ; les
Ordonnances de Justice sont abolies. On modifie le système électoral : on procédait par « imborsazione », c’est-à-dire on mettait dans une bourse les noms des
personnes éligibles et on tirait au sort (la « tratta ») ; après l’abolition, on exclut du tirage au sort les noms des Arti Minori au profit de ceux des « Magnati ». À la «
tratta » du 1er mars 1382, ne sortent que des noms hostiles au petit peuple, à l’exception de 2 artisans : on avait empli la bourse de noms nobles, y compris des
nouveau-nés, malgré l’opposition de Donato Acciaiuoli et de Alamanno de’Medici (fils de Salvestro) qui sont alors bannis de la ville.
C’est le triomphe d’une nouvelle oligarchie ; le pouvoir est partagé entre un petit nombre de « Magnati », Maso degli Albizzi, Gino Capponi, Niccolò da Uzzano. Ce
petit groupe accapare les postes de prieurs et fait exiler les familles économiquement les plus puissantes qui menacent leur pouvoir, d’abord les Alberti, puis les
Ricci, les Strozzi, les Medici ; la succession des chefs de famille devient héréditaire, Florence marche lentement vers un système de pouvoir personnel.
Cette oligarchie se maintient au pouvoir grâce à une politique étrangère dynamique : conquête de nouveaux marchés (Espagne, Portugal, Normandie) et
conquêtes territoriales. Pise est conquise en 1406, ce qui donne à Florence l’accès à la mer et la met à la tête d’une flotte de galères qui lui permet d’ouvrir des
filiales non seulement en Méditerranée mais dans l’Atlantique (Lisbonne, Rouen …). Florence se rebelle même à l’autorité du pape alors réfugié à Avignon : déjà
en 1376, à l’occasion d’un refus du cardinal Noellet de fournir du blé à Florence, la ville était entrée en conflit avec le pouvoir pontifical qui lance un interdit et
envoie contre elle des troupes commandées par le condottiere anglais John Hawkwood. Florence élit un Conseil d’urgence de 8 membres, qu’on appelle par
dérision envers le pape les « Otto Santi » (les 8 saints) ; ils achètent le condottiere et sa « condotta » (« Compagnia di ventura », compagnie de mercenaires),
constituent une ligue des villes toscanes contre Grégoire XI, confisquent les biens de l’Eglise florentine, et obtiennent la victoire. John Hawkwood est célébré
comme un héros national sous le nom de Giovanni Acuto et Paolo Uccello sera chargé de lui consacrer une fresque dans le Dôme en 1436. Le conflit sera résolu
à la paix de Tivoli, après l’intervention de S. Catherine de Sienne, ambassadrice du pape à Florence, en 1377.
Florence achète le bon port de Livourne en 1421 pour 100.000 florins d’or ; le commerce de la soie se développe aux dépens de celui de la laine, brocards, filés
d’or et d’argent ; le luxe des vêtements augmente, on utilise des couleurs végétales plus riches et plus voyantes : rouge violacé, cramoisi, écarlate, jaune réséda,
safran, indigo, violet foncé. L’Art de la Soie choisit comme protecteur S. Jean l’Evangéliste, le plus jeune des évangélistes comme l’Art de la Soie est la plus jeune
des corporations.
1)
L’élaboration de l’humanisme
« C’est dans ces années 1375-1430 où une oligarchie d’affaires gouverne Florence avec le concours des élèves des génies intellectuels du XIVe siècle, que celle-
ci devient le foyer où se forge l’humanisme et prend pleinement conscience de sa supériorité intellectuelle, artistique et morale comme de sa puissance
économique et politique » (Yves Renouard). Plusieurs éléments contribuent à la création de ce foyer d’humanisme :
a) L’héritage antique et l’humanisme « civile » : De grands humanistes comme Coluccio Salutati (1375-1406 élève de Pétrarque, et Leonardo Bruni (1415-1444)
s’inspirent de la pensée de Cicéron pour développer l’idée que Florence est l’héritière de la République romaine, une cité que les citoyens gèrent activement au
nom de la Vertu et où la vie politique est animée par les grands intellectuels et philosophes selon l’idée platonicienne de la République. Ces humanistes
poursuivent aussi une grande tradition littéraire florentine, celle de la triade Dante, Boccace et Pétrarque, celle du Dolce Stil Novo, celle aussi de la musique de
l’Ars Nova florentine du XIVe s. L’arrivée à Florence des intellectuels grecs chassés par l’invasion turque renforcera ce mouvement (Emanuele Crisolora, 1350-
1415, enseigne le grec à Florence de 1397 à 1400). Il y a donc une double continuité :
* entre les origines romaines de la ville et la réalité actuelle ; par rapport à une Rome décadente, Florence est la
véritable héritière de la Ville éternelle, et l’on parle de « Renaissance ». C’est par ailleurs un humanisme « civile »,
démocratique et civique, il n’y a pas de rupture de continuité entre la culture et la politique, la seconde est au service de la
première et sert à la réaliser.
* entre cette Florence « renaissante » et la ville de l’époque précédente : le nouveau mode de pensée n’est qu’une
maturation artistique et culturelle de ce que les intellectuels du XIVe s. avaient déjà préparé par leurs œuvres littéraires
b) La bourgeoisie florentine est porteuse d’une mentalité nouvelle. Ce sont des industriels, des marchands, des banquiers, la
banque l’emportant d’ailleurs de plus en plus sur la production industrielle, et leur travail les porte à la rigueur scientifique et à
l’élaboration d’une science nouvelle, une science des chiffres, une nouvelle rationalité ; ils ont besoin de contrôler le
mouvement de la réalité, de le quantifier, de le mesurer. Les mathématiques ont un rôle central ; le mathématicien (mais aussi
astronome, astrologue, médecin, géographe, inspirateur de l’entreprise de Christophe Colomb) Paolo dal Pozzo Toscanelli
(1397-1482) enseigne à Florence. Brunelleschi fonde sur ses calculs l’élaboration d’une coupole révolutionnaire ; la
géométrie, la physique, en particulier l’optique, connaissent une diffusion en rapport avec leur intérêt pratique. Sur cette base,
s’élabore une esthétique scientifique nouvelle, dont la perspective géométrique est l’une des expressions. Mais la tradition
médiévale avait déjà imposé la pratique de la « divine proportion », le nombre d’or, qui permettait de maîtriser par la géométrie et le dessin des nombres
irrationnels (racine carrée de 2 ou de 5) et de réorganiser le réel selon ces nombres. Là encore, la tradition philosophique médiévale se conjugue avec la pratique
sociale pour laquelle la science et la technique permettent de connaître la nature et de la transformer. D’où l’importance de la représentation des métiers dans la
sculpture (Cf. fiche/ Campanile)
c) Une nouvelle conception de l’homme s’affirme dans cette pensée inséparablement classique, scientifique, politique et artistique : sommet de l’univers, dont il est
comme le microcosme, l’être humain est en mesure de se déterminer par lui-même, de dominer et de modifier la nature et ce que l’on n’appelle plus la «
Providence » mais la « Fortuna » (l’objectivité de la réalité). La dignité humaine réside dans la valorisation et la réalisation de ces capacités naturelles, à la fois
spirituelles et physiques : l’homme est un tout, créature divine certes, mais autonome, vouée au bonheur terrestre, capable de trouver une harmonie entre le corps
et l’esprit, l’homme et la nature, l’homme et Dieu aussi, le passé et le présent. Autant dire que l’idée de « péché » disparaît de l’horizon mental de la Renaissance,
ce péché qui avait précisément brisé l’harmonie originelle. Cet idéal se réalise dans la recherche de la Beauté, indissociablement esthétique (dans les arts
figuratifs), pratique (dans l’architecture qui dessine les espaces de vie quotidienne, dans la création de jardins « paradisiaques », dans le vêtement, etc.) et
physique : beauté du corps masculin et féminin dans sa totalité, d’où la représentation permanente du nu.
Ainsi, l’art, la vie sociale et professionnelle, la politique qui permet de réaliser l’idéal de beauté, cela fait un tout ; en conséquence, l’artiste sera aussi bien poète
que sculpteur, et architecte, et mathématicien, et philosophe et conseiller politique du Prince, comme le furent les grands intellectuels de cette époque
exceptionnelle. Ajoutons que c’est une pensée profondément laïque : bien sûr, Dieu y est présent, mais il a créé l’homme libre et beau, il cesse de peser sur ses
déterminations par le biais d’une institution ecclésiale toute puissante.
d) Cette vision du monde et de l’homme s’impose si fortement qu’elle nous apparaît encore aujourd’hui comme une vision « naturelle », conforme à la réalité
objective. L’innovation technique de la perspective centrale n’était en fait qu’une façon parmi d’autres de représenter l’espace à partir de règles mathématiques
choisies subjectivement : c’est un œil unique qui regarde le miroir dans la boîte optique de Brunelleschi, et le miroir est placé à une distance arbitraire de l’œil
correspondant à la longueur du bras. Cette convention était en consonance avec la mentalité des marchands habitués par leur métier à évaluer d’un coup d’œil les
volumes et les distances, mais elle s’est enracinée dans nos habitudes de perception à tel point que nous avons de la peine à apprécier un art « moderne »
reposant sur d’autres bases mathématiques, par exemple sur la vision d’un espace non plus linéaire mais courbe…
e) Les trois artistes qui représentent le mieux ce tournant dans l’histoire de l’art et de la pensée sont : * pour l’architecture, Filippo Brunelleschi (1377-1446),
constructeur des églises de San Lorenzo, Santo Spirito, de la Chapelle des Pazzi, du Portique de l’Ospedale degli Innocenti, du palais Pitti et surtout de la coupole
de Santa Maria del Fiore (1420)
* pour la sculpture, Donatello (1386-1466)
* pour la peinture, Masaccio (1401-1428) : décoration de la chapelle Brancacci à l’Eglise du Carmine, sur commande de Felice Brancacci, riche
marchand de soie, gendre de Palla Strozzi (1424) ; Trinità de Santa Maria Novella (1426-28).
2)
L’arrivée au pouvoir des Médicis.
Les guerres coûtent cher et suscitent un mécontentement dans le peuple et dans la moyenne bourgeoisie ; de plus la guerre de conquête de Lucques aboutit en
1433 à un échec, Lucques reste et restera indépendante de Florence. Par ailleurs, la lutte est rude à l’intérieur de cette petite oligarchie : Rinaldo degli Albizzi, fils
de Maso, au pouvoir depuis 1417, sent son autorité contestée, et craint en particulier la popularité de Giovanni de’Medici (Giovanni di Bicci), dont la famille était
d’autant plus appréciée que Salvestro avait soutenu la révolte des « Ciompi » en 1378. C’est Cosmo de’Medici, fils de Giovanni, qui a négocié la paix avec
Lucques. Rinaldo le fait traduire devant une commission spéciale comme responsable de la guerre contre Lucques ; il est déclaré « Magnate », c’est-à-dire exclus
des offices publics, et banni de Florence pour 10 ans, le 3 octobre 1433. Côme est accueilli à Padoue et Venise avec des honneurs princiers ; sa famille est si
riche que son départ crée une crise économique à Florence. Le 29 septembre 1434, la commission spéciale révoque sa sentence de 1433, et le 6 octobre 1434,
anniversaire de son départ, Côme rentre à Florence, accueilli par les acclamations populaires. Il sera élu gonfalonier en janvier 1435, fera aussitôt bannir ses
principaux adversaires ou rivaux, dont les Albizzi et Palla Strozzi, installe les clients de ses entreprises dans l’administration de la ville, et accable d’impôts les
familles les plus puissantes de la ville : la riche famille des Brancacci est réduite à la misère. C’est le début d’une période de plus de trois siècles où Florence sera
gouvernée par une seule famille, à l’exception de brèves parenthèses républicaines. Mais Côme n’oublie pas que Florence a une tradition de liberté, et il conserve
l’apparence du gouvernement républicain, se contentant d’être le premier parmi les citoyens plutôt que d’être chargé de responsabilités officielles (il n’est
gonfalonier que 6 mois en 30 ans) ; il règne par sa puissance financière et par le réseau de ses amis florentins (les Pitti, Soderini, Rucellai, Alberti, Tornabuoni,
Sassetti) et étrangers. Pendant tout le XVe s., les Médicis seront les arbitres de l’Italie, « l’aiguille de la balance » des Etats italiens, comme on le dira de Laurent.
Les Médicis ont les « boules » …
Le blason des Médicis apparaît alors partout dans la ville : des « bisanti » (besant = figure héraldique circulaire semblable à une
monnaie non imprimée), autrement dit des « palle », boules rouges sur fond or. Elles rappellent d’abord l’origine légendaire de la
famille qui la rattachait à Charlemagne, le refondateur de Florence : un certain Averardo, commandant de l’armée de Charlemagne
aurait chassé les Longobards de Toscane et combattu dans le Mugello, région d’origine de la famille (mais une thèse récente la
fait provenir de la région de Naples…), pour chasser un terrible géant ; celui-ci aurait frappé l’écu d’Averardo avec les boules de sa
masse d’armes, en y laissant leur trace. Mais le choix des « palle » est sans doute plus récent : les Médicis avaient fait fortune au
XIVe s. comme banquiers dans l’Arte del Cambio, dont faisaient partie Francesco et Giovanni, fils d’Averardo Bicci. Or le blason de
la corporation était un champ vermeil semé de besants d’or, et l’inversion des couleurs signifia probablement ici la
complémentarité plus que l’hostilité.
Le nombre des boules a varié de 3 à 10, et tend à se stabiliser à 6 ; celle du haut devient bleue et ornée d’un lys angevin, par
licence du roi de France Louis XI en 1465. Plus que le nombre importe le symbole de la boule : c’est d’abord une sphère, donc une
forme géométrique parfaite propre à intéresser les humanistes et les savants ; elle est aussi le globe terrestre, symbole de pouvoir
et d’éternité, que l’on place au sommet des coupoles et des clochers ou dans la main du Christ en majesté. La boule est enfin
mobile, elle roule, elle était utilisée pour représenter la « Fortuna », avec les risques inhérents que cela comportait, bien en
harmonie avec l’activité de marchands et banquiers qu’exerçait la famille. Les boules
deviennent le mot d’ordre politique des Médicis : le cri de leurs partisans était « Palle,
palle », sans oublier le double sens populaire d’un mot chargé de virilité.
Chaque membre de la famille avait aussi son « impresa », sa devise avec son « motto » (le mot), que l’on retrouve dans
les fresques, tableaux, sur les monuments, les clés de voûte des églises, etc. Côme
l’Ancien avait choisi trois plumes d’autruche, blanche, rouge et verte, rappelant à la fois le
lys de Florence, la Trinité et les trois vertus théologales ou trois des vertus cardinales,
chères à Côme, Prudence, Tempérance et Force. Piero il Gottoso avait pour « impresa »
un faucon tenant dans ses griffes un anneau à pointe de diamant lié au mot « Semper »
(toujours)., emblème de divinité, de grandeur, de victoire, hérité de l’Egypte ancienne,
mais rappelant aussi l’aigle qui était l’emblème du Parti Guelfe.
Laurent le Magnifique, comme son père Piero et son grand-père Côme, avait pour devise
l’anneau, au nombre de un, trois et parfois quatre. On l’interprète souvent comme
allusion au Concile de Florence de 1439-42, qui tente de répondre à la poussée turque en réalisant l’union entre les Eglises latine
et grecque. L’anneau, symbole d’unité et de fidélité, au nombre de trois, serait le symbole de la Trinité (celui du Concile de Nicée)
reconnu au Concile de Florence par les deux Eglises ; forme circulaire, il fait aussi allusion à l’éternité et au continuel
renouvellement du temps.
Cette omniprésence du blason et des devises des Médicis est la marque symbolique de leur pouvoir sur la ville, forme ancienne de
publicité politique.
Quelques œuvres qui évoquent les Médicis
* Benozzo GOZZOLI (1420-1498), héritier du XIVe s ; mais apprend le style nouveau auprès de son maître Fra Angelico. Peint en 1469 le Cortège des rois mages
dans la chapelle du Palais Medici-Riccardi.
* Sandro BOTTICELLI (1445-1510) :
- Portrait d’homme avec médaille de Cosimo il Vecchio 1474
(Offices) ;
- Adoration des Mages, 1475 (Offices) cf. Fiche :
- Le Printemps, 1477-8 (Offices), portrait de Simonetta cf. Fiche ;
- Minerve dompte le centaure, 1482 (Offices) ;
- Vénus et Mars, 1483 (Londres), Giuliano et Simonetta Vespucci ;
- nombreux portraits de Giuliano, Simonetta Vespucci, etc.
* Domenico GHIRLANDAIO (1449-1494) :
- Eglise Santa Trinità, chapelle Sassetti (1483-6), Histoires de S. François d’Assise ;
- Eglise Santa Maria Novella, Chœur, Histoires de Marie (1485-90).
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Boîte de calcul de la perspective mise au point
par Brunelleschi ; dans la main droite, le miroir
; dans la gauche, dessin de l’objet à mettre en
perspective
Armes des Medicis à l’Eglise San Lorenzo
Devise de Piero il Gottoso, lavabo de San Lorenzo
Botticelli, Minerve dompte
le Centaure, Offices, 1482