4.3. L’histoire des villes italiennes : Firenze - 1
FLORENCE : HISTOIRE, ART ET POLITIQUE
I.- LES ORIGINES HISTORIQUES ET LEGENDAIRES
* Vers le Xe-VIIIe s. av. J.C., des populations villanoviennes (vers Bologne) franchissent les Apennins et s’installent au confluent de l’Arno et du Mugnone, à
l’endroit où le fleuve, plus étroit, est plus facile à franchir. Site stratégique : par le fleuve navigable, on atteint la mer, le site de Pise où arriveront les marchands
orientaux (un culte d’Isis s’y installe) ; passage Nord-Sud par voie de terre. Un peu plus tard, les Etrusques s’installent, selon leur habitude, sur la colline, à Fiesole
(Cf. Musée archéologique).
* Les Romains y établissent un « Municipium » qui sera dit « splendidissimum ». Celui-ci, ayant pris parti pour Marius, sera détruit par Sylla. Une colonie
romaine est rétablie par César vers 59 av. J.C., avec son Decumanus Est-Ouest et son Cardo Nord-Sud en direction du pont unique. Le Forum se trouvait à
l’emplacement de l’actuelle Piazza della Repubblica. La ville est appelée FLORENTIA, la « florissante », la ville des fleurs : elle avait été fondée à la saison des
« Ludi florales », les jeux floraux (28 avril-3 mai), pour la déesse Flore. Le nom vient plus probablement d’ « Arva Florentia » (les riches terres labourées) dont la
fertilité était due à la proximité du fleuve. Plus tard Florence sera connue pour ses fleuristes, qui vendaient des fleurs « et d’autres grâces secrètes ». La campagne
conquise autour de la ville est divisée en rectangles (« centuria ») d’un demi-hectare (« centuriation ») dont la trace sera encore visible à la Renaissance. La ville a
10.000 habitants au IIe siècle.
Un unique pont en bois est construit au début du 1
er
s. après J.C. C’est un point de passage important sur la route de la France et de l’Allemagne vers Rome, en
évitant la zone côtière marécageuse et source de malaria. Le pont est élargi par Hadrien en 120, puis reconstruit en briques : il est appelé Ponte Vecchio, à partir du
moment où sont construits le pont Alla Carraia (1220), le pont Alle Grazie(1227), à la suite de l’intervention d’une Vierge miraculeuse, et le pont de Santa Trinità
(1252). Ponte Vecchio est régulièrement détruit par les crues de l’Arno, dont celle de 1333 qui, pour les Franciscains « Spirituels » vient punir les trois vices des
Florentins, l’orgueil, l’avarice et la luxure. La reconstruction de 1345 est à peu près le pont actuel, dont les boutiques sont occupées d’abord par les bouchers (bientôt
interdits parce qu’ils jetaient leurs déchets dans le fleuve) puis par les orfèvres.
Le camp romain avait une enceinte de 1800 m. de long. Parmi les monuments repérables, l’amphithéâtre (ovale de 113m /64m. et 335 m. de circuit) dont on voit
la trace dans la courbe des maisons de Via Torta, Via dei Bentaccordi, Piazza dei Peruzzi (vers Santa Croce) qui suivent encore l’ancien tracé du monument. La Via
delle Terme conserve encore le souvenir des anciens Thermes. Le Prétoire se trouvait sur le lieu du Baptistère San Giovanni
* Mais, comme toute fondation, Florence a besoin de se donner des origines légendaires divines : une ville devenue si grande, « la très belle et très fameuse
fille de Rome » - disait Dante – devait s’inventer des titres de noblesse
° Origines romaines d’abord : Fiesole aurait été fondée par Atalante aidé par Apollon : ce fut la « première ville » (« Fia sola ») reconstruite après le
déluge, et Troie aurait été l’œuvre du fils du constructeur de Fiesole. Quant à Florence, elle aurait été fondée par un certain Florinus, noble citoyen romain qui
lutta contre Fiesole où s’était réfugié Catilina. Celui-ci le tua ; ce fut César qui le vengea, détruisit Fiesole et construisit Florence qui devenait ainsi une copie de
Rome avec son Forum (sous l’actuelle Piazza della Repubblica), son Capitole, son amphithéâtre, ses thermes, etc.
° Mais les légendes les plus importantes sont d’origine religieuse plus que romaine. Le christianisme est introduit très tôt par les marchands syriens
venus de la très dynamique Eglise du Moyen-Orient, et elle eut ses martyrs dont les légendes remontaient de Rome le long de
la Via Cassia. Qui furent les premiers évangélisateurs, S. Barnabé ? S. Martial ? S. Frontin ? Les catacombes du Mons
Florentinus font état d’une Sainte Félicité, martyre romaine de Palestine qui eut son église dès le Ve s.(au bout de Ponte
Vecchio, côté Oltrarno). On invente pour la période suivante un saint Romulus envoyé par S. Pierre (en réalité, il s’agit d’un
évêque plus tardif dont les reliques sont à la Badia de Fiesole).
° Il y eut surtout San Miniato (S. Miniatus, S. Minias), mort martyr sous l’empereur Décius en 250, dont on fait un roi
arménien, mais qui était en réalité florentin du Borgo dei Greci. C’est le type même du saint que l’on ne parvient pas à tuer : il
est livré en vain à un léopard et à un lion qui viennent lui lécher la main (on pense que le personnel chrétien des amphithéâtres
nourrissait abondamment les fauves les jours où des martyrs devaient être livrés aux bêtes qui, repues, refusaient d’y toucher
!) ; on lui coule du plomb fondu dans les yeux et la bouche, il y passe comme du miel. Enfin on le décapite ; il prend alors sa
tête sous son bras et va en volant la poser sur la colline, là où il désire qu’on lui construise une église (Cf. la fiche sur San
Miniato).
° Au moyen âge, les Florentins se choisissent un nouveau patron, S. Jean-Baptiste, un modèle de courage spirituel, de
fierté et de rectitude, le successeur chrétien du dieu Mars, protecteur de la ville chez les Romains. On disait : « San Giovanni
non vuole inganni » (S. Jean ne veut pas de tromperies) ; il était le garant de la valeur permanente du florin (créé en 1252. À
g. florin XVe s.) dont les pièces portent un Agnus Dei. Garant de la monnaie, il est choisi comme emblème de l’Art de la Laine,
attestant l’honnêteté des commerçants de cette corporation. En 1535, le duc Alexandre fait supprimer l’Agnus Dei, qui rappelle
trop les premiers idéaux de l’époque républicaine.
° Florence, ville épiscopale, connaît aussi la prédication de S. Ambroise de Milan qui y prononce son discours sur la
chasteté et qui consacre en 393 l’église de Santa Reparata, autre sainte patronne de Florence, originaire de Palestine. Il faut
rappeler enfin San Zanobi, dont une colonne près du Baptistère garde le souvenir : elle marque le lieu où un orme desséché
reverdit après avoir été touché par le cercueil du saint.
II. – LA PERIODE FEODALE ET LA FORMATION DE LA COMMUNE.
1) Le Haut Moyen Âge. L’alliance avec le pape contre l’empereur.
* Florence connaît les invasions barbares : les Goths (attaque de Radagaise en 406) et les Ostrogoths (Totila la détruit en 552), puis les Longobards qui la
délaissent au profit de Lucques, mieux située sur la route qu’ils préféraient (Milan-Plaisance-Pavie-Sarzana-Pise), ce qui explique que Florence végète par rapport à
Lucques et à Pise, mais garde aussi une plus grande indépendance du fait de sa marginalité (d’où son goût pour la liberté ?). Il en reste un culte des saints guerriers,
comme Saint Michel, patron du peuple lombard ( la première église San Michele est construite sous les Lombards en 570).
* Le renouveau de la cité commence avec la domination de Charlemagne, vainqueur des Lombards. Les Carolingiens réorganisent l’Italie selon une hiérarchie de
« comtes », fonctionnaires nommés dans chaque diocèse, et de simples seigneurs vassaux du comte et du roi. En 854, Lothaire I réunit le territoire de Florence et le
comté de Fiesole, faisant de Florence le plus grand comté et « contado » de la Toscane. La Toscane est une « marche ». Les marquis de Toscane prennent alors le
titre de comtes de Florence. La veuve du marquis Uberto fonde en 967 la Badia Fiorentina, la plus grande abbaye de la ville ; son fils, le marquis Ugo (+ 1001)
abandonne Lucques pour venir résider à Florence.
* La population s’accroît au Xe s. du fait des invasions hongroises qui poussent les paysans à se réfugier en ville. Florence construit sa troisième puis sa quatrième
enceinte (y compris l’enceinte romaine). L’évêque Hildebrand, aidé par l’empereur Henri II, fonde sur la colline le monastère et l’église de San Miniato (1014-1050).
* En ce temps de conflits entre le pape et l’empereur sur la question des investitures, Florence prend
parti pour le pape. Le développement de la ville sera ainsi constamment lié à cette alliance avec la papauté, et souvent avec la France : c’est un phénomène central
dans l’histoire de Florence. La papauté s’est transformée en un pouvoir à la fois spirituel et temporel, depuis la création des Etats pontificaux par Pépin le Bref en 776.
À sa mort en 1113, la comtesse Mathilde de Canossa, marquise de Toscane, laisse ses biens en héritage au pape, héritage contesté, mais qui contribue à placer
Florence dans le camp pontifical ; en 1077, lors de l’épisode de Canossa, sommet de la lutte entre Grégoire VII et l’empereur Henri IV, la ville a été fidèle au pape.
* C’est en intervenant dans le mouvement de réforme qui traverse l’Eglise aux XIe et XIIe s. que le peuple florentin manifeste son identité et son autonomie.
Dans une Eglise qui a désormais un pouvoir temporel, politique (les évêques sont aussi des seigneurs féodaux), financier (richesse foncière et patrimoniale des
évêques et des monastères), s’affirme un mouvement réformateur qui trouve son centre à Florence. Jean Gualbert (995-1073) naît dans une famille de chevaliers
florentins, se fait moine, se retire à San Miniato, puis fonde l’Ordre.monastique de Vallombrosa (1038), sur la colline à quelques kms de Florence, pour contribuer à la
sauvegarde de la Règle de S. Benoît, silence, pauvreté, clôture, mais sans exigence de travail manuel ; l’ordre prend la tête du mouvement réformateur contre
l’évêque et les prêtres simoniaques et débauchés, appuyé par le pape Alexandre II. C’est ce qui vaut à Florence d’accueillir en 1055 le Concile auquel assistent le
pape, l’empereur et 120 évêques ; le marquis de Toscane choisit Florence comme résidence définitive en 1057 ; l’évêque de Florence, Gherardo, devient pape sous
le nom de Nicolas III (1059-61) mais garde sa charge d’évêque de Florence, dont il consacre le Baptistère. Jean Gualbert est canonisé en 1193 par le pape Célestin
III.
Or le peuple appuie Jean Gualbert à la fois contre le pouvoir épiscopal (en 1068, un moine de Vallombrosa, Pietro « Igneo », subit avec succès l’épreuve du feu
contre l’évêque Pietro Mezzabarba accusé de simonie et que le pape dut déposer) et contre le pouvoir féodal du vicomte. Dans ce mouvement, se développe une
organisation autonome du peuple florentin, dont les délégués se substituent au vicomte et à l’évêque pour représenter la ville et son « contado » (les territoires de
campagne lui appartenant). La victoire de 1082 sur l’empereur Henri IV qui assiégeait la ville renforce cette apparition du peuple florentin sur la scène politique à côté
des nobles et du clergé. En 1125, la mort d’Henri V, dernier empereur de la dynastie salienne, et la prise et destruction de Fiesole, assurent la domination de Florence
sur tout le « contado » dont chaque bourgade sera contrainte d’offrir des cierges au Baptistère de Florence le jour de la Saint Jean-Baptiste, devenu patron de la ville.
« C’est la reconnaissance imposée à tous de la suprématie de la ville, symbolisée par le saint qui est devenu peu à peu son patron principal … C’est aussi l’apparition
de la volonté collective d’une communauté à laquelle l’évêque a frayé la voie, mais qui tend à se substituer à lui « (Yves Renouard).
2) Les luttes contre la féodalité et l’intégration des féodaux dans la ville.
Au début du XIIe siècle, la région de Florence est encore partagée entre plusieurs systèmes de production et d’organisation socio-politique : l’économie féodale
laïque, l’économie féodale ecclésiastique et l’amorce d’une économie urbaine « bourgeoise ».
a) La féodalité laïque est représentée par quelque 250 châteaux autour de Florence, souvent au sommet des collines. Ils vivent sur la base d’une économie
domestique fermée autour de la « villa » (« curtis ») ou « castello », la source de la richesse réside dans la propriété foncière. Les rivalités entre les seigneurs font
régner une atmosphère de violence permanente, qui s’exerce d’abord sur les paysans (les « contadini », habitants du « contado »). Le système vit aussi des
artisans, les « ministeriales », les hommes de métier.
Les contradictions sont nombreuses dans ce milieu féodal : les petits nobles, les artisans et les paysans subissent la domination sans contrôle des grands
propriétaires (impôts, arbitraire, tortures …) ; ils tendent à fuir la campagne et à se réfugier dans la ville. Mais les campagnes ont connu aussi le développement des «
pievi ». La « pieve », paroisse, dont l’église est souvent fortifiée, représente le premier et le seul centre de rassemblement et de prise de conscience des paysans, la
première organisation « démocratique » de résistance au pouvoir féodal (les curés étaient confirmés ou nommés par l’Assemblée populaire).
b) Quant à la féodalité ecclésiastique, elle est représentée par le clergé régulier des abbayes et le clergé séculier plus mêlé à la vie mondaine de la ville.
Les abbayes, souvent très riches, tirent leurs revenus de la terre, de la dîme (obligatoire dès 585), du casuel (messes, mariages, etc.) et des aumônes, mais aussi de
l’exploitation des reliques (celles de San Miniato sont vendues à l’évêque de Metz, mais continuent à être exposées à Florence… ; San Giovanni conservait des
fragments du corps de Charlemagne …), et surtout du travail industriel. Dans la crise qui suit la chute de l’empire romain, tous les métiers, intellectuels et manuels,
étaient restés concentrés au sein de l’Eglise, qui transmet les techniques, forme les artisans, pratique le commerce de leurs produits et garde d’importants dépôts
d’argent, plus en sûreté qu’ailleurs (Cf. les Templiers).
c) Toutes ces forces antagonistes de la grande féodalité laïque convergent peu à peu vers la ville héritée de la ville romaine, protégée par ses
remparts, résidence du comte et de l’évêque, lieu de marché. C’est à partir de ces petits nobles, de ces artisans, de ces paysans rassemblés autour du clergé urbain
que s’élabore la révolution communale contre la féodalité et l’Empire en lutte avec l’Eglise sur la question de l’investiture des évêques. Il y a une convergence
d’intérêts entre ce peuple laïque, l’évêque et la féodalité ecclésiastique contre les grands féodaux, En 1183, Frédéric Barberousse doit reconnaître l’autonomie des
villes (Paix de Constance). Bientôt la ville pourra entreprendre la conquête et la destruction des châteaux féodaux (ceux des Alberti, celui de Montecascioli, celui du
cardinal Ottaviano degli Ubaldini à Montaccianico, etc.) dont on voit parfois encore les ruines au sommet des collines ; les biens du seigneur sont remis à l’Eglise et
les familles aristocratiques sont contraintes de venir habiter en ville, d’ y construire des palais dont la hauteur de la tour sera le signe de la puissance et de la richesse
passées (les maisons tours).
Grâce à leur culture et à leur expérience politique et militaires, ces nobles, regroupés dans les « sociétés des tours », fournirent les premiers « consuls » ; les
artisans et les marchands commencent à s’organiser en corporations (« arte »). Quand les « arti », source de la richesse de la ville, prendront de l’ampleur, le conflit
avec la noblesse deviendra inévitable.
III.- L’ORGANISATION COMMUNALE. LES « ARTI ».
1) Le système des « Arti »
La société communale est divisée en 4 classes : les paysans (la ville a maintenant un pouvoir total sur les campagnes ; mais la
servitude est abolie en 1289), la plèbe urbaine dépourvue de droits, la noblesse urbaine (les « Magnati », propriétaires de maisons et
de terres rapatriés en ville), et la bourgeoisie organisée en corporations (« arti »). Florence est une démocratie, mais limitée à ceux
qui ont une maison et qui paient des impôts. Le développement et l’histoire de la ville résultent de la combinaison et des conflits entre
ces divers éléments.
L’organisation des corporations est mise en place par les « Ordonnances de Justice » de 1293 (« Ordinamenti di Giustizia ») et
restera identique avec quelques variantes. On distingue :
a) Les « Arti Maggiori », qui forment le « popolo grasso », corporations des métiers intellectuels, des professions libérales, de la
banque, du commerce et de la grande industrie :
* Mercatanti (Arte di Calimala) : assuraient la teinture et apprêt des draps importés de France et de Flandre. Siège Via
Calimala, la « mauvaise rue », mal fréquentée… Occupaient 30.000 personnes dans 200 entreprises. Corporation éliminée au cours
du XIVe s.
* Giudici e notai : juges et notaires, élément essentiel de l’activité commerciale ; regroupe des nobles qui seuls pouvaient aller
faire des études de droit à Bologne ;
* Cambiatori : les « changeurs », et les banquiers, d’abord intégrés dans l’Arte di Calimala.
* Arte della Lana : tissage de la laine florentine et de la laine importée d’Angleterre, France, Flandre. Fabricants de drap.
* Arte della seta, dei Setarioli (ou de Por Santa Maria), le travail de la soie prend de plus en plus d’importance au XIVe s. à
mesure que la ville s’enrichit et que le luxe s’accroît.
* Medici e Speziali : médecins et pharmaciens, épiciers-droguistes, merciers, où se retrouvent aussi les barbiers, les peintres et
les écrivains (il n’y a pas de corporations d’enseignants : l’Université est à Bologne ; le « Studio fiorentino » n’ouvre ses portes qu’en 1348).
Vaiai e Pelliciai :travail du vair (fourrure d’écureuil), fourreurs et pelletiers..
b) Les « Arti Mediane e Minori » : (Les 5 « Arti mediane » seront plus tard intégrées dans les « Arti Maggiori »). Les « Arti Minori » forment le « popolo minuto
»
* Baldrigari, Rigattieri et Linaioli : détaillants de drap, fripiers et lingers ;
* Beccai ; bouchers, de création plus récente, la viande suppose la richesse. Parfois à la tête des révoltes populaires …
* Calzolai : chaussetiers, bonnetiers ;
* Maestri di Pietra e Legname, corporation qui incluait les architectes ;
* Fabbri e Ferraioli : métiers du fer.
* Vinattieri, marchands de vin ;
* Albergatori, tenanciers d’auberges ;
* Oliandoli, Pizzicagnoli, Funicellai : marchands d’huile, de sel, d’épices de fromages et de cordes ;
* Spadai e Corazzai, fabricants d’épées et de cuirasses ;
* Correggiai, corroyeurs ;
* Chiavaioli ; serruriers, taillandiers, chaudronniers ;
* Fornai : boulangers ;
* Legnaioli : marchands de bois en gros :
* Conciatori (Galigai), Cuoiai : tanneurs, travail du cuir.
Pendant environ deux siècles, le pouvoir politique sera entre les mains des « Priori » élus par les corporations ; pour participer au Priorat, les « Magnati » doivent
s’inscrire à une corporation et payer une lourde « garantie » financière. Les 12 premières corporations ont un étendard, un chef (le « gonfalonier », porte-étendard),
un conseil et une milice. L’emblème des corporations est visible sur les monuments qu’elles ont financés (Calimala au campanile, etc.), ainsi que le saint protecteur de
chacune d’entre elles : S. Jean-Baptiste, protecteur de Calimala, S. Etienne, protecteur de l’Arte della Lana, etc. (cf. par exemple les statues extérieures
d’Orsammichele).
2) Une forme avancée de capitalisme.
L’organisation des entrepreneurs, commerçants, banquiers constitue un système capitaliste très perfectionné. À la source, l’industrie textile : la laine est la base de la
richesse de la ville, à la différence du moyen âge où dominaient les préoccupations militaires et la demande de toile. Plus tard, la soie remplacera la laine. L’apogée du
système se situe entre le milieu du XIIIe s. et le milieu du XVe s. La classe dominante est formée d’un ensemble de grandes familles, souvent d’origine aristocratique
mais enrichies dans l’activité industrielle et surtout bancaire : les Alberti, Albizzi, Bardi, Peruzzi, Pitti, Soderini, Cerchi, Donati,
Frescobaldi, Strozzi, Tornabuoni, Villani, Medici … Ces familles sont écartées du pouvoir politique direct mais n’en exercent pas
moins une influence décisive sur la ville.
C’est désormais l’entrepreneur, et non plus l’artisan, qui contrôle le processus de production et de commercialisation, depuis
l’acquisition des matières premières jusqu’à la vente des produits finis ; les ateliers (la « bottega ») d’artisans travaillent sous
son contrôle ; ils emploient eux-mêmes des ouvriers salariés. En 1338, les 200 ateliers de Calimala vendent de 70 à 80.000
pièces de drap pour 1.200.000 florins et font vivre 30.000 personnes sur 90.000 habitants. Les « botteghe » sont décentralisées
de façon très peu rationnelle, mais les méthodes de production sont très élaborées (héritage des moines Humiliates, branche des
Bénédictins, qui employaient des travailleurs salariés dans leurs ateliers).Le commerce florentin d’exportation a conquis le monde
chrétien et islamique ; il est organisé à une grande échelle internationale, avec un système d’agences et de succursales qui
exportent les produits de l’industrie florentine, et importent d’Orient les épices, les articles de luxe (perles, pierres précieuses,
colorants, fourrures) qui sont consommés à Florence ou revendus dans le reste de l’Europe. En particulier les Florentins ont en
mains le commerce de Rome et de Naples (exportations de blé). Les Acciaiuoli, marchands d’acier originaires de Brescia et
venus à Florence au temps de Frédéric Barberousse, ont un « banco » à Naples, où ils contrôlent le commerce de blé, d’épices
(poivre, gingembre, noix muscade, cannelle, clous de girofle), d’huile, de vin, de laine, de chanvre. Ils deviennent les banquiers
de Robert d’Anjou, roi de Naples, sont les amis de Boccace et Pétrarque ; ils acquièrent de nombreux fiefs en Campanie, et
deviennent de véritables monarques bourgeois, mal vus à Florence à cause de leur puissance excessive.
Les paiements se font en florins d’or à partir de la victoire de la bourgeoisie guelfe sur la noblesse gibeline (1282). Le florin, dont
le taux d’or est toujours le même (3,33 gr.), devient la monnaie internationale sur le marché, à la différence des monnaies
d’argent dont le taux d’argent est fluctuant. C’ est pourquoi on payait les ouvriers en monnaie d’argent qui se dévaluait par
rapport au florin d’or ; en 1378, lors de la révolte des « Ciompi », les ouvriers du textile, une des revendications fut de fixer la
valeur du florin, qui pouvait osciller de 1 livre à 3 livres 6 sous.
L’organisation de la banque florentine est remarquable. Boniface VIII appelait les Florentins « le cinquième élément de l’univers
». Ils s’étaient formés comme « campores », banquiers de la Chambre Apostolique romaine, percepteurs chargés de ramasser
les impôts de l’Eglise, dîmes, tributs, taxes, à Rome, à Florence, en Espagne, en Angleterre. Le « banco » était un lieu
d’échange dont le réseau de filiales permettait de connaître le pouls du marché mondial, de passer des ordres d’achat ou de
vente en fonction de la conjoncture, d’acheter où les prix étaient bas et de vendre où ils étaient hauts. Chaque « banco » (cf.
gravure ci-dessus, 1490) avait des courriers qui informaient rapidement les marchands. Le Palais Bartolini-Salimbeni, place Santa
Trinità, porte encore une décoration de pavots avec l’inscription « Per non dormire »(Pour ne pas dormir) : les marchands
devaient se lever très tôt pour arriver sur le marché avant les concurrents !
Une ou plusieurs familles formaient des « corpi di compagnie » avec des « banchi » dans toutes les villes, des « fattori »
(directeurs), « scrivani » (comptables), « chiavai » (caissiers), « garzoni » (employés) et « notai » (notaires) sous la direction
du chef d’entreprise. C’est aux « Compagnie » que s’adressaient le pape et les souverains (France, Angleterre) pour financer
des entreprises de nature différente (l’artisan, lui, ne travaillait que dans un domaine) et assurer le ramassage des impôts ; les
banquiers leur faisaient des prêts à haut risque, mais compensés par d’immenses privilèges, comme le monopole de certaines
matières premières ; et les taux d’intérêt étaient tels (de 15 à 25%, et parfois plus) que, même lorsque le capital était perdu, une partie avait déjà été récupérée.
Cependant en 1345, la Compagnia des Bardi fait faillite : durant la Guerre de Cent ans, les Bardi ont financé le roi d’Angleterre qui ne rembourse pas ses dettes ; les
clients de la banque, alarmés, retirent leurs capitaux. Cela provoquera une crise de toute l’économie florentine.
Ces banquiers sont aussi de grands mécènes. Ils embellissent leurs palais, mais c’est aussi grâce à eux que les églises et les monastères s’ornent de fresques
réalisées par les plus grands peintres. Ces banquiers doivent se faire pardonner leur activité de prêt à intérêt considéré comme de l’« usure » et interdit à ce titre par
l’Eglise ; ils compensent par de riches dons pour l’ornement de leur chapelle (Cf. Santa Maria Novella et Santa Croce) ou pour obtenir d’être enterrés dans un couvent
3) Les Ordres religieux.
Enfin, parmi les forces qui déterminent le développement de la ville, il faut compter l’Eglise, et en particulier les ordres religieux, en
premier lieu les Franciscains et les Dominicains.
Les Franciscains arrivent à Florence dès 1209 (Cf. la Légende des Trois Compagnons, et les personnalités de Bernardo da
Quintavalle et d’Egidio). François d’Assise lui-même y passe en 1211 et en 1221 ; la tradition veut qu’il y ait rencontré S. Dominique.
Les trois vœux (humilité, pauvreté, chasteté) répondent aux trois vices des Florentins (Orgueil, avarice, luxure) !
Les deux ordres s’installent d’abord hors les murs, les Franciscains à Santa Croce (quartier des teinturiers), les Dominicains à Santa
Maria Novella (quartier des tanneurs) ; la construction des nouvelles enceintes intègre bientôt les couvents dans la ville, où ils
deviendront les conseillers spirituels et politiques des différentes factions en présence.
4) Les luttes internes à la Commune.
Sortie victorieuse de la lutte contre l’empereur, reconnue commune libre en 1183, Florence traverse presque un siècle de luttes
internes entre les tendances qui traversent la noblesse, la grande bourgeoisie, la petite et moyenne bourgeoisie et le peuple.
La noblesse d’origine féodale constitue le parti « gibelin » (du nom de l’une des 2 familles rivales candidates au siège impérial, les
Souabes du château de Weibling). La petite noblesse établie en ville et la bourgeoisie du « peuple gras » se retrouvent dans le parti
« guelfe » (du nom de l’autre famille impériale, d’Othon IV de Brunswick, les Welf).
À la bataille de Bénévent (1266), Manfred, dernier héritier de Frédéric II, est tué par les soldats de Charles d’Anjou, appelé par le pape
pour combattre la famille de Souabe. Avec l’appui de la France, les gibelins sont défaits, doivent quitter la ville en 1267 ; la victoire
reste au parti guelfe, le gouvernement est assuré par les nobles guelfes et le « popolo grasso ». Florence l’emporte aussi sur les
villes rivales de tradition gibeline, Pise, Pistoia, Arezzo, Sienne. La ville s’étend jusqu’à sa dernière enceinte et prend le visage qu’elle
a encore aujourd’hui dans le centre historique, avec ses rues étroites, sa vie artisanale et commerciale intense. Elle fixe son emblème
: le lys blanc sur fond rouge, puis rouge sur fond blanc en 1251, lorsque triomphe la « révolution » anti-gibeline. Le lys de Florence n’est pas le lys héraldique
classique, il est ouvert et en bouton, plus proche de l’iris (giaggiolo = ireos florentina, divisé en 3 feuilles) ; il serait une concession de Charlemagne (le lys était
considéré comme la plus noble des fleurs). Est-ce le nom de Florentia qui a suggéré de choisir le lys, ou la richesse en fleurs du site qui a suggéré le nom de Florentia
?
Bientôt, à l’intérieur du parti guelfe au pouvoir, deux tendances s’opposent :
* les guelfes Blancs représentent la moyenne bourgeoisie et les familles anciennes écartées du pouvoir et du service
pontifical (Cerchi, Cavalcanti, Frescobaldi, Mozzi) ;
* les guelfes Noirs représentent les familles plus récentes de la grande bourgeoisie d’affaires (Acciaiuoli, Donati,
Peruzzi, Spini qui venait d’obtenir la clientèle pontificale convoitée par les Cerchi), partisans d’une alliance sans
compromis avec la papauté et d’une politique internationale de conquête des villes voisines.
Le conflit éclate en 1300, à l’occasion d’une querelle entre des jeunes gens des Donati
et des Cerchi (une histoire à la Roméo et Juliette !) : les Noirs font appel au pape et à
Charles d’Anjou ; les Blancs sont arrêtés ou exilés, leurs biens sont confisqués. Parmi
ceux-ci, Dante Alighieri, qui condamne cette politique de la grande bourgeoisie, son
luxe croissant, son abandon des valeurs sur lesquelles s’était fondée la Commune (Cf.
Divine Comédie, Paradis, chant XV).
Pendant encore plusieurs années, Florence sera en conflit avec des gibelins exilés qui
s’allient aux villes ennemies. Contre eux, Florence refait son unité, se fait aider
militairement par la famille d’Anjou, qui règne maintenant à Naples, avec l’appui du
pape : Robert d’Anjou envoie son fils Charles, duc de Calabre en 1325, puis un de ses
anciens vicaires, Gautier de Brienne, duc d’Athènes, qui est élu seigneur à vie en 1342,
grâce à une alliance entre les « Magnati » et le « popolo minuto ». Il organise un
régime de pouvoir personnel, aux dépens des « Prieurs » qui sont relégués à S. Pietro
Scheraggio , il grève la ville d’impôts qui servent à financer sa vie de luxe (les lois « somptuaires » limitant le luxe sont oubliées, la
mode française est introduite pour les hommes, on organise des joutes sur la place Santa Croce comme à l’époque féodale …), il
fait régner la terreur en même temps qu’il pratique la démagogie envers le « popolo minuto » des « Arti mediane ». Il est chassé
du pouvoir par une conjuration menée par les « Magnati », la grande bourgeoisie d’affaires des Bardi, Frescobaldi, Donati, Pazzi, Adimari, Aldobrandini, qui tente de
faire abolir les « Ordonnances de Justice » qui lui interdisent de participer au pouvoir politique : ils réduisent le nombre des quartiers (les « sestieri ») de 6 à 4 et le
nombre de Prieurs issus des corporations.
Mais le « popolo minuto » s’est développé sous la tyrannie du duc d’Athènes ; par ailleurs les « Magnati » sont affaiblis par la guerre entre la France et l’Angleterre
qui entraîne la faillite de plusieurs « Compagnies de banque » (les Bardi, Peruzzi, Acciaiuoli, Bonaccorsi …). Enfin, le prolétariat urbain, dépourvu de tout droit
politique ne supporte plus des conditions de vie et de travail très dures, que dénoncent les Fraticelli (les Frères Mineurs « spirituels » restés fidèles à l’idéal de
pauvreté des origines franciscaines). Profitant de l’affaiblissement des « Magnati » et de la crise économique encore aggravée par la peste noire de 1348, les « Arti
mediane » réaffirment à leur profit les « Ordonnances de Justice » ; une nouvelle génération de bourgeoisie d’affaires apparaît sur la scène, les Alberti, Ricci,
Strozzi, Medici …
C’est cette bourgeoisie qui, à partir du XIIe s., est à la source, non seulement de l’art florentin mais de l’humanisme de la Renaissance, qui commence non pas au XVe
s. comme on le lit parfois, mais dès le XIIe siècle. Elle en a fourni du moins l’infrastructure matérielle et idéologique, servie pendant quelques siècles par l’apparition
d’une floraison de génies qui n’a d’équivalent que la Grèce des Ve et IVe siècles av. J.C. Même la France du siècle de Louis XIV n’a pas eu un caractère aussi
universel que la Grèce antique et la Toscane de la Renaissance, et, souligne Yves Renouard, « aux fêtes de Versailles même, c’étaient les Florentins Lulli et Francini
qui faisaient jouer les musiques et les eaux ». Les Florentins créent la langue italienne (Dante), la prose (Boccace), la pensée médiévale trouve sa synthèse dans
l’œuvre de Dante, Giotto ouvre une nouvelle époque dans l’histoire de la peinture, Michel-Ange dans celle de la sculpture et de l’architecture, Léonard de Vinci est une
des sources de la pensée technique, Machiavel de la pensée politique, et il faudrait y ajouter Masaccio, Fra Angelico, Botticelli, Ghiberti, Brunelleschi, Donatello,
Alberti, Verrocchio, Marsile Ficin pour la philosophie ; c’est à Florence que quelques intellectuels, poètes, mathématiciens, philosophes, musiciens, élaborent la
formule de l’opéra. À cette époque, c’est Florence qui apparaît comme la véritable héritière de la Rome antique ; Rome n’est alors qu’une bourgade affaiblie par l’exil
d’Avignon (1309-1377) et par le grand Schisme de 1378 à 1417 ; le pape Martin V ne rentre à Rome qu’en 1420.
Page suivante