4.3. Roma - 4
Les places de Rome
Les places ont toujours été des lieux destinés aux réunions populaires, aux comices politiques, aux célébrations sacrées et profanes, aux rendes-vous des
marchands, à la réception des hôtes illustres, et aussi aux révoltes et aux exécutions capitales.
La place romaine prend la suite du « forum » latin, mot qui signifiait à l'origine un espace libre, hors de la ville (« foras », « foris » = dehors, ou « foris » = la
porte) où se trouvait le marché. La plupart des 18 forums romains portent le nom du produit que l'on y vendait : Forum Boarium (des boeufs), Forum Olitorium
(des légumes), Forum Piscarium (des poissons), Forum Suarium (des porcs), Forum Pistorium (du pain, aujourd'hui Via dei Fornari = des boulangers), Forum
Vinarium.
Puis le Forum devient la place publique, au coeur de la ville ; il symbolise la vie publique quotidienne, les affaires, surtout financières, la vie politique et l'art
oratoire, les tribunaux (en italien, l'adjectif "forense" signifie encore: qui se rapporte au Palais de justice, au barreau ; "l'eloquenza forense", "la professione
forense" = la profession d'avocat)
A partir de la fin de la République, les places deviennent des lieux théâtraux symbolisant le pouvoir politique et dont les temples et les édifices publics servaient
de toile de fond. Plusieurs forums furent construits pour célébrer solennellement un évènement important, celui de César pour fêter la bataille de Pharsale, celui
d'Auguste (consacré à Mars Vengeur) pour commémorer la victoire sur Brutus et Cassius, assassins de César, à la bataille de Philippe.
Après la chute de Rome, la décadence de la ville et l'arrivée du christianisme, les églises viennent remplacer les temples en ruines, et les palais féodaux les
anciens palais impériaux ; les places perdent leur rôle social et deviennent de simples appendices des églises. Les Forums s'enfouissent sous les décombres, le
Forum romain devient un champ où paissent les vaches (« Campo vaccino »). C'est seulement après le retour des papes d'Avignon que la ville reprend vie, se
repeuple (elle était passée de 1 million et demi d'habitants sous l'Empire à 20.000 au Moyen-Âge) et se reconstruit. Sixte IV (1471-1484) élabore le premier plan
d'urbanisme. La ville qui, sous l'empire romain, était tournée vers les rues conduisant en Orient, s'oriente maintenant vers le nord : la piazza del Popolo devient la
principale porte de Rome.
Avec la Contre-Réforme et l'essor de l'art baroque, la place reprend un rôle essentiel : elle devient le cadre idéal de la scénographie romaine, et elle est à
nouveau conçue comme un grand décor du théâtre urbain, qui inclut les façades d'églises et de palais, les fontaines, les obélisques et l'ensemble des
monuments. Chaque place prend donc sa configuration particulière, sa couleur, son charme, sa signification en fonction des statues qui la peuplent, chacune a
son type de marché populaire, ou son immobilité silencieuse, chacune a son atmosphère propre, qui change selon qu'on la voit à la lumière de l'aube ou au
coucher du soleil. Chacune exprime un état d'âme de Rome.
L'ouvrage de Cesare Jannoni Sebastianini, Le piazze di Roma (Schwarz & Meyer Editori, Roma, 1986) décrit 88 places de Rome. Nous ne les verrons pas toutes,
bien sûr, et on trouve des descriptions des plus importantes dans tous les Guides.
Les indications sont parfois sommaires sur l'histoire et la symbolique de chaque place. Ainsi, Piazza del Popolo n'est pas la place du "peuple", mais du "peuplier"
(populus, pioppo), arbre qui entourait la place au Moyen-Âge. Piazza S. Anastasia (à l'origine, dell' « Anastasi », de la Résurrection) était le lieu où
s'assemblaient les gardiens de boeufs à la recherche de travail ; sur la Piazza Barberini, on célébrait les jeux consacrés à la déesse Flore ; la petite Piazza del
Biscione devait son nom à un des hôtels qui l'entouraient, géré par un milanais (la couleuvre est l'emblème de Milan) ; la Piazza del Gesù, toujours battue par le
vent, trouve une explication légendaire du phénomène : un jour, le Vent et le Diable, parcourant Rome, se retrouvèrent devant l'église ; le Diable dit au Vent qu'il
avait une affaire importante à dépêcher et lui demanda de l'attendre, il entra dans l'église et n'en sortit jamais : depuis, le Vent attend le retour du Diable sur la
place... Une autre légende se rapporte à Piazza in Campo Marzio : Gerbert d'Aurillac, le pape Sylvestre II, avait la réputation d'être sorcier. Il y aurait eu sur la
place une statue qui tendait l'index droit, et sur le doigt était écrit « Percute hic » (frappe ici). Beaucoup avaient tenté de frapper le doigt sans succès. Gerbert un
jour marqua le point où tombait l'ombre de l'index, puis revint de nuit avec un serviteur, ouvrit la terre en ce point par un enchantement, et vit le fabuleux trésor
d'Octavien (jamais retrouvé). Il ne put cependant pas l'emporter parce que les statues d'or massif qui gardaient le trésor, agressaient ceux qui tentaient de
s'approcher. Gerbert referma donc la terre, et le trésor resta là... Espérons que le miracle de la neige ne se renouvellera pas durant notre séjour : dans la nuit du 5
août 352, le pape Liberius et un patricien romain eurent en même temps la même vision de la Vierge qui les invitait à construire une église sur le lieu où ils
trouveraient la neige intacte le lendemain matin. C'est aujourd'hui la place S. Maria Maggiore...
On pourrait raconter Rome à travers l'histoire de ses places.
Les fontaines de Rome
A chaque place sa fontaine, point d'aboutissement des anciens aqueducs romains détruits par les Barbares et reconstruits par les papes. C'est un autre élément
symbolique essentiel de l'urbanisme romain. L'eau est le devenir, le temps qui passe. Dans la fontaine, l'eau ne court pas mais reste sur place, comme si le temps
s'enroulait sur lui-même, s'immobilisait dans une sorte d'éternité. Et lorsque la fontaine est assortie d'un obélisque dressé vers le ciel, cette maîtrise du temps
devient presque absolue, comme on le voit à la fontaine de la place du Quirinal ou à celle de la place Navone. C'est ce qu'ont voulu les papes qui ont conçu
places et fontaines : l'Eglise est maîtresse du temps et dispensatrice d'éternité ; le pape détient les clés qui ouvrent le Royaume des Cieux, comme le rappelle
l'inscription intérieure en lettres d'or de la coupole de Saint-Pierre ("... CLAVES REGNI ..."). D'où l'extraordinaire dérision de la mort omniprésente à Rome, dont
l'expression extrême se trouve dans le cimetière des Capucins de S. Maria della Concezione, au pied de Via Vittorio Veneto : la décoration est réalisée avec les
ossements de 4000 capucins qui forment des stucs de vertèbres, des autels de crânes ou de tibias, des lustres de côtes ... jusqu'à un squelette d'enfant qui orne
le plafond d'une des six chapelles !
Cette éternité conquise se double de tous les éléments de la sensualité baroque, des Néréides et des Naïades nues de la place Navone et de la place de la
République, jusqu'aux éphèbes nus de la Fontaine des Tortues, place Mattei, tout concourt à cet éveil des sens dont la séduction devait ramener le peuple à la «
vraie » religion romaine battue en brèche par la Réforme luthérienne.
Les dauphins, - consacrés non seulement à Neptune mais aussi à Vénus -, s'ébattent dans les fontaines de la place Nicosia, de la place de la Rotonda, de la
place Colonna, et même de la place S. Pierre, gages de Salut des naufragés ... et des pécheurs puisqu'ils symbolisent aussi le Chris Sauveur. Le Triton, fils de
Neptune, se dresse dans les fontaines de la place Barberini et de la place Navone, avec le cheval (Fontaine des Quatre Fleuves) et le lion (fontaines de Piazza
del Popolo, des Quatre Fleuves et de la place S. Pierre).
Cela est l'occasion de parler du bestiaire.
Le bestiaire romain
Rome est habitée par les romains mais aussi par une quantité incroyable d'animaux, ceux en chair et en os, comme les chats qui peuplent le Colisée ou le tour de
la pyramide de Cestius, et ceux qui sont peints ou sculptés sur les monuments, dans les fontaines ou ceux qui figurent sur le blason des papes (les abeilles des
Barberini, les colombes des Pamphilj, les dragons et les aigles des Borghese ou le lion avec des poires des Peretti, la famille de Sixte V) : une véritable arche de
Noé comme celle que Raphaël peint dans la Loggia du Vatican. Une chatte égyptienne regarde du haut de la corniche d'un palais, une tête de cerf avec une croix
entre les cornes domine le tympan d'une église, une truie est encastrée sur la façade d'une maison, une louve étrusque allaite deux jumeaux ... Ce bestiaire
fantastique est un parcours de l'histoire romaine. Mais surtout, il raconte les histoires, les mythes, les symboles que chaque époque, chaque pape, chaque
constructeur a considérés comme essentiels pour dire, pour faire la ville de Rome. On ne comprend pas Rome sans son bestiaire. Il faut chercher les petites bêtes
! Et on pourrait raconter Rome le long d'un itinéraire qui irait d'une bête à l'autre.
En voici quelques-unes :
* La louve : Un bestiaire de Rome ne peut que commencer par la louve, « mère des Romains ». L'histoire est connue, racontée par tous les historiens
latins, des deux enfants, fils de Rhéa Silvia, petits-fils du bon Numitor, chassé du trône d'Albe par son méchant frère Amulius. Pour supprimer tous les
descendants de Numitor, Amulius fait jeter au Tibre les enfants de Rhéa (et du dieu Mars...). Le panier dans lequel ils ont été déposés s'échoue au pied du Palatin
(près de l'actuelle église de S. Anastasia), sous un figuier. Une louve, descendue au fleuve pour se désaltérer, les entend crier et, au lieu de les croquer, leur tend
ses mamelles pleines de lait. Un berger voit la scène, et s'approche ; la louve se retire tranquillement dans un bois consacré au dieu Faunus et dans une grotte
creusée dans le flanc de la colline, appelée ensuite « Lupercal ». Le berger étrusque Faustulus, qui connaissait l'histoire de Rhéa et des deux enfants, emmena
les enfants chez lui et les confia à sa femme Acca Larentia. Mais Tite Live suggère que cette Acca était peut-être dite « la Louve » parce qu'elle se prostituait
auprès des bergers, et « Lupa » signifiait aussi « prostituée » en latin, comme en italien dans le sud du pays jusqu'au XIX siècle (cf la nouvelle de G. Verga).
Le louve est représentée par « la Louve capitoline », statue traditionnellement considérée comme étrusque (attribuée à Vulca, grand sculpteur de Veies, du Ve s.
av. J.C., pour décorer le temple de Jupiter Capitolin), mais qui ne fut retrouvée (sans les deux jumeaux) qu'au Xe s. apr. J.C.. Jusqu'en 1473, elle présida aux
exécutions des condamnés à mort devant le Latran, puis elle fut donnée par Sixte IV aux Conservateurs du Capitole qui firent réaliser les enfants par A. Pollaiuolo,
en 1471, et la firent transférer au Capitole. Depuis les restaurations de 1997, l’étude du bronze et de la technique de fusion permet d’affirmer que la louve aussi
est de fabrication médiévale et non d’antiquité étrusque.
Au-delà des discussions sur l'origine exacte et l'histoire de la statue, les historiens s'accordent sur une chose : la louve est bien l'animal totémique de Rome,
héritage du dieu-loup adoré par les Etrusques et les Sabins chez qui il était le symbole du dieu Mamers, équivalent du Mars latin. Un autre dieu-loup sabin était
Soranus, en l'honneur de qui on célébrait des rites de purification par le feu dont les acteurs étaient revêtus de peaux de loups : le peuple, dit Varron, « februatur
» (se purifiait) ; c'était en « février », le mois des purifications. Ces fêtes étaient aussi l'occasion de rites appelant la fécondité des femmes : les « Luperci » (ceux
qui célébraient ce rite) découpaient des lanières de peau de bouc (« hircus » associé à « hirpus », le loup) et en frappaient le dos des femmes, assurant ainsi
leur fécondité. On disait encore en français : « elle a vu le loup », d'une femme qui avait « connu » un homme (comme Rhéa Silvia avait « vu » Mars, dieu-loup
!).
Mais un autre dieu est assimilé au loup, Apollon, le dieu du soleil. Apollon est dit aussi « Lycogenes », c'est-à-dire « engendré par un loup » : sa mère, Létho,
aurait été transformée en louve par Jupiter ou aurait vu un loup pendant qu'elle était enceinte. En grec, « Lykos » (le loup) a la même racine que « Lyke » (la
lumière). Le loup : dieu solaire, dieu fécondateur, dieu purificateur ...
La reprise et la réélaboration par les Romains de mythes et de rites très anciens centrés sur le loup visaient donc à manifester l'origine divine de la ville, à
l'enraciner dans un mythe fondateur divin : Rhéa descendait de Vénus par son ancêtre Enée, elle engendre Romulus et Remus, les fondateurs, avec le dieu Mars,
dieu-loup, et c'est une louve qui sauve et nourrit les enfants, tout cela au pied de la colline (le mamelon, « Ruma ») du Palatin, site de la fondation de Rome, sous
le figuier « Ruminal », c'est-à-dire sous l'arbre qui était le symbole universel de l'Arbre cosmique qui unit le ciel et la terre (cf l'arbre du Paradis terrestre dans la
Genèse, celui dont Eve cueille le fruit et des feuilles duquel Adam et Eve recouvriront leur nudité) ; le figuier était aussi le symbole de Dionysos, autre image, avec
Apollon, du dieu qui nourrit, informe et purifie le Cosmos. Si on ajoute que les jumeaux traversent les eaux, symbole du devenir, on peut dire que la fondation de
Rome a en tous points la couleur d'une épiphanie, d'une manifestation divine : elle est née, la divine enfant... Plus tard, l'empereur Constantin, voulant consacrer
l'Empire au Christ, frappa une monnaie représentant une louve allaitant les jumeaux, au-dessus de laquelle trônait entre deux étoiles le monogramme du Sauveur.
Depuis, les représentations de la louve sont innombrables chez les peintres et les sculpteurs, dont ce diptyque d'ivoire du Xè siècle, aujourd'hui au Vatican,
représentant une louve romaine soutenant un Christ crucifié, après tout lui aussi fils d'une vierge fécondée par un dieu...
Alors qu'ailleurs la louve est volontiers un symbole négatif de lubricité (que rappelle Tite Live dans son explication de la louve - prostituée), Rome a retenu
essentiellement le symbole positif de la louve divine nourricière. Tellement que, jusque vers les années 60 de notre siècle, une louve vivante était gardée dans
une cage au bord de l'escalier qui monte au Capitole. Il existe une Via della Lupa.
Remarquez donc les louves ... et tâchez de voir le loup pendant votre voyage !
* L'éléphant : autre animal romain symbolique, connu depuis la guerre contre Pyrrhus qui les avait introduits en Italie du sud en 280 av. J.C. Les éléphants
d'Hannibal ne furent donc pas une surprise pour les Romains en - 218-201. L'ivoire était par ailleurs un matériau apprécié chez les Hébreux (le trône de Salomon),
les Grecs et les Romains. Chez les premiers chrétiens grecs, on représentait la souveraineté divine du Christ par un trône d'ivoire et d'or portant l'Evangile et une
colombe ou une croix de pierres précieuses avec les instruments de la Passion. Le blanc représentait la splendeur et la chasteté du Christ.. Pline, décrivant la vie
sexuelle des éléphants, disait déjà que l'éléphant était un modèle de pudeur et de pureté.
En 1514, le roi de Portugal offrit un petit éléphant au pape Léon X, qui le fit conduire triomphalement au Vatican et lui fit construire une grande étable. On l'appela
Hannon, en souvenir du général d'Hannibal durant sa campagne d'Italie. L'éléphant était visité par le peuple de Rome et inspira de nombreux artistes. C'est un
autre éléphant, introduit à Rome en 1630, qui inspira le Bernin pour sa composition de la Place de la Minerve. Voulu par le pape Alexandre VII et complété par
l'obélisque, l'éléphant voulait signifier, outre la pudeur, l'intelligence et l'équilibre d'esprit sur lequel le chrétien peut faire germer la sagesse orientée vers le ciel. Ce
qui n'empêcha pas le Bernin de donner à son petit éléphant une attitude très irrespectueuse pour les dominicains du couvent auquel il montre son derrière, indiqué
par la trompe !
* La truie, le porc et le sanglier sont liés aussi aux origines lointaines de Rome, et la ville en est parsemée. Quand Enée fut parvenu à l'embouchure du
Tibre, il vit en rêve le dieu de la région, Tiberinus, qui lui annonça que le lieu où il fonderait la ville lui serait indiqué par une truie blanche couchée en train d'allaiter
ses trente petits (Virgile, Enéide, Livre VIII) : la truie blanche représenterait Albe la Longue (Alba = blanc) et les trente peuples qu'elle engendrerait. Mais la truie
évoque aussi un symbolisme plus profond : elle a dans la religion romaine les attributs de la Grande Mère, symbole de fécondité.
Quant au porc, il était déjà un élément important de la cuisine romaine. C'est seulement avec l'arrivée du christianisme que, sous l'influence du judaïsme qui le
considérait comme impur, le porc prend une signification négative : animal sacré des Celtes, il est diabolisé par les chrétiens hostiles à la religion celte. Le petit
cochon qui suit S Antoine Abbé, protecteur des fabricants de brosses, est cependant sans doute un écho d'anciens mythes populaires grecs ou celtes.
Cherchez à Rome les représentations des truies, porcs et sangliers !
* Le coq, l'oie, le cygne, le pélican, le paon, la chouette, le faucon et la colombe sont les oiseaux les plus fréquemment présents dans l'iconographie et
la sculpture romaine. Les oies avaient sauvé Rome de l'invasion gauloise en -390, et Pline appréciait leur foie énorme « qui continuait à grossir si on le plongeait
dans le lait et le miel » ; il aimait aussi « les palmures d'oie passées à la poêle avec des crêtes de coq »... Le cygne était un symbole solaire ; il avait présidé à
la naissance d'Apollon et c'est transformé en cygne que Jupiter séduit Léda pour donner naissance aux Dioscures et à Hélène et Clytemnestre. Le paon, symbole
céleste consacré à Junon, représente le printemps et la résurrection. La chouette de Minerve est symbole de sagesse, puis représente le corps du Christ
abandonné par ses disciples. Le faucon est emprunté par Auguste à la mythologie égyptienne où il représente le dieu solaire Horus, celui qui triomphe des forces
du mal. La colombe était l'attribut de la Grande Mère de la fécondité et d'Aphrodite ; buvant l'eau d'un bassin, elle représente l'âme qui s'abreuve à la fontaine de
Mnémosyne et conquiert l'immortalité ; elle est l'Esprit Saint et elle accompagne le Christ ; elle est la colombe de Noé qui rapporte le rameau d'olivier, et donc le
Christ qui apporte le Salut. Ou, chez les Juifs, le symbole du peuple d'Israël.
Mais il faudrait ajouter l'aigle, le serpent, le dragon, le phénix, le poisson, le dauphin, la licorne, l'agneau, le cerf, le taureau, l'âne, le cheval, le lion, le
chien, le chat, tous très présents dans le bestiaire romain ... et dans le blason des familles romaines : le bouc dressé des Altemps, les abeilles des Barberini, le
dragon des Boncompagni, l'aigle des Borghese, des Caetani, des Ludovisi, des Mattei, le boeuf des Borgia, le faucon des Falconieri, le grillon des Del Grillo,
le lion des Massimo, des Odescalchi et des Sforza, l'anguille des Orsini, la colombe des Pamphilj, le hérisson des Ricci, la couleuvre des Visconti et le lynx
de l'Académie des Lincei (académie romaine fondée en 1603, ... une sorte d' Académie française locale !). Sans oublier le singe, très présent à Rome, comme en
témoigne l’existence au XIIe siècle d’un temple appelé Santo Stefano del Cacco (du macaque), d’une Tour du Singe et plus tard d’une « via del Babbuino » (du
babouin).
Amusez-vous à découvrir ce grouillement de la faune romaine, dans les palais, les fontaines, les églises, les tableaux.
DEUXIÈME PARTIE
Rappels sommaires d'histoire et d'art
1) Note sur l'origine de Rome:
Quand l'archéologie vient confirmer la vérité historique
de la légende
Beaucoup de guides continuent à reprendre la vieille thèse selon laquelle le récit de fondation de Rome par Romulus en -753 ne serait qu'une légende. Ainsi
Rome (Guides Voir, Hachette, 1995, p. 16), rappelant la présence ancienne des Etrusques et leur prise de pouvoir à Rome (premier roi étrusque en -616), ajoute :
"Les vestiges laissés par ces derniers montrent que ce fut sous leur domination que Rome devint une véritable ville". Avant, il n'y aurait eu que des villages plus ou
moins fédérés, mais pas une ville, mais pas une "fondation".
Or les découvertes archéologiques d'Andrea Carandini à partir de 1985 sont venues confirmer qu'à une date située entre -750 et -725 un fossé avait bien été
creusé autour du Palatin, une muraille avait bien été édifiée, une porte avait bien été ouverte (Porta Mugonia). Or, à quoi bon ouvrir une porte s'il n'y a pas de
muraille ? Les historiens sont en mesure d'affirmer aujourd'hui qu'une ville a bien été "fondée" sur le Palatin vers le milieu du VIIIe siècle av. J.C.
Recherchant les magasins et marchés impériaux et les maisons des consuls de la fin de la République, Carandini, les ayant trouvés, descend plus bas, découvre
de grandes demeures à atrium des Tarquins (vers -530) ; il descend encore et trouve un fossé, des murs et une porte remontant au VIIIe siècle. Sous le seuil de la
porte, il découvre dans une fosse un dépôt votif (comportant une coupe hémisphérique, une tasse à anse, un grelot en forme de poire, deux broches en bronze, un
petit disque perforé en os) qui permet de confirmer la datation et de formuler l'hypothèse, confirmée pour d'autres lieux, d'un rituel de fondation peut-être
accompagné d'un sacrifice d'une petite fille à la déesse primitive du Latium, Mater Larum, la Mère des dieux Lares, les rois mythiques du Latium. Ceux-ci étaient
représentés par deux couples de frères, les jumeaux Picumnus (le pic, - l'oiseau qui assiste la louve, dans de nombreux récits -, et la hache) et Pilumnus (le «
pilum », la lance), et les frères Faunus et Latinus, ancêtres de Romulus. Et deux sont par définition les ancêtres divinisés des Latins (les Lares), comme deux
étaient les Dioscures (Castor et Pollux) dont le culte est attesté très tôt à Rome, comme deux seront Amulius et Numitor, ou Romulus et Remus.
Les résultats de ces découvertes ont été synthétisés dans l'ouvrage d'A. Carandini, La nascita di Roma. Dei, Lari, eroi e uomini all'alba di una civiltà, Torino, 1997,
et dans le catalogue de l' exposition Roma, Romolo, Remo e la fondazione della città qui s'est tenue à Rome de juin à octobre 2000 (Electa, 2000, 368 p.) et où
tous ces matériaux ont été présentés au public. On peut lire en français l'ouvrage d'Alexandre Grandazzi, La fondation de Rome. Réflexions sur l'histoire, préfacé
par Pierre Grimal, (Les Belles Lettres, 1991). Certes, les méthodes de l'histoire et celles de la mythologie diffèrent et il ne faut pas les confondre, mais il faut aussi
reconnaître que sur ce point elles aboutissent à des résultats convergents : Rome a bien été fondée sur le Palatin vers le milieu du -VIIIe siècle.
D'autres fouilles confirment l'existence historique de réalités autrefois considérées comme de simples récits mythiques par les historiens positivistes : les cabanes
du Palatin, dont la cabane royale, toujours reconstruite après les incendies; toujours conservée intacte de toute autre construction ; les fouilles de la « Regia »
(demeure royale) sur le Forum, qui confirment l'authenticité de la période royale primitive ... La découverte récente (2007) d’une grotte se trouvant sous la maison
d’Auguste au Palatin et décorée par les soins d’Auguste est un autre élément d’illustration de la force du mythe des origines de Rome.
D'autres mythes de fondation complètent l'histoire de Romulus et Remus : le récit de l'enlèvement des Sabines correspond à un rite nuptial primitif rappelant les
pratiques des colons grecs, qui n'avaient d'autre possibilité que de se procurer, souvent par la violence, des femmes indigènes ; le rite se déroulait précisément
dans la Valle Murcia (actuel Grand Cirque) au moment des fêtes rituelles en l'honneur du dieu des moissons Consus. Il rappelle aussi la tradition de la double
origine ethnique de Rome : Latins et Sabins, déjà suggérée par le mythe des jumeaux.
Un autre mythe étiologique (analyse des origines) est celui d'Acca Larentia, à la fois femme de l'étrusque Faustulus et prostituée du temple d'Hercule sur le Forum
Boarium, au pied du Palatin : la légende raconte qu'un prêtre d'Hercule (le premier héros grec à être passé à Rome), désoeuvré, aurait proposé au dieu un partie
de dés, l'enjeu étant le don d'un repas et d'une prostituée. Ayant perdu, le prêtre enferme dans le temple, à la disposition d'Hercule, un bon repas et la plus belle
des prostituées sacrées. Sortant du temple, Acca Larentia, selon la prédiction d'Hercule, rencontre un très riche marchand étrusque, un certain Tarutius, qui,
frappé par sa beauté, l'épouse et lui laisse à sa mort des biens considérables qu'elle-même léguera en testament à la ville ; ce fut la première expansion territoriale
de la Rome primitive, liée à l'activité marchande du Forum Boarium (présence très ancienne de marchands grecs et phéniciens, confirmée par les fouilles de S.
Omobono, zone comprise dans le Forum Boarium). On rapproche ce mythe d'autres récits analogues d'union entre un dieu et une mortelle autour du temple
étrusque de Pyrgi, en Toscane.
Depuis Tite Live et Denys d'Halicarnasse, depuis tous les historiens de Rome qui les ont précédés, on réfléchit sur le sens possible de ces mythes, de ces
légendes. Un des derniers en date, Michel Serres, se livre à une recherche passionnante sur les histoires d'Hercule, d'Evandre, d'Enée, de Romulus, des Horaces
et des Curiaces, sur la violence dans l'histoire (Rome, le livre des fondations, Grasset, 1983). Nous sommes à notre tour pris du « tremblement » dont parle M.
Serres face à « ce nuage instable du temps », ce « flou » dans lequel naît l'histoire, se fonde une ville qui a conditionné notre propre histoire. Qui sait si ce
voyage à Rome nous aidera à y voir plus clair ?
Commentaire du schéma ci-contre
A. Carandini a tenté de reconstituer les étapes de la fondation de Rome dans le schéma ci-contre:
1) Romulus trace le sillon et déplace les mottes de terre vers l'intérieur ;
2) Le tracé du sillon est renforcé par l'alignement de pierres terminales ;
3) Le long des pierres est creusé le fossé de fondation du mur dans lequel les
pierres sont ensuite poussées ;
4) On remplit le fossé des matériaux de fondation et on commence à élever un
mur en terre et en bois ;
5) Le mur à créneaux et couvert de fragments de jarre s'adosse à une porte
flanquée de bastions ayant à l'intérieur deux cabanes de garde / lieux de culte, au
bord de la rue qui monte au Palatin. Un pont devant la porte permet de franchir le
ruisseau et d'accéder à la Voie Sacrée au pied de la Velia, bordée d'une palissade en
cours de construction (cf les descriptions de palissades et de créneaux dans Homère,
Iliade, VII et XII)
(Roma, Romolo, Remo e la fondazione della città, p. 275)
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Deux récits de la fondation de Rome
1) Tite-Live, Histoire romaine, préface et livre premier, Garnier, 1944, pp. 5 et 9-25.
« 7. On permet à l'antiquité. en mêlant le divin à l'humain, de rendre la naissance des villes plus auguste; et s'il faut accorder à un peuple de sanctifier ses origines,
et de les rapporter à des dieux comme à leurs créateurs, la gloire guerrière du peuple romain est assez grande pour que, quand à lui-même et à son fondateur il
donne de préférence pour père Mars, les nations le souffrent aussi, sans plus d'humeur qu'elles souffrent son empire. 8. Toutefois, pour ces légendes et leurs
semblables, de quelque façon qu'on les considère ou les juge, je n'y attacherai pas grande importance. 9. Mais je voudrais que chacun, de son côté, appliquât son
attention à la vie, aux mœurs, aux hommes, aux moyens par lesquels, au dedans et au dehors, l'empire est né et a grandi ; ensuite, la discipline chancelant peu à
peu, que chacun suivît par la pensée d'abord l’affaissement, pour ainsi dire, des mœurs, puis la façon dont elles chancellent de plus en plus et en viennent ù une
chute abrupte, jusqu'à ce qu'on arrive à notre époque, où nous ne pouvons supporter ni nos maux, ni leurs remèdes.
1. - D'abord, on sait bien qu'après la prise de Troie, les ennemis s'acharnèrent sur tous les Troyens : envers deux seulement, Énée et Anténor, grâce aux droits
d'une hospitalité ancienne, et parce qu'ils avaient toujours proposé de faire la paix et de rendre Hélène, les Achéens n'exercèrent pas les droits de la guerre. 2.
Après diverses aventures, Anténor (accompagné de la foule des Énètes qui, chassés par une sédition de Paphlagonie, cherchaient à la fois une résidence et un
chef, ayant perdu leur roi Pylaemène à Troie), vint au fond du golfe de l'Adriatique. 3. Chassant les Euganéens, qui habitaient entre la mer et les Alpes, Énètes et
Troyens occupèrent ces terres. Le point où ils débarquèrent s'appelle Troie, d'où pour le district le nom de troyen. Leur nation entière s'appela « les Vénètes ». 4.
Énée, par une défaite semblable exilé de sa demeure, mais destiné à une fondation plus grande où le menait le sort, alla d'abord en Macédoine, de là en Sicile, où,
cherchant une résidence, il fut poussé ; de la Sicile, il dirigea sa flotte vers le territoire des Laurentins. 5. Ce lieu aussi porte le nom de Troie. Une fois débarqués,
les Troyens, en gens auxquels, après leurs courses errantes et presque interminables, il ne restait que leurs armes et leurs vaisseaux, pillent la campagne. Le roi
Latinus, et les Aborigènes, qui occupaient alors cette région, pour repousser les violences de ces étrangers, accourent, armés, de la ville et des champs. 6. A partir
d'ici, on trouve deux traditions : pour les uns, Latinus, vaincu dans un combat, fit la paix avec Énée, puis s'allia à lui par un mariage; 7. pour les autres, les armées
étant en ligne, avant qu'on sonnât l'attaque, Latinus s'avança entre les deux fronts el invita le chef des étrangers à un entretien. Il lui demanda quelle sorte de
mortels ils étaient, leur patrie, pour quel malheur ils l'avaient quittée, ce qu'ils cherchaient en débarquant au territoire des Laurentins. 8. Quand il apprit que cette
multitude, c'étaient les Troyens; leur chef, Énée, fils d'Anchise et de Vénus ; que, fuyant leur patrie incendiée, ils cherchaient une résidence et un endroit pour
fonder une ville, admirant la noblesse de cette nation et de ce héros, et leur cœur prêt à la guerre comme à la paix, il tendit la main à Énée, gage loyal de leur
amitié future. 9, II s'ensuivit une alliance en règle entre les chefs, et, entre les armées, des marques d'amitié. Énée fut l'hôte de Latinus en son palais; et là, devant
ses dieux pénates, Latinus ajouta une alliance privée à l'alliance publique, en donnant à Énée sa fille en mariage. 10. Ce fait confirme pleinement les Troyens dans
l'espoir de voir enfin un établissement stable et sûr terminer leurs courses. 11. Ils fondent une place forte. Énée, du nom de sa femme, l'appelle Lavinium, Bientôt
un rejeton mâle naquit de ce nouveau mariage; ses parents le nommèrent Ascagne.
II. - Une guerre survint ensuite, commune aux Aborigènes et aux Troyens. Turnus, roi des Rutules, à qui Lavinia avait été promise avant l'arrivée d'Énée, irrité
qu'on lui eût préféré un étranger, contre Énée et Latinus à la fois avait engagé la lutte. 2. Aucune des deux armées ne sortit heureuse de ce combat : les Rutules
furent vaincus; les Aborigènes et les Troyens, vainqueurs, perdirent leur chef Latinus. 3, Sur ce, Turnus et les Rutules, doutant de leur force, ont recours au pouvoir
florissant des Etrusques, et à Mezentius, leur roi, qui, maître de Caeré, place en ces temps opulente, dès le début avait été mécontent de la naissance d'une ville
nouvelle, et alors, jugeant excessive pour la sûreté des voisins la croissance de l'État troyen, associa d'un cœur léger ses armes à celles des Rutules. 4. Énée,
devant la crainte d’une telle guerre, pour se gagner le cœur des Aborigènes et mettre non seulement sous la même loi, mais sous le même nom toutes ces
troupes, appela « latins » les deux nations. 5. Dès lors, les Aborigènes ne le cédèrent pas aux Troyens en dévouement et en loyauté envers leur roi Énée. Fort de
ces sentiments qui se développaient chaque jour chez les deux peuples, Énée, quoique l'Étrurie eût assez de puissance pour avoir rempli déjà non seulement les
terres, mais la mer, sur toute la longueur de l'Italie, des Alpes au détroit de Sicile, de la gloire de son nom, quoiqu'il pût, des remparts, repousser l'attaque, fit sortir
son armée en bataille. 6. Ce combat fut favorable aux Latins, mais aussi, pour Énée, le dernier de ses travaux mortels. Il gît, de quelque nom que le droit humain et
divin permette de l'appeler, sur la rive du Numicus ; on l'appelle Jupiter Indigète.
III. Ascagne, fils d'Enée, n'avait pas encore l'âge d'exercer le pouvoir, Pourtant ce pouvoir, jusqu'à sa majorité, lui fut conservé sans dommage : la tutelle d'une
femme - tant Lavinia avait de caractère - maintint, pour cet enfant, l'État latin, et le royaume de son aïeul et de son père. 2 . .Je ne discuterai pas - quel homme,
sur un fait si ancien, donnerait pour certains ses dires? - s'il s'agit là de l'Ascagne dont j'ai parlé, ou d'un autre, plus âgé, né de Créuse, avant la chute d'Ilion, donc
compagnon de fuite de son père, et que, le nommant Jules, la gens Julia déclare l'auteur de son nom. 3. Ascagne, donc, quels que soient son lieu de naissance et
sa mère, - son père étant sûrement Énée -, trouvant Lavinium surpeuplée, laissa cette ville, florissante pour l'époque et opulente, à sa mère, ou à sa belle-mère, et
fonda lui-même, au pied du mont albain, une ville nouvelle, à laquelle sa situation de ville étendue sur une crête donna le nom d'Albe la Longue. 4. Entre la
fondation de Lavinium et le départ de la colonie d'Albe la Longue, il s'écoula environ trente ans. Pendant ce temps, les forces de l'État avaient tellement augmenté,
surtout par la défaite des Etrusques, que même à la mort d'Énée, ou, ensuite, pendant la tutelle d'une femme et l'apprentissage d'un roi-enfant, ni Mezentius et les
Etrusques, ni aucun autre voisin n'osa bouger. 5. En faisant la paix, on avait convenu qu'entre les Étrusques et les Latins l'Albula, nommé aujourd'hui Tibre, serait
la frontière.
6. Ensuite règne Silvius, fils d'Ascagne, né par hasard dans une forêt. 7. Il engendre Énée Silvius, et celui-ci Latinus Silvius, qui envoya fonder quelques colonies,
dites des « Vieux Latins ». 8. « Silvius » resta, par la suite, comme surnom, à tous les rois d'Albe. De Latinus naquit Alba, d'Alba Atys, d'Atys Capys, de Capys
Capetus, de Capetus Tiberinus, qui, s'étant noyé en traversant l'Albula, donna à ce fleuve son nom, si célèbre depuis. 9. Puis Agrippa, fils de Tiberinus, après
Agrippa Romulus Silvius, avec le pouvoir reçu de leur père, furent rois. A Aventin Romulus, frappé lui-même de la foudre, laissa le royaume en mains. Aventin,
enterré sur la colline qui aujourd'hui fait partie de Rome, lui donna son nom.
10. Ensuite règne Proca. Celui-ci engendre Numitor et Amulius. A Numitor, aîné de la famille, il lègue l'antique royaume de la gens Silvia. Mais la violence fut plus
forte que la volonté d'un père ou le respect de l'âge. 11. Chassant son frère, Amulius règne. A ce crime Il ajoute un autre crime : Il détruit la descendance mâle de
son frère, et la fille de ce frère, Rea Silvia, sous prétexte de l'honorer, il la choisit comme vestale, vouée à une virginité perpétuelle, et lui ôte tout espoir de
maternité.
IV. - 1. Mais il appartenait, je pense, aux destins, de faire naître une telle ville, et commencer l'empire le plus grand qui soit après le pouvoir des dieux. 2. Violentée,
la vestale. ayant eu deux jumeaux, déclare (soit qu'elle le crût, soit parce que, comme agent de sa faute, un dieu était plus honorable) que Mars est le père de cette
descendance douteuse. 3. Mais ni dieux ni hommes ne la préservent elle-même, ou sa descendance, de la cruauté du roi : la prêtresse, enchaînée, est mise sous
bonne garde ; les enfants, Amulius ordonne de les jeter au cours de l'eau.
4. Par un coup divin du sort, le Tibre, débordé en nappes tranquilles, tout en ne permettant nulle part d'arriver à son lit ordinaire, laissait à ceux qui y portèrent les
enfants l'espoir que ces eaux, si calmes qu'elles fussent, les submergeraient. 5. Aussi, pensant s'acquitter de l'ordre du roi, au point le plus proche où ils trouvent
les eaux débordées, là où est maintenant le figuier Ruminal - appelé, dit-on, Romulaire - ils exposent les enfants. 6. Ces lieux étaient alors de vastes solitudes. La
tradition s'est conservée que, le berceau flottant où étaient exposés les enfants ayant été laissé à sec par l'eau peu profonde, une louve altérée, venue des
montagnes environnantes, se détourna aux cris des bébés et abaissa vers eux ses mamelles, avec tant de douceur qu'elle les léchait quand les découvrît un
maître du troupeau royal, nommé, dit-on, Faustulus. 7. Il les porta aux étables et les donna à élever à sa femme Larentia. Il y a des gens pour penser que Larentia,
une prostituée, était appelée « la louve » par les bergers, ce qui donna lieu à la fable miraculeuse.
S. Ainsi nés, ainsi élevés, les deux enfants, dès qu'Ils furent grands, au lieu de rester oisifs dans les étables ou près des troupeaux, pour chasser courent les
bois. 9. S'étant ainsi fortifié corps et âme, bientôt ce n'est plus seulement les fauves qu'ils affrontent: les brigands chargés de butin, ils les attaquent, répartissent
leurs prises entre les bergers, et partagent avec ceux-ci, leur troupe de jeunes gens grossissant chaque jour, occupations et jeux.
V. - 1. Dès lors, sur le mont Palatin, notre fête des Lupercales avait lieu, dit-on ;et c'est Pallantée, ville d'Arcadie, qui fit nommer le mont Pallantium, puis Palatium.
2. Là Evandre, issu de cette race arcadienne, et, longtemps avant, maître de ces lieux, avait institué celte fête solennelle apportée d'Arcadie : des jeunes gens nus
couraient, par jeu et libres ébats, en l'honneur de Pan du Lycée, que les Romains appelèrent ensuite Inuus. 3. Tandis qu'ils s'adonnaient à cette fête, dont la date
solennelle était connue, des brigands qui s'étaient embusqués, dans leur colère d'avoir perdu leur butin, trouvent chez Romulus une résistance vigoureuse, mais
saisissent Rémus, livrent ce prisonnier au roi Amulius, et, prenant les devants, l'accusent. 4. Ils lui imputaient surtout des incursions sur les terres de Numitor, où,
disaient-ils, son frère et lui, ayant réuni une poignée de jeunes gens, enlevaient du butin. Ainsi on livre Rémus à Numitor pour le faire supplicier.
5. Des le début, Faustulus avait eu l'espoir que c'étaient des rejetons royaux qu'on élevait chez lui : il savait l'abandon des enfants sur l'ordre du roi, et le moment
où il avait recueilli ceux-ci coïncidait avec cet abandon. Mais, l'affaire n'étant pas mûre, sauf pour une occasion favorable ou par nécessité, il ne voulait pas la
révéler. 6. La nécessité vint la première : la crainte l'y forçant, il révèle la chose à Romulus. Par hasard, Numitor lui. même, pendant qu'il tenait Rémus sous sa
garde, ayant appris qu'il avait un frère jumeau, en rapprochant et leur âge, et leur caractère même, si éloigné de la servilité, eut le cœur touché du souvenir de ses
petits-fils ; et, par son enquête, il arriva presque, lui aussi, à reconnaître Rémus. 7. Aussi de tous côtés on trame un complot contre le roi. Romulus, non avec sa
troupe de jeunes gens (pour une lutte ouverte, ses forces n'étalent pas égales), mais en ordonnant aux bergers de venir, par des chemins différents, à l'heure fixée,
au palais royal, attaque le roi ; tirant de la maison de Numitor une autre troupe, Rémus l'aide ; ils décapitent le roi.
VI. - 1. Numitor, au premier trouble, dit à tous que l'ennemi a envahi la ville, attaqué le palais royal. Ayant ainsi envoyé la jeunesse d'Albe occuper la citadelle et la
défendre de ses armes, quand il voit les jeunes conjurés, leur meurtre accompli, s'avancer vers lui en se félicitant, il convoque aussitôt l'assemblée, et lui dévoile
les crimes de son frère envers lui, l'origine de ses petits-fils, leur naissance, leur éducation, la façon dont on les a reconnus, enfin le meurtre du tyran, dont il est
l'auteur. 2. Les jeunes gens, passant avec leur colonne au milieu de la réunion publique, saluent leur aïeul comme roi ; toute la foule approuve d'une voix, et
confirme à ce roi son titre et ses pouvoirs.
.
3. L'état albain remis ainsi à Numitor, Romulus et Rémus sont pris du désir, à l'endroit où ils avaient été exposés et élevés, de fonder une ville. Il y avait
surnombre d'Albains et de Latins; des bergers s'y étaient ajoutés ; tout cela permettait facilement d'espérer qu'Albe serait petite, et Lavinium petit, en regard de la
ville qu'on fonderait.
4. A la traverse de ces pensées vient alors un mal héréditaire, l'envie de régner. De là une lutte honteuse. qui commença de façon assez bénigne. Romulus et
Rémus étant jumeaux, et la considération de l'âge ne pouvant décider entre eux, pour que les dieux tutélaires du pays indiquent par leurs augures qui donnerait
son nom à la ville nouvelle, qui, après sa fondation, la gouvernerait, ils prennent comme observatoire Romulus, le Palatin, Rémus, l'Aventin, afin de consulter les
augures.
VII. - 1. Le premier, Rémus vit, dit-on, venir un augure, six vautours ; il l'avait déjà annoncé; mais un nombre double de vautours se présentant à Romulus. l'un et
l'autre furent proclamés roi par leurs partisans ; 2. les uns pour l'antériorité de l'augure, les autres pour le nombre des oiseaux, ils tiraient le trône à eux. Una
querelle les met donc aux prises, et le heurt de leurs colères tourne au meurtre : là, dans la foule, frappé, Rémus tomba. Une tradition plus répandue dit que, pour
se moquer de son frère, Rémus sauta les murs nouveaux; alors Romulus irrité, menaçant dans ses paroles mêmes, en ajoutant: « Autant désormais pour
quiconque franchira mes remparts ! » le tua. 3. Ainsi, seul, Romulus s'empara de l'empire ; la ville fondée prit le nom de son fondateur.
Ce fut d'abord le Palatin, où il avait été élevé. qu'il fortifia. Il fait les cérémonies aux dieux suivant le rite albain ; suivant le rite grec, toutefois, pour Hercule,
comme Evandre l'avait établi. 4. Hercule, ayant tué Géryon, amena, dit-on, à cet endroit, des bœufs d'un aspect magnifique. Près du Tibre, à l'endroit où il avait en
poussant devant lui son troupeau, traversé le fleuve à la nage, il s'arrêta dans un pré, pour que le repos et l'herbe abondante refissent ses bœufs ; et, fatigué de la
marche, il se coucha lui-même. 5. Les vivres et le vin l'ayant alourdi, le sommeil le terrassa. Un berger de l'endroit, nommé Cacus, fier de sa force, séduit par la
beauté des bœufs. voulut détourner cette proie. Mais s'il poussait le troupeau dans sa caverne, ses traces suffiraient, lors des recherches du maître, à l'y conduire :
Cacus y tira donc, à reculons, tous les bœufs les plus beaux par la queue. 6. Hercule, éveillé à la prime aurore, parcourut des yeux son troupeau et s'aperçut
qu'une partie manquait. Il alla vers la caverne toute proche voir si, par hasard, les traces y menaient. Quand i1 les vit toutes dirigées vers l'extérieur. sans mener
nulle part, troublé et ne sachant que penser, il commença à éloigner son troupeau de cet endroit dangereux. 7. Mais certaines vaches qu'il emmenait ayant,
comme il arrive. mugi au regret de leurs compagnes abandonnées, celles-ci, enfermées, répondirent de la caverne. Leur voix fit retourner Hercule. Comme il
marchait vers la caverne, Cacus essaya de l'en empêcher par la force; mais, frappé de la massue, en invoquant vainement l'assistance des bergers, il tomba mort.
8. A cette époque, Evandre, un Péloponésien réfugié là, gouvernait ces régions, par son ascendant- plus que par son. pouvoir : vénérable par sa connaissance des
merveilles de l'écriture, chose nouvelle pour ces peuples encore sans art, il était plus vénérable encore par la croyance à la divinité de sa mère Carmenta, que
come prophétesse, avant l'arrivée en Italie de la Sibylle, ces nations avaient admirée. 9. Evandre donc, alors attiré par cette affluence de bergers s'agitant autour
d'un étranger manifestement coupable d'un meurtre, après avoir appris son acte et les causes de son acte, considérant l'allure et la beauté de ce héros,
sensiblement plus majestueuses et plus augustes que celles d'un homme, lui demanda qui il était. 10. Quand il connut son nom, son père et sa patrie: « Fils de
Jupiter, Hercule, salut, dit-il, Ma mère, fidèle interprète des dieux, m'a prédit que de toi s'accroîtrait le nombre des êtres célestes, et qu'ici te serait consacré un
autel que la nation qui sera un jour la plus puissante de la terre appellera « très grand » et honorera selon ton rite » .
11, Hercule, lui tendant la main, dit qu'il accepte l'augure et qu'il va accomplir le destin en fondant et en consacrant l'autel. 12. C'est là qu'alors, pourla première
fois, avec une vache mugissante prise à son troupeau, on sacrifie à Hercule, en employant pour ce ministère et pour le banquet religieux les Potitius et les Pinarius,
familles alors les plus illustres de cette contrée. 13. Il arriva par hasard que les Potitius furent là à temps et qu'on leur servit les entrailles, tandis que les Pinarius ne
vinrent qu'une fois les entrailles consommées, pour le reste du banquet. D'où, dans la famille des Pinarius, cet usage, qui dura autant qu'elle, de ne pas manger les
entrailles des victimes. 14, Les Potitius, instruits par Evandre, furent les chefs de ce culte pendant bien des générations, jusqu'à ce qu'ayant abandonné à des
esclaves publics ce ministère solennel de leur famille, la race entière des Potitius périt. 15. Voilà le culte que Romulus accepta seul, entre tous les cultes étrangers :
dès lors, cette immortalité due au courage, à laquelle le conduisait son destin, avait ses faveurs ».
2) Denys d’Halicarnasse, Les Antiquités romaines, livres I et II, Les origines de Rome, Les Belles Lettres, 1990, pp. 33-34
« IX. De cette cité, maîtresse de l'ensemble de la terre et de la mer, qui est aujourd'hui habitée par les Romains, on dit que les plus anciens occupants, parmi ceux
dont on a gardé le souvenir, furent des Barbares Sikèles,
une nation indigène. Mais si avant eux, cette région était occupée par d'autres peuples ou bien déserte,
nul ne peut le dire avec certitude. Plus tard elle tomba aux mains des Aborigènes qui, au terme d'une longue guerre, l'enlevèrent à ses occupants. Les Aborigènes
habitaient auparavant dans les montagnes, dans des villages non fortifiés et dispersés; mais quand les Pélasges et quelques autres Grecs qui s'étaient joints à eux
les aidèrent dans leur guerre contre leurs voisins, ils chassèrent les Sikèles de cette région, s'emparèrent de nombreuses cités et entreprirent de soumettre à leur
autorité l'ensemble du territoire compris entre deux fleuves, le Liris et le Tibre. Ils prennent leur source au pied de la chaîne des Apennins, qui coupe l'Italie en deux
sur toute sa longueur et, distants à leur embouchure de quelque huit cents stades, ils se jettent dans la mer Tyrrhénienne, le Tibre débouchant au nord près d'Ostie
et le Liris arrosant au sud Minturnes ; ces cités sont l'une et l'autre des colonies romaines. Ils continuèrent à habiter au même endroit, sans en être jamais plus
chassés par d'autres, et en changeant deux fois de nom bien que demeurant identiques à eux·mêmes : jusqu'à la guerre de Troie, ils conservèrent leur ancienne
appellation d'Aborigènes, mais sous le roi Latinus, dont le règne fut contemporain de la guerre de Troie, ils commencèrent à être appelés Latins. Et quand Romulus
fonda la cité qui porte son nom, seize générations après la guerre de Troie, changeant leur dénomination pour celle qu'ils ont aujourd'hui, d'un peuple minuscule et
obscur ils se préparèrent à faire avec le temps le peuple le plus grand et le plus brillant, en accueillant avec humanité tous ceux qui leur demandaient asile, en
accordant le droit de cité à tous les vaincus qui s'étaient vaillamment battus, et en permettant à tous les esclaves qu'ils avaient affranchis de jouir des mêmes droits
civils que les citoyens, en ne dédaignant aucun homme, quelle que fût sa condition, pourvu qu'il pût être utile à la communauté, mais plus que tout encore grâce à
leur bonne organisation politique, qu'ils instituèrent à la suite de multiples expériences, en tirant avantage de chaque circonstance. »
Denys raconte la suite de l’histoire de la fondation de Rome dans les chapitres LV - LXXXIX de son livre, pp. 83-124. Lisez Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, vous
y trouverez grand plaisir.