4.3. L’histoire des villes italiennes : VENEZIA - Pour mieux comprendre Venise et son histoire - 2
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4. - Les invasions barbares et la fin de l'empire romain d'Occident Il faut renoncer à la tradition selon laquelle, pendant les invasions barbares du Vème siècle, les habitants de la terre ferme se seraient transférés de façon stable dans les îles de la lagune pour y chercher refuge. Une lettre de Cassiodore (487-583), préfet du prétoire de Théodoric, est adressée en 537-538 aux « tribunis maritimorum » des Venetiae pour solliciter le transport de denrées alimentaires d'Istrie à Ravenne. Il décrit la zone lagunaire comme occupée par peu d'habitants, qui vivaient dans de modestes maisons en bois, de la pêche et de l'extraction du sel. Les fouilles effectuées à Torcello ont confirmé que cette zone n'était pas déserte (l'île était située sur la voie qui conduisait de la mer à Altino) mais habitée de façon sporadique et modeste (on a retrouvé en 1990 les restes d'une maison romaine du 1er s., sous une strate romaine tardive, une strate byzantine et une strate médiévale) ; ce n'est qu'à partir de la fin du VIème, début du VIIème siècle que la colonisation devient permanente et plus intense, développant une activité de marché mais aussi une activité industrielle, le travail du verre, jusqu'au VIIIème siècle, après quoi l'île devient surtout un centre religieux. (Santa Fosca, San Giovanni Evangelista, la cathédrale Santa Maria fondée en 639). Cette lettre de Cassiodore évoque aussi les « tribuns », autorités civiles des anciens villages de l'époque romaine maintenus par le royaume ostrogoth de Théodoric. Vinrent s'y ajouter les « duces » ou « magistri militum », chefs militaires nommés par l'empereur Justinien à la tête de troupes orientales, après la reconquête de l'Italie et la nomination d'un représentant à Ravenne (« exarque »). Cette double présence de la tradition romaine et de l'empire byzantin pèsera plus tard sur la formation de la ville de Venise. Rappel de quelques dates : 312 : Constantin l'emporte sur Maxence à la bataille de Ponte Milvio aux portes de Rome et se convertit au christianisme 313 : Edit de Milan, liberté de culte pour les chrétiens 324 : Constantin reste seul empereur romain 330 : transfert de la capitale de l'Empire à Byzance 379-395 : Théodose empereur ; infiltrations d'éléments germaniques dans l'armée romaine, début d'invasion des Goths 380 : Edit de Thessalonique, le christianisme devient religion d'Etat et se répand dans tout le bassin méditerranéen 395 : deux empereurs, Honorius, empereur d'Occident (395-423) ; Arcadius, empereur d'Orient  (395-408) 410 : Les Wisigoths d'Alaric saccagent Rome 452 : les Huns d'Attila saccagent les villes de Vénétie (dont Altino) et sont arrêtés à Mantoue par le pape Léon-le-Grand 455 : les Vandales de Genséric saccagent Rome 476 : Odoacre, roi des Erules, dépose le dernier empereur d'Occident Romulus Augustulus et se proclame Roi des Germains et Patricien de l'empire d'Orient 474-491 : Zénon, empereur d'Orient envoie Théodoric, roi des Ostrogoths, lutter contre Odoacre qui est vaincu et tué à Ravenne en 493 493-526 : Théodoric, reconnu Patricien des romains, adopte l'hérésie arienne 527-565 : Justinien empereur reconquiert l'Italie sur les successeurs de Théodoric, l'Afrique du Nord et le sud de l'Espagne, grâce à ses généraux Bélisaire et Narxès. 568 : Un « exarque » est nommé à Ravenne par l'empereur d'Orient 568-774 : invasion des Longobards : Albuin, Agilulf qui les convertit au christianisme, Liutprand et Astolphe qui occupent l'exarcat de Ravenne (751) ; le roi Didier menace Rome, le pape  fait appel à Charlemagne et Pépin-le-Bref. Didier est vaincu à Pavie en 774. Début du pouvoir temporel du pape. En 568, sous la pression des nouveaux envahisseurs longobards (les Lombards), l'archevêque d'Aquileia Paolo se transfère à Grado, plus proche de la mer, en emportant les trésors de l'église. C'est en réalité la pression longobarde qui accentue peu à peu le déplacement des populations de l'intérieur vers les côtes. Les invasions précédentes des Vè et VIè siècles n'avaient pas modifié la structure régionale augustéenne et l'unité régionale vénéto-istrienne : d'Odoacre aux Byzantins, elle fut simplement intégrée aux nouveaux royaumes. La fuite vers les côtes était  considérée comme provisoire  : Paolo n'a pas l'intention de transférer le siège de l'église vénéto-istrienne de façon définitive, et son successeur Probino est probablement retourné pour quelques temps à Aquileia. Les Goths et les Huns ne font que passer sans vélléité d'installation durable ; les habitants de  la terre ferme fuyaient avec l'espoir de rentrer chez eux, passé l'orage. Puis la domination des Lombards se perpétua, eux s'installaient de façon définitive ; la région se partagea entre eux qui occupaient tout l'intérieur, et les Byzantins à qui ne resta à partir de 639 que la zone côtière de la lagune où commença alors à se construire un nouvel équilibre des pouvoirs religieux, civil et militaire, dans la dépendance de l'exarque de Ravenne sous la haute souveraineté de l'empereur de Constantinople. La hiérarchie byzantine est respectée, perpétuant l'unité du monde romain : il faut insister sur ce fait que, malgré la profondeur du bouleversement social et l'éparpillement des implantations dans les diverses « îles », l'ensemble des populations exilées garda une totale cohésion politique sous l'autorité du magister militum dans un ordre hiérarchique unique : au royaume lombard, les réfugiés préfèrent l'ancien ordre romain incarné par Byzance. Les châteaux (« castrum ») qui se construisaient dans chaque île (cf encore le quartier nord de Venise : Castello), ne furent jamais des entités indépendantes mais dépendirent toujours de la Civitas nova, la ville nouvelle, qu'elle soit installée à Héraclea ou à Rialto. En 639, Marcello, le magister militum, gouverneur de la provincia Venetiarum, s'installe à Héraclea, puis, à la demande de l'exarque, sur l'île de Torcello où il fait construire une église dédiée à « Maria Dei Genetrix ». En 742, le dux  transporte son siège à Malamocco, sur le litoral, en contact étroit avec la mer et la flotte byzantine. En 776, est créé un second évêché dans le « duché » sur l'ilôt d'Olivolo, près de l'actuel San Pietro di Castello. Ce choix est emblématique du tournant opéré dans la stratégie territoriale du duché : on abandonne les anciennes lignes de développement (le trafic vers Altino et Padoue) au profit des îles où s'étaient déjà installés les monastères bénédictins qui servaient de point d'appui pour les trafics avec l'Orient, à San Servolo (à 1500 m. au sud-ouest d'Olivolo), San Zaccaria (près duquel se dressera San Marco), San Giorgio Maggiore. Enfin, le nouveau dux, Agnello Partecipazio (811-827), abandonne Malamocco attaqué par les Francs et transfère son siège près d'Olivolo dans la zone appelée Rivoaltum, Rialto, nom qui restera longtemps à Venise. On assiste donc à un double phénomène : 1) Le pouvoir de l'exarque est  délégué au magister militum qui prendra pour la première fois, avec un certain Deusdedit le titre de dux à partir de 713-716. En 732, quand les longobards chassent l'exarque de Ravenne, le patriarche de Grado fait appel à la flotte des Vénètes qui commence donc à avoir une existence autonome. 2) Les organes religieux et politiques sont peu à peu transférés de la terre ferme ou de la périphérie de la lagune vers les « îles » de l'aire qui va devenir Venise. En choisissant Byzance contre les Lombards puis contre les Francs, Venise échappait dès le départ à un avenir terrien et agricole pour se tourner vers l'Orient et vers la mer. Venise allait devenir « l'intermédiaire naturel et officiel pour les échanges entre les deux puissances (royaume franc, empire byzantin). Voilà donc confirmée définitivement la vocation de Venise comme centre des communications et des échanges commerciaux entre Orient et Occident »  (Alvise Zorzi). 5. - La formation naturelle des « îles » et les prémices de Venise Mais pour que les habitants de la terre ferme puissent s'installer dans les îles , il fallait qu'il y eût des îles ... Ce choix stratégique fut en effet rendu possible par les événements naturels : vers 590, toute la Vénétie fut affectée par un ensemble de très fortes inondations, dues à des phénomènes de bradysisme (mouvement vertical du sol) qui bouleversèrent tout l'équilibre hydrogéologique. Les eaux de l'Adige noyèrent Vérone, déplaçant leur lit pour déboucher dans l'Adriatique près de Chioggia ; le Brenta se déversa loin de Padoue, abandonnant son lit au Bacchiglione, le cours du Piave et du Sile fut changé, bouleversant les aires d'Altino, Concordia et Torcello. Tout le système agraire, routier, fluvial de la zone côtière est modifié, voire détruit, et pour la première fois on commence à parler d'  « insulae » (« îles ») et de « Venetia » insulaire, à la différence de la période précédente où des îles n'apparaissaient qu'à marée basse et étaient noyées à marée haute. (Cassiodore écrit dans sa lettre : «  Vous habitez des terres que l'eau couvre et découvre selon son mouvement alterné.Vos maisons, qui semblent tantôt poséezs sur la terre, tantôt flotter sur l'eau, ressemblent à celles des oiseaux des marais ».) Ce n'est donc que vers la fin du VIème s. que l'on peut dater les premières traces d'installation stable dans des îles jusqu'alors inexistantes. Dans les siècles suivants, les nouveaux « vénitiens » apprirent à connaître cette dialectique entre les eaux douces des fleuves et les eaux saumâtres de la mer. Ils tendirent à stabiliser l'équilibre atteint en limitant toute avancée des alluvions fluviales, qui provoquaient l'atterrement, la création de marais et la malaria. On dévia donc le Brenta et le Sile pour les faire déboucher non plus dans la lagune mais directement dans l'Adriatique, on protégea les cordons litoraux de l'érosion marine par la construction des « murazzi » (1716-1787), énormes digues en pierre d'Istrie de 4,50 m. de haut et d'une largeur de 14 m., on aménagea la profondeur des « bocche » pour les maintenir navigables, on creusa en 1727 le canal de Santo Spirito qui mettait en communication la « bocca »  de Malamocco avec le bassin de Saint-Marc ; en 1791, on marqua les limites de la lagune par 99 bornes sur un périmètre de 157 kms. Tout cela était réalisé au nom d'une politique cohérente parfaitement contrôlée et maîtrisée par la République de Venise, sous l'autorité du « Magistrat des eaux », un des plus importants et des plus surveillés : « Pesélo, paghélo, impichélo » (Évalue-le, paie-le, pends-le, s'il fait mal son travail), disait la formule de présentation au peuple par le doge !. Les problèmes commenceront à partir du moment où Français, Autrichiens et Piémontais subordonnèrent leur politique vénitienne à des exigences et à des intérêts qui n'étaient plus ceux de Venise. La situation actuelle est l'héritage de presque deux siècles de négligences et d'erreurs par méconnaissance de la réalité naturelle et de l'histoire de la construction de Venise. II. - L' « invention » de Venise entre VIIIème et XIIème siècles 1.- L'autorité du dux entre francs, byzantin et Eglise romaine La domination byzantine avait certes ses adversaires dans les populations de la Ville nouvelle, mais c'est une querelle religieuse qui provoque la révolte contre Byzance et permet le début d'un développement autonome de Venise : la querelle des images. Entre 725 et 730, l'empereur Léon III l'Isaurien engage une lutte iconoclaste, réprouvant la présence de représentations du Christ et des saints dans les lieux de culte : il les considère comme idolâtres et les fait interdire et détruire. L'opposition du pape Grégoire II à l'extension de l'édit iconoclaste de Léon offre aux adversaires de Byzance le prétexte pour se révolter contre sa domination. La révolte s'étend de l'Eglise aux sphères sociales et militaires, à la défense de la foi commune se joint la revendication de liberté politique. L'armée de Vénétie (« exercitus Venetiarum ») décide alors d'élire son propre  dux jusqu'alors nommé par l'empereur et l'exarque de Ravenne. Le pape, qui avait déclenché la révolte pour la sauvegarde de ses prérogatives, freine ensuite les révoltés qui pensaient conclure leur lutte en élisant un nouvel empereur d'Occident. Mais il reste que cette élection du dux est la première manifestation de la future autonomie de Venise par rapport à Byzance. Qui fut le premier dux élu ? Le Paulicio Anafesto considéré comme le premier n'est en réalité qu'une lecture tendancieuse par un diacre de l'inscription inscrite sur les bornes « PAUL - (PATR) - ICIUS » qui désignait Paul l'exarque de Ravenne  mort en 727. Le chef des rebelles fut plus probablement un certain Orso hypatos, reconnu ensuite par l'empereur Léon III lorsque fut restaurée l'autorité impériale après la révolte. Lui succèdent d'abord son fils Deusdedit (Theodato hypatos), en 742, puis un citoyen de Malamocco, Domenico Monegario, tous assassinée par des révoltes populaires. C'est un citoyen d'Heraclea, Maurizio, qui sera élu « duca » en 764, compromis entre les deux composantes de la population, les marchands et propriétaires fonciers de terre ferme (Héraclea) et les marins commerçants de Malamocco. La conquête de Ravenne par les Longobards entre 740 et 751 diminue encore le territoire byzantin en Italie, l'exarque se réfugie dans la lagune ; l'empire byzantin affaibli se concilie les ducs en les couvrant d'honneurs et de titres. L'avancée des Longobards, qui conquièrent l'Istrie après Ravenne en 751, oblige le pape à faire appel aux Francs de tradition catholique pour contrebalancer l'influence des Longobards ralliés à l'arianisme. (Les ariens, disciples du prêtre Arius (280-336), d'Alexandrie, auteur d'une théorie trinitaire selon laquelle le Fils, engendré dans le Temps, était semblable  mais non égal,  non consubstantiel au Père. L'arianisme est condamné comme hérésie par le Concile de Nicée en 325, mais il reste vivant jusqu'au VIIème siècle parmi les barbares (Goths et Ostrogoths) et dans l'Empire d'Orient.) Les Francs (Charlemagne puis Pépin-le-Bref) avaient déjà vaincu les Arabes à Poitiers (732) et constituaient la plus grande puissance terrestre de l'Europe chrétienne ; après 20 ans de guerre, ils défont l'armée longobarde à Pavie en 774 ; c'en est fini du royaume longobard dont le dernier roi, Didier, est déposé. Mais Charlemagne revendique la couronne impériale qui lui est remise par le pape Léon III en 800. C'est la rupture entre deux empires, Rome et Constantinople, doublée d'une rupture entre deux églises, grecque-orientale et latine-occidentale dont les querelles se transfèrent dans la lagune. Venise est prise entre trois puissances : l'empire byzantin, l'empire carolingien et l'Eglise de Rome : en faisant appel aux Francs, le pape avait revendiqué pour lui-même la possession des anciens territoires longobards, y-compris « les provinces de Vénétie et d'Istrie », tandis que Charlemagne revendiquait lui aussi ces territoires ; il établit un blocus économique autour de la lagune qui résiste, sa flotte assiège, conquiert peut-être Malamocco mais ne réussit pas à entrer dans la lagune et est bientôt mise en fuite. Venise était sauvée. En 814, Constantinople (l'empereur Nicéphore)   reconnaît à Charlemagne le titre impérial ; en échange, les Francs restituent à Byzance ses possessions adriatiques et dalmates. Le « duché » revient sous domination byzantine, et le nouveau dux, Agnello Partecipazio (811-827), transfère sa résidence à Olivolo : ainsi commence à se former la future ville de Venise. 2. - L'affirmation de Venise aux Xème et XIème siècles. Mais à cette époque, la population est encore dispersée en de nombreux centres, 17 selon le Pacte de Lothaire de 840, 28 selon le Traité de l'empereur byzantin de 948-952, parmi lesquels s'affirment peu à peu celui de Rivoalto comme centre politique, résidence du dux, et celui de Torcello comme centre commercial principal. Le drainage des canaux existants, le creusement de nouveaux canaux dessine progressivement le tracé de la future ville, encore mobile du fait d'une nouvelle avancée de la mer. Au XIème siècle est délimité un ensemble de six « régions », dont le nom se réfère à leurs caractéristiques morphologiques naturelles, et qui commencent à révéler la distribution des fonctions administratives, civiles et ecclésiastiques : * Olivolo, île où étaient plantés des oliviers ; * les Gemine, deux îles « jumelles » ; * Rivoalto, terre plus élevée et plus solide, de même que * Dorsoduro, un « dos » plus dur * Luprio, de la racine « Lup » indiquant un sol émergeant d'une zone marécageuse, infiltré par l'eau de mer à travers le Grand Canal ; c'est la zone correspondant à la paroisse de San Giacomo dell'Orio, « Orio » étant une contraction de « Luprio ». * Canaleclo, zone plantée de roseaux (cannaie, futur « Cannaregio ») et marécageuse, occupée par l'eau douce de la rivière de Mestre qui débouchait vers cette île. L'opposition entre ces deux zones, l'une plus haute (Rivoalto et Dorsoduro), l'autre plus basse (Luprio et Canaleclo), concorde avec les indications des carottages selon lesquelles un cordon de dunes passait dans cette zone, séparant les eaux douces des eaux salées. Le territoire de Venise était donc probablement assez incohérent à cette époque : des maisons en bois ou en dur dispersées entre les zones marécageuses appelées « piscine » qui séparaient les îlots et pénétraient même les zones dures comme Dorsoduro. 3. - Saint Marc et le lion C'est dans ce contexte que la basilique Saint-Marc prend son nouveau visage, à partir de sa reconstruction de 1063 et du transfert des reliques de saint Marc vers 1094. La basilique n'est pas la résidence de l'évêque (la cathédrale était à San Pietro di Castello), mais l'église officielle de l'Etat vénitien, la chapelle du palais ducal ; elle avait le privilège de ne pas dépendre de l'autorité de l'évêque mais d'un « primicerius » nommé par le doge et qui jouissait de quelques privilèges épiscopaux. ; c'était une magistrature de la République, la « Procuratia de supra » qui s'occupait de la gestion de la basilique. Les cultes ne se déroulaient pas selon le rite romain, mais selon un rite liturgique propre à Saint-Marc jusqu'en 1807, date à laquelle le Patriarcat de Venise est transféré de San Pietro à San Marco ; un certain nombre de mélodies et de lectures se maintiennent même jusqu'après le Concile Vatican II. Saint-Marc, c'est donc Venise même, non pas un simple édifice religieux, mais le symbole de la ville, de son indépendance par rapport aux autres puissances et à l'Eglise de Rome, de son unicité. La légende de saint Marc s'affirme à partir du XIIIème siècle au moment où la basilique s'orne de marbre et de mosaïques, et elle devient histoire et article de foi. Elle veut que Marc, de retour d'Aquileia où Pierre l'avait envoyé annoncer la bonne nouvelle, fut pris par une tempête à l'embouchure du Medoaco (le Brenta) et poussé vers un bas-fond où sa barque s'échoue. Un ange lui apparaît alors qui lui annonce : « Paix à toi, Marc, et sache qu'ici reposera ton corps. Une grande route s'ouvre encore devant toi, oh Evangéliste de Dieu, tu devras encore supporter de nombreuses souffrances au nom du Christ ; mais après ta mort les peuples fidèles qui habitent ces terres construiront ici une merveilleuse ville et se rendront dignes de posséder ton corps, qu'ils honoreront ensuite de la plus grande vénération ». La barque reprend alors son cours jusqu'à Alexandrie d'Egypte dont Marc devient le premier évêque et où il subit le martyre. La légende est due à Eusèbe de Césarée (IVème siècle), le conseiller ecclésiastique de l'empereur Constantin, qui est aussi le seul à situer à Alexandrie les reliques de Marc. (Voir en annexe le récit de la Légende dorée de Jacques de Voragine, Vol I, p. 302 sq, GF Flammarion, 1967.) Le symbole de Marc était le lion, qui devient le symbole que Venise place dans tous les territoires conquis comme signe de sa puissance (on appelait les Vénitiens des « pianta leoni »  des planteurs de lions !). La tradition dit seulement que Jean, dit Marc, était le fils d'une femme de Jérusalem qui avait mis sa maison à la disposition des Apôtres pour leurs réunions (Cf Evangile de Marc, 14, 51) ; il suivit le Christ après son arrestation, réussit à s'enfuir, rejoint son cousin Barnabé, Pierre et Paul, suit Paul dans son premier voyage missionnaire, évangélise Chypre (Actes des Apôtres, 15, 37), retrouve Paul prisonnier à Rome (Epître aux Colossiens, 4, 10), reste lié à Pierre qui l'appelle « fils » (Epître de Pierre, I, 5, 13). La tradition veut que l'évangile de Marc ait été écrit en Italie, et en partie à Rome vers 71. Selon la tradition vénitienne, deux marchands vénitiens, Buono da Malamocco et Rustico da Torcello volent les dépouilles de saint Marc à Alexandrie en 828 et les rapportent à Venise où le doge Giustiniano Parteciaco les accueille (lorsque le cercueil touche terre, une suave odeur de rose parfume la rive ...). Il les dépose non pas à Grado, alors centre religieux de l'Etat, mais à Rialto, dans le « castrum » qui deviendra le Palais des Doges : Giustiniano avait déjà en tête l'idée de la future Venise indépendante du Patriarche de Grado et souveraine par rapport aux deux empires. Le doge (et ses successeurs), ne se fiant pas au clergé, cache le corps du saint sous la protection de son seul gouvernement, et il ordonne la construction d'une « basilique du bienheureux Marc Evangéliste », achevée en 883. L'arrivée du corps de saint Marc, vrai ou faux, en 828, constitue une remarquable opération politique du doge : les évêques de Grado et d'Aquileia se disputaient alors le titre de « Patriarche » ; le pape et l'empereur carolingien avaient pris parti pour Grado qui relevait de leur juridiction : ils entendaient ainsi se soumettre le nouveau duché de Venise, risquant de créer un conflit avec Byzance. Le doge renversa alors les positions : au souvenir de saint Marc, lié à Aquileia, il opposait la présence physique de la relique elle-même. La ville nouvelle s'assurait ainsi un primat sur Aquileia comme sur Grado, en s'inventant une identité « sacrée ». Avant même d'être construite, Venise devenait une des plus importantes villes du Moyen-âge par la possession du corps d'un évangéliste. Détruite par un incendie en 976 (un incendie « politique » où meurt le doge Pietro Candiano IV haï par les vénitiens parce que trop soumis à l'empire d'Occident et surtout soupçonné de tyrannie et pouvoir personnel), elle est restaurée par le doge Pietro Orseolo, qui appartenait à une faction adverse plus favorable à une alliance avec Byzance. En 1071, Marc est officiellement proclamé patron de Venise et on « retrouve » miraculeusement sa dépouille!. Une troisième église, celle d'aujourd'hui, est consacrée en 1094 par le doge Vitale Falier. La précédente église de saint Théodore est détruite à cette occasion : soldat martyr oriental, Théodore, dont les reliques avaient été transférées moitié à Venise moitié à Chartres, était le symbole de la dépendance vis à vis de Byzance. Marc apparaissait au contraire comme un personnage plus représentatif, oriental mais envoyé évangéliser l'occident, plus important aussi, presque à l'égal de Pierre, avec le privilège d'être un des quatre évangélistes : le choix de Marc mettait Venise sur un pied d'égalité avec la Rome de Pierre. Le lion est une des quatre figures du Tétramorphe qui apparaît à partir du IVème siècle, s'inspirant de la vision d'Ezéchiel et de celle de l'Apocalypse de Jean : quatre êtres vivants entourent au ciel le trône du Souverain universel, un lion, un taureau, un être ayant l'aspect d'un homme, un aigle. A l'origine, le Tétramorphe désigne les quatre points cardinaux, mais aussi l'action de salut du Christ sous quatre formes selon les quatre évangiles. Le Christ est homme quand il vit, taureau (du sacrifice) quand il meurt, lion quand il ressuscite, aigle quand il monte au ciel. Jean est l'aigle, Marc est le lion, Luc le taureau et Matthieu l'homme. Les Vénitiens avaient déjà revendiqué les dépouilles de saint Jean l'Evangéliste, l'aigle. En choisissant Marc, le lion, pour saint patron, à la place du plus modeste Théodore (bien que celui-ci eût la réputation d'être le continuateur d'Hercule et de Thésée et de tuer les dragons... comme plus tard saint Georges), ils se donnaient pour symbole une représentation du Christ ressuscité, ils étaient la force et l'énergie cosmique en même temps que l'envol spirituel, au-dessus même de Pierre qui n'était au fond que le successeur humain du Christ. Le lion (sans ailes) n'était-il pas déjà le symbole de Rome au XIIIème siècle ? Roi des oiseaux, l'aigle n'était-il pas symbole royal et impérial ? Sur le double plan religieux et politique, le choix de Marc et d'un lion ailé représentaient donc  bien la conscience qu'eut très tôt Venise de sa situation unique et de son rôle exceptionnel parmi les nations chrétiennes. Quant au lion ailé de la colonne sur la Piazzetta, son origine reste un mystère. On sait que le 14 mai 1293, le Grand Conseil décide de le restaurer. Depuis quand était-il sur la colonne ? Les deux colonnes sont élevées par Niccolò Barattieri en 1172 ; la statue de saint Théodore est posée sur l'une en 1329, le lion, on ne sait pas ; les chapiteaux ayant été installés à la fin du  XIIème siècle, on peut penser que le lion y a été disposé aussitôt. Les chroniques n'indiquent pas que les Vénitiens l'auraient rapporté de Constantinople avec les chevaux de la basilique en 1204. Par contre il a pu être rapporté de la 1ère croisade (1095) à laquelle participe la flotte vénitienne, qui conquiert plusieurs villes côtières d'Anatolie et de Syrie (par exemple Tyr, où les Vénitiens font construire en 1164 une église dédiée à saint Marc dont ils rapatrient les richesses à Venise en 1249 après avoir dû céder l'église aux Français), et qui en ramène un riche butin.  En 1797, les Français détruisent systématiquement les lions de saint Marc, symboles de la puissance vénitienne, et emportent à Paris celui de la colonne avec les quatre chevaux. Il fait retour le 11 décembre 1815, cassé en 14 morceaux, il est restauré et remis sur la colonne. Il a été sauvé ! Mais d'où vient-il ? Le lion-griffon remonte à la nuit des temps au Moyen-Orient, où on en trouve des traces jusqu'au IVème millénaire av. J.C., être hybride unissant la force du lion à la rapidité de l'aigle. L'origine orientale est donc la plus probable, mais d'où et de quand ? L'hypothèse la plus récente est celle de  Ward Perkins qui analyse le lion en 1945, lors de son exposition au public, et conclut prudemment que c'est sans doute une sculpture des VIIè-VIè siècle av. J.C., produite à la lisière du monde grec dans les régions de l'Anatolie orientale ou de la Syrie septentrionale, où la métallurgie était florissante. (Voir sur le lion de la colonne de la Piazzetta l'ouvrage exhaustif : Le lion de Venise. Etudes et recherches sur la statue de bronze de la Piazzetta,  sous la direction de Bianca Maria Scarfì, Albrizzi Editore, Venise, 1990, 238 p. (édition française).). 4. - Vers le grand empire vénitien Les grandes lignes de l'histoire de Venise après le XIIème siècle sont tracées dans tous les Guides ou dans le Que sais-je ? auxquels nous renvoyons. Rappelons seulement quelques points principaux. a) Venise et Byzance Venise arrache peu à peu à Byzance sa totale autonomie. Elle en obtient d'abord des avantages commerciaux en Méditerranée et en Orient (elle dispose d'un quartier à Constantinople et dans de nombreuses villes), en échange d'une aide militaire et financière apportée à l'empire : lutte contre les Sarrasins qui menacent les possessions byzantines en Italie du Sud ; lutte contre les Slaves à qui elle arrache la maîtrise de l'Adriatique et donc la route de l'Orient ; conquête de la côte Est de l'Adriatique (Dalmatie) qui donne à Venise la maîtrise de la mer, d'où s'affirme la tradition des épousailles de la mer (« Desponsamus te, mare, in signum veri perpetuique dominii »). Dernier péril : les Normands installés en Sicile et à Naples qui menacent les possessions byzantines en Grèce ; Venise les affronte de 1082 à 1085 et remporte finalement la victoire. Cela lui vaut de nouveaux titres honorifiques de la part de Byzance, et de plus grandes facilités commerciales. Venise devient le partenaire privilégié en Orient. En 1084, Byzance lui accorde son indépendance juridique. Jusqu'à la IVème croisade, Venise regarde vers Byzance, à qui elle emprunte non seulement ses formes picturales et architecturales, mais ses artisans, mosaïstes en particulier. Le décret de 1268 décidant de former des mosaïstes sur place est une des marques concrètes de l'indépendance artistique de Venise, de même que la création en 1308 d'ateliers de verrerie bientôt transférés à Murano pour des raisons de sécurité et qui fournissent les cubes de verre des mosaïques. L'apparition du style gothique dans la reconstruction du Palais Ducal en 1340, puis dans la façade de Saint-Marc en 1365 marque le début d'une influence européenne dont la synthèse avec l'art byzantin fera l'originalité de l'architecture et de la peinture vénitiennes. Il faut souligner combien ce développement artistique de la ville a aussi un sens politique : toute la construction, toute la décoration des monuments vénitiens se font sous un strict contrôle de l'Etat, d'un pouvoir civil prédominant qui gouverne sans confusion avec le pouvoir religieux, à la différence de Byzance où le pouvoir politique est sacralisé b) En Europe, Venise sait rester à l'écart des grands conflits entre l'empereur d'Allemagne et les Communes italiennes alliées au pape, ce qui lui vaut d'être choisie comme médiatrice du conflit : en 1177 est signée la Trêve de Venise qui jette les bases d'une réconciliation entre le pape, l'empereur et les Communes et marque la fin de la querelle des Investitures. Le doge Sebastiano Ziani accueille à Saint-Marc le pape Alexandre III et l'empereur Frédéric Barberousse, épisode rappelé dans les fresques de la  salle du Grand Conseil comme signe de reconnaissance de la puissance politique et commerciale de la République déjà capable d'intervenir sur un plan d'égalité avec les plus grandes puissances du temps. De plus Venise a obtenu de Frédéric Barberousse qu'il impose aux sujets de l'empire germanique d'utiliser le port de Venise pour leurs trafics. c) Les croisades. Mais c'est la 4ème croisade qui consacre en 1204 la puissance maritime de Venise. le doge Enrico Dandolo conduit les opérations de façon que les croisés mènent une attaque décisive contre Byzance (Cf. ci-contre, Palma il Giovane, Conquête de Constantinople, Palais Ducal) ;la ville est prise et saccagée, les croisés fondent l'empire latin d'Orient ; c'est seulement en 1261 que l'empereur grec reviendra à Constantinople avec Michel Paléologue VIII, qui favorise Gênes pour affaiblir la puissance vénitienne. Après une longue lutte entre les deux villes, Gênes capitule en 1381 (Paix de Turin). Venise, bien qu'affaiblie par un siècle de guerre, prend un nouveau point de départ pour la domination des mers ; c'est  au contraire la décadence de Gênes qui se donne au roi de France en 1396.  Les chantiers vénitiens avaient préparé des navires spéciaux équipés pour l'embarquement et le débarquement des chevaux, et avec des plateformes de combat placées très haut sur la proue. Venise a conquis non seulement son inépendance définitive, mais aussi un véritable empire colonial maritime, de Constantinople à la Crète et Corfou, relié à Venise par des escadres de bateaux de guerre et de navires marchands parmi les plus puissants de l'époque. Venise ne cesse d'accroître son commerce avec l'Orient, y-compris avec l'Egypte, centre de l'Islam, et ce malgré les croisades et les interdictions papales (colonies vénitiennes du Caire et d'Alexandrie ; elle cherche même à s'ouvrir l'accès des grands marchés de l'Asie centrale et de l'Extrême-Orient, bouleversé par l'invasion mongole (voyage de Marco Polo -1254 -1324 - de 1271 à 1295 ; des ambassades vénitiennes concluent des traités de commerce en perse au XIVème siècle). Parallèlement au commerce, l'activité bancaire et le change rapportent à Venise des sommes fabuleuses. Au début du XVème siècle, Venise compte 190 000 habitants, elle a 3000 navires de commerce et 300 navires de guerre. L'Arsenal devient, avec Saint-Marc et le Palais ducal, un des trois lieux stratégiques de la ville. d) Le développement urbain * la place Saint-Marc : Si Venise est choisie en 1177 pour signer la trève entre la papauté et l'empire, c'est aussi parce que la ville disposait déjà de l'espace nécessaire : vers 1160, la République enrichie par son commerce pouvait investir des sommes énormes dans les travaux publics ; elle décide donc de couvrir pour la première fois un canal (le Rio Batario) qui limitait la place devant la basilique pour réaliser un espace d'une exceptionnelle grandeur pour l'époque. * La « forma urbis » : au début du XIIIème siècle, Venise est un organisme urbain de structure semblable à la forme de poisson actuelle, coupée par la double anse du Grand Canal et parcourue par le réseau de « rii » qui délimitent les îlots urbains. Depuis 1169, la ville est divisée en six « sestieri », Cannaregio, San Marco, Castello sur la rive gauche du Grand Canal, Santa Croce, San Polo, Dorsoduro sur la rive droite, division peut-être motivée par des raisons politiques (mettre une limite aux pouvoirs du doge) mais qui permet d'imaginer une ville déjà bien structurée, avec ses divers types de maisons et de palais, ses édifices publics et religieux, ses rues (« calle ») très étroites et allongées, ses places (« campo ») de toutes formes avec leur margelle de puits (« vera da pozzo »), ses murs le long des jardins privés, ses passages sous les maisons (« sottoportego »), dans un enchaînement rare entre espace privé et espace public. Evolution de la « forma urbis » de 1200 à 1961 * Les églises Dès le XIIème siècle, le réseau d'églises est pour l'essentiel constitué (cf plan ci-dessous). On peut y remarquer une spécificité vénitienne dans le choix des noms de saints, qui correspond à celui de la plus anciennne liturgie de la ville, selon le rite « marciano » dit « patriarchino » ou « marcolino » : le calendrier des saints célébrés au cours de l'année (« santorale ») comporte un nombre très élevé de noms dont on retrouvera la représentation dans les mosaïques des églises. Venise, ville commerçante, a toujours eu tendance à ramener dans la ville les cultes (et si possible les corps, à commencer par celui de saint Marc) rencontrés ailleurs, en Orient et dans les différentes régions visitées. Parmi ceux-ci, les saints de l'Ancien Testament (Moïse, Samuel, Jérémie ...), les premiers disciples des apôtres (Ermagoras et son successeur Siro, Martial ...), les évangélistes (Marc, Luc, ,Jean), les saints d'origine locale (Jérome né en Dalmatie près d'Aquileia), dont on reprend  la légende, à moins qu'on ne l'invente en fonction des nécessités du temps et des exigences institutionnelles et politiques de la République. C'est une confirmation de l'autonomie séculaire de l'église ducale, renforcée par la liturgie des fêtes  souvent conduite par le doge lui-même (lavement des pieds le jeudi saint, procession du samedi saint, célébration de saint Marc ...).   Devant chaque église, son "campo", la place, avec ses palais, ses maisons, ses boutiques, son puits, lieu de rassemblement communautaire pour les cérémonies, les marchés, les spectacles; les foires, les fêtes. Chaque place a sa forme, dans une étonnante diversité qui fait le charme d'une promenade dans Venise. Le puits est construit selon une technique qui permet de recueillir l'eau de pluie et de la purifier (cf. plan ci-dessous : l'eau coule dans le puits A par les quatre caniveaux E, passe dans le sable C contenu dans la grande vasque étanche en argile D) : Vérifiés au moment de la seconde guerre mondiale au cas où l'alimentation en eau serait coupée par un bombardement, la plupart des anciens puits se révélèrent encore en état de fonctionner. * La maison La maison vénitienne la plus ancienne a pour modèle la maison romaine, mais elle se développe ensuite de façon originale, commandée par l'eau : il faut charger et décharger les marchandises, d'où les porches au bord du canal ; les constructions serrées et assez hautes dans un espace limité imposent de larges fenêtres et des loggias aux étages qui répondent à une exigence d'esthétique et d'éclairage mais ont aussi l'avantage d'alléger les murs. L'histoire de Venise inspire aussi la diversité des constructions de style byzantin, roman, moresque, gothique, plus tard Renaissance et baroque, qui se mêlent dans une synthèse originale. Mais typique de Venise est la "casa-fontego", la maison-entrepôt, avec sa double fonction commerciale au rez-de-chaussée (un grand hall bordé d'entrepôts et de pièces de travail en mezzanine) et de réception et d'habitation aux étages (au premier, "piano nobile", salon de réception et espace d'exposition des produits précieux du marchand propriétaire, et sur les côtés pièces d'habitation ; au second pièces de service et d'habitation des domestiques). Les techniques de construction n'ont pas changé jusqu'à aujourd'hui : transport des matériaux en bateau, travail manuel et artisanal ; absence de mécanisation, qui font à la fois le coût élevé de toute réparation et restauration, et le charme d'un produit artistique non standardisé par une production industrielle, unique en son genre et pourtant d'une exceptionnelle unité esthétique : afin de protéger le site, la République a toujours contrôlé strictement tout l'urbanisme, dans une programmation rare en Europe à cette époque.
Patriciens vénitiens du IVe s. (Manuscrit de la Première Décade de Tite Live, enluminé au IVe s. par le Vénitien Giannino Cattaneo (Milan, Bibl. ambrosienne).
Premières îles habitées dans la lagune
Dux, Basilique S. Marc, Transept droit, redécouverte miraculeuse du corps de S. Marc, XIIe s.
Les six régions de Venise
Basilique de Saint Marc dans la reconstruction du 10° siècle
Voyage de S. Marc à Alexandrie (Bas. S. Marc, Chapelle Zen)
San Marco (Statue de l’île de  Leucate)
Jacopo Palma, Translation du corps de Marc (Venise, église de S. Antonin).
Tintoretto, Redécouverte du corps de Marc, Milano, Brera, 1562-66
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Byzance. Rappelons qu’en 324, l’empereur romain Constantin (272-337) décida, pour des raisons diverses, stratégiques, économiques et politiques, de transférer la capitale de l’Empire de Rome à Constantinople. Il avait auparavant éliminé Licinius, son co-empereur, en 324 et il s’était converti au christianisme, que l’empereur Galère avait toléré en 310, et que l’empereur Licinius avait semblé adopter en confirmant dans « l’édit de Milan » de 313, sa tolérance pour tous les cultes et en ordonnant la restitution des biens confisqués aux Chrétiens. Constantin se fit baptiser à la veille de sa mort (Voir ci-contre sa tête gigantesque dans une cour du Capitole à Rome).
Constantinople, l’ancienne colonie mégarienne de Byzance, à la pointe de la presqu’île triangulaire qui avance entre la mer de Marmara et le port naturel de la Corne d’Or, avait une situation stratégique exceptionnelle sur la route des Détroits, au point de rencontre de l’Europe et de l’Asie. Constantin en quintupla les dimensions et en fit une grande ville, inaugurée le 11 mai 330, où il résida. Rome était abandonnée. Par la suite, Byzance conserva la domination d’une partie de l’Italie du Nord, où elle était représentée par l’exarque de Ravenne, dont Venise dépendit longtemps. Il y eut bientôt deux empires, d’Orient et d’Occident, grec et latin ; le christianisme devient religion d’État en Orient, à partir de Théodose, tandis qu’en Occident Ambroise, évêque de Milan, proclame l’indépendance du spirituel par rapport au temporel. Byzance développa une grande civilisation, et ne tomba aux mains des Turcs de Mahomet II que le 29 mai 1453. Elle avait auparavant été ruinée par les croisades chrétiennes, de la première en 1095 à la quatrième détournée contre Constantinople au profit de Venise.                                                                                Empire byzantin sous Justinien vers 560. (Voir une Histoire de Byzance, par exemple celle de Paul Lemerle, Que sais-je ?, PUF, 1969. Voir aussi Michel Kaplan, Tout l’or de Byzance, Découvertes  Gallimard, 2003 ; Alain Ducellier, Les Byzantins, Histoire et Culture, Seuil Histoire, 1988.)
A droite, le parcours de la Quatrième croisade.  À gauche,  Possessions vénitiennes au XVe siècle.
Eglises paroissiales et monastères à la fin du XIIème siècle a)= limites de l'urbanisation au XIe s.; b) Limites au XVe s.; c) Limites actuelles; d) Église
Église des saints Jean et Paul (San Zanipolo). En 1234, le doge Jacopo Tiepolo donne aux Dominicains un terrain sur lequel se trouve l’oratoire de saint Daniel. L’église est commencée en 1246 et plusieurs fois agrandie. Beaucoup de doges et de personnalités  vénitiennes y sont enterrés, d’où son surnom de « Panthéon » de Venise
Église de Santa Maria Gloriosa dei Frari. Les Franciscains s’installent à Venise en 1222. L’église des « Frari » est reconstruite au XIVe siècle, commencée en 1340. Le campanile est de 1361. Plusieurs doges y sont enterrés (les doges Foscari et Nicola Tron), et il y a des autels à Canova, Titien. Plusieurs chapelles sont concédées à d’autres communes, chapelle des Florentins et de saint Ambroise dédiée aux Milanais.
Les phases de construction de Venise sont résumées dans les dessins ci-dessous réalisés par Giorgio Bellavitis (Autrement Venise, un voyage intime, op.cit., pp. 30-33) : On pense parfois que Venise est construite sur l’eau, comme une sorte d’île flottante sur une plateforme. Non ! Venise est bâtie sur un ensemble  de petites  îles entourées d’une eau en général très basse, dans  une lagune.Venise semble construite sur l’eau.