4.3. L’histoire des villes italiennes : Firenze - 15
Annexe 12 - LE JARDIN DES « ORTI ORICELLARI »
Lorsque la culture était le fait d’une petite minorité, les débats n’avaient pas lieu dans de grandes salles
fermées, mais au grand air : on estimait que le contact avec la nature permettait de mieux jouir du plaisir de
la dissertation et de la réflexion. C’est donc dans les jardins que les élites se retrouvaient pour jeter les
bases des nouvelles théories philosophiques et scientifiques à appliquer dans la vie pratique ou à
transposer dans les livres. Les jardins Oricellari sont un de ces lieux historiques où s’élabora la pensée de
l’humanisme florentin. C’est ici que se réunit la célèbre « Académie Platonicienne des Jardins » animée
par Laurent le Magnifique et Marsile Ficin. Le jardin fut alors chanté par l’humaniste florentin Pietro Crinito
(1465-1507) dans son De Silva Oricellaria, C’était un microcosme, une forme symbolique de l’univers où, tel
Dieu, régnait le Prince.
Alors que Careggi (autre villa médicéenne des environs de
Florence) était plus littéraire et philosophique, ici on parlait
plutôt d’histoire, de politique, de philosophie politique, au
milieu des bosquets, des statues de divinités protectrices
des arts et des sciences, et des héros de l’Antiquité
classique. S’y réunirent Jacopo da Diaceto, le poète Luigi
Alamanni, l’historien Jacopo Nardi, Nicolò Machiavelli et
beaucoup d’autres dont les noms sont rappelés sur la base d’une colonne du jardin. En 1523, l’Académie fut
fermée, suspecte d’être favorable à la République et hostile aux Médicis de retour à Florence ; Alamanni et Nardi
durent s’exiler et Machiavel fut soumis à la torture , refusant de confesser un complot auquel il n’avait pas
participé. Mais le jardin continua.
Il avait été créé en 1481 par Nannina de’Medici, sœur de Laurent, qui avait épousé en 1461 Bernardo Rucellai
(fome moderne de l’ancien « Oricellari ») et avait acquis des terrains dans cette zone dite « il pantano », le
marais. Plus tard, son mari avait agrandi le terrain pour y construire un grand jardin de réception, où se rendit Charles Quint lors de son passage à Florence.
Le jardin passa aux Médicis en 1573 et fut le lieu des amours passionnées de Francesco I et de sa maîtresse vénitienne Bianca Cappello qui aimait
particulièrement ce lieu sensuel pour rencontrer Francesco qui l’avait acheté pour elle, jardin excentrique de délices, marginal par rapport à l’axe traditionnel des
jardins médicéens, qui allait de San Marco aux Boboli
Ayant finalement épousé Francesco après la mort de sa femme et devenue Duchesse de Toscana, Bianca
donna la villa à don Antonio de’ Medici qui la loua à l’Ambassadeur de Venise. En 1640, elle revint au frère du
grand duc Ferdinand II, le cardinal Giovanni de’ Medici qui transforma le jardin en lieu de divertissement et de
loisir, selon la mode du XVIIe s. ; aménagement scénographique, grotte de Polyphème (symbole du passage de
la réalité à l’inconnaissable), jeux d’eau et statue gigantesque du Cyclope (symbole de la Nature brute dans un
lieu organisé par l’Art) réalisée par le sculpteur Antonio Novelli (1601-62).
La statue, de 11 m. de haut, semble de marbre, alors qu’elle est faire de briques recouvertes de stuc, à partir
d’une armature de fer qui passe par les jambes, forme l’ossature du torse dans lequel se trouve un grand
récipient en cuivre destiné à recevoir l’eau qui circule ensuite jusqu’à la vasque à laquelle il s’abreuve. Outre les
jambes, l’ensemble est soutenu par un drap qui voile sa nudité et cache un axe métallique, et par le bâton sur
lequel il s’appuie.
Le jardin changea ensuite plusieurs fois de propriétaires qui en modifièrent le style en fonction des modes du
temps. Au XIXe s., le marquis Giuseppe Strozzi-Ridolfi chargea l’architecte Louis de Cambray Digny de lui
donner un aspect romantique et d’y construire un petit Panthéon, au milieu des polémiques et des critiques des
Florentins qui appréciaient peu que l’on transformât ce lieu historique. Le jardin fut encore réduit
par le percement de la rue Bernardo Rucellai (degli Orti Oricellari).
Aujourd’hui l’ensemble est loué à la Caisse d’Epargne de Pise qui l’entretient (souvent mal !) et
l’ouvre au public. On y trouve encore le grand cèdre du Liban, un bosquet, quelques haies dans le
pré, la statue de Polyphème ; mais la grotte appartient à d’autres propriétaires.
On peut encore y rêver aux temps où s’y retrouvaient les intellectuels qui pensèrent l’humanisme
et où Bianca Cappello y aimait Francesco … . Après les pensées, les baisers… Un lieu magique,
comme tous ces jardins fermés qui voulaient retrouver un paradis perdu.