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- Salle inférieure : Détruire en nous le péché qui nous détourne de Dieu et amener l'âme à y renoncer = pénitence : Annonciation = décor humble, pauvre et en ruines (conséquence du péché) --> résolution de ne plus pécher garantie par l'Ange et la Vierge ; Adoration des mages ; Fuite en Egypte : noter le paysage peut-être influencé par Dürer ; Massacre des Innocents : violence des corps inspirée de Michelange et Giambologna ; Sainte Marie-Madeleine lisant (pécheresse qui lave les pieds du Christ, Luc 7, 37 ou soeur de Lazare?) et Sainte Marie l'Egyptienne (prostituée repentie d'Alexandrie qui vit en offrant son corps aux pélerins de Jérusalem ; convertie en voyant une icône de la Vierge, vit dans le désert habillée de ses seuls cheveux) en méditation = rappel du péché et de la pénitence qui éclaire et fait éclater le monde du péché (cf. la transfiguration de la nature en vision mystique) ; Présentation au Temple et Circoncision = souffrance ; Assomption de la Vierge = récompense. - Grande salle : Concordance entre l'Ancien Testament (au plafond) et le nouveau Testament (sur les murs) et traitement des thèmes selon l'ordre des exercices de Saint Ignace (qui fut aussi un des modèles du Discours de la Méthode de Descartes : laïcisation du discours mystique ? ...). On ne sait si les thèmes ont été choisis par Tintoret ou imposés par la Confrérie (Cf. Plan iconographique p. 54). Semaine 1 = guérison de la faim // activité caritative de la Confrérie : apaiser la faim matérielle et spirituelle des hommes ; Miracles du pain. La récolte de la manne est mise au centre, et entourée de la Pâque juive, de la multiplication des pains par Élisée, de la nutrition d’Élie par l’ange dans le désert, de la rencontre d’Abraham et de Melchisédech et de la vision de Jérémie, préfigurations du Christ et symbole de consolation. Sur les murs, les épisodes correspondants du Nouveau testament : la multiplication des pains par le Christ, la prière dans le jardin des Oliviers à Gethsémani, la résurrection de Lazare et la Cène (orientée en diagonale, avec au premier plan deux pauvres et un chien qui rappelle la légende de saint Roch. Semaine 2 = guérison de la soif ; la représentation du péché originel est symétrique à celle de la Pâque à l'autre bout de la salle (Péché//Rédemption) ; Miracles de l'eau. Moïse (dont l’attitude évoque celle du Christ) fait jaillir l’eau du rocher ; cette scène est entourée de la représentation du péché originel (à l’opposé de la Pâque juive), et de scènes de la vie de Moïse : il est sauvé des eaux, il passe la Mer Rouge et il reçoit la promesse d’alliance par l’épreuve du feu et l’apparition de Yahvé. Sur les murs, la Nativité du Christ, le baptême (par l’eau), le miracle de la piscine de Bethsesda (guérison du paralytique) et la victoire du Christ sur la tentation. Sur les murs, Nativité du Christ et adoration des bergers (représentation en deux plans), le baptême du Christ, dans l’irruption violent de la lumière divine, la tentation du Christ et la guérison miraculeuse du paralytique Semaine 3 = représentation de la Passion dans l'Auberge : faire naître un sentiment de pitié et d'amour par le rappel des épisodes de la Passion: la rencontre avec Pilate, le couronnement d’épines, la montée au Calvaire et, en face, le tumulte de la grande Crucifixion et tournoiement de l'espace autour de la Croix + Gloire de Saint Roch au plafond, entourée aux quatre angles des représentations des saisons et entre les saisons de la représentation des autres Scuole  de la ville (Carità, San Giovanni, San Marco et San Teodoro) et de figures féminines.  Semaine 4 = guérison de la maladie : premier tableau réalisé par Tintoret : le serpent d'airain signifie la guérison de l'humanité souffrante par un miracle de l'Ancien Testament qui préfigure la Rédemption par le sacrifice du Christ sur la Croix (Cf Jean, III, 14-15) = première représentation iconographique de ce parallèle : noter le serpent en forme de croix et non de T. Le Serpent d’airain est entouré du salut de Jonas, rejeté du ventre de la baleine, d’Isaac sauvé du couteau de son père, de l’ascension d’Élie, du salut de Daniel dans la fournaise, de l’épisode de Sanson, de l’échelle de Jacob et de la résurrection dans l’épisode d’Ézéchiel. Sur les murs, la Résurrection et l’Ascension du Christ, dont on remarquera les paysages fantastiques. C’est la récompense et la consolation. Sur un petit côté de la salle, S. Roch et S. Sébastien  sont témoins et spectateurs : les tableaux sont des visions des deux saints qui libèrent les hommes de la maladie et de la souffrance. L’ensemble de Tintoret est l’un des plus grands programmes de la Contre- réforme, adapté à la spécificité vénitienne. Mais Tintoret a été bien plus qu’un contre-réformiste : aucune soumission chez lui – ni à Venise – aux dictats du Concile de Trente sur l’art. Sa recherche plastique dépasse de beaucoup  ce cadre sectaire et étroit. « Cette peinture ne se rattache profondément à aucune des contingences religieuses, politiques, ni même intellectuelles du temps. Elle se place sur un plan supérieur. Si elle exprime certains aspects de son époque, c’est à la manière du Tasse, un certain aspect de la sensibilité d’un siècle dont Véronèse reflète le côté superficiel et local. Par-delà les apparences frivoles, Tintoret devine le caractère puissamment dramatique de ce siècle qui, laissant Venise, la neutre, sur une voie de garage confortable, se place au début de l’ère des grandes expansions » (Galienne Francastel, L’art de Venise, op. cit. p. 173).  Jean-Paul Sartre a écrit une belle apologie de Tintoret, contre le Titien, ce « paysan parvenu qui se croit l’égal des rois » qui a su plaire aux marchands (Cf. Les Temps modernes, 1957, repris dans Situations IV, Gallimard, 1964, pp. 291-346, Le séquestré de Venise). 10.- Paolo Caliari =Véronèse (1528-1588) À cette époque, Venise eut de nombreux peintres, nés sur place ou venus de l’extérieur : Venise comptait plus de 100 palais dont les patriciens faisaient décorer l’intérieur et la cour, et on faisait appel aux meilleurs peintres. Marco Basaiti (1470-1530), Girolamo Campagna  (1548-1625), Lorenzo Lotto  (1480-1556), Paris Bordone (1495-1570), Bonifacio de’Pitati (1487-1553), Sebastiano Mariano da Lugano (fin XVe-début XVIe siècles), Giovan Antonio de’ Sacchis dit le Pordenone (1483-1539), Giovan Gerolamo Savoldo (1480-1548), Giambattista Ponchino (vers 1500- 1570), Giambattista Zelotti (1526-1578) qui réalise des fresques avec Véronèse, Domenico Riccio (1516- 1567), Francesco Salviati (1510-1523) mais un troisième grand peintre marque l’histoire de la peinture vénitienne : Paolo Veronese. Goethe avait été fasciné par Veronese ; il en écrit ceci après avoir vu un tableau de lui (La famille de Darius devant Alexandre) : « Le don que j’ai depuis longtemps de voir le monde par les yeux du peintre dont je viens de graver les images dans mon esprit, m’a conduit à une pensée particulière. Il est évident que l’oeil se forme d’après les objets qu’il voit dès sa jeunesse, et c’est pourquoi le peintre vénitien doit voir toute chose dans une lumière plus éclairée et plus sereine que d’autres hommes.... Lorsque je traversais les lagunes par le plein soleil et que je considérais sur les bords des gondoles les gondoliers aux vêtements bariolés, ramant et avançant d’une course légère, se dessinant dans l’air bleu et sur la surface vert clair, je vis le meilleur et le plus frais tableau de l’école vénitienne. La lumière du soleil donnait aux couleurs locales un éclat aveuglant et les ombres étaient si lumineuses que, toutes proportions gardées, elles auraient pu, à leur tour, servir de lumière. Il en était de même du reflet de l’eau glauque – tout était clair sur un fond clair – si bien que les vagues écumeuses et les scintillements de la lumière sur elles étaient nécessaires pour mettre le point sur l’I. Titien et Paul Véronèse possédaient cette luminosité au plus haut point, et quand on ne la trouve pas dans leurs tableaux, c’est que la toile a perdu ou qu’on l’a restaurée ». (Goethe, Voyage en Italie, Tome I, Aubier- Montaigne, 1961, p.177.) Cette remarque vaut parfaitement pour Veronese, ainsi que celle où Goethe insiste sur le lien entre Véronèse et Palladio : la lumière et l’architecture sont deux éléments essentiels de la peinture de Véronèse. Originaire de Vérone, fils d’un tailleur de pierres, il se forme dans l’atelier d’Antonio Badile et de Giovanni  Caroto à Vérone, mais il est surtout formé et protégé par l’architecte Michele Sanmichele, formé à Rome, pour lequel il travaille ; il va donc peindre des architectures antiques et les animer de personnages vénitiens habillés de somptueuses couleurs. Il est par conséquent  à l’opposé de Tintoret qui se débarrasse très vite des architectures. Véronèse va résider à Venise dès 1553 ; il y passe toute sa vie, à part un bref séjour à Rome en 1560-1. Il décore l’église de San Sebastiano, la villa Barbaro à Maser, la salle du Conseil des Dix au Palais Ducal, et il peint de nombreuses fresques, portraits, tables d’autel. « Le décor de la villa Barbaro, à Maser près de Trévise, qui alterne paysages, scènes de genre, trompe-l’oeil et couronnes d’allégories radieuses dont la blondeur pâle s’anime au contact des bleus, marque de la manière la plus heureuse l’accession de Paolo à la pleine disposition de ses moyens ».(Galienne Francastel, op. cit. p. 164.) (Cf. page précédente, un décor du croisillon). Il a plusieurs fils, dont deux travailleront avec lui et continueront son atelier. Il est l’auteur de 4 grandes Cènes  qui lui attireront parfois l’hostilité des religieux pour qui il les a peintes : l’une, pour le réfectoire des Dominicains à San Zanipolo, devra être changée de titre, s’appellera La Cène chez Lévi, et sera transférée à l’Académie ; l’Inquisition lui reproche la présence de personnages incompatibles avec le sujet, de chiens, de perroquets, de soldats allemands armés, etc. (1573), mais Véronèse refusa par exemple de remplacer le chien par un portrait de Madeleine, pour des raisons uniquement esthétiques, revendiquant la « liberté » du peintre et se référant aux « nus » de Michelange dans le Jugement dernier de la Chapelle Sixtine . Il y aura une course à la Cène entre Véronèse et Tintoret : Tintoret en peint une pour Santa Maria della Salute en 1561 ;Véronèse  peint les Noces de Cana (Paris, Louvre) en 1562-3, un banquet pour le sanctuaire de Monte Berico en 1572, une Cène chez Simon en 1573 pour le réfectoire des Servites (aujourd’hui à Paris), une Cène chez Levi en 1573 pour le réfectoire des Dominicains (condamnée par l’Inquisition et maintenant à l’Académie). Tintoret peint une Cène pour San Marcuola en 1547, une pour San Felice (aujourd’hui à Paris) en 1559, une pour San Simeone en 1562-3, une pour San Trovaso en 1566, une pour l’église San Polo en1568-9, une pour San Rocco en 1568-9, une pour Santo Stefano en 1580, une pour la cathédrale de Lucca en 1590 et une pour San Giorgio Maggiore en 1592-4, un Lavement de pieds pour Padoue en 1562... Les beuveries, la violence de Tintoret et les chiens au premier plan n’ont jamais soulevé la moindre objection de l’Inquisition, qui craignait plus l’intrusion du profane dans le sacré des tables mondaines de Véronèse que les excès populaires de Tintoret plus susceptibles de séduire les spectateurs du peuple vénitien. En réalité, Véronèse est assez indifférent au trouble intellectuel et aux drames de son époque , il est un peu hors du temps et de l’histoire, seules la peinture, la couleur l’intéressent ; comme écrit Francesco Valcanover, « Tandis que Titien s’enfermait dans un dramatique isolement, tandis que chez Tintoret, chez Jacopo Bassano et dans toute la peinture italienne apparaissaient les signes évidents de ce changement de goût qui se développera dans l’âge baroque, Paolo s’abandonne avec un génie inépuisable à son classicisme chromatique, auquel restent étrangers l’anxiété, les contrastes, les rêves tragiques et passionnés de l’époque » (Epoca). Il faudrait aussi évoquer une autre famille de peintres importants, mais qui ont laissé peu d’oeuvres à Venise même, les Bassano, au moins trois générations de Da Ponte, dits Bassano du fait de leur origine et du lieu où ils travaillèrent surtout, la ville de Bassano del  Grappa. Le premier, Francesco Bassano l’Ancien (1475-1530) se définissait comme « peintre paysan », peintre de village, bien qu’il eût subi l’influence de Giovanni Bellini ; il intégra dans ses tableaux des animaux. C’est son fils, Jacopo Bassano (1515-1592) qui fut le plus connu, formé par Bonifacio de’ Pitati et travaillant dans son atelier de Bassano avec ses quatre fils, mais ses oeuvres sont dispersées dans le monde entier ; un petit nombre subsiste à Venise, le Retour de Jacob dans sa famille (1580) au Palais Ducal, une Adoration des Bergers (1545) et un San Gerolamo  (1556) au Musée de l’Académie. Ses quatre fils furent Francesco Bassano le Jeune (1549-1592 : il se suicide à la mort de son père), Giovanni Battista Bassano (1553-1613), Leandro Bassano (1557-1622) et Gerolamo Bassano (1566-1621). 11.- Les peintres des XVIIe et XVIIIe siècles On parle peu de la peinture vénitienne du XVIIe siècle, et il est vrai que ce siècle est pour l’Italie une période de décadence, économique, politique et culturelle. (Deux exemples : Le livre de Galienne Francastel s’arrête à la fin du XVIe siècle avec le chapitre sur Bassano. Le livre de Pierre Poirier, La peinture vénitienne, Albin Michel, 1953, 298 pages, saute sans transition du XVIe siècle à Tiepolo.) André Chastel, dans le deuxième volume de son livre sur L’art italien, évoque le XVIIe siècle aussi en peinture, aux pages 176 et suivantes. Il faudrait parler d’abord d’un peintre comme Jacopo di Antonio Negretti, appelé Palma le Jeune (1544-1628), fils d’un autre peintre Antonio Negretti et petit-neveu de Palma il Vecchio (1480-1528). Après un séjour à Rome, il rentre à Venise en 1569 où il travaille avec les grands peintres du XVIe siècle au Palais Ducal après l’incendie de 1574 ; il peint aussi aux Frari, et décore tout un oratoire, malheureusement peu visité par les touristes, l’Oratoire des Crociferi (1589-1592), presque en face de l’église des Gesuiti. Un autre peintre à retenir est Alessandro Varottari, dit le Padovanino (1588-1649), qui connut le Titien à Padoue et resta son disciple ; d’origine padouane, il est à Venise à partir de 1620 (Voir à l’Académie ses Noces de Cana, de 1622 ; et son Rapt de Proserpine, Cf. Reproduction ci-contre). On pourrait évoquer aussi des peintres comme Antonio Vassilacchi (1556-1629), d’origine grecque, élève de Véronèse, qui laisse des oeuvres au Palais Ducal, à San Marziale, à San Giorgio Maggiore et dans d’autres églises vénitiennes ; Pietro Liberi (1605-1687), un Padouan venu à Venise en 1643 après de nombreux voyages qui lui permettent d’étudier la culture baroque italienne (Voir son Serpent de bronze à San Pietro in Castello, son Annonciation à la Salute). Antonio Fumiani (1645-1710) décore l’église de San Pantaleone Martire. Citons encore Carlo Saraceni (1579-1620), influencé par le Caravage, qui revient en 1619 à Venise où il sera apprécié (Voir son Saint François en extase à l’église du Redentore), Ermanno Stroifi (1616-1696). Rappelons que Luca Giordano (1632-1705) résida à Venise de 1653 à 1667 et laisse des Histoires de la Vierge à la Salute (1667). Mais il faudrait citer surtout le romain Domenico Fetti (1589-1624) qui vient à Venise en 1621 jusqu’à sa mort et y laisse des oeuvres aujourd’hui à l’Académie, le Flamand Giovanni Lyss (1600-1630 ?), le Florentin Sebastiano Mazza (1615-1685), le Génois Bernardo Strozzi (1581-1644), qui abandonne l’ordre capucin pour se livrer à la peinture (on l’appelle « le prêtre génois »), qui se réfugie à Venise en 1631 pour échapper aux persécutions de l’ordre, et qui y laisse des portraits (celui de Monteverdi ci-dessous, celui du sénateur Giovanni Grimani à Palazzo Barbaro, celui du Doge Francesco Erizzo à l’Académie) et un Saint Laurent distribuant les aumônes et une Charité de saint Laurent  Sébastien) à San Benedetto, une Vierge à l’enfant au Palais Querini Stampalia. Il décora aussi la voûte à l’église San Niccolò da Tolentino (riche d’oeuvres de peintres de cette époque), un Tobie virtù teologali au Palazzo Donà, un tableau d’autel (Martyre de saint de la Libreria Marciana. Il a peint environ 500 tableaux présents dans tous les musées européens et américains. Parce que d’origine étrangère à Venise, il fut un de ceux qui purent libérer la peinture vénitienne du XVIIe siècle de l’influence du XVIe, et contribuer à l’adoption du style baroque. Après Strozzi, la peinture put se développer à nouveau, avec Pietro Muttoni, della Vecchia (1603-1678), élève de Padovanino ; devenu peintre officiel de la République, il réalisa entre autres les cartons des mosaïques du quatrième portail et d’autres mosaïques de la cathédrale Saint Marc, et il peignit dans plusieurs églises de Venise (San Bartolomeo, Sant’Alvise, San Stae, Santa Maria del Giglio, la Salute, San Giovanni Evangelista, il Redentore), il laisse des Têtes de vieillards au Palais Querini Stampalia. Citons encore Girolamo Forabosco (1605-1679), élève de Padovanino, dont le portrait du Doge Nicolò Sagredo est au Musée des Beaux Arts de Lyon (Cf. reproduction ci-contre). Il y en eut beaucoup d’autres, ce serait une erreur de négliger la peinture vénitienne du XVIIe siècle. Les Tiepolo et les paysagistes (les « vedutisti ») du XVIIIe siècle On connaît mieux les peintres du XVIIIe siècle qui, après la domination du clair-obscur baroque inspiré de Caravaggio, retrouva avec Tiepolo le goût de la couleur et de la lumière. Il fut précédé de Sebastiano Ricci (1659-1734), originaire de Belluno, qui se forma et travailla d’abord à Venise, puis il dut en partir pour une affaire de moeurs, et il travailla pour différentes cours, d’Angleterre, d’Allemagne, de France ou de Turin. Il revint à Venise à partir de 1698, mais continua à travailler pour l’extérieur. On a des toiles de lui au Palais Ducal, au palais Sagredo (Campo S. Sofia), à l’église San Marziale, à San Stae, à San Vitale, aux Gesuati, à San Sebastiano et d’autres églises. Il fut un des grands peintres du XVIIIe siècle.(De très nombreuses reproductions de ces peintres sont consultables sur Google, à leur nom.) Un autre peintre important de l’époque fut Giambattista Piazzetta (1683-1754). Il est formé dans l’atelier de son père, qui était sculpteur, puis il part à Bologne et revient à Venise en 1711, et y réalise de grandes toiles (à San Stae, San Zanipolo – la Gloire de saint Dominique, 1727–, Santa Maria della Fava, – où il serait enseveli dans le tombeau de la famille Albrizzi –, à San Vitale et aux Gesuati et pour d’autres églises, dont l’Assomption de la Vierge, 1735, actuellement au Louvre), des cartons pour les mosaïques de Saint Marc et des gravures pour un éditeur (dont 70 dessins pour la Jérusalem délivrée du Tasse, en 1745 pour l’éditeur Giovanni Battista Albrizzi). Il est nommé directeur de l’École de nus de l’Académie vénitienne en 1750. Plusieurs de ses toiles sont à l’Académie et à Ca’ Rezzonico. Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770), élève de Gregorio Lazzarini, est influencé par Ricci et Piazzetta. Il devient célèbre à Venise par la série de grandes toiles qu’il peint pour Ca’ Dolfin. Il est appelé à décorer des couvents, des voûtes d’églises, des palais, à Venise, Milan Bergame, Wurtzbourg, en Russie, en Angleterre, à Madrid où il meurt. Il fut aidé par deux de ses fils, Giandomenico et Lorenzo. Parmi ses plus belles oeuvres, il faut voir ses grands cycles de fresques de Ca’ Rezzonico, à la Scuola dei Carmini, aux Scalzi, au palais Labia, aux villas Valmarana et Pisani. Tiepolo a donné un nouvel éclat splendide à la peinture vénitienne, un « Véronèse ressuscité ».(Sur Tiepolo, on peut voir : Guillaume Cassegrain, Valentina Conticelli, José de Los Llanos et Stéphane Loir, L’ABCdaire de Tiepolo, Paris musées, Flammarion, 1998, 120 pages ; Filippo Pedrocco, Ca’ Rezzonico, Musée du XVIIIe siècle, Marsilio, 2001, 80 pages (en italien et en français) ; Guido Piovene et Anna Pallucchini, L’opera completa di Giambattista Tiepolo, Rizzoli, 1968, 302 pages.) La peinture vénitienne du XVIIIe siècle est aussi enrichie par la foule de peintres qui travaillent autour de ces trois « grands » à Venise ou en Vénétie et à l’étranger où ils sont souvent appelés, comme Giambattista Pittoni (1687- 1767), élève de son oncle Francesco Pittoni, cofondateur de l’Accademia delle Belle Arti, qui concurrence la Fraglia (la guilde) des peintres, et dont il devient président après la mort de Tiepolo ; citons encore Jacopo Amigoni  (1682-1752), Giustino Menescardi (1720-1806), le dalmate Federico Bencovich (1667-1753), Antonio Marinetti (Il Chiozzotto) (1710-1796), il y en eut beaucoup d’autres. Mais plusieurs ont marqué l’époque, d’abord Pietro Longhi (1701-1785). « C’est Molière peintre, ou plutôt... Goldoni incisif et narquois », écrit André Chastel. (André Chastel, L’art italien, vol II, op. cit., p.182. Sur Longhi, voir Terisio Pignatti, L’opera completa di Pietro Longhi, Rizzoli Editore, 1974. Sur la peinture du XVIIIe siècle : Michael Levey, La peinture à Venise au XVIIIe siècle, traduit de l’anglais, Livre de poche illustré, Julliard, 1959). Il peint en effet surtout de petites toiles réalistes de la vie vénitienne, faits divers, portraits, scènes de famille, qui donnent un idée précise de la Venise de l’époque. Goldoni a écrit sur lui le sonnet suivant, vers 1750 : Longhi, tu che la mia musa sorella chiami del tuo pennel che cerca il vero ecco per la tua man, pel mio pensiero argomento sublime, idea novella. Ritrar tu puoi vergine illustre e bella di dolce viso e portamento altero ; pinger puoi di Giovanni il ciglio arciero che il dardo scocca alla gentil donzella. Io canterò di lui le glorie e il nome, la di lei fè, non ordinario vanto ; e divise saran tra di noi le some. Tu coi vivi colori, ed io col canto ; io le grazie dirò, tu l’auree chiome ; e del suo amor godran gli sposi intanto. Une portraitiste vénitienne fut célèbre à Paris en 1720 et à Vienne en 1730, Rosalba Carriera (1675-1757) ; ses pastels firent fureur auprès de l’aristocratie et de la bourgeoisie européennes ; elle finit sa vie à Venise, aveugle. On peut voir plusieurs de ses oeuvres à l’Académie et à Ca’ Rezzonico. Mais une des plus grandes nouveautés du XVIIIe siècle vénitien, ce sont les paysagistes, dont le plus important est Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (voir le dossier) (1697-1768), fils du scénographe et peintre de décors de théâtre  Bernardo Canal (d’où son nom), dont il fut d’abord l’élève et dont il se libéra sous l’influence de Luca Carlevaris (1663-1730), qui fut l’initiateur du « vedutismo » vénitien, dont on peut voir des paysages à San Pantaleone, au Palais Moro-Lin, à Ca’ Rezzonico, et des Scènes bibliques  dans l’église de Saint Lazare des Arméniens. Canaletto peint des vues de Venise qui rendent compte de façon admirable de l’atmosphère de la ville à cette époque ; invité à Londres de1746 à 1753, il revint à Venise où il fut nommé à la chaire de Perspective de l’Académie des Beaux-Arts. Il utilisa la « u » pour mettre en perspective ses vues de canaux. Son oeuvre est dispersée dans le monde entier. Bernardo Bellotto (1722-1780) travaille d’abord chez son oncle Canaletto, à Venise pendant plusieurs années , puis il sera demandé dans les cours d’Europe, dont Vienne, Dresde, St Pétersbourg et Varsovie où il mourra. La peinture vénitienne du XIXe siècle se limitera la plupart du temps à une imitation des peintres védutistes du XVIIIe siècle, produisant des portraits, des vues de Venise, généralement peu originales. Même un peintre d’origine vénitienne comme Francesco Hayez (1791-1882) ne reste pas à Venise mais part à Rome, à Naples, puis à Milan où il sera nommé directeur de l’Académie de Brera en 1850 ; il peint surtout des nus et des scènes historiques : on connaît son Baiser de 1859. On peut citer encore Giacomo Favretto (1849-1887), dont les scènes de famille peuvent rappeler Longhi (Voir ci-contre Musica in famiglia), ou Luigi Nono (1850-1918), le grand-père du musicien, peintre surtout religieux dont un tableau se trouve à Ca’ Pesaro. Les plus grands peintres du XIXe siècle sont les étrangers, français ou anglais, qui se passionnent pour l’Italie, Corot, Turner, Monet, Signac, Marquet, Dufy.. (Voir en particulier : Jacques Lassaigne, Présence de Venise, p. 105-137, in : Brunetti, Pignatti, Pallucchini, Lassaigne, Venise, Skira, 1956, des reproductions de tous ces peintres.) Il y eut un renouveau à partir de 1870, qui apparut dans la Mostra Internazionale Veneziana de 1887. Le comte Serego, alors Maire de Venise, déclara dans son allocution d’ouverture : « Ici où souffle encore une telle part du génie qui guida la main et prépara leurs teintes aux Bellini, à Carpaccio, à Titien, à Giorgione, à Paolo, à Tintoret, à toute la pléiade sacrée des imaginatifs et éclatants coloristes de l’École Vénitienne ; ici où dure et durera toujours le charme de cette antique sirène doucement bercée par les eaux paisibles de sa lagune ; dans ces horizons si orientaux et pourtant si italiens ; dans ce type persistant de grâce et de robuste tonalité, que les peintres puissent trouver inspiration et sujet et nouvelles hardiesses, qui rendent toujours plus splendide la couronne de l’art à la grande mère ressuscitée » ... On ne peut que se référer à la grande tradition du XVIe siècle ! Venise fut par la suite le siège de la Biennale  d’Art, à partir de 1895 ; la 54e Exposition Internationale d’Art s’y déroula du 4 juin au 27 novembre 2011. Elle se tient tous les deux ans dans les Jardins Publics de la rue Garibaldi, construits sur ordre de Napoléon en 1810, en démolissant tout un quartier populaire, un hôpital pour marins pauvres et plusieurs églises. Citons pour le XXe siècle Giuseppe Santomaso (1907-1990), qui contribue en 1946 à la création à Venise du groupe progressiste Nuova Secessione Artistica Italiana, devenu le Fronte Nuovo delle Arti, avec Renato Guttuso, Renato Birolli, Emilio Vedova (1919-2006), autre peintre vénitien présent à la Fondation Peggy Guggenheim (sur le Canal Grande, au palais Venier dei Leoni), à visiter absolument durant un séjour à Venise. On n’oubliera pas non plus la Galerie Internationale d’Art Moderne de la Ca’ Pesaro sur le Canal Grande (Cf. photo ci-dessus). 12.- Deux mots sur l’architecture vénitienne On sait peu de choses des premières constructions de Venise, de la première basilique San Marco en 832, des premières maisons autorisées par les « ducs » Orso Partecipazio (864-881) et Pietro Tribuno (881-912) ; on peut avoir une idée du développement de la ville par la fraction ci-contre du plan de Jacopo de’ Barbari de 1500, où l’on voit le travail de bonification de la Punta S. Antonio, au sud de San Pietro, le creusement de canaux et la construction de la « fondamenta ». Le langage architectural de la ville devait déjà être fixé vers 1063, quand est réédifiée la basilique Saint Marc, où se mêlaient les souvenirs de l’époque romaine, les influences byzantines et les expériences des chantiers romanico-lombards. On a vu au début du dossier comment la ville fut divisée en 6 quartiers à partir de 1170. La carte des églises (p. 18) donne une idée de la ville au XIIe siècle. Le schéma de Ruskin sur les arcs vénitiens illustre un peu l’architecture de l’époque. (Voir : Giorgio Bellavitis et Giandomenico Romanelli, Le città nella storia d’Italia, Venezia, Laterza, 1985, 290 pages. p. 50 où est reproduit le schéma de Ruskin, et tous les premiers chapitres pour les débuts de Venise.)  Jusqu’à cette époque, on n’a guère de noms d’architectes dans les documents, mais seulement les noms des doges, patriciens ou ordres religieux qui ont fait construire l’édifice. Les principaux édifices seront les églises de Santa Maria dei Frari, entre 1340 et 1440, construite pour les Franciscains, San Zanipolo, entre 1234 et 1430, pour les Dominicains, Sant’Alvise, en 1388, la Madonna dell’Orto vers 1350. Le Fondaco dei Turchi est du XIIIe siècle, la Ca’ d’Oro et la Ca’ Foscari des débuts du XVe siècle, etc. À partir du XVe siècle, les grands architectes vénitiens (ils sont souvent aussi sculpteurs) sont : * Giovanni Bon (1355-1442) et son fils Bartolomeo Bon (1410-1467) : Ca’ d’Oro, Porta della Carta du Palais Ducal, divers palais et portails d’églises ; * Pietro Lombardo (1435-1515), chef de file d’une famille de sculpteurs et architectes, père de Tullio Lombardo (1455-1532), lui- même père de Sante Lombardo (1504-1560) ; * Mauro Coducci (1440-1504) travaille à la Scuola San Marco, au Palais Corner, au Palais Vendramin-Calergi, à San Michele in Isola, à San Zaccaria et à la Tour de l’Horloge ; * Giovanni Sansovino (1488-1570), élève de Andrea Contucci, appelé le Sansovino, le suit à Rome en 1504, mais il se réfugie à Venise en 1527 après le sac de Rome et il succède à Bon comme chef des Procurateurs de Saint Marc (directeur des travaux urbains). Il réalise le Palais Corner, aménage la place Saint-Marc, la Loggetta du clocher, la Librairie Marciana ; * Michele Sanmicheli (1484-1559) travaille surtout à Vérone, après un long séjour à Rome (avec Sangallo et Bramante), puis à Orvieto où il est maître d’oeuvre du Dôme, et des voyages à Chypre et en Crète. À Venise, il réalise les fortifications du Lido, et les Palais Corner-Mocenigo et Grimani * Andrea Palladio (1508-1580), fils du meunier Pietro dalla Gondola, il doit son nom à son premier protecteur, Trissino. Il publie en 1570 ses Quattro Libri dell’Architettura. Il construit des villas (« La Malcontenta » pour les Foscari, à Maser pour les Barbaro, à Fanzolo pour les Emo) et à Venise les façades de San Francesco della Vigna, du Redentore à la Giudecca, de San Giorgio Maggiore (terminée par Scamozzi) * Vincenzo Scamozzi (1548-1616) s’établit à Venise en 1572, et il devient le disciple d’Andrea Palladio. N’ayant pas de fils, il institue dans son Testament un legs qui permettra de former de jeunes architectes, à condition qu’ils adoptent son nom et ses théories (ce fut le cas d’Ottavio Bertotti Scamozzi). Il est l’auteur de La idea dell’architettura universale de 1615. Il construit les Procuratie Nuove, l’église San Nicola  da Tolentino, celle de San Giacomo di Rialto, la façade de San Giorgio Maggiore, et beaucoup de villas à Vicence, Padoue, etc. * Baldassare Longhena (1598-1682), élève de Scamozzi, dont il achève souvent les oeuvres (Procuratie Nuove). Il construit l’Église de la Salute, la cathédrale de Chioggia, la Ca’ Rezzonico, la Ca’ Pesaro, l’Église degli Scalzi, et d’autres édifices (façades des San Moisè, San Salvador, escalier de la Bibliothèque de San Giorgio Maggiore, palais, etc.). * Giorgio Massari (1687-1766) achève la Ca’ Rezzonico, construit Palazzo Grassi. * parmi les architectes vénitiens du XXe siècle, citons au moins Carlo Scarpa (1906-1978), qui se consacre souvent à des restaurations de salles d’exposition ou de magasins (Académie, Ca’ Foscari, Correr, Querini-Stampalia, Olivetti sur la place Saint-Marc en 1957-8, qui a fait l’objet récemment d’un réaménagement scandaleux qui a fait protester les amis de Carlo Scarpa, etc.). On trouvera dans le site Internet « Archiguide », puis « Recherche », puis « Venise », les réalisations contemporaines. Page suivante
Annonciation, salle inférieure.
Résurrection, salle supérieure
Junon verse des dons sur Venise, Palais Ducal, 1553.
Repas chez Simon, Turin, 1580
Noces de Cana, Paris, Louvre, 1563 (détail).
Veronese, Rapt d’Europe (détail), Palais Ducal, 1580
Tintoret, Cène,San Rocco,1579-81.
Veronese, Repas chez Levi, 1573
Jacopo Bassano, Adoration des Mages,  Vienne,15 .
À droite, Francesco Bassano, Scène de  marché,
G.B. Tiepolo, La dernière communion de Sainte Lucie, Venise, Santi Apostoli,1748.  Zéphyr et Flore, Ca’ Rezzonico, 1732
Piazzetta, Trois saints dominicains, 1738, Gesuati
Pietro Longhi, La devineresse (détail), 1752 et Le couple joyeux, 1746, Ca’ Rezzonico
Longhi, toi qui appelles ma soeur la muse de ton pinceau qui cherche le vrai, voici pour ta main, pour ma pensée un argument sublime et une idée nouvelle. Tu peux peindre une vierge aussi sublime que belle de doux visage et de port altier ; tu peux peindre de Juan le regard offensif qui décoche son dard vers la noble donzelle. Je chanterai de lui les gloires et le nom, d’elle la foi, mérite peu ordinaire ; et les fardeaux seront entre nous divisés. Toi par tes vives couleurs et moi par le chant moi je dirai ses grâces, toi ses cheveux dorés ; cependant que les époux jouiront de son amour.
Canaletto, Église de San Zanipolo, Dresde, 1725.
Sebastiano Ricci, Suzanne et les vieillards, 1713, Chatsworth
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