4.3. L’histoire des villes italiennes : Milano - 2 / 8
3 – Milan, le conflit avec l’empereur sous les Hohenstaufen
Après la fin de la dynastie carolingienne, qui s’est éteinte avec la mort de Charles III le Gros en 887, la couronne impériale passa à l’Allemagne,
tandis que la France se développait comme unité nationale. Sous la dynastie de Saxe (les Othon), l’autorité des empereurs fut pratiquement
éteinte en Italie, même si Othon I franchit les Alpes pour se faire couronner empereur en 962. Mais au début, les princes allemands ne furent pas
convaincus de l’utilité d’une politique italienne. Cependant peu à peu, l’Italie du Nord devint dépendante des événements politiques allemands,
parce que devint dominante l’idée que le Saint Empire Romain devait faire revivre la grandeur de la Rome impériale, donc l’empereur devait aussi
être roi d’Italie. Les candidats au Royaume d’Allemagne étaient d’une part les partisans de la maison de Bavière, les Guelfes (de Welf, le chef de
la souche) et de l’autre les partisans de la maison des Hohenstaufen de Souabe, gibelins (de Weiblingen, château de Conrad III). En 1152, Conrad
III, proche de la mort, donna la couronne d’Allemagne à Frédéric de Souabe, beau jeune homme et grand guerrier aux cheveux fauves qui lui
valurent le nom de « Barberousse ». Frédéric et ses successeurs eurent toujours l’idée laïque de la puissance impériale destinée à faire respecter
la loi, rétablir l’ordre et la paix, indépendamment de la papauté ; ils voulaient aussi unifier l’empire de l’Allemagne à l’Italie. Cette distinction entre
pouvoir temporel de l’empereur et pouvoir spirituel du pape était nouvelle, dans une période où la papauté était affaiblie par les luttes entre les
familles romaines pour la conquête du pouvoir, et par un grand niveau de corruption.
« Frédéric Barberousse ne pouvait en aucune façon renoncer à l’Italie, « espace vital » pour restituer puissance, prestige et nouvelle dignité à
l’autorité impériale. Il ne s’agissait pas seulement d’étendre ou, mieux, de consolider la domination et le contrôle sur les fiefs et les villes. Cela
pouvait être un premier objectif, certes pas tout à fait négligeable, mais, sous l’angle de la simple conquête et reconquête, il ne se différenciait pas
de façon substantielle de ce qu’avait fait son prédécesseur en Allemagne pour reprendre le contrôle sur les grands feudataires divisés entre eux.
L’Italie était surtout importante parce que l’empereur, qui était le chef de l’Occident chrétien, devait obtenir la reconnaissance de sa plus ample
souveraineté politique et spirituelle à travers une sorte de consécration, d’acte officiel solennel accompli par la plus haute autorité de l’église, le
pape. La soumission de l’Italie au pouvoir impérial était pour Frédéric Barberousse le premier objectif dans le temps, la prémisse nécessaire pour
atteindre l’autre objectif plus important : le couronnement à Saint Pierre de Rome. Un plan stratégique qui était certainement dans les intentions de
Conrad III et, avant lui, de Lothaire, mais qui ne put pas être réalisé à cause des luttes dynastiques et des discordes qui avaient éclaté en
Allemagne après la mort de Henri V. Frédéric Barberousse, après avoir réglé la situation de l’Allemagne, se tourna vers l’Italie où il espérait
pouvoir faire valoir son autorité sans rencontrer de résistances trop fortes. Mais son action politique en Italie
ne fut pas tout à fait facile. Pourtant voilà que l’occasion pour intervenir lui fut fournie par la demande d’aide
de quelques grands feudataires du Nord en lutte avec la commune de Milan » (Storia degli italiani, 1974, n°
3, p. 42).
En effet, à Constance, Frédéric rencontra quelques délégués de la ville de Lodi qui venaient se plaindre de
la domination violente de Milan, qui, en se renforçant, manifestait son désir d’expansion et de contrôle sur le
commerce de la plaine du Pô et qui avait détruit la ville en 1111 et chassé ses habitants. Or Frédéric avait
aussi à se plaindre des Milanais qui refusaient de payer leurs tributs ; il envoya à Milan un mandataire dont
les Milanais se moquèrent. Frédéric décida alors de descendre en Italie en 1154, il réunit les villes et les fiefs
et reconquit ceux qui s’opposèrent à son ordre de se soumettre à lui, en restituant les droits féodaux usurpés
dans la période de faiblesse de l’empire : Rosate, Trecate, Galliate, Chieri, Asti, Tortona. Ce fut alors que les
villes italiennes se divisèrent entre guelfes et gibelines. Même les créneaux des murailles se divisèrent entre
« guelfes » (carrés ou rectangulaires) et « gibelins » (en queue de pie). Frédéric descendit ensuite à Rome
où il fut couronné empereur par le pape Adrien IV
le 18 juin 1155 (Cf ci-contre, Miniature du « Miroir
Historial » de Chantilly). Puis, souvent attaqué par
les communes où il passait, il retourna en
Allemagne pour deux ans. Milan profita alors de
son absence pour conquérir à nouveau Lodi, qui
fut détruite et incendiée le 6 janvier 1158 ; ainsi elle
éliminait l’important marché de Lodi qui faisait
concurrence au commerce milanais, et elle
outrageait l’empereur, protecteur de Lodi.
Barberousse descendit alors à nouveau en Italie pendant l’été 1158, avec une armée de
100.000 hommes et sous l’étendard impérial, avec l’aigle noir ; il fit reconstruire une
nouvelle ville de Lodi, vainquit Milan qui dut se rendre le 7 septembre, et convoqua une
diète à Roncaglia pour faire préciser ses droits financiers et administratifs sur toute
l’Italie, en subordonnant les autonomies communales au contrôle impérial (autorité sur
les duchés et marquisats, droits de justice, de percevoir des taxes et dîmes, réduction
des fortifications de nombreuses villes, etc.).
Milan, la Ligue Lombarde et les Hohenstaufen
De nombreuses villes ne tardèrent pas à se révolter contre les décisions de la Diète. La première fut Crema en janvier 1159, elle fut suivie par
Milan. Tout tendu vers son idéal de paix universelle assurée par l’empire et persuadé que ce n’étaient que des tumultes locaux et pas des
révoltes, Frédéric n’ordonna pas de représailles. Les Milanais firent alors une sortie en avril 1159 et prirent Trezzo où se trouvait le trésor
impérial ; Brescia, Piacenza et Gênes se rapprochèrent de Milan. Frédéric décida alors de réagir et assiégea d’abord la petite Crema pendant
sept mois. La lutte fut féroce : « Un jour, l’empereur lui-même courut au galop avec un groupe de guerriers vers la fidèle Lodi pour demander des
chars de bois et des bœufs en nombre assez grand pour combler le fossé et tenter de franchir les murs. On prépara de gigantesques machines
de guerre, d’énormes châteaux de bois et de fer ; mais les habitants de Crema réussirent toujours à brûler les tours mobiles avant qu’elles
s’approchent des murs. Frédéric fit alors attacher aux machines les otages que les habitants de Crema lui avaient donnés en gage de fidélité aux
décisions de Roncaglia. Les habitants de Crema semblèrent hésiter quand ils virent leurs compagnons sur ces tours mobiles qui avançaient vers
les murs, mais ensuite un nuage de flèches partit de la ville assiégée et s’abattit sur les machines. Les prélats de la suite de Barberousse
réussirent à obtenir de l’empereur que ces pauvres gens soient déliés : beaucoup étaient déjà morts.
La lutte se poursuivit désespérée. Sur les remparts, les habitants de Crema tuaient les prisonniers. Les impériaux en faisaient autant. Les sorties
des uns alternaient avec les attaques des autres, sans cesse, dans le sang » (Storia degli Italiani, op. cit. p. 52). mais Crema dut céder le 25
janvier 1160, les habitants abandonnèrent la ville, que Frédéric fit détruire.
Ces luttes renforcèrent l’hostilité du pape Adrien IV, qui mourut le 1er septembre 1159. Les cardinaux
se divisèrent en deux partis, celui du pape fit élire le
siennois Rolando Bandinelli couronné sous le nom
d’Alexandre III, et celui de l’empereur le romain
Ottaviano Monticelli, qui devint l’antipape Victor IV.
C’était le schisme, et Alexandre III excommunia son rival
et l’empereur. C’était la seconde excommunication de
l’empereur depuis celle de Henri IV par le pape Grégoire
VII en 1076, quand le concile décida qu’un laïc
(l’empereur) ne pouvait pas nommer les évêques ;
l’empereur avait dû faire pénitence à Canossa pour
obtenir la révocation de l’excommunication.
L’excommunication de Frédéric encouragea les Milanais
à reprendre la lutte et à s’emparer du château de
Carcano, contraignant Frédéric à se réfugier près de
Côme. Frédéric fit alors venir de nouvelles troupes
d’Allemagne, et en mai 1161 il fit dévaster le territoire
autour de Milan et assiéger la ville, en l’affamant. Les
Milanais se rendirent à la fin de février 1162, sans
conditions, et le 26 mars 1162, Frédéric s’empara de
toutes les choses précieuses (statues, marbres, le Carroccio, les drapeaux, les armes, etc.) et fit
détruire Milan en 8 jours, comme les Milanais avaient fait détruire Lodi, Pavie, Crémone et Côme.
Les forces étaient donc d’une part l’empereur et les feudataires, de l’autre l’alliance des communes
« démocratiques », – qui auparavant s’étaient opposées aux feudataires et maintenant devaient
combattre un empereur désireux de rétablir l’autorité politique et morale de Charlemagne, pour lui condition de paix –, avec le pape ennemi de
l’empereur dans un grand conflit des deux pouvoirs politique et spirituel : pour le pape, les communes étaient une épine au flanc de l’empereur,
et pour les communes, le pape apparaissait comme l’allié capable de mettre en crise l’empereur sur le plan militaire et idéologique. L’empereur
soutenait une idéologie laïque de séparation entre les deux pouvoirs : l’empire assurait le bonheur des hommes sur la terre, par une paix
universelle, tandis que le pape assurait leur bonheur spirituel éternel ; plus tard, Dante soutint cette idéologie laïque dans son traité De
Monarchia. Mais le Saint Empire Romain était désormais une réalité précaire, rendue formelle par
l’aspiration des communes à une association entre égaux.
Frédéric tenta en vain d’obtenir l’appui de Louis VII, roi de France, contre le pape Alexandre III, qui était
soutenu par le clergé français. Peu à peu, à partir du 27 avril 1167, les Milanais commencèrent à rentrer
dans leur patrie et à reconstruire la ville hors des murs, puisque Frédéric avait interdit de reconstruire à
l’intérieur des murs, et à partir de mai, ils commencèrent à reconstruire les murailles, en renforçant le
système de défense et de protection des eaux. La plus grande partie des communes, qui avaient une
exigence de liberté, supportaient mal le pouvoir souvent despotique et cruel des podestats nommés par
l’empereur qui ajoutaient les vols privés aux vols accomplis au nom de l’empereur : par exemple, une
taxe de 25% pesait sur les revenus agricoles, et de 15% sur le revenu des locations. Les ennemis de
Frédéric se multipliaient, et la république de Venise, préoccupée par le voisinage des terres impériales,
réussit à créer une Ligue Véronaise anti-impériale avec Vérone, Trieste, Vicenza, Trévise, Padoue,
l’empereur d’Orient et le pape ; les feudataires fidèles à Barberousse, comme le podestat de Vérone,
furent chassés.
Frédéric descendit une nouvelle fois en Italie en 1163, il effectua le sac de Tortona avec l’aide de la
fidèle Pavie. Il essaya en vain de signer une alliance avec Henri II, roi d’Angleterre, qui avait rompu
avec le pape Alexandre III ; il tenta sans succès de renforcer la puissance du nouvel antipape Pascal III
en lui faisant proclamer la sainteté de Charlemagne dont il fit exhumer la dépouille. Frédéric descendit
de nouveau en Italie en 1166, conquit Ancône, et parvint à entrer dans Rome, mais une terrible
épidémie de peste frappa son armée et il dut abandonner la ville et remonter vers le Nord, où s’était
constituée la Ligue Lombarde entre Crémone, Brescia, Bergame, Mantoue, Milan et onze autres
villes, le 7 avril 1167 à Pontida, près de Bergame, où elles avaient juré « guerre vive » à l’empereur
(Voir page précédente la plaque commémorative). La Ligue conquit Lodi qui avait refusé de la rejoindre,
et construisit dans le Montferrat une nouvelle ville fortifiée, appelée Alessandria, en l’honneur
d’Alexandre III. La Ligue se renforça par l’adhésion de Parme, Plaisance, Ferrare, Modène, Bologne, Vérone, Vicence, Padoue, Trévise, Venise,
Vercelli et Novare. Alexandre III contribua largement à financer la Ligue. Grâce à l’aide des Savoie, Frédéric réussit à échapper à la Ligue et à
rentrer en Allemagne en franchissant le Mont Cenis. Il était toujours plus isolé : il avait fait nommer un nouvel antipape, Calixte III, après la mort
de Pascal III le 20 septembre 1168 ; une partie du puissant clergé allemand continuait à soutenir Alexandre III, et Manuel I Comnène, était
hostile à l’empereur.
Frédéric organisa un nouveau corps d’expédition en 1174 et revint dans la Péninsule en passant
par le Mont Cenis, conquit Asti et assiégea la nouvelle forteresse d’Alexandrie, symbole de la
Ligue. Malgré l’appui de Venise, il ne parvint pas à vaincre Ancône, défendue par l’empereur
d’Orient. Le 6 avril 1176, l’armée de la Ligue, commandée par Anselmo di Doara et Ezzelino il
Balbo, établit son campement près de Tortona, à 20 Kms de l’armée impériale. Le 29 mai 1176
commença la bataille de Legnano, où l’armée impériale fut mise en fuite, grâce à l’intervention
des 900 chevaliers de la Compagnie de la Mort, commandée par Alberto da Giussano et de la
Compagnie du Carroccio. Frédéric dut s’humilier devant le pape Alexandre III le 1er août 1177 et il
fut libéré de l’excommunication (Cf. l’illustration à gauche) ; il dut signer avec les communes la
paix définitive de Constance le 25 juin 1183. Il meurt durant la croisade dans un fleuve d’Anatolie
en 1187, ayant, malgré la défaite face à la Ligue, réalisé un immense empire qui couvrait l’Europe
de la Méditerranée à la Mer du Nord ; il avait reconquis le Royaume de Sicile par le mariage de
son fils Henri VI avec Constance d’Altavilla, dernière fille de Roger II, fondateur de la dynastie
normande : ainsi ajoutait-il la domination du Midi à la couronne impériale ; le mariage fut célébré
à Saint-Ambroise de Milan le 27 janvier 1186, et le rite nuptial fut suivi du couronnement d’Henri
VI, de la main de son père, « comme Charlemagne avait couronné empereur de sa main son fils
Ludovic le Pieux » (Storia degli italiani, op. cit. p. 76).
La lutte continua avec les successeurs
de Frédéric Barberousse. Un nouveau
pape, Innocent III, fut élu le 8 janvier
1198, et il porta l’Église à une très
grande puissance. Henri VI, le fils de
Frédéric, régna jusqu’à sa mort en 1197.
Pour la succession furent candidats Philippe de Souabe, frère de Henri VI, à qui celui-ci
avait confié son fils Frédéric de 4 ans, et Othon de Welfen Brunswick, duc d’Aquitaine,
qui se fit couronner par une minorité d’ennemis de la maison de Souabe le 9 juin 1198
dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Philippe fut retardé et couronné seulement le 8
septembre. Le guelfe Othon était appuyé par le roi d’Angleterre, par le comte de Flandre
et par les villes de Cologne et de Milan, le gibelin Philippe par le roi de France et par la
majorité des princes allemands.
La mort d’Henri VI laissait les communes libres ; elles reprirent alors leurs querelles
entre la Ligue « guelfe » (Milan, Brescia, Mantoue, Vérone, Trévise, Novare, Vercelli) et
Crémone, Bergame et Pavie « gibelines » qui soutenaient Philippe ; mais les villes se
déclaraient guelfe ou gibeline moins pour la cause des prétendants allemands à l’empire
que par rivalité et concurrences moins nobles. Crémone, devenue commune en 1098,
avait, dès les Romains, une plus grande force militaire ; elle s’était alliée à Mathilde de
Canossa et elle avait appuyé Frédéric Barberousse contre Crema et Milan à l’assaut de
laquelle elle avait participé en 1160 et en 1162 ; elle avait aussi reçu l’appui des nobles de Brescia chassés de leur ville par le peuple. Au
contraire les communes toscanes se rebellèrent contre l’empereur ; elles formèrent la Ligue de San Genesio sous la direction de l’évêque de
Volterra et détruisirent le château de San Miniato, siège de l’administration impériale. Elles contraignirent d’autres villes, comme Arezzo, Perugia,
Viterbo et Certaldo, à adhérer à la Ligue. Même Ravenne, Rimini, Senigallia, Fermo, Macerata et d’autres centres se réunirent en une Ligue pour
se protéger tant de l’empereur que du pape Innocent III.
Pendant ce temps, le pape faisait préparer des documents où il revendiquait la possession des terres
italiennes, selon toutes les donations qui lui avaient été faites par Constantin, Pépin et divers rois ou
empereurs. C’était la conséquence de l’idéal théocratique du pape, qui considérait que l’Église devait
être maîtresse de toute la terre et que l’empereur recevait son épée du pape ; le puissant pontife devait
donc être à la fois spirituel et politique. Il obligea même le préfet de Rome à se déclarer fonctionnaire
pontifical, malgré l’hostilité du peuple romain. Il niait ainsi la théorie des deux épées, affirmant qu’il n’y
avait qu’une seule épée à deux lames, celle du pape.
Même en Sicile, le peuple se souleva contre l’armée impériale à la mort de Henri VI ; il était guidé par
Constance d’Altavilla qui fit expulser les soldats allemands de l’île. Pas assez forte pour y parvenir,
Constance s’appuya sur le pape Innocent III, et fit couronner Roi de Sicile en mai 1198 son fils
Frédéric, qui jura fidélité au pape qui devint tuteur du Roi, avec le chancelier Pagliara, évêque de Troie
comme conseiller, et en un certain sens premier ministre du Roi. La guerre entre le pape et l’empereur
souabe se poursuivit dans le sud de l’Italie où était en cause la possession de la Sicile. L’autre
problème était pour le pape de profiter de la situation pour « récupérer » le maximum de terres en Italie.
La rupture entre l’empereur Othon et le pape se produisit en 1211. Othon fut vaincu et mourut en 1218,
après sa grave défaite de 1214. Milan, qui avait toujours soutenu Othon, subit des rétorsions du pape
qui paralysa le commerce de la ville en faisant saisir en Europe toutes les marchandises milanaises.
Les autres villes de la Ligue alliées à Othon furent vaincues par la Ligue de Crémone. Après son
triomphe au Quatrième Concile du Latran, ouvert le 11 novembre 1215, Innocent III mourut le 16 juillet
1216, remplacé par Honorius III, un cardinal de 90 ans.
Frédéric II prit la succession impériale. Il avait épousé la princesse Constance, sœur du roi Pierre d’Aragon. Du mariage naquit un fils, Henri, qui
fut nommé roi de Sicile quand Frédéric fut couronné empereur en 1220. Constance étant morte, Frédéric épousa Yolande de Brienne, fille du roi
de Jérusalem, en 1225 ; il en eut un fils, Conrad ; presque en même temps, son fils Henri,
de 15 ans, épousa Marguerite d’Autriche. Le nouveau pape, élu après la mort d’Othon III le
18 mars 1227, fut un cardinal de 80 ans, Ugolino di Segni, qui prit le nom de Grégoire IX,
et eut comme premier but d’envoyer Frédéric en croisade. Frédéric ne partit pas, ce qui fut
cause de la rupture entre les deux grands. Mais l’empereur rencontra le Sultan d’Égypte,
avec lequel il avait d’excellents rapports, et il obtint qu’il lui remît pacifiquement Jérusalem
et d’autres villes voisines. Cela contraignit le pape à accepter une réconciliation formelle
avec Frédéric II en 1230.
Mais la lutte reprit vite entre Frédéric et le pape qui appuyait toujours plus les communes.
Frédéric entendait l’empire comme une réalité universelle qui devait se soumettre à
l’empereur, garant de la paix universelle. Face à lui, Grégoire IX répondait par l’évocation
de la donation de Constantin : « Les prêtres du Christ sont pères et maîtres de tous les
rois et de tous les princes chrétiens. L’empereur chrétien doit se soumettre dans ses actes
non seulement au pontife mais aux simples évêques ». En 1236, la Ligue se reconstitua
entre de nombreuses villes, Milan, Lodi, Alessandria, Côme, Novare, Brescia, Padoue,
Trévise, Ferrare, Faenza et Bologne. Mais son armée fut vaincue par les soldats de
Frédéric à la bataille de Cortenuova, où Frédéric s’empara du Carroccio, du podestat de Milan, et de 4000 prisonniers. Pourtant Brescia résista
à l’assaut et redonna force aux communes, et en 1239, Grégoire excommunia Frédéric II.
Le nouveau pape, successeur de Grégoire, mort le 22 août 1241, fut Innocent IV, élu le 25 juin 1243. Il se réfugia aussitôt en France à Lyon,
sous la protection du roi Louis IX. Après d’autres batailles, Frédéric II mourut le 13 décembre 1250, tandis que son fils Enzo était tombé
prisonnier de Bologne.
Les fils de Frédéric continuèrent la lutte, mais Manfred fut tué en 1266 à la bataille de Bénévent
contre l’armée de Charles d’Anjou appelée au secours par le pape Urbain IV. Charles d’Anjou fut
alors nommé roi de Sicile à Naples, mais fut chassé par les Siciliens après la guerre des Vêpres du
1er mars 1282, et Pierre d’Aragon s’installa dans l’île où la famille d’Aragon régna jusqu’en 1410. Ce
fut le début d’une période sombre pour la Sicile, après la présence de deux grandes cultures, arabe
et normande.
Quant au dernier héritier des Souabe, Conradin, petit-fils de Frédéric II, né en 1252, il fut vaincu
par Charles d’Anjou à la bataille de Tagliacozzo le 23 août 1268, et assassiné par lui le 29 octobre.
C’était la fin des Souabe et le triomphe du pape et des Guelfes en Italie. C’était aussi la fin d’une
époque : « On ne peut pas faire moins que d’admirer une dynastie qui fut toute composée de
princes qui se sont distingués par leur talent et leur valeur, aimant et protégeant les arts et les
sciences. Ils défendirent des idées très avancées pour les temps où ils vivaient et donnèrent leur
protection et leur impulsion à tout type d’étude (…) Leur vision était peut-être trop avancée par
rapport à l’époque où ils se trouvaient vivre et il ne fut pas possible de tirer tous les bénéfices
possibles de la politique culturellement éclairée qu’ils menèrent. Ils connurent et firent avancer des
idées qui n’étaient pas encore devenues de domaine universel, mais le fait est qu’ils entendaient se
servir de ces idées seulement pour augmenter leur propre pouvoir (…) Mais heureusement les idées ont survécu et même, grâce à elles,
l’humanité a progressé » (Storia degli italiani, op. cit. p. 309).
La dernière tentative des empereurs pour dominer l’Italie fut celle de Henri VII, qui réveilla brièvement les espérances des Gibelins italiens (Cf. le
soutien de Dante et la théorie du De Monarchia, de 1312-13, où il défendait l’indépendance de l’empire et la séparation des deux pouvoirs).
Henri VII (Arrigo VII) avait succédé à Albert d’Autriche, et il fut couronné dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle le 6 janvier 1309, avec l’appui du
pape Clément V contre le roi de France Philippe le Bel, et contre le roi de Naples Robert II d’Anjou. Il était soutenu aussi par les Savoie, et à
Milan par les gibelins Visconti contre les guelfes Della Torre. Il descendait de la maison de Luxembourg, ducs de la Basse Lorraine. Il eut le tort
de vouloir reprendre la classique politique impériale et d’imposer son autorité à une Italie déjà organisée en communes.
Il descendit en Italie de Lausanne en octobre 1310, et fut accueilli à Turin par les Savoie. Puis il resta 4 mois à Milan où il nomma ses vicaires
dans les diverses villes d’Italie. Mais les Milanais commencèrent à s’agiter quand Henri demanda un tribut de 50.000 florins et 50 otages. Il
rencontra l’opposition de Crémone dont il fit détruire les murailles et les tours, et de Brescia à laquelle il imposa le démantèlement des enceintes
et une amende de 70.000 florins. Il descendit ensuite à Rome, après avoir condamné les Florentins ; il y arriva le 6 mai 1312, aidé par les
Colonna contre les Orsini. Il se fit couronner empereur à Saint Jean de Latran le 29 juin 1312, et partit assiéger en vain Florence, tandis qu’une
grande partie du Nord se rebellait contre ses vicaires. Il décida finalement de revenir à Rome, assiégea Sienne, mais il tomba malade et mourut
en août 1313. Fin d’une époque !
« Le succès obtenu par les Communes en s’opposant aux revendications de souveraineté de l’empereur porte à la constitution de beaucoup
d’autres « seigneuries étrangères » et annule complètement la possibilité de former en Italie une unique, vaste seigneurie, un État. Cela peut
décevoir ceux pour qui un État national centralisé recouvre une valeur intrinsèque ; mais peut-être le particularisme a-t-il été toujours une
caractéristique de l’histoire des italiens » (Storia d’Italia, op. cit. n° 89, pp. 25-6).
Il Duomo di Crema, XII-XIV sec;
Milan, Basilique de Sant’ Ambrogio
, refaite en 1098
Palais communal de Cremona, construit en 1206
Frederic II sur son trône, miniature
du XIIe siècle
UN FAUX HISTORIQUE : LA DONATION DE CONSTANTIN
La « donation de Constantin » est peut-être le faux le plus célèbre de l’histoire. Il se fonde sur une légende déjà
répandue à Rome au Ve siècle, relative à Saint Sylvestre I, qui fut pape de 314 à 335, au temps de Constantin.
L’empereur, comme on le sait, publia en 313 le fameux Édit de Milan, qui reconnaît officiellement le
christianisme. Selon la légende, l’empereur Constantin aurait décidé d’une persécution contre les Chrétiens :
alors Sylvestre se serait réfugié dans une grotte du mont Soratte. Mais l’empereur (ainsi continue la légende)
tomba malade de lèpre, et suite à une vision il fit venir à lui le pape, qui lui donna le baptême et en même temps
le guérit. Constantin, reconnaissant, aurait gratifié le pape de nombreuses facultés et privilèges, et en plus lui
aurait fait don « de la ville de Rome et de toutes les provinces d’Italie » et de l’Occident ; il lui aurait donné
primauté sur les églises d’Orient. Ce faux fut probablement fabriqué à Rome au VIIIe siècle, quand le pape
Étienne II, pour défendre l’Église et la papauté des Longobards du roi Astolphe, s’accorda avec Pépin, qu’il
avait lui-même couronné roi des Francs. Pépin lui promit qu’il combattrait les Longobards, et qu’en cas de
victoire il ferait don au pape d’une grande partie de l’Italie péninsulaire. La promesse ne fut tenue que pour une
petite part ; toutefois le faux visait à « créer un précédent », c’est-à-dire un titre de légitimité pour les
revendications du pape. La fausseté de la « donation de Constantin » fut démontrée par la suite par l’humaniste
Lorenzo Valla, en 1440, avec son livre De falsa et ementita donatione Constantini » (Storia degli italiani, op.
cit . n° 9, p.162) (Cf. ci-dessous, La donation de Constantin, Rome, Église des 4 Saints Couronnés, XIIIe siècle)
La bataille de Bénévent, miniature du XV° s
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