4.3. L’histoire des villes italiennes : Ferrara
Ferrara
Dans le numéro 3406 de Télérama (25 avril-1er mai), à l’occasion de l’Exposition de Paris (du 9 avril au 19 juillet 2015) sur
Michelangelo Antonioni, Laurent Rigoulet consacre 2 pages à la ville natale d’Antonioni, Ferrare. Il évoque sa jeunesse
passée dans cette ville silencieuse, dont la lumière magique et souvent noyée dans les brumes du Pô, ses promenades
dans les rues au charme secret, dont il a dit « Cette ville a fait de moi ce que je suis … Dans ton ambiance, les pensées
jaillissent et s’envolent comme sur des ailes enchantées ». Antonioni n’a presque pas filmé Ferrare, sinon dans son
premier film, Chronique d’une amour, où l’on entrevoit sa maison, pas très loin du Palais Schifanoia.
« Pour Antonioni, et sans doute pour le visiteur d'aujourd'hui, la rue de Ferrare, ses murs de brique, son air de rouille, ses
pierres irrégulières, ses recoins et ses coudes abrupts, est la pure beauté de la ville. Simple, ordinaire mais d'un charme
sans âge, « ébauchée par petites touches crépusculaires, repliée sur elle-même dans un recueillement intime et
pudique ». On aimerait s'y égarer assez pour deviner, comme lui, que « le vent qui s'y engouffre sent la mousse et se
teinte ». Via Aurelio Saffi, via Del Pozzo, via Paradiso ... la rue, que rien ne semble devoir déranger, pas même une
époque comme la nôtre, a fait de Michelangelo Antonioni un poète… Il y a écrit nombre de films qu'il n'a jamais tournés. Et
ressenti aussi la lenteur, le calme, l'ennui d'une ville du passé où la jeunesse s'épuise. L'artiste bouillonnant est parti pour
devenir Antonioni. Mais le charme ne s'est jamais brisé. Il a toujours aimé la grâce impassible qu'il laissait derrière lui ».
Allez donc visiter Ferrare ; voilà quelques éléments de son histoire.
Ferrare est la ville d’Emilie qui a l’origine la moins ancienne. Elle remonte seulement au Moyen-âge : édifié par les
exarques de Ravenne vers la fin du VIIe siècle entre les deux lits du Pô de cette époque, le premier noyau de la ville forme
un « castrum » défensif. Le nom de « Ferrara » apparaît vers 760. Son origine est obscure : la légende l’attribue à un
certain « Ferrato », fils de Cham, petit-fils de Noé, dont il n’est jamais question dans la Bible ! On se réfère aussi à la
guerre de Troie : un certain Marc serait venu construire Ferrare avec une jeune troyenne nommée ... « Ferrara » ! Plus
vraisemblable la référence au « farro », l’épeautre cultivé par les Romains, et donc la « farraria », lieu où on le cultivait ;
ou encore la référence aux grandes foires qui se tenaient deux fois par an dans la Commune, en un lieu nommé «
Feriarum area », place des foires, d’où « Ferraria ».
Vers l’an 1000, le pape investit le marquis Tebaldo de Canossa du contrôle de la ville en formation ; il fait construire un
château sur le Pô à l’ouest du castrum byzantin et édifie la première enceinte.
À partir du déclin de Ravenne, Ferrare devint un port au commerce florissant ;
mais en 1152, le cours principal du Pô est dévié, le port s’enterre, c’est la fin de la
navigation fluviale.
Mathilde de Canossa meurt en 1115, et la ville se développe sous forme de
Commune libre ; la cathédrale est édifiée en 1135 hors les murailles de
Tebaldo.
Avec la montée progressive au pouvoir de la famille d’Este, à partir de 1196, la
ville s’étend avec les trois « additions » (quartiers nouveaux reliés entre eux par
un système de rues) : en 1386 (le pape Nicolas II, à partir de la reconstruction du
château en 1385), 1451 (Borso d’Este) et 1492 (Ercole I d’Este : « addizione
erculea » et nouvelle enceinte). Une nouvelle enceinte est tracée lors de la
première addition le long du canal de la Zudeca (l’actuel Corso della Giovecca) ;
la seconde addition est destinée à occuper les espaces laissés libres par le
déplacement du lit du Pô ; la troisième, réalisée selon le programme de
l’architecte Biagio Rossetti, fait de Ferrare, disait-on, « la première ville moderne
d’Europe ».
Sous Lionello d’Este (1441-1450), Borso (1450-1471, premier duc de Ferrare) et
Ercole I (1471-1505), Ferrare devient un grand centre culturel. « L’Officina
ferrarese » des peintres Cosmè Tura, Ercole de’ Roberti et Francesco Del Cossa
réalise le Salon des mois du Palais Schifanoia ; Leon Battista Alberti, Piero della
Francesca, Roger van der Weyden travaillent pour la cour des Este et pour la
noblesse de la ville, avec une pléiade de miniaturistes, tapissiers, orfèvres,
graveurs ; l’Université reçoit de nombreux étudiants ; la musique (Il concerto delle dame di Ferrara) est omniprésente à la
cour. Le roi de Naples donne sa fille en mariage à Ercole I, consacrant les Este parmi les grandes familles de l’époque.
En 1598, les Estensi doivent céder le duché à la souveraineté pontificale, après une série de désastres économiques :
plusieurs ruptures de digues, grande peste de 1528, famine de 1593, secousses telluriques en 1561, 1570, 1591. Mais
jusqu’au bout, les Este maintinrent à Ferrare un haut niveau de vie culturelle : présence à la cour des peintres Dosso
Dossi, Giovanni Bellini, Titien, des élèves de l’architecte Biagio Rossetti, du poète Ludovico Ariosto, du musicien Girolamo
Frescobaldi, un des fondateurs de l’art instrumental moderne.
Pendant trois siècles, Ferrare fut ensuite administrée par les cardinaux légats du pape. Malgré quelques réalisations
(réforme de l’Université, naissance des Académies, restauration des églises et des palais... nouvelle forteresse), ce fut
dans l’ensemble une période sombre pour Ferrare, de stagnation économique. Il faudra attende la constitution du
Royaume d’Italie pour que se réalise le grand rêve d’Ercole I : l’augmentation de la population à l’intérieur des murs et le
développement du commerce. Ferrare devient un marché agricole d’importance européenne ; le canal de la Zudeca est
comblé (corso della Giovecca) ; à son extrémité est construite la gare de la ligne ferroviaire Bologne-Padoue ; après la
première guerre mondiale, la forteresse pontificale est détruite et remplacée par un nouveau quartier-jardin de la
bourgeoisie ferraraise ; dans les années 50 du XIXe siècle, un autre quartier surgit au nord-ouest, achevant d’accomplir
le plan d’urbanisme d’Ercole I. La politique menée après 1945 fait de la ville un pôle européen.
Itinéraire possible (selon le plan ci-joint) :
1) Porta Paula (34 sur le plan), quartiers anciens ; 2) Eglise San
Paolo (10 – antérieure à l’an 1000, refaite en 1573) ; 3) Corso di Porta
Reno --> CATHEDRALE (4 – inaugurée en 1135, façade refaite au
XIIIe siècle sur 3 niveaux ; clocher de 1412 à 1596 ; abside de Biagio
Rossetti, 1498 ; intérieur refait en 1712. Faire le tour de l’édifice) ; 4)
au Musée de la cathédrale (14 - oeuvres de Cosmè Tura, Jacopo
della Quercia et sculptures de l’ancienne Porte des mois, du XIIe
siècle) ; 5) Par la via Mazzini, Palazzo Paradiso (30 – commencé en
1391, transformé en 1586 : Théâtre anatomique, escalier
monumental) ; 6) PALAZZO SCHIFANOIA (32), la plus célèbre des
« delizie » des Este : Salon des mois.
Revenir vers 7) Palazzo comunale (29), la première demeure des
Este ; 8) CASTELLO ESTENSE (3), avec son fossé plein d’eau ; 9)
en remontant le corso Ercole d’Este, palazzo di Giulio d’Este et
PALAZZO DEI DIAMANTI (1493-1503, Biagio Rossetti. Siège de la
Pinacothèque nationale : peinture du XIVe au XVIe siècle ; Musée
Michelangelo Antonioni ; expositions temporaires d’art moderne).
On peut remonter jusqu’à la Casa dell’Ariosto (1), petit musée
consacré au poète, et voir le PALAZZO MASSARI (28), important
musée d’art moderne du XIXe siècle, consacré en particulier à Boldini
et De Pisis.
Et puis se promener dans la ville, soucieuse de son environnement,
au milieu des cyclistes ....
Personnalités liées à Ferrare
* Michelangelo Antonioni (29 septembre1912-30 juillet 2007),
metteur en scène.
* Francesco del Cossa (1435-1477), peintre (Salon des mois du
Palais Schifanoia)
* Ercole de' Roberti (1451-1496), peintre, élève de F. Del Cossa
* Alessandro Striggio (père) (1540-1592), compositeur de
madrigaux et inventeur de la « comédie madrigalesque » (II
cicalamento delle donne al bucato et la caccia). Il participe à la Camera fiorentina dei Bardi, et, à ce titre, figure parmi les
inventeurs de l’opéra. Son fils, homonyme, est l’auteur du livret de l’Orfeo de Monteverdi
* Ercole Strozzi (1473-1508), poète et homme de lettres, confident de Lucrèce Borgia à la cour des Este.
* Tito Vespasiano Strozzi (1424-1505), poète humaniste à la cour de Borso et Ercole d’Este.
* Benvenuto Tisi da Garofalo (1481-1559), peintre.
* Cosmè Tura (1430-1495), peintre officiel des ducs d’Este à Ferrare.
* Giovanni Luteri, dit Dosso Dossi (1479-1542), peintre, un des artistes les plus importants de son temps.
* Ludovico Ariosto (1474-1533), poète, auteur de l’Orlando Furioso (Roland fou), un des grands poèmes
chevaleresques de la Renaissance. Il passa ses dernières années dans sa maison du 67, via Ariosto à Ferrare,
aujourd’hui musée.
* Biagio Rossetti (1447-1516), architecte de la cour de Ferrare (palazzo dei Diamanti)
* Torquato Tasso (1544-1595), poète auteur de la Gerusalemme liberata, et de l’Aminta, fut au service du cardinal Luigi
d’Este, puis emprisonné pendant 7 ans à l’Hôpital Sant’Anna en 1579.
* Girolamo Frescobaldi (1583-1643), instrumentiste (plusieurs instruments dont l’orgue), compositeur, et théoricien de
la musique.
* Battista Guarini (1538-1612), poète, ami et défenseur du Tasse, auteur du drame pastoral Il pastor fido.
* Giovanni Boldini (1842-1931), peintre (Musée au Palais Massari de Ferrare, Corso Porta Mare, 9, à 15’ à pied de
Piazza Castello. Ouvert : 9h-13h, 15h-18h. Suite au tremblement de terre, les collections sont provisoirement au
Château).
* Achille Funi (1890-1972), peintre proche du futurisme, puis du mouvement « Novecento ».
* Filippo De Pisis (1896-1956), peintre proche du post-impressionnisme (même musée que Boldini).
* Giovanni Cervi (20 juin1886- 24 janvier 1977), champion cycliste
* Giorgio Bassani (1916-2000), romancier (Cf plus haut p.6).
Et la famille d’Este : a pour origine les Obertenghi, seigneurs de Milan et de Ligurie occidentale (Cf. la fiche sur Este).
Alberto Azzo II fonde la famille dans la ville homonyme d’Este et reçoit l’investiture impériale.
Du XIVe au XVIe siècle, la cour des Este fit de Ferrare un des centres culturels les plus importants et les plus originaux de
la Renaissance, surtout dans les domaines littéraire, théâtral, pictural et musical ; même l’urbanisme est pensé comme un
grand décor théâtral destiné à mettre en scène la magnificence de la famille au pouvoir et à assurer son audience
internationale ; les Este étaient des collectionneurs passionnés et faisaient donc appel aux artistes les plus renommés.
Alberto V (1388-1393) fonde l’Université avec un privilège pontifical spécial. Lui succèdent Leonello (1441-1450. Impulse
le cercle d’humanistes où interviennent Guarino da Verona et Leon Battista Alberti), Borso (1450-1471, premier duc de
Modène et Reggio et duc de Ferrare par investiture du pape Paul II. Opère la bonification du territoire de Ferrare, fait
décorer le palais Schifanoia), Ercole I (1471-1505. Épouse Eleonora, fille du roi de Naples ; réalise « l’addizione
erculea » par Biagio Rossetti, décore le château ; réprime dans le sang une révolte fomentée par son neveu Nicolò),
Alfonso I (1505-1534, épouse en secondes noces Lucrèce Borgia, - elle en est à son troisième mariage -, fille du pape
Alexandre VI, fait de Ferrare une puissance militaire et développe la vie artistique, mais rencontre l’hostilité du pape Jules
II), Ercole II (1534-1559, épouse Renée de France, fille du roi Louis XII, qui élargit l’horizon culturel e diplomatique du
duché, où elle introduit le protestantisme, abritant Calvin en 1536. Consolide l’économie et embellit la ville et le château),
Alfonso II (1559-1597, mort sans héritier mâle, ce qui fait tomber Ferrare sous la domination de l’Église en 1598. Les Este
se transfèrent alors dans le duché de Modène).
Sites Internet
http://it.wikipedia.org/wiki/Ferrara, site en français très documenté
www.castelloestense.it : sur le château de Ferrare
www.artecultura.fe.it : sur les musées de Ferrare
www.ferrarainfo.com : sur Ferrare en général
www.palazzodiamanti.it : le palazzo Diamanti et ses expositions
www.luoghimisteriosi.it/emilia_ferraraschifanoia : le Palais Schifanoia et ses fresques
Toute reproduction (papier ou numérique) est interdite sans une autorisation écrite du propriétaire du site.