5.4. Les mafias - 1
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La mafia, l’Église catholique et le Front National L’étonnement de beaucoup de catholiques français pour le rapprochement avec le FN Les Français ont été étonnés d’apprendre qu’un diocèse de l’Église catholique avait invité à une table ronde du 29 août une élue du Front National du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen. L’organisme invitant, l’Observatoire Socio-Politique, a été fondé en 2005 par l’évêque de Fréjus pour la formation des jeunes chrétiens ; le thème de la rencontre est « Médias et vérité ». C’est la première fois qu’un organisme catholique officiel invite ainsi un représentant du Front National ; rappelons que le Maire de Fréjus appartient au FN, que cette députée sera tête de liste du FN aux prochaines élections régionales, et qu’elle se présente comme une fervente chrétienne, à la différence de sa tante, Marine Le Pen, et de son grand-père : elle a participé au dernier pèlerinage de Chartres, elle a défilé dans la Manifestation contre le Mariage pour Tous. Quant à l’évêque de Fréjus, il est, avec celui de Bayonne, l’un des plus offensifs représentants du catholicisme identitaire de droite ; parmi les invités de ce Colloque, on trouve Guillaume de Prémare, ancien Président de La Manif pour Tous, à côté d’un député du PS et d’un autre des Républicains. Il est certain que l’Église, qui avait toujours jusqu’alors refusé d’inviter le FN à ses manifestations, songe à se rapprocher d’un parti qui semble avoir le vent en poupe, même si ses positions sur de nombreux problèmes, comme l’immigration, sont incompatibles avec l’appartenance à la foi catholique, mais la défense de la famille prime ! Réalisme machiavélique que de se rapprocher de ceux qui sont peut-être les futurs vainqueurs. Mais cela ne fait pas l’unanimité. Les funérailles religieuses somptueuses d’un boss de la mafia romaine Les Italiens ont été moins étonnés (ils ont l’habitude !) d’apprendre qu’un des quatre grands chefs de la mafia romaine, Vittorio Casamonica, avait eu des funérailles religieuses solennelles dans une église romaine, San Giovanni Bosco, peu de temps après que le pape ait annoncé l’excommunication de tous les mafieux. Qui était Vittorio Casamonica ? Le chef de l’un des clans puissants de la mafia de la périphérie sud de Rome ; le clan est cité dans l’enquête policière actuelle qui va conduire au maxi-procès sur la mafia dans la capitale. Il n’a jamais été condamné, ce qui permet à sa famille de dire que c’était un « brave homme », mais il fut impliqué comme « précepteur » de la Bande de La Magliana. Il a été enterré dans la tombe des Spada, la famille qui contrôle la zone d’Ostie, à laquelle les Casamonica sont apparentés, dans le plus beau quartier du cimetière du Verano. Ses funérailles ont été solennelles, annoncées sur la porte de l’église, et apparemment dans le quartier, par deux affiches, l’une le représentant vêtu en blanc comme le pape, trônant sur le Colisée et sur une coupole, au-dessus d’une grande inscription « Re di Roma » (Roi de Rome), et une seconde qui la commente : « Hai conquistato Roma, ora conquisterai il Paradiso » (Tu as conquis Rome, maintenant tu vas conquérir le paradis). Or « roi de Rome » était le titre donné il y a trois ans par un journaliste de l’Espresso à un long dossier sur les quatre clans mafieux de la ville (Carminati, Fasciani, Senese et Casamonica) pour marquer la puissance qu’ils avaient acquise dans le pays, où tous les grands crimes de la mafia ont probablement été ordonnés de Rome, le meurtre de Carmine Pecorelli et d’Umberto Ambrosoli, celui des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, parfois sans doute avec la complicité des services de Sécurité de l’État italien (le grand procès des rapports entre l’État et la mafia le démontrera-t-il clairement ?). Et l’ex-Maire de Rome, le néofasciste Gianni Alemanno, est inculpé pour association mafieuse. La reprise du titre de « roi de Rome » est donc avec évidence pour les spécialistes et pour le peuple italien un message mafieux profitant des funérailles, selon le rite habituel, pour renforcer l’influence médiatique du clan Casamonica, qui est loin actuellement d’être le plus puissant. Bien plus, la procession funéraire a parcouru une dizaine de kilomètres, le cercueil étant porté par un carrosse noir tiré par six chevaux noirs, suivi de dix voitures pleines de fleurs, sonorisé par la musique du Parrain (Il Padrino) tandis qu’à l’arrivée un hélicoptère jetait des pétales de roses sur la foule. L’autobus 502 fut arrêté plusieurs fois par les voitures en double ou triple file, et les passagers contraints de descendre et d’assister à la manifestation. Les policiers de la Mairie de Rome précédaient le cortège et lui ouvraient la voie ; mais le Maire de Rome de Centre-Gauche (PD), Ignazio Marino, était en vacances et faisait de la pêche sous-marine, et il a seulement réagi en disant : « Je vous l’avais bien dit qu’il y avait de la mafia à Rome ! ». Qui a donc ordonné à la police romaine d’être là ; Franco Gabrielli, le Préfet de Rome, a ordonné une enquête pour savoir quel fonctionnaire leur a donné cet ordre. Peut-on accorder des funérailles religieuses à l’église à un homme condamné par l’Église ? « On aurait cru être dans la Sicile des années ‘60 », a réagi le journaliste sicilien Lirio Abbate, spécialiste de la mafia et auteur des articles cités de l’Espresso (Cf. Il Fatto Quotidiano, 20 et 21 août 2015). Et le prêtre de la paroisse célébrante (qui dit qu’il n’avait même pas vu les affiches mises sur son église, qui représentaient Vittorio Casamonica vêtu en pape !) savait bien qui était Vittorio Casamonica, alors qu’en Sicile, des prêtres risquent leur vie en refusant une sépulture religieuse aux boss mafieux locaux. C’est dangereux, dit le journaliste, parce que cela révèle que les autorités civiles ont « abaissé la garde » et que les organisations criminelles romaines cherchent à acquérir un peu plus de pouvoir sur les politiques, comme ils avaient commencé à le faire lorsque Gianni Alemanno les y aidait depuis la Mairie de Rome. Le prêtre don Luigi Ciotti a réclamé une vigoureuse réaction des autorités religieuses, rappelant que « les mafias n’ont jamais manqué de manifester une religiosité de façade, ‘feuille de figuier’ de leurs entreprises criminelles » (Ibid.). La Curie romaine est embarrassée : certes, l’enterrement n’est pas un « sacrement », mais le clergé peut refuser son église si la personne défunte apparaît en contradiction avec les enseignements de l’Église : en 2006, celui qui était alors cardinal vicaire de Rome, Camillo Ruini, avait refusé une sépulture religieuse au militant radical Piergiorgio Welby qui, malade de dystrophie musculaire, avait demandé qu’on arrête l’acharnement thérapeutique sur son corps ; Ruini avait condamné sa décision et refusé l’accès à la cérémonie religieuse, madame Welby l’a rappelé récemment. En 2013, la Curie romaine avait refusé à la famille d’Erich Priebke, le bourreau nazi des Fosse Ardeatine, de célébrer ses funérailles à l’église, et avait proposé de les faire à la maison du défunt ; la famille avait refusé et célébré les funérailles dans le temple lefebvrien d’Albano Laziale, ce qui provoqua de violents conflits à l’extérieur. On peut donc refuser une sépulture religieuse dans une église à un homme condamné par le Vatican… Mais les prêtres de Rome obéissent-ils toujours au pape ? Et rappelons qu’en mai 2013, le pape François avait fait béatifier le prêtre et enseignant don Paolo Puglisi, premier martyr assassiné par la mafia le 15 septembre 1993, désignant comme son représentant aux cérémonies le cardinal Salvatore De Giorgi, et écartant par cette « gifle » (presse de l’époque, et Il Fatto Quotidiano, 17 mai 2013) le cardinal palermitain Paolo Romeo. Le pape a encore beaucoup de pain sur la planche pour réformer les institutions de la Curie romaine … ! Jean Guichard, 30 août 2015 Si vous ne connaissez pas l’une ou l’autre des personnes citées, dites-le nous, nous insérerons l’information qui correspond à votre demande.