5.1. La Constitution italienne
Les diverses formes de législation électorale en Italie
1) 1861 : un système majoritaire uninominal, « culturel », censitaire, masculin.
Les premières élections législatives du Royaume d’Italie eurent lieu le 27 janvier 1861 pour désigner les élus de la VIIIe législature, façon
d’affirmer une continuité entre le Royaume de Piémont-Sardaigne et le nouveau Royaume d’Italie. La loi électorale fut celle de l’ancien
Statuto Albertino adopté par le Piémont le 4 mars 1848, et étendu à tout le Royaume en 1860, écrit à partir de la Charte constitutionnelle
adoptée par la France en 1814, modifiée après la révolution de 1830 ; il instituait une Chambre des Députés élue et un Sénat nommé par le
roi ; le suffrage était censitaire et uninominal par collège. Cela représentait 1,88% de la population pour les élections législatives et 6,27 pour
les élections administratives (Cf. Jean Guichard, Petite Histoire du Piémont, Éditions de l’INIS, 2011, p. 36). C’était le modèle de monarchie
constitutionnelle comportant au sommet un Roi devant lequel les ministres étaient responsables, avec une Chambre des Députés élue et un
Sénat nommé, dont les membres étaient choisis parmi les 21 catégories établies par le Statut (évêques, ambassadeurs, membres des
Académies, professeurs d’Universités, ministres, députés, hauts magistrats, grands contribuables, licenciés, notaires, comptables,
pharmaciens, vétérinaires, etc.). Les électeurs étaient des hommes d’au moins 25 ans, devaient être alphabétisés (les citoyens sachant lire
et écrire représentaient entre 2,5% et 8% de la population du Royaume) et payer des impôts (au moins 40 lires). C’était un système
censitaire, majoritaire à 2 tours ; les collèges étaient au nombre de 443 en 1861, et passèrent à 508 en 1870 après l’insertion de la Vénétie
et du Latium dans le Royaume. Le système était donc centré sur les personnes.
Pour être élu au premier tour, il fallait obtenir la majorité absolue des voix dans un collège où avait voté au moins le tiers des inscrits ; en cas
de ballottage, au second tour, il suffisait d’obtenir la majorité simple.
Le nombre de votants était en moyenne de 50% des inscrits, ne votait donc qu’environ 1% de la population masculine ; en 1870, il y eut
56,6% d’abstentions. En 1861, il n’y eut que 25 collèges sur 443 à présenter un candidat unique ; en 1874, il y en eut 50, mais, dans ¼ des
collèges, le candidat d’opposition obtint moins de 50 voix ! Cela voulait dire que la distance était énorme entre pays légal et pays réel.
2) 1882 : simple élargissement du système
Cette législation fut élargie par la loi du 7 mai 1882, proposée par la gauche : l’âge de vote fut abaissé de 25 à 21 ans, le « cens » fut
abaissé de 40 lires à 19,80 lires, et devinrent électeurs tous ceux qui avaient fait deux ans d’école primaire (il « biennio elementare »). On
conserve le système majoritaire à deux tours, mais les collèges sont agrandis et le système devient plurinominal. Les collèges à 2 sièges
étaient au nombre de 3, ceux à 3 sièges au nombre de 61, ceux à 4 sièges au nombre de 36, ceux à 5 sièges au nombre de 35. Étaient élus
au premier tour les candidats ayant obtenu la majorité relative, à condition qu’elle corresponde au moins à la 8e partie des inscrits. Les
ballottages de 2e tour furent du coup considérablement réduits, passant de 342 en 1870 à 4 en 1882, pour remonter au maximum de 77 en
1904.
La nouveauté fut l’apparition de « listes à l’intérieur des collèges, avec l’introduction de listes de la gauche, de l’extrême-gauche et de
listes « mixtes », monarchico-libérales. Les « partis » commençaient à prendre de l’importance, mais de façon limitée par la pratique
politique du « transformisme ».
3) 1913 : même législation avec un suffrage masculin « presque » universel.
Les femmes étaient encore exclues : on craignait qu’elles soient trop influencées par la propagande cléricale… Et la crainte de la poussée
socialiste poussa Giolitti à universaliser le système, tout en étant conscient des possibles dangers de cette décision pour le pouvoir de la
classe dirigeante libérale ; mais il croyait à la force de sa politique, basée sur un « tranformisme » qui devait rendre moins hostiles les
représentants de la gauche.
Par ailleurs, Giolitti conservait le Sénat nommé, et un système de gouvernement qui permettait un contrôle de la masse moyennant une
bureaucratie étroitement liée à la classe politique. Il se contenta donc d’étendre le suffrage à tous les hommes âgés de plus de trente ans ;
pour les analphabètes qui ne pouvaient pas écrire le nom de leur candidat, on inventa un bulletin de vote pré imprimé portant une marque
ou une photo du candidat, à remettre dans une enveloppe (l’enveloppe « Bertolini ») qui était remise à l’électeur. Pour être élu au premier
tour, il suffisait d’obtenir la majorité absolue avec une participation au vite d’au moins 10% des inscrits.
Et Giolitti refusa l’adoption d’un système proportionnel proposé par Sidney Sonnino (1847-1922), un autre ministre conservateur, plus
conscient de l’évolution de la société italienne.
Les élections suivantes eurent lieu le 26 octobre 1913, avec 5.533.042 électeurs (l’analphabétisme oscillait entre 6,9% à Turin et 63,8% en
Sicile, avec une moyenne nationale de 34,7%). A un moment où la guerre de Libye avait développé les sentiments nationalistes, le parti
libéral était le moins organisé à la base, puisque composé de notables, qui jusque là détenaient tout le pouvoir ; enfin commençait à
apparaître le parti des cléricaux catholiques (Union électorale catholique créée en 1910, dirigée par le comte Vincenzo Ottorino Gentiloni,
1865-1916). Malgré le maintien du Non Expedit (il ne convient pas) du pape Pie IX qui interdisait aux catholiques italiens de participer à la
vie politique du Royaume excommunié (il ne fut abrogé qu’en 1919), le « Pacte Gentiloni » prévoyait un accord avec les libéraux sur la
base 1) d’un financement des écoles privées, 2) d’un engagement à refuser l’introduction du divorce dans la constitution, 3) l’introduction
d’une juridiction séparée pour le clergé. Cette convergence des libéraux et des catholiques dans les mêmes listes permit leur succès : les
libéraux obtinrent 270 sièges, les démocrates 40, les conservateurs catholiques 9, les catholiques indépendants 20, les radicaux 62, les
radicaux dissidents 11, les républicains 8, les républicains dissidents 9, les socialistes officiels 52, les socialistes réformistes 19 et les
socialistes indépendants 8. C’était l’entrée de l’électorat catholique dans le jeu politique.
4) 1919, passage au système proportionnel masculin.
Le 31 juillet 1919, la Chambre vota en faveur du système proportionnel, par 277 voix contre 38 ; elle maintint l’ampleur des collèges à 5
sièges pour les premières élections mais l’augmenta jusqu’à 10 sièges à partir des élections suivantes, et encore plus par la suite : 6
collèges avaient 10 députés, 2 collèges 11 députés, 5 en avaient 12, 3 en avaient 13, 2 en avaient 14, 3 en avaient 15, 1 en avait 16, 3
allaient à 17, 3 à 18, 2 à 19, 1 à 20, 1 à 23, 1 à 24 et 1 à 28. Il fallut aussi attribuer des députés aux régions acquises après la guerre de 15-
18, 1 député à Zara, 4 à Trieste et Bolzano, 5 à Gorizia, 6 à l’Istrie et 7 au Trentin.
La Chambre maintint aussi le système de « l’enveloppe Bertolini » de 1913. Cette décision suivit une longue discussion, mais elle apparut
finalement nécessaire pour concilier le prolétariat réformiste et la bourgeoisie progressiste, cela semblait indispensable à la défense des
institutions démocratiques.
Le nouveau gouvernement en place ne dura qu’un an.
5) 1923, passage à la loi fasciste.
Le premier gouvernement Mussolini, après la marche sur Rome, voulut aussitôt introduire une correction majoritaire au système
proportionnel : si le parti majoritaire obtenait 25% des suffrages, il lui serait attribué les 2/3 des sièges de la Chambre. On passe ainsi d’une
détermination de la Chambre par les collèges locaux à une détermination nationale qui était favorable au Parti fasciste, et on institue une
sous représentation de partis minoritaires, qui n’avaient plus à se partager à la proportionnelle qu’un tiers de la représentation nationale.
Pour Mussolini (ordre du jour du 11 novembre 1922, il fallait assurer « la formation d’un gouvernement de majorité parlementaire » en
renforçant l’exécutif ; c’était une rupture radicale avec la tradition de principe de l’Italie libérale).
On institua donc un Collège unique national pour le parti majoritaire, tandis que les minorités continuaient à être élues sur la base de
collèges ; c’était donner les pleins pouvoirs au régime dictatorial fasciste.
Dans la discussion, les démocrates-chrétiens Gronchi et Chiesa, avec le communiste Amendola proposèrent un amendement qui réduisait
les proportions à 2/5 des voix (au lieu de 25%) et à 3/5 de sièges (au lieu des 2/3), ils furent battus par 157 voix contre 178 : la loi fasciste ne
passa donc qu’avec 21 voix de majorité. Le Sénat confirma par 165 voix contre 41. Le socialiste Filippo Turati parla d’une « marche sur
Rome au Parlement ».
Aux élections du 6 avril 1924, les fascistes obtinrent donc 356 sièges contre 39 au Parti Populaire (au lieu de 108 en 1921), 46 aux
socialistes (contre123 en 1921) et 19 aux communistes (contre 15 en 1921). La campagne électorale avait par ailleurs été marquée par la
pression violente des groupes fascistes, qui furent suivies de l’assassinat de Giacomo Matteotti par les groupes fascistes, le retrait sur «
l’Aventin » de l’opposition, l’inertie du Roi, et la suppression de toute garantie de démocratie.
Dès 1925, Mussolini imposa une nouvelle réforme électorale, en introduisant un système majoritaire, où les Faisceaux territoriaux étaient
chargés de la formation de la Chambre. Puis la loi du 17 mai 1928 introduisit une forme de plébiscite : le Grand Conseil du Fascisme
rédigeait une liste de 400 noms qui devaient être approuvée en bloc par le corps électoral. On vota selon ce système le 24 mars 1929, avec
8.663.412 votants (89,6%), dont 135.761 « non », venant surtout du nord et du centre. Un second plébiscite se tint en 1934, avec
10.060.426 votants et seulement 15.215 « non » (0,15%).
Mais ce n’était qu’une transition vers la vraie forme de régime fasciste, celui des Corporations, qui fut instaurée à partir de 1938 : la
Chambre des Faisceaux et des Corporations remplaçait la Chambre des Députés. Le corps électoral était tout simplement effacé.
6) La loi proportionnelle de la Première République.
Le fascisme tomba le 25 juillet 1943, et le 2 juin 1946 eurent lieu le referendum institutionnel qui donna la victoire à la République sur la
Monarchie et l’élection de l’Assemblée constituante qui allait décider de la nouvelle constitution de l’Italie. Les partisans du vieux libéralisme
comme Vittorio Emanuele Orlando, Benedetto Croce, Francesco Saverio Nitti, se prononcèrent pour le maintien du système majoritaire, car
ils attribuaient l’écroulement de l’État libéral et la passage au fascisme au système proportionnel ; mais la majorité des nouvelles forces
politiques issues de la lutte contre le fascisme, le Parti Communiste Italien (PCI), le Parti Socialiste Italien d’Unité Prolétarienne (PSIUP) et
la Démocratie Chrétienne (DC), le Parti Républicain et le Parti d’Action (Partito d’Azione) étaient partisans d’un système proportionnel. Les
premiers privilégiaient le vote sur les personnes, où le député était en rapport direct avec la nation, tandis que pour les seconds devait
l’emporter la médiation politique des partis, devenus le canal de l’organisation politique, dans la continuité de ce qu’avait été le Comité de
Libération Nationale (CLN) dans la Résistance au fascisme, avec l’idée que tous les courants d’opinion devaient pouvoir s’exprimer : surtout
après la rupture du tripartisme en 1947, la DC avait besoin des petits partis pour garder le pouvoir.
Le droit de vote fut étendu aux femmes, le suffrage devenait universel et l’Assemblée se prononça pour le système proportionnel sur des
circonscriptions pluri nominales conçues comme sections d’un Collège Unique National, pour la Chambre des Députés ; on vota donc pour
une répartition des « restes » au niveau national (les voix qui n’étaient pas suffisantes pour faire élire un député au niveau des collèges
étaient additionnées au niveau national pour chaque parti, à condition qu’ils aient eu au moins un élu dans un collège) ; pour le Sénat, elle
décida d’un système mixte, majoritaire dans les collèges où un candidat avait obtenu 65% des voix et proportionnel dans les collèges où
cette majorité n’était pas atteinte. Les circonscriptions furent redessinées non plus selon la division des régions mais selon celle des
provinces (équivalent du département français), avec une attribution de sièges qui allait de 7 (Potenza et Matera) à 36 (Milan et Pavie) ; le
vote était valable sans que soit défini le nombre minimum de votants exigé. La loi fut définitivement adoptée le 21 décembre 1947, par 275
vois contre 82, et devint la loi n.6 du 20 janvier 1948.
Pour le Sénat, le vote uninominal par collège fut choisi. Fut écartée une proposition d’Emilio Lussu de faire du Sénat une « chambre des
régions », et l’Assemblée n’en garda que l’idée d’une élection « sur base régionale ». Fut adoptée finalement la proposition Nitti et Togliatti
d’une élection au suffrage universel et direct avec le système du collège uninominal, votée le 7 octobre 1947 par 190 voix contre 181. Pour
être élu, le candidat devait obtenir au moins 65% des voix, tandis que les sièges non attribués seraient attribués dans un collège unique
régional selon le plus fort reste, ce qui récupérait une partie du système proportionnel. Ce fut la loi n. 29 du 6 février 1948. On y ajouta
quelques personnalités persécutées par le fascisme comme « sénateurs de droit ».
On vota sur cette base dans les premières élections républicaines du 18 avril 1948, après les élections administratives d’avril 1946, qui, sur
les 5722 communes, en donnèrent 2354 à la DC et 2289 aux listes socialo-communistes, la gauche contrôlant le nord et le centre, tandis
que le sud et les îles donnaient la majorité aux partis modérés. La participation au vote fut de 92,8% des inscrits, et le nombre de votes
valables fut de 97,8% des voix exprimées. Sur 114 listes présentées, seulement 10 obtinrent une représentation parlementaire. Au Sénat, le
quorum de 65% ne fut atteint que dans 15 collèges en Lombardie (Bergamo, Clusone, Treviglio), Trentin-Haut Adige (Bressanone,
Mezzolombardo, Pergine, Trento), en Vénétie (Bassano del Grappa, Cittadella, Schio, Treviso, Verona, Vittorio Veneto), dans les Abruzzes
(Lanciano) et en Sicile (Acirale). La DC fut le grand vainqueur ; c’était le début d’une pratique politique centriste.
7) 1952, la tentative et l’échec de la « legge truffa », la loi d’escroquerie.
Le 21 octobre 1952, la DC, en la personne du Ministre de l’Intérieur Mario Scelba (1901-1991), proposa de modifier le système électoral en
donnant une prime de majorité à la ou aux forces politiques qui auraient obtenu plus de 50% plus une voix au niveau national, pour assurer
une stabilité gouvernementale : la liste qui aurait obtenu plus de 50% des voix aurait 65% des sièges ; cela sembla contraire aux principes
de base de la démocratie décidée en 1946 ; Palmiro Togliatti demanda un referendum populaire qui fut refusé par De Gasperi, ce qui
provoqua une réaction violente des frères Pajetta, députés communistes, qui brisèrent les bras de leur fauteuil et en menacèrent
l’Assemblée ; dans la rue, cela provoqua de grandes manifestations vivement réprimées par la police ; au Sénat, le président Giuseppe
Paratore (Parti Libéral) donna sa démission pour protester contre cet abus de pouvoir du gouvernement, il fut aussitôt remplacé par Meuccio
Ruini ; Sandro Pertini, futur président de la République, le traita de « porc ». Il faudra attendre le vote sur l’Italicum en 2015 pour retrouver
une tentative de faire voter une loi électorale en posant la question de confiance.
Mais, aux élections administratives de 1951 et 1952, la DC avait enregistré une baisse de 13,4% ; parallèlement, en 1951, la France avait
adopté une loi électorale qui mêlait le majoritaire et le proportionnel pour renforcer l’alliance majoritaire. La loi Scelba maintint donc le scrutin
de liste dans des collèges pluri nominaux et changea le système de répartition des sièges, les faisant passer de 574 à 590 ; de plus il
prévoyait la possibilité d’apparentements. Ainsi la majorité obtiendrait 385 sièges contre 204 à la minorité.
Notons que le président du Conseil, Alcide De Gasperi, posa pour la première fois la question de confiance.
Le débat fut clos le 21 janvier 1953 par le dépôt d’une motion de confiance qui obtint 339 voix sur 364, les communistes et les socialistes
ayant quitté la salle au moment du vote. Le Sénat entreprit l’examen du projet le 26 mars 1953 et l’adopta par 174 voix sur 177 votants, les
communistes et les socialistes s’étant abstenus.
La loi fut alors dite loi « truffa » (escroquerie, fraude) ; le 4 avril, le Président de la République, Luigi Einaudi, signa le décret de dissolution
des deux chambres. Les élections eurent lieu le 7 juin 1953, mais aucune force n’atteignit les 50% de voix, la DC perdant encore plus de 2
millions de voix, la gauche et les partis de droite se maintenant. Il fallut continuer à chercher une stabilité gouvernementale dans un système
d’alliances.
Le 16 mai 1956, une nouvelle loi électorale abolit la « legge truffa » et revint au système antérieur de proportionnelle avec récupération des
restes au plan national.
Aucune modification ne fut proposée dans les années ’60 et ’70, sinon l’abaissement du droit de vote à l’âge de 18 ans en 1975. L’équilibre
s’établit peu à peu entre la DC et le PCI lors des élections de 1976, créant un climat de « compromis historique » entre les deux partis (voir
notre dossier sur le « compromis historique »). On commença aussi à reparler de réforme électorale, avec la création d’une « commission
des deux chambres » présidée par Aldo Bozzi entre 1983 et 1985.
8) 1993 : Un nouveau système, le « mattarellum ».
Le 18 avril 1993, à travers un referendum proposé par le Parti Radical et par Mario Segni, destiné à éliminer la clause du 65% dans le
système électoral pour le Sénat, les électeurs sont appelés à indiquer leur préférence pour le système majoritaire ou pour le système
proportionnel. La majorité se prononça pour le majoritaire. Et pourtant le 16 octobre 1947, l’Assemblée Constituante avait exclu les lois
électorales des décisions qui pouvaient être prises par referendum ; on oublia alors d’indiquer cette décision dans le texte de la constitution,
et le referendum de 1993 put être pris en compte. La nouvelle loi fut votée le 4 août 1993 ; elle instituait 475 collèges uninominaux pour la
Chambre et 232 pour le Sénat, et un tour unique permettait d’élire le candidat le mieux placé ayant obtenu une majorité relative ; les 155
sièges restants à la Chambre étaient attribuée à la proportionnelle, avec un seuil de barrage de 4% des voix exprimées, dans les 26
circonscriptions nationales pluri nominales ; les 83 sièges proportionnels du Sénat étaient attribués sur base régionale
Le nouveau système fut appelé « mattarellum », du nom de son rapporteur Sergio Mattarella (PPI = ex DC) ; par ce nom, celui qui l’inventa,
Giovanni Sartori, indiquait aussi quelques « mattarelle » (coups de matraque) contenus dans la loi. On la qualifia aussi de « Minotaure », le
monstre mi-homme mi-taureau. On instituait un système mixte pour la Chambre et pour le Sénat : 75% des élus l’étaient par système
majoritaire, 25% par système proportionnel de vote sans préférences, pour des listes « bloquées » ; pour le Sénat, on prévoyait une
récupération proportionnelle des candidats les plus votés non élus pour assister les listes de partis minoritaires (le « scorporo » : on déduit
des voix attribuées au candidat dans la partie proportionnelle tout ou partie des voix obtenues dans le système majoritaire) ; on s’entendit
sur un seuil de barrage de 4% au plan national pour les listes non coalisées, de 2% pour les listes coalisées dans un regroupement qui avait
atteint 10% des voix, pour que les listes puissent avoir droit à la répartition des restes dans les circonscriptions ; au Sénat le seuil de barrage
était de 8% pour les partis non coalisés, et de 3% pour les listes coalisées dans un regroupement ayant atteint au moins 20% des voix ; on
prévoyait un vote avec deux bulletins pour la Chambre et un seul pour le Sénat. (Un exemple chiffré est donné par le site « Legge Mattarella
» sur Internet).
(Auparavant avait été votée pour les communes jusqu’à 15.000 habitants la loi 81/93 qui prévoyait un système majoritaire par lequel était
obligatoirement élu Maire le candidat qui obtenait le plus de voix, et à la liste qui obtenait le plus de préférences la loi attribuait les 2/3 des
sièges au Conseil municipal ; les sièges restants sont répartis selon le système proportionnel. Au-dessus de 15.000 habitants, le système
était aussi majoritaire, mais si nécessaire à deux tours. Les électeurs disposaient de deux votes, l’un pour le Maire, l’autre pour le Conseil, et
les deux pouvaient être diversifiés, le Maire d’une liste et le Conseil d’une autre ! Le même système valait pour l’élection des conseils
provinciaux. On pouvait pratiquer des apparentements entre le premier et le second tour).
Les élections législatives se déroulèrent selon la nouvelle loi en 1994, 1996 et 2001.
9) 2005 : retour à une proportionnelle « corrigée ». dans le « Porcellum ».
Le 21 décembre 2005, le centre-droit de Silvio Berlusconi proposa une réforme qui ouvrit un système de proportionnelle « corrigée » : le
centre-droit avait peur d’une défaite aux élections de 2006 et pensait que ce nouveau système en limiterait le poids. On instituait une « prime
de majorité » (55% = 340 sièges à la Chambre, et 55% des sièges dans chaque Région pour le Sénat) au niveau national pour la Chambre
et au niveau régional pour le Sénat, créant ainsi le risque de majorités différentes entre les deux assemblées, comme cela advint dans les
élections de 2006 : majorité de centre-gauche à la Chambre, majorité de centre gauche très limitée au Sénat, ce qui créa une grande
difficulté de gouvernement à Romano Prodi et de nouvelles élections en 2008 ; on supprimait par ailleurs le vote préférentiel en introduisant
le principe de listes « bloquées ». Aucune prime n’était possible pour les candidats des Italiens habitant à l’étranger (12 députés), ni pour le
Trentin-Haut-Adige (1 circonscription), ni pour le Val d’Aoste (1 député élu au scrutin uninominal) à cause de l’existence de minorités
linguistiques. Le nombre de circonscriptions était de 26 pour la Chambre et de 20 Régions pour le Sénat.
À la Chambre, il fallait que chaque coalition obtienne 10% des des voix sur le plan national pour avoir des sièges, chaque liste devant
obtenir 2% pour en obtenir, ce qui renforce l’aspect proportionnel du système. Au Sénat, les seuils régionaux sont de 20% pour les listes
apparentées, 3% pour les listes à l’intérieur de chaque coalition. Un texte « sauve-Ligue » prévoyait qu’auraient des sièges les listes
obtenant au moins 9% dans trois régions.
Cette loi complexe fut appelée une « porcata » (cochonnerie) par Roberto Calderoli (Ligue du Nord) qui l’avait proposée ; Giovanni Sartori
l’appela donc le « Porcellum » ; elle fonctionna pour les élections de 2006, 2008 et 2013.
Le 4 décembre 2013, la Cour constitutionnelle déclara la loi non conforme à la Constitution, à cause de la prime majoritaire accordée au
listes de tête sur une base nationale, et du principe des listes bloquées, qui interdit aux électeurs de choisir leur candidat.
10) La nouvelle loi : retour à une forme de proportionnelle, l’« Italicum ».
Il fallait donc réformer la loi, et le nouveau chef du PD, Matteo Renzi, s’entendit avec Silvio Berlusconi pour proposer un nouveau projet qu’il
appela lui-même « Italicum ». En 2014 cet accord sur la réforme constitutionnelle fut appelé « Il Patto del Nazareno », du nom du parc de
Rome, près duquel se trouve le siège du PD, où fut signé l’accord ; mais le pacte fut rompu en 2015 par Berlusconi.
On revenait à un système proportionnel, mais le calcul étant fait sur la base nationale, avec une répartition des plus forts restes, ce qui
devrait partiellement favoriser les petits partis, à condition qu’ils dépassent le seuil de 3%. Le système de prime majoritaire est maintenu : la
liste qui obtiendra plus de 40% des voix obtiendra automatiquement 340 sièges sur 617 = 55% des sièges ; les 290 sièges restants se
répartissent à la proportionnelle. Si aucune liste n’atteint les 40% au premier tour, les deux listes ayant le plus de vois font un second tour où
obtiendra la prime majoritaire (diminuée à 53% des sièges = 327 députés) celui qui obtient le plus de voix. Les apparentements ne sont pas
possibles entre les deux tours. La loi définit des circonscriptions plus petites et instaure 100 collèges d’environ 600.000 habitants, avec en
moyenne 6 ou 7 députés. Seul le candidat désigné comme tête de liste est bloqué ; pour les autres, est repris le système des préférences
(chaque électeur peut en exprimer deux). Le candidat tête de liste peut se présenter ainsi dans 10 circonscriptions.
Un système différent est prévu pour le Trentin-Haut-Adige (8 sièges) et pour le Val d’Aoste (1 seul siège), exclus du système proportionnel
et qui voteront selon un système uninominal.
La loi entrera en vigueur pour les élections du 1er juillet 2016. Elle ne prévoit rien pour le Sénat qui doit être supprimé sous sa forme
élective actuelle.
Dans les listes, il doit y avoir une alternance entre un homme et une femme, mais aucun sexe ne pourra avoir plus de 60% des députés. Les
deux préférences exprimées doivent obligatoirement comporter un homme et une femme pour être valables.
La loi est discutée en avril 2015, et une forte minorité du PD s’oppose à un certain nombre de propositions, guidée par Pier Luigi Bersani,
Enrico Letta, Rosy Bindi et Gianni Cuperlo, si bien que Matteo Renzi a posé la question de confiance, transformant la décision parlementaire
en choix de gouvernement ; cela a tendu le débat qui a connu d’abondants échanges d’insultes qui ont fait donner à la loi le surnom d’«
Insultellum » (« infami », « coglioni », « fascisti », « rottinculo », « cornuta » … si bien que l’on a appelé la Chambre le « barlamento », la
comparant à un bar de province, et le SEL a lancé des chrysanthèmes pour marquer la mort de la respectabilité parlementaire); par ailleurs
l’accord (« Il Patto del Nazareno ») entre Renzi et la droite berlusconienne a été rompu, et Renzi se retrouve seul avec une partie de son
propre parti qui le combat ; il craint donc une faillite de sa politique qui se révèle inefficace pour régler les grands problèmes de l’Italie. Il
semble donc vouloir se presser pour ne pas attendre les élections de 2018, et provoquer des élections plus rapprochées, tant qu’il est
encore auréolé des 40% qu’il a obtenus pour les dernières élections européennes.
Les minoritaires du PD s’opposent par exemple aux 100 têtes de liste dont le nom est bloqué, et à la question de confiance ; ils auraient
voulu déposer d’autres amendements sur les points d’Italicum avec lesquels ils sont en désaccord. Mais la décision de Renzi de poser la
question de confiance supprime toute discussion d’amendements ; il est donc probable, ou possible, que les opposants du SEL, du M5S, de
la droite et du PD, quitteront la salle avant le vote définitif. Ils ont d’ailleurs été exclus par Renzi de la Commission parlementaire qui a
préparé la discussion du projet.
11) La loi sur le Sénat et la réforme institutionnelle.
L’Italicum n’a pas prévu de réformer le Sénat, celui-ci ayant été déjà réformé en mars 2015, par un vote en première lecture par la Chambre
(décret Boschi). Cette réforme prévoit la suppression du Sénat électif selon le mode actuel : il est remplacé par un organisme de 100
sénateurs (au lieu de 315), 74 conseillers régionaux, 21 maires, 5 personnalités illustres (« citoyens ayant illustré la patrie par leurs très
grands mérites », la reprise des actuels sénateurs à vie nommés par le Président de la République) nommées par le Président de la
République. Ce sont les conseils régionaux (et les conseillers des provinces autonomes de Trento et Bolzano) qui choisiront les sénateurs,
selon une méthode proportionnelle, parmi leurs membres ; les régions (qui sont au nombre de 21) choisiront aussi un autre sénateur parmi
les maires de leur territoire. Le nombre de sénateurs de chaque région sera décidé en fonction de l’importance de leur population. Le
mandat des sénateurs sera de 7 ans non renouvelable ; les conseillers et maires ne recevront aucune indemnité, ce qui ferait économiser à
l’Italie environ 50 millions d’euros par an ; par ailleurs, les bureaux de la Chambre et du Sénat étant fusionnés, l’économie pourrait monter
jusqu’à un demi milliard d’euros d’économie. Ces nouveaux sénateurs conservent leur immunité parlementaire. Ils ne pourront plus accorder
d’amnistie
Ces nouveaux sénateurs auront des pouvoirs limités : ils ne voteront plus la confiance au gouvernement en fonction, et ne fera qu’établir un
lien entre l’État et les pouvoirs régionaux et municipaux ; ils ne voteront que pour les réformes constitutionnelles, les lois constitutionnelles,
les lois sur le referendum et les élections locales, sur le droit de la famille, de la santé, sur les traités internationaux et sur le budget. Mais le
Sénat pourra faire des propositions sur toutes les autres lois de sa compétence, à une majorité des 2/3, et la Chambre pourra ou non
accueillir ces propositions.
La loi institue aussi un nouveau referendum, « propositivo e d’indirizzo » : sur la demande de 150.000 citoyens, peut être formulée une
proposition de loi ; si la Chambre ne l’examine pas dans les X. jours, le referendum serait mis en train. Elle supprime les « provinces », ne
maintenant que les Régions et les Communes, et donnant plus de pouvoirs à l’État par rapport aux Régions. Elle supprime le CNEL
(Consiglio Nazionale dell’Economia e del Lavoro), créé en 1957. Elle prévoit un maximum aux salaires du Président et des Conseillers
régionaux. Une formule « anti Batman » bloque les remboursements et les transferts d’argent aux groupes politiques régionaux (pour
bloquer les scandales financiers comme celui qui atteignit récemment l’ex-chef du groupe Berlusconi (Pdl) au Latium, Franco Fiori,
surnommé Batman et condamné pour concussion).
Pour l’élection du président de la République, il n’y aura donc plus de délégués régionaux ; il faudra un quorum des 2/3 pour les 4 premiers
scrutins, des 3/5 jusqu’au 8e scrutin, la majorité absolue après le 8e scrutin.
Plusieurs élus du PD se sont aussi exprimés contre cette suppression de la seconde chambre élective, qui est la suppression du
bicaméralisme paritaire choisi par la Constitution républicaine de 1948.
Jean Guichard, 10 mai 2015
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