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L’INIS et la LIBRAIRIE MAJOLIRE 7, place Charlie Chaplin, 38300 Bourgoin-Jallieu vous invitent à une RENCONTRE - DÉBAT introduite par une intervention de Jean Guichard, en collaboration avec Anna Picard-Masi Le samedi 19 novembre 2016, à 14h30 Pasolini a été assassiné il y a plus de 40 ans, mais il est aujourd’hui encore d’une grande actualité. Il a été, avec Umberto Eco et Dario Fo, un des artistes les plus brillants et un des témoins les plus lucides de la réalité italienne. Il reste pour nous un miroir exceptionnel. Il était poète, essayiste, romancier, metteur en scène, peintre, il s’est intéressé à la musique classique et populaire, il a écrit des chansons, il était universel. Voyons ce qu’il peut nous apprendre de l’Italie et de notre réalité d’aujourd’hui, en particulier à partir de ses dernières œuvres, Écrits corsaires, Lettres luthériennes et Pétrole. (Entrée libre et gratuite) Présence de Pasolini en 2016 Commençons par une chanson, celle que Pasolini écrit en 1962 après la mort de Marilyn Monroe  : Marilyn (Pier Paolo Pasolini, La rabbia, 1962) Del mondo antico e del mondo futuro era rimasta solo la bellezza, e tu, povera sorellina minore, quella che corre dietro i fratelli più grandi, e ride e piange con loro, per imitarli, tu sorellina più piccola, quella bellezza l’avevi addosso umilmente, e la tua anima di figlia di piccola gente, non ha mai saputo di averla, perché altrimenti non sarebbe stata bellezza. Il mondo te l’ha insegnata, Così la tua bellezza divenne sua. Del pauroso mondo antico e del pauroso mondo futuro era rimasta sola la bellezza, e tu te la sei portata dietro come un sorriso obbediente. L’obbedienza richiede troppe lacrime inghiottite, il darsi agli altri, troppi allegri sguardi che chiedono la loro pietà ! Così ti sei portata via la tua bellezza. Sparì come un pulviscolo d’oro. Dello stupido mondo antico e del feroce mondo futuro era rimasta una bellezza che non si vergognava di alludere ai piccoli seni di sorellina, al piccolo ventre così facilmente nudo. E per questo era bellezza, la stessa che hanno le dolci ragazze del tuo mondo... le figlie dei commercianti vincitrici ai concorsi a Miami o a Londra. Sparì come una colombella d’oro. Il mondo te l’ha insegnata, e così la tua bellezza non fu più bellezza. Ma tu continuavi a essere bambina, sciocca come l’antichità, crudele come il futuro, e fra te e la tua bellezza posseduta dal Potere si mise tutta la stupidità e la crudeltà del presente. La portavi sempre dietro come un sorriso tra le lacrime, impudica per passività, indecente per obbedienza. Sparì come una bianca colomba d’oro. La tua bellezza sopravvissuta dal mondo antico, richiesta dal mondo futuro, posseduta dal mondo presente, divenne un male mortale. Ora i fratelli maggiori, finalmente, si voltano, smettono per un momento i loro maledetti giochi, escono dalla loro inesorabile distrazione, e si chiedono: «È possibile che Marilyn, la piccola Marilyn, ci abbia indicato la strada ?» Ora sei tu, la prima, la piccola sorellina, quella che non conta nulla, poverina, col suo sorriso, sei tu la prima oltre le porte del mondo abbandonato al suo destino di morte. Quand Pasolini parle du «  mondo antico  », il pense probablement moins au monde de l’Antiquité qu’à celui de sa jeunesse (il a alors quarante ans), qui l’a tant fait souffrir, le monde du fascisme, puis celui de ce qu’il appellera le «  clérico-fascisme  », le monde dominé par la démocratie chrétienne, puis celui du présent, dominé par le début de la «  société de consommation  », dont il nous annonce qu’elle nous prépare un «  destin de mort  ». C’est ce monde qui a détruit la beauté de Marilyn, dont le «  Pouvoir  » s’est emparé, en faisant de cette beauté, seule réalité positive, seul reste du monde, un objet de consommation. On hésite parfois à parler de Pasolini, car il semble d’un pessimisme absolu quand il analyse la réalité de l’histoire humaine, et c’est vrai que sa lucidité le conduit jusqu’à sa mort à un pessimisme croissant. Mais en réalité quand il dénonce la bêtise et la cruauté de notre monde, il fait surtout un appel désespéré à lutter de toutes nos forces contre ce monde, à le changer, à en créer un autre  : tout autre chose que du pessimisme, ce fut le «  rêve  » le plus profond de Pasolini. C’est en ce sens que lui, athée radical et anticlérical, s’intéresse tant au Christ crucifié, parfait symbole d’un monde perdu dans un mal profond et croissant, mais en même temps, appel à un autre monde purifié et plus humain. Essayons de voir cela. Quelques rappels biographiques. 5 mars 1922  : naissance de Pier Paolo à Bologne, de son père Carlo Alberto Pasolini et de sa mère Susanna Colussi. Son père (Image ci-contre) est militaire de carrière, lieutenant d’infanterie, sensible aux idées fascistes, et sa famille devra suivre ses déplacements professionnels, à Parme, Conegliano, Belluno, Cremona, Scandiano, puis dans le village natal de sa mère, à Casarsa delle Delizie (surnommé le «  village aux chèvres  ») dans le Frioul, à partir de 1942. Susanna vient d’un milieu rural, elle est institutrice et elle croit à l’éducation, elle est peu politisée mais de sensibilité antifasciste. Les parents de Pier Paolo s’entendent mal, et l’enfant estime peu son père, dont il subit les scènes de violence et d’ivresse, mais il adore sa mère, avec laquelle il passa la plus grande partie de sa vie. Un frère de Pier Paolo, Guidalberto, naît en 1925 à Belluno, mais ses parents avaient déjà perdu en bas âge un premier fils en 1915. Les problèmes «  familiaux  » resteront à la base de nombre de ses films. (À gauche, Pasolini et sa mère). Son père était apparemment d’une ancienne famille noble de Ravenne, dont le nom venait du mot dialectal «  Pase  » (la Paix) d’où dérive «  pasolini  ». Famille riche dont Carlo avait dilapidé la fortune pour une danseuse. La famille de sa mère, les Colùs (Colussi en italien) était pauvre, dotée de six enfants dont sa mère est l’aînée des sœurs  ; les descendants de la famille, Nico Naldini et Graziella Chiarcossi, seront les parents les plus proches de Pier Paolo et assureront l’édition de ses œuvres après sa mort. Dès son enfance, ainsi que Pier Paolo le raconte dans ses «  Cahiers rouges  » (Actes impurs), il se sentit attiré par le corps des jeunes garçons plus que par les filles, dont plusieurs furent pourtant ses confidentes proches (Silvana Mauri, Pina Kalc, ou plus tard, Laura Betti, Dacia Maraini, Elsa Morante, Maria Callas …), et cette homosexualité avouée le trouble de façon souvent ambiguë. À l’image de son père sera donc liée celle du fascisme et celle d’une langue italienne envisagée de façon nationaliste (le fascisme a détesté les dialectes). À l’image de sa mère est au contraire attachée celle du dialecte (le frioulan, bien qu’elle ait parlé le dialecte de Vénétie, mais le frioulan était la langue des paysans dont Pasolini se rapproche alors et qu’il étudie attentivement). Il écrit alors ses premiers poèmes en dialecte frioulan, ses meilleurs vers, dit-il, réédités sous le titre de La meglio gioventù. Notons aussi que Pasolini fut dès sa jeunesse initié à la musique, il étudie le violon, dont joue son amie slovène Pina  Kalc qui est professionnelle, et on retrouvera dans ses films des morceaux de Mozart, Bach, Vivaldi, Albinoni …, tandis qu’avec Elsa Morante il s’intéresse à la musique ethnique populaire (Voir notre dossier sur Les chansons de Pasolini). C’est alors qu’il a 13 ans que sa sexualité se forme, qu’il commet, dit-il ses premiers «  actes impurs  » et qu’il perd la foi chrétienne, il ne sait comment, mais il ne fera même pas sa première communion. 1937-1949  : le Frioul, la vocation poétique et critique, la passion pédagogique, les premières amours 1937  : après ses études au Collège de Reggio Emilia, Pasolini rentre au Lycée à Bologne où se forme sa culture  : il lit énormément, des livres qu’il achète chez Cappelli ou chez celui qui sera son premier éditeur, Mario Landi, ou chez les nombreux bouquinistes de la ville. Il lit Homère et les tragiques grecs, Dostoïevski, Shakespeare, Tolstoï, Dante, Pétrarque, Rilke, Alfieri, Foscolo, Michel-Ange, Sandro Penna, Freud, Rimbaud, Roland Barthes ... C’est aussi à Bologne qu’il s’initie au marxisme, et lit profondément Gramsci, qui l’inspirera dans toutes ses activités. Il adhérera en 1947 au Parti Communiste Italien, qu’il n’abandonnera jamais, même lorsqu’il en sera exclu. En 1944, son jeune frère Guido (Image ci-contre) entré dans la Résistance militaire antifasciste et anti nazie dans le Frioul sous le nom d’  «  Ermes  » (Brigade Osopo, du Parti d’Action, de Porzûs), fut assassiné le 12 février 1945 par des partisans slovènes d’une Brigade communiste yougoslave qui souhaitait rapporter le Frioul à la Yougoslavie de Tito. Pier Paolo écrit dans un article de 1961  : « Cela me confirme seulement dans la conviction que rien n’est simple, rien n’arrive sans complications ni souffrances  : et que ce qui compte surtout c’est la lucidité critique qui détruit les mots et les conventions, et va au fond des choses, dans leur vérité secrète et inaliénable  » (Vie Nuove, n. 28, 15 juillet 1961). Puis, ayant passé brillamment son baccalauréat avec un an d’avance, il rentre à la Faculté des Lettres de Bologne, où il a pour maîtres le poète Alfonso Gatto et le critique d’art Roberto Longhi qui  l’initie à la peinture du Moyen-Âge et de la Renaissance. Et, pendant toutes ses vacances, de juin à septembre, il retournait à Casarsa, où il retrouve ses amis (Luciano Serra, Ermes Parini, Franco Farolfi), joue au football, fait de longues promenades à bicyclette dans la campagne environnante, se baigne dans le Tagliamento, et où il est amoureux, mais sans avoir jamais de relations sexuelles, de plusieurs jeunes paysans (son grand amour de jeunesse, Tonuti Spagnol),, et dit qu’il est sensible à la beauté érotique des jeunes femmes. Il commence à peindre et à s’initier aux techniques de la peinture. Ses tableaux seront retenus pour figurer dans une exposition de tableaux d’étudiants présidée par Giorgio Morandi. En 1941, à 19 ans, il écrit un premier scénario de cinéma et une première pièce de théâtre. Il a des crises d’angoisse et commence à parler du «vide du cosmos »  ; il écrit aussi ses premières poésies, qu’il choisit d’écrire en frioulan de Casarsa, non encore écrit, que Mario Landi publie à 300 exemplaires  ; c’est sa première forme de «  réalisme  », qu’il reprendra plus tard dans la langue du sous-prolétariat des banlieues romaines ou dans l’image des hommes du Moyen-Âge ou des pays sous-développés. Le grand philologue Gianfranco Contini et le poète Alfonso Gatto diront aussitôt leur admiration pour la «  nouveauté  » de ces textes. C’est pour lui une première bataille politique, contre le fascisme qui condamne les dialectes, un geste de critique de son père (alors prisonnier au Kenya) qui méprise les cultures locales, une bataille esthétique, qui vise à conserver le patrimoine culturel local de l’Italie. Il écrit ses premiers essais esthétiques théoriques, où il définit aussi le rôle des intellectuels dans la société, «  poètes civils  » (formule plus large mais comparable à celle de «  l’intellectuel organique  » de Gramsci). Plus tard, en 1965, il précisera très bien le double sens de son attachement à la culture frioulane  : «  Elle avait un double but : d’une part elle répondait à une exigence nostalgique et conservatrice, c’est-à-dire régionaliste : l’amour pour le Frioul comme petite patrie en soi, îlot linguistique et moral ; et de l’autre, elle se proposait des études linguistiques lancées vers l’avenir. Comme dans toutes mes oeuvres d’alors, on distingue au fond une partie nostalgico-christiano- romantique et une partie populiste et humanitaire. Le frioulan, je le considérais comme une langue poétique concrètement, autrement dit prête pour la poésie ( ... ) Mes premiers poèmes en frioulan reflétaient d’une part une frioulanité comme langue, de l’autre un halo sentimental et vaguement socialiste de type christiano- romantique : les paysans avec leurs vêpres et leurs cloches  » (Interview avec Ferdinando Camon). Son premier amant, Bruno, date de cette période (1944), dans ce qu’il appellera «  une étreinte précaire et difficile, une vraie déception  », mais en même temps une expérience de sens miraculeux  : «  C’était pour moi vraiment l’absurdité de l’éternité coupée en deux qui se concrétisait  ». Il vit en même temps une grande amitié amoureuse avec une jeune violoniste slovène, Pina Kalc, qui est très amoureuse de lui et qui l’initie à la musique, Janacèk, Jean-Sébastien Bach… Cela restera un élément de la culture de Pasolini, et dès cette époque, il écrit pour un chœur d’enfants de Casarsa des chansons dont Pina écrit la musique et qui sont publiées dans la revue frioulane Stroligut créée alors par Pasolini. Pasolini est alors très occupé par l’activité pédagogique qu’il a entreprise avec sa mère dans cette école de Versuta (Cf. image de leur maison à gauche) qu’ils ont créée et où ils accueille des enfants déscolarisés par la guerre, qui devaient faire plus d’un kilomètre à pied pour aller dans leur école  ; il donne aussi des cours privés sur Leopardi, Pascoli, Carducci. Il crée une Académie de la langue frioulane  ; il rédige des poèmes en frioulan, qui seront republiés plus tard dans L’usignolo della chiesa cattolica (Le rossignol de l’église catholique), des pièces de théâtre. Quand la guerre est finie, son père revient  épuisé du Kenya. Il fait deux brefs séjours à Rome chez son oncle Colussi  ; il a un nouvel amant, Tonuti Spagnol, jeune paysan poète de 16 ans de Casarsa. Il a une nouvelle confidente, Silvana Mauri. Il est politiquement actif dans le parti communiste local  ; en mai 1949, il participe à Paris au Congrès Mondial des Partisans de la Paix. Il obtient son diplôme de maîtrise par un travail sur Pascoli et il est nommé officiellement dans l’enseignement public, un collège de Valvasone, près de Pordenone. Le soir du 30 septembre 1949, il participe à une fête de village à Ramuscello, et il s’isole derrière des buissons avec trois jeunes garçons  pour une séance de masturbation ; le 22 octobre 1949, lui arrive une plainte pour détournement de mineurs et actes obscènes sur la voie publique. C’est un scandale provoqué par les démocrates-chrétiens d’Udine qui déjà le haïssent pour ce qu’il est et pour son appartenance au parti communiste. Il perd son poste d’enseignant  ; le PCI s’aligne et l’exclut à son tour. Tous les éditeurs refusent ses manuscrits de poésie. C’est le découragement d’un homme qui voulait être un nouveau Rimbaud 1949-1961 : Rome, les bidonvilles, les romans, le début du cinéma Le 28 janvier 1950, il part s’installer à Rome avec sa mère, qui abandonne son poste d’institutrice pour partir avec lui, ils n’ont pas de ressources, et elle prend un emploi de femme de ménage  ; ils habitent dans le ghetto, vers la synagogue, jusqu’en juillet 1951, où ils iront habiter en banlieue à Rebibbia. Son procès a lieu en décembre 1950, il est condamné à 3 mois avec sursis pour outrage aux bonnes mœurs, mais la plainte pour détournement de mineur a été retirée. Ce n’est que le début de nombreuses difficultés avec une justice partisane, pour des raisons de malveillance ou pour des malentendus. Il rencontre à Rome Sandro Penna dont il deviendra l’ami et qui l’aidera à reprendre confiance en lui. Pour vivre, il fait de la figuration à Cinecittà, corrige des épreuves de journaux, fait des travaux de pigiste, et s’intègre peu à peu à cette Rome populaire, qui devient sa ville. Un accident le contraint à une longue immobilité  qui lui laisse le temps d’entreprendre une nouvelle réflexion sur la et sur sa sexualité, et il écrit à Silvana  : «  Je ne sais pas précisément ce qu’il faut entendre par hypocrisie, mais désormais j’en suis terrorisé. Assez de mots couverts, il faut affronter le scandale… je crois que je désire vivre à Rome parce que ici il n’y aura ni un vieux ni un nouveau Pier Paolo  ». Et pour approfondir sa lutte contre les «  monstres  », l’ignorance, le mensonge, les préjugés, les aberrations de la raison, il fera un film-enquête, Comizi d’amore, Enquête sur la sexualité, avec des interviews de Cesare Musatti, Alberto Moravia, Giuseppe Ungaretti, et de nombreuses autres personnes. Il approfondira son propos dans ses films ultérieurs, la Trilogie de la vie, Salò, et dans Pétrole. Mais il souffrira énormément du «  scandale  » que provoque son homosexualité, y-compris dans ce Parti Communiste à cause duquel il a parfois été condamné  !   Il retrouve un emploi dans un collège privé de Ciampino, grâce à un ami, poète des Abruzzes, Vittorio Clemente et il continue à écrire abondamment, des poésies, mais aussi ce qui sera l’amorce de ses prochains romans. En effet, il découvre une nouvelle réalité, la population des jeunes sous-prolétaires de la banlieue de Rome qui devient sa «  nouvelle Casarsa  », et il publie des nouvelles dans un style radicalement nouveau (publiées plus tard sous le titre de Promenades romaines et chez Gallimard en 2002, de Nouvelles romaines)  ; il s’intéresse maintenant à l’argot des banlieues romaines. Au bord de l’Aniene, un affluent du Tibre où se baignent les enfants, il rencontre Sergio Citti, peintre en bâtiment, qui deviendra son collaborateur,  qui l’informe sur la vie et sur la langue des banlieues et dont le frère Franco Citti sera l’acteur de son premier film (Cf. ci-contre, Pasolini, Ninetto Davoli et les frères Citti, et ci-dessous, Sergio, Anna Magnani et Franco). Il publie sur la revue de Roberto Longhi et Anna Banti (Paragone) ce qui sera le premier chapitre de son futur Ragazzi di vita. Il est maintenant moins solitaire, et il voit régulièrement chez sa mère de nombreux intellectuels, Giorgio Caproni, Attilio Bertolucci avec qui il était élève à Bologne, Carlo Emilio Gadda, Carlo Levi, Francesco Leonetti... Il écrit une anthologies de textes de chansons populaires, Poesia dialettale del Novecento (Canzoniere italiano) (1955) chez Guanda et un poème, Il canto popolare (1954) qu’il republie dans Le ceneri di Gramsci  en 1957. (Voir dans «  Chansons  » notre dossier sur les chansons de Pasolini) Il publie aussi de nombreux articles critiques, et son premier roman, Ragazzi di vita, paraît en mai 1955 chez son ami Livio Garzanti  : il s’était initié à la vie des banlieues et des bidonvilles des alentours de Rome, dont celui de Il Mandrione, le long de l’aqueduc du Mandrione, où, depuis 1950, se regroupent des baraques où s’accumule un population pauvre que l’on retrouvera dans ses romans. Le roman suscite de violentes polémiques, il est critiqué entre autres par les intellectuels communistes Carlo Salinari (surnommé Stalinari) et Antonello Trombadori sur leur revue Il contemporaneo, par Giovanni Berlinguer dans l’Unità (29 juillet 1955), mais aussi par Emilio Cecchi et par Asor Rosa. Un procès pour obscénité et pornographie est intenté au livre à Milan par le Ministère de l’Intérieur, le tribunal l’acquitte, grâce aux témoignages favorables de Carlo Bo, Alberto Moravia, Giuseppe Ungaretti, Attilio Bertolucci. Et Pasolini commence à s’intéresser au cinéma, d’abord pour des raisons économiques, il a besoin d’argent et il devient scénariste, d’abord pour Mauro Bolognini, dans La notte brava (Les Garçons) plus ou moins inspiré par les Ragazzi. Il participe ensuite au tournage de La Fille du fleuve de Mario Soldati. Il travaille avec Fellini pour Les Nuits de Cabiria, avec Charles Vidor pour l’Adieu aux Armes d’après Hemingway, avec Mauro Bolognini pour Marisa la civetta en 1956, puis en 1960 avec Bolognini pour Ça s’est passé à Rome (La giornata balorda), avec Gianni Puccini pour Il carro armato dell’8 settembre et avec Florestano Vancini pour La lunga notte del ‘43. Il collabore plus tard au scénario de La dolce vita de Fellini (1960), et à beaucoup d’autres scénarios, et il fait de la figuration dans Il Gobbo (Le Bossu de Rome) de Carlo Lizzani (1960). En mars 1954, il déménage avec ses parents dans le quartier de Monteverde, près de la Villa Doria Pamphili,  beaucoup plus aisé. Il se lie avec Alberto Moravia (1907-1990), Elsa Morante (1912-1985), Laura Betti (1934-2004) qu’il appellera son «  épouse non charnelle  ». Son père meurt le 19 décembre 1958. En 1957, il publie Le ceneri di Gramsci (les cendres de Gramsci) qui lui vaut le prix Viareggio, et il a une activité critique et littéraire très intense, en particulier dans la revue créée avec Roberto Roversi, Officina. Un poème de Pasolini intitulé «  À un pape  » (Pie XII, qui vient de mourir) suscite un scandale qui amène à la fermeture de la revue. Un autre roman paraît en 1959, Una vita violenta, qui suscite autant de polémiques mais obtient le même succès auprès du public  : il est attaqué physiquement par de jeunes fascistes, et critiqué par les communistes qui lui reprochent son «  mépris  » du sous-prolétariat. L’Action Catholique lui intente un autre procès pour «  obscénité  », mais le tribunal classe sans suite. Il s’explique sur son esthétique dans Passione e ideologia édité par Garzanti en 1960. Il publie en 1961 La religione del mio tempo  ; Pasolini se dit «  chrétien incroyant  » comme Bunuel se disait «  athée grâce à Dieu  »  ! 1961-1974  : le cinéma, la critique lucide du monde contemporain, À partir de cette date, Pasolini va continuer son travail littéraire (entre autres un chronique régulière dans la revue communiste Vie Nuove), mais il cherche aussi un public plus large et avec lequel la communication soit plus directe, sans passer par le langage écrit, et il va se consacrer au cinéma, produire plusieurs grands films qui marqueront un tournant dans l’histoire du cinéma international. Il est à plusieurs reprises poursuivi par la police et par la justice pour des délits qui se révèlent en fin de compte inexistants, il est attaqué par la presse de gauche comme de droite, il est devenu un artiste médiatique toujours suivi par les journalistes et les photographes  ; c’est pour cela qu’il s’intéresse autant au suicide de Marilyn Monroe et à la tentative de suicide de Brigitte Bardot, deux grandes «  petites filles  » trahies par le monde moderne auquel elles n’appartiennent pas dans leur réalité profonde  ; en 1969/70, il dédicacera aussi des poèmes à Maria Callas. Il commence à l’été 1960 par l’écriture du scénario d’Accattone (Le mendiant) avec Sergio Citti, après avoir vu et à la fois admiré et critiqué le film de Visconti, Rocco e i suoi fratelli (mars 1960), et le film de Fellini, La Dolce vita (mai 1960)  auquel il a collaboré ; et ses films seront souvent à mettre en parallèle avec ceux de Visconti, de Fellini ou de Rossellini, qui se sont influencés réciproquement. Il fait en même temps, fin 1960, un voyage en Inde avec Moravia et Elsa Morante, et avec Moravia seul au Kenya, où il découvre une autre forme de pauvreté, de misère et de sous-prolétariat. Il tourne Accattone à son retour en mai 1961, en même temps qu’il publie La religione del mio tempo  : rapport entre la misère, la pauvreté et la beauté. Il écrit ses souvenirs dans son livre L’odeur de l’Inde et dans un moyen- métrage réalisé entre 1967 et 1968, Appunti per un film sull’India  : voyages à la fois intérieur et extérieur, qui expriment une tristesse souriante. Plus tard il ira au Maroc (mars 1965), en Afrique noire (Soudan, Égypte), au Brésil, dans la même perspective. Dans tout son travail cinématographique, il sera très attentif à la musique, utilisant abondamment, après Bresson dans Un condamné à mort s’est échappé (1956, avec entre autres le Kyrie de la Messe en do majeur de Mozart), la musique classique  : Bach dans Accattone, Vivaldi dans Mamma Roma (Concerto en ré mineur et en do majeur ), Albinoni  (Adagio) pour l’accompagnement de Marilyn dans La rabbia, Mozart dans Teorema et dans I racconti delle mille e una notti, Bach, Mozart, Prokofiev, Webern dans Il Vangelo secondo San Matteo. Mais il utilise aussi des chansons populaires (Violino Tsigano de Cesare Adrea Bixio, de 1934). Il invente un style nouveau, inspiré de la réalité et du réalisme, mais qui ne supporte pas le «  naturalisme  », et il se dit plus proche de Carl Dreyer que du néoréalisme  ; il sera donc attaqué et par la droite fascisante, et par le parti communiste (les intellectuels communistes se moqueront de son «  catholicisme sous-jacent  ») et par la jeune génération de cinéastes  ; sa contamination d’images très dures et réalistes de la vie populaire romaine avec la musique très raffinée de Bach s’explique, dit-il, comme celle du dialecte populaire avec une langue littéraire très élaborée dans ses romans. Il distinguait ainsi trois formes de cinéma  : le cinéma «  populiste et démagogique  » (un peu dans Rocco e i suoi fratelli ou dans Riso amaro de De Santis, qu’il critiquait alors), le cinéma bourgeois qui se concentre sur les problèmes existentiels des personnages (La Notte d’Antonioni venait de sortir en 1961, ou À bout de souffle de Godard, de 1961) et le cinéma commercial (il vilipende alors le cinéma de Dino De Laurentiis). Parce qu’elle est belle, il utilise pourtant Silvana Mangano (qui a joué dans ces trois types de films et était la femme de De Laurentiis) dans Edipo Re, Il Decamerone, La terra vista dalla luna, et Teorema. Entre avril et juillet 1962, il tourne Mamma Roma avec Anna Magnani, en même temps qu’il continue à écrire ses poèmes et ses critiques (Cf. 2 images de Mamma Roma et le Christ mort de Mantegna). Malgré l’admiration qu’il a pour elle, la Magnani le déçoit, trop petite-bourgeoise au milieu des acteurs non professionnels avec lesquels il travaille habituellement. Il est inculpé à nouveau à tort pour un hold-up (avec une balle en or dans son pistolet  !) qu’il était bien incapable de commettre, il est acquitté, mais cette obstination le désespère, il pense à un lynchage politique de son homosexualité. Dès sa sortie, le film est inculpé d’interdiction pour attentat aux bonnes mœurs, mais la plainte est rejetée aussitôt  ; Pasolini est agressé physiquement par de jeunes fascistes. Pasolini, outre la musique , utilise la peinture  : le Christ mort de Mantegna (1475-76) pour montrer que Ettore est condamné comme un des larrons, mais qu’il n’est pourtant pas le Rédempteur de sa mère. Il réalise ensuite, à la demande d’Alfredo Bini, un sketch pour RO.GO.PAG, un film avec Jean-Luc Godard, Roberto Rossellini et Ugo Gregoretti, c’est La Ricotta (Le fromage blanc), avec Orson Welles (Cf.photo ci-dessus) et Laura Betti, aussitôt suivi d’un procès et d’une condamnation de Pasolini à 4 mois de prison avec sursis pour atteinte à la religion, par, dit-il, des magistrats anciens fascistes jamais épurés. Le film est interdit et repris plus tard avec des coupures. Là aussi, référence à la peinture maniériste, une fresque de Rosso Fiorentino, Déposition de croix (1521 - Ci-dessus à gauche) et une autre de Pontormo (1527 - Ci-dessous à droite) à la chapelle Capponi de Santa Felicita (Florence)  ; les leçons de Roberto Longhi quand Pasolini était à l’Université ont laissé là leur marque, et pour Pasolini, on n’accède à la réalité qu’à travers une autre réalité, à travers une représentation de la représentation  : il n’y a pas de «  première fois  » comme disait Pavese, mais seulement un souvenir d’une représentation de la première fois, c’est donc à travers  des représentations de la Passion du Christ que Pasolini peur représenter la Passion (Voir  : , «  Image dialectique et contamination dans La ricotta de Pier Paolo Pasolini  »,  [En ligne], Hors-série 2  |  2010, mis en ligne le 01 janvier 2010, consulté le 28 octobre 2016. (http://imagesrevues.revues.org/284.). C’est à l’occasion de ce film que Pasolini rencontre pour la première fois Ninetto Davoli, alors âgé de 14 ans. Pasolini travaille ensuite au film La Rabbia en 1964, mais il désavouera le film auquel le producteur avait décidé d’ajouter une seconde partie  réalisée par Giovanni Guareschi, dont Pasolini a dit qu’elle aurait pu être faite par le nazi Eichmann. Mais depuis 1963, il a dans l’idée de réaliser un film sur le Christ pour lequel il fait des repérages filmiques en Palestine, mais qu’il tournera finalement en Basilicata, à Matera (Cf image à droite), en Calabre et dans les Pouilles. Auparavant, il tourne Comizi d’amore, une enquête sur la sexualité et un recueil poétique (mai 1964), Poesia in forma di rosa. Puis, pendant trois mois, il se consacre à son film, Il Vangelo secondo Matteo, qui doit être présenté à Venise le 4 septembre 1964 (24 e  Festival). Plusieurs amis de Pasolini y jouent (Natalia Ginzburg dans le rôle de Marie de Béthanie, Alfonso Gatto dans celui de l’apôtre André, Enzo Siciliano dans Simon, Giorgio Agamben dans Philippe, Francesco Leonetti dans Hérode II, Ninetto Davoli dans le rôle d’un berger…), mais surtout il fait jouer sa mère dans le rôle de Marie (Cf. ci-contre à droite), un jeune grec, Enrique Irazoqui dans le rôle du Christ (Cf. ci-dessous), et la majorité des comédiens ne sont pas des professionnels, mais des habitants des lieux où il tourne. Pasolini dit  s’être inspiré encore de peintures, de Piero della Francesca (pour les costumes des Pharisiens), Duccio, Giotto (Pasolini jouera le rôle de Giotto dans le  Décaméron), Masaccio, Greco, Rouault (pour la tête du Christ). Un chahut fasciste accueille le film à Venise, et c’est Antonioni qui emporte le Lion d’Or pour le Désert Rouge  (dont Pasolini est enthousiaste)  ; Pasolini a le prix spécial du Jury et le Grand Prix de l’Office Catholique du Cinéma avec celui de l’Union Internationale de la Critique. Le succès international assure maintenant la renommée du cinéaste. Son film suivant, sorti en mai 1966, est Uccellacci e uccellini, avec Ninetto Davoli et le grand acteur napolitain Totò (Cf. photo ci-dessous), un des trois films de Pasolini sur la liste des films italiens à sauver entre 1942 et 1978. Il a peu de succès. Et Pasolini est affecté par un grave ulcère à l’estomac qui le contraint à rester chez lui, et lui donne le temps d’écrire une bonne partie de sa production théâtrale. À New York, pour la présentation de son film, il se lie à Allen Ginsberg. Il réalise Le streghe  à la demande de Dino De Laurentiis, avec Ninetto Davoli et Totò, puis La Terra vista dalla Luna et Che cosa sono le nuvole  ? avec les mêmes. Et en plus l’usage de la couleur qui deviendra de plus en plus importante dans les derniers films. Il écrit  : «  Je l’appelle (la réalité) sacralité; et je peux la synthétiser de façon schématique et élémentaire comme suit : mon incapacité à voir dans la nature le naturel. À d’autres, les choses, la réalité apparaissent comme normales, naturelles. À moi, elle semble investie d’une espèce de lumière importante, particulière, qu’il est précisément préférable de définir comme sacrale. Et cela détermine mon style, ma technique  ». (Nico Naldini, Pasolini, Gallimard, 1991). Il ne pratique donc pas un réalisme au sens du réalisme socialiste des communistes qui analyse une réalité socio-économique, les sous-prolétaires de banlieue ou d’autres pays ont aussi une aura poétique. La Sequenza del Fiore di carta, c’est Othello joué par des marionnettes. Edipo Re sera son grand film de 1968, tourné au Maroc avec des stars du cinéma (Silvana Mangano, Massimo Girotti, Alida Valli) et du théâtre (Carmelo Bene, Julian Beck)  ; le personnage d’Œdipe est joué par Franco Citti, un autre personnage par Ninetto Davoli, et Pasolini joue le Grand Prêtre. Il mêle l’évocation de l’Italie contemporaine, utilisant aussi des musiques ethniques, avec celle du mythe antique vu à travers Sophocle  ; Fellini s’en inspirera pour son Satyricon. Pasolini tourne dans la foulée son Teorema, où un homme-ange (Térence Stamp) initie sexuellement toute une famille de la grande bourgeoisie. Mai 68 approche tandis qu’il tourne son film, et Pasolini suit de près les événements, publiant sur l’Espresso son poème «  Le PCI aux jeunes  » qui fit scandale  : Il crée ensuite avec Laura Betti à l’automne 1968 sa pièce Orgie qui suscite des chahuts permanents. Puis il tourne son film Porcile  (Porcherie), avec Pierre Clementi, Jean-Pierre Léaud, Ugo Tognazzi, et toujours Franco Citti, Ninetto Davoli et Laura Betti, avec une partie cannibale archaïque sur l’Etna et une partie politique à Milan. Il enchaîne avec le mythique Médée, pour lequel il embauche Maria Callas, qui a cessé de chanter et vient d’être abandonnée par Aristote Onassis, et l’abandon de Pasolini par Ninetto Davoli (qui est sur le point de se marier) va les rapprocher de façon assez intime pour qu’ils envisagent un temps une vie commune. Parallèlement, Pasolini monte sa pièce de théâtre Pylade à Taormina. Ce n’est en réalité qu’un demi abandon  : Ninetto continuera à travailler (il joue dans les Mille e una notte) et à voyager avec lui.   Maintenant plus aisé financièrement, il achète une tour en ruine à Chia, en Toscane, et au printemps 1970, il commence à penser à ce qui sera la Trilogie de la Vie, une réflexion sur la sexualité qui est aussi une réponse aux attaques qu’il subit à cause de son homosexualité  : pour la bourgeoisie, l’homosexualité est une menace pour la reproduction de l’humanité, à quoi Pasolini répond que la bisexualité est une caractéristique structurelle de la sexualité humaine. Pour s’expliquer et représenter la réalité contemporaine, il  fait un détour par le moyen-âge de Boccace (1313-1375) (Decamerone - Cf. ci-dessus), par l’Angleterre de Chaucer (1340-1400 - I Racconti di Canterbury), et par le monde arabe prémédiéval (Il Fiore delle 1001 notte)  ; Fellini avait choisi l’Antiquité (Satyricon) et le XVIIIe siècle (Casanova). Pasolini publie en même temps son Trasumanar e organizzar (1971). La libération sexuelle des féministes  épouvante Pasolini, c’est pour lui le fruit d’une angoisse de la consommation, c’est un «  snobisme petit-bourgeois  » qui produit la permissivité sexuelle et l’obsession du couple hétérosexuel, un «  conformisme  » sexuel  : «  Le Pouvoir a décidé d’être permissif parce que seule une société permissive peut être une société de consommation  ». C’est pourquoi Pasolini publiera avant de mourir une abjuration de la Trilogie de la vie. Le Décaméron sera l’objet de 80 plaintes italiennes pour obscénité. Parallèlement aux Racconti, Pasolini écrit ses 112 sonnets de L’hobby del sonetto, Ermetismo eretico et Descrizioni di descrizioni, une série d’articles de critique littéraire déjà publiés  ; il commence Petrolio. En 1975 seront publiés un certain nombre d’articles contemporains, dans Lettere luterane et Scritti corsari. Ses articles ne sont pas revus, on n’y trouvera qu’une théorisation fragmentée de son idéologie cinématographique, linguistique, poétique et politique. Son troisième film est présenté à Cannes en mai 1974  ; au printemps 1974, il projette encore à Cannes son Porno-théo-kolossal (Avec Eduardo De Filippo) et son Saint Paul, un évangile transposé dans des villes modernes (le procès de saint Paul a lieu à Vichy et non à Césarée)  : le Pouvoir bourgeois n’a plus besoin de l’Église et il la rejette, elle ne peut se sauver qu’en passant à une opposition totale au pouvoir de la société de consommation. Pasolini commence alors à penser à Salò, o le 120 giornate di Sodoma. On est entre l’enfer de Dante et l’œuvre du marquis Donatien Alphonse François de Sade, qui ne sortira que trois semaines après la mort de Pasolini, et qui sera l’objet de critiques, plaintes, condamnations, interdictions jusqu’à la présentation du film restauré à la 72 e  édition du Festival de Venise en 2015. Le sexe n’est plus une expression de vie joyeuse, mais l’instrument du Pouvoir politique fasciste et clérico- fasciste, «  métaphore du rapport du pouvoir avec ceux qui lui sont soumis  », de la transformation du corps en chose, en marchandise. Pasolini a lu Sade, mais aussi Klossowski, Blanchot, Barthes, et il pense à Gilles de Rais. Michel Foucault (dans Cinématographe, 1975) contestera cette assimilation du sexe au fascisme et au nazisme par Pasolini ou Liliana Cavani dans Il Portiere di notte (1974). Nous sommes dans les derniers temps du fascisme italien, de 1943 à 1945. Le rêve populiste de Mussolini consume ses derniers feux dans le délire de la république de Salò, petite ville sur la rive ouest du lac de Garde où les petits chefs affolés joueront une ultime fois la comédie du totalitarisme, non plus à l’échelle d’un empire colonial, mais à la dimension ridicule d’un huis clos meurtrier. Ce pathétique régime fut connu sous le nom de «  République sociale italienne  », sorte de divertissement du roi Mussolini qui en manquait, et organisé dans les zones sous contrôle de la Wehrmacht. Des jeunes garçons et des jeunes filles, beaux et innocents, sont envoyés dans une villa minable de Marzabotto (où eut lieu un massacre nazi), et là commencent l’orgie sadique et les humiliations  : Sade dans l’Italie fasciste. 1974-1975  : Écrits corsaires, Lettres luthériennes, Pétrole. L’assassinat. Pier Paolo Pasolini sera assassiné sur une plage d’Ostie, dans la nuit du 1 er  au 2 novembre 1975. Par qui  ? on ne sait toujours pas. D’abord un jeune voyou romain, Pino Pelosi, a été condamné seulement à 9 ans de prison pour meurtre (il était mineur en 1975), il sort de prison en 1983, est à nouveau condamné pour plusieurs délits, et en 2005, il déclare pour la première fois qu’en réalité Pasolini a été tabassé et assassiné par trois individus méridionaux inconnus et qu’il n’est pas responsable de sa mort. Était-ce l’œuvre de voyous qui voulaient massacrer un homosexuel  ? Ou plutôt un complot d’origine fasciste ou préparé par le Pouvoir démocrate-chrétien en place, destiné à débarrasser l’Italie d’un personnage gênant pour sa trop grande lucidité politique, manifestée dans ses derniers écrits, où il déclarait entre autres qu’il connaissait le nom de ceux qui avaient préparé et exécuté les «  coups d’État  » qui devaient leur permettre de garder le pouvoir.  Son roman Petrolio, inachevé, ne sera publié que presque 20 ans  après sa mort en 1992. En 2010, on prétend qu’un chapitre du livre aurait été volé puis retrouvé  : vrai  ? faux  ? pourquoi  ? Le livre de Pasolini a été rapproché du meurtre de Enrico Mattei, puis de celui du journaliste De Mauro  : question du pétrole  ? C’est dans ces derniers écrits que Pasolini exprime le plus violement et le plus clairement sa pensée politique. Il parle en «  sociologue  », en précisant que sa sociologie ne repose pas sur une série de sondages et de courbes, mais sur son expérience personnelle, sur son intuition, sur sa volonté de trouver la vérité sur son pays et de pousser ses contemporains à en prendre conscience. Questions Il est difficile de résumer en quelques lignes l’ensemble de sa pensée, qui est importante pour la compréhension de nous-mêmes et de notre époque, et il est utile de lire entre autres ces trois ouvrages. Un thème de Pasolini à réfléchir pour notre temps est celui-ci  : l’Italie contemporaine a connu trois régimes successifs, dit-il, le fascisme (que Pasolini a connu dans son expérience de jeunesse à Casarsa), le clérico-fascisme (la domination de la Démocratie-Chrétienne après la guerre), un «  nouveau fascisme  », celui de la civilisation de consommation (sous couvert des nouvelles technologies de «  progrès  »). Celle-ci a changé la situation  : «  Aucun centralisme fasciste n’est parvenu à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation … Les différentes cultures particulières (paysanne, sous-prolétarienne, ouvrière) continuaient imperturbablement à s’identifier à leurs modèles, car la répression se limitait à obtenir leur adhésion en paroles. De nos jours, au contraire, l’adhésion aux modèles imposés par le centre est totale et inconditionnelle. On renie les véritables modèles culturels … On peut donc affirmer que la «  tolérance  » de l’idéologie hédoniste voulue par le nouveau pouvoir est la pire des répressions de toute l’histoire humaine  » (Écrits corsaires, p. 49). Toute forme de lutte des classes est maintenant effacée de l’horizon médiatique, niée, même si elle continue à exister aussi fortement, sur le plan national et encore plus international. Par quels moyens  ? Le développement des infrastructures de communication, et le développement des mass médias (télévision à l’époque de Pasolini  ; et maintenant  ?). Par là le nouveau pouvoir a détruit toutes les valeurs de ces cultures, en particulier chez les jeunes, prétendant que toute adhésion à d’autres idéologies que celle de la consommation est inadmissible  ; même la religion est devenue inutile à ce nouveau mode de production et à ce nouveau pouvoir, et Pasolini explique comment il détruit l’Église et les valeurs qu’elle diffuse. C’est pourquoi Pasolini proposait ironiquement de suspendre l’école et la télévision si l’on voulait faire autre chose. Ils se trompent donc, ceux (la gauche et les gauchistes) qui continuent à se battre seulement contre le fascisme ancien et contre le clérico-fascisme  ; ils sont encore une façade utilisée par le nouveau pouvoir mais ne sont plus l’ennemi essentiel  : c’est cette nouvelle bourgeoisie «  qui comprend chaque jour de plus en plus la classe ouvrière  et qui, finalement, tend à identifier les mots de bourgeoisie et d’humanité  » (Ibid. pp. 42-43). Nous pourrons en discuter longuement et librement., en particulier à partir du comportement des «  jeunes  » d’aujourd’hui. J.G. 2 novembre 2016 FILMOGRAPHIE de PASOLINI Accattone 1961 - Mamma Roma 1962 - Ro.Go.Pag. (La Ricotta)1963 - La Rabbia (La Rage) - Comizi d’amore - Sopraluoghi in Palestina per il vangelo secondo Matteo - Il Vangelo secondo Matteo 1964 - Totò al circo 1965 - Uccellacci e uccellini 1966 - Le Streghe - La Terra vista dalla Luna - Che Cosa sono le Nuvole 1967 - Edipo re - Teorema 1968 - La Sequenza del Fiore di Carta - Appunti per un film sull’India - Medea 1969 - Porcile (Porcherie) - Le Mura di Sana’a 1970 - Carnets de notes pour une Orestie africaine - Il Decamerone 1971 - I Racconti di Canterbury 1972 - Il Fiore delle 1001 notte 1974 - Salò O le 120 giornate di Sodoma 1975-76.
Du monde ancien et du monde futur il n’était resté que la beauté, et toi, pauvre petite soeur cadette, celle qui court derrière ses frères aînés, qui rit et qui pleure avec eux, pour les imiter, (qui porte leurs écharpes, qui touche, sans être vue, leurs livres, leurs canifs,) toi, petite soeur cadette, tu portais cette beauté sur toi humblement, et ton âme de fille de petites gens, tu n’as jamais su que tu l’avais, car sans cela ce n’aurait pas été de la beauté. (Elle a disparu, comme des poussières d’or.)                                                                                              Le monde te l’a apprise. Ta beauté est ainsi devenue sienne. De l’effrayant monde ancien et de l’effrayant monde futur il n’était resté que la beauté, et toi tu l’as portée derrière toi comme un sourire obéissant. L’obéissance demande trop de larmes avalées, Se donner aux autres trop de regards joyeux Qui demandent leur pitié ! Ainsi Tu as emporté ta beauté. Elle a disparu comme une poussière d’or. Du stupide monde ancien Et du féroce monde futur Il était resté une beauté qui n’avait pas honte de faire allusion aux petits seins de la soeurette, à son petit ventre si facilement nu. Et voilà pourquoi c’était de la beauté, celle-là même qu’ont les douces filles de ton monde, les filles de commerçants lauréates aux concours de Miami ou de Londres. Elle a disparu, comme une colombe d’or. Le monde te l’a apprise, et ainsi ta beauté ne fut plus de la beauté. Mais tu continuais à être une enfant, sotte comme l’antiquité, cruelle comme le futur, et entre toi et ta beauté possédée par le Pouvoir se mit toute la stupidité et la cruauté du présent. Tu la portais toujours en toi, comme un sourire au milieu des larmes, impudique par passivité, indécente par obéissance. Elle a disparu, comme une blanche colombe d’or. Ta beauté réchappée au monde ancien, demandée par le monde futur, possédée par le monde présent, devint ainsi un mal mortel. Maintenant, tes grands frères se retournent enfin, cessent un moment leurs maudits jeux, sortent de leur inexorable distraction, et se demandent : « Est-il possible que Marilyn, la petite Marilyn, nous ait indiqué le chemin ? » Maintenant c’est toi, la première, toi la soeur cadette, celle qui ne compte pour rien, pauvre petite, avec son sourire, c’est toi la première, au-delà des portes du monde abandonné à son destin de mort.
« Vous avez des visages de fils à papa. Bon sang ne ment pas. Vous avez le même regard mauvais. Vous êtes trouillards, hésitants, désespérés mais vous savez aussi comment être dominateurs, maître chanteurs, surs de vous : privilèges petits-bourgeois, mes amis. Quand hier à la Valle Giulia vous vous êtes tapé sur la gueule avec les policiers, moi, je sympathisais avec les policiers ! ».
Pasolini sur la tombe de Gramsci à Rome
Le corps de Pasolini sur la plage d’Ostie le 2 novembre 1975
A la Librairie Majolire de Bourgoin-Jallieu.
Pier Paolo Pasolini (1922-1975) Quelle présence en 2016  ?
Pier Paolo Pasolini (1922-1975)