Chants des émigrants italiens à partir du XIXe siècle - 3’ partie
15) Marcinelle
(Texte : anonyme
Musique : air de Sul ponte di Perati.*
* Chanson très connue des partisans pendant la guerre de 1940.
Interprète : Gualtiero Bertelli)
Laggiù nel borinage la terra è nera
Là-bas dans le Borinage la terre est noire
per tutti gli emigranti morti in miniera
pour tous les émigrants morts dans la mine
Sepolti ad uno ad uno
ensevelis un à un
complice oblio
oubli complice
per lor vogliam riscossa e non addio
Pour eux nous voulons la révolte et pas l’adieu
Venuti dalla morte
Venus de la mort
le braccia strette
les bras croisés
Turiddu e Rodriguez gridan presente
Turiddu et Rodriguez crient présents.
Morti di Marcinelle
Morts à Marcinelle
quella miniera
cette mine
non è più una tomba, ma una bandiera n’est plus une tombe mais un drapeau.
Compagno minatore
Camarade mineur
la tua memoria
ta mémoire
riempie di coscienza la nostra storia.
Remplit de conscience notre histoire.
La chanson évoque l’explosion de grisou qui se produisit en 1956 au Bois du Cazier, puits Saint Charles de Marcinelle (près de Charleroi, en Belgique), tuant 262
mineurs dans la mine de charbon ; parmi ceux-ci 136 étaient italiens. Cela provoqua un choc et de longs débats, car c’est un accord italo-belge qui prévoyait
entre les deux pays un échange d’hommes et de charbon (protocole de Rome du 23 juin 1946 : la Belgique avait besoin de mineurs de fond et l’Italie était
exsangue ; l’Italie envoyait en Belgique de la main d’oeuvre et la Belgique payait par un prix avantageux du charbon, ce qui aida l’Italie à remettre sur pied son
industrie, au prix d’un enfer pour les mineurs qui partaient ; ils étaient par exemple souvent logés dans les anciens camps de prisonniers allemands, ils devaient
travailler au moins cinq ans dans les mines …). L’accord fut interrompu pour quelque temps. Mais cela contribua aussi à une meilleure intégration des Italiens en
Belgique, où ils introduisent en particulier de nouvelles habitudes culinaires (courgettes, poivrons, aubergines, basilic …). Beaucoup d’Italiens s’imposent dans le
spectacle (Pietro Pizzuti, Franco Dragone), la chanson (Salvatore Adamo) ou la littérature (Girolamo Santocono, Tilde Barboni, Nicole Malinconi, Francis Tessa) ;
Maria Arena et Elio Di Rupo, fils d’ouvriers italiens, ont été ministres socialistes de la Belgique.
16) Una miniera
(New Trolls
New Trolls ‘70
1970)
Le case le pietre ed il carbone
Les maisons, les pierres et le charbon
dipingeva di nero il mondo
peignaient le monde de noir
Il sole nasceva ma io non lo vedevo mai
Le soleil naissait mais je ne le voyais jamais
laggiù era buio
Là-bas c’était sombre
Nessuno parlava solo il rumore di una pala
Personne ne parlait, rien que le bruit d’une pelle
che scava che scava
qui creuse qui creuse
Le mani la fronte hanno il sudore di chi muore
Les mains le front ont la sueur d’un homme qui meurt
Negli occhi nel cuore c'è un vuoto
dans les yeux, dans le cœur, il y a un vide
grande più del mare
plus grand que la mer.
Ritorna alla mente il viso caro di chi spera
Revient à l’esprit le cher visage de qui espère
Questa sera come tante in un ritorno.
En un retour, ce soir comme tant d’autres.
Tu quando tornavo eri felice
Toi, quand je revenais, tu étais heureuse
Di rivedere le mie mani
de revoir mes mains
Nere di fumo bianche d'amore.
Noires de fumée, blanches d’amour.
Ma un'alba più nera mentre il paese si risveglia
Mais dans une aube plus noire le pays se réveille
Un sordo fragore ferma il respiro di chi è fuori
un sourd fracas arrête le souffle de qui est dehors
Paura terrore sul viso caro di chi spera
Peur, terreur sur le cher visage de qui espère
Questa sera come tante in un ritorno.
En un retour, ce soir comme tant d’autres.
Io non ritornavo e tu piangevi
Je ne revenais pas et tu pleurais
E non poteva il mio sorriso
et mon sourire ne pouvait pas
Togliere il pianto dal tuo bel viso.
Enlever les larmes de ton visage.
Tu quando tornavo eri felice
Toi, quand je revenais, tu étais heureuse
Di rivedere le mie mani
de revoir mes mains
Nere di fumo bianche d'amore.
Noires de fumée, blanches d’amour.
La chanson de 1970 est du groupe de progressif rock New Trolls, le premier qui est né en Ligurie en 1966. Le groupe est assez apprécié pour qu’on lui confie
une première dans un concert des Rolling Stones ; il devient célèbre avec son disque Concerto grosso per i New Trolls ; il reste un des groupes mythiques des
années ‘70/’80, et revient encore sur scène en 2007. La chanson évoque le rythme de travail des mineurs et les risques restés dans la mémoire des Italiens
depuis le désastre de Marcinelle en 1956. Cela reste un cheval de bataille du groupe qui la reprend toujours dans ses concerts, avec le refrain chanté par Nico Di
Palo accompagné du chœur (Sur le groupe New Trolls, voir notre Histoire de la chanson en Italie, Vol. III, pp. 12-13).
17) Lugano addio
(Ivan Graziani, 1945-1997
I lupi,
1977)
Le scarpe da tennis bianche e blu
Les sandales de tennis blanches et bleues
seni pesanti e labbra rosse
des seins lourds et des lèvres rouges
e la giacca a vento.
et la veste au vent
Oh, Marta io ti ricordo così
Oh Marthe, je me souviens de toi comme ça
il tuo sorriso i tuoi capelli
ton sourire, tes cheveux
fermi come il lago.
lisses comme le lac.
Lugano addio cantavi
Tu chantais Lugano addio
mentre la mano mi tenevi
tandis que tu me tenais la main
canta con me tu mi dicevi
Chante avec moi, me disais-tu
ed io cantavo
et moi je chantais
di un posto che
parlant d’un lieu
non avevo visto mai
que je n’avais jamais vu.
Tu tu mi parlavi di frontiere
Toi tu me parlais de frontières,
di finanzieri e contrabbando
de douaniers et de contrebande
mi scaldavo ai tuoi racconti
je m’échauffais à tes récits.
E “mio padre sì" tu mi dicevi
Et “mon père oui”, me disais-tu
"quassù in montagna ha combattuto" “Ici en montagne il a combattu”
poi del mio mi domandavi
puis tu me demandais ce qu’il en était du mien.
Ed io pensavo a casa
Et moi je pensais à chez moi
mio padre fermo sulla spiaggia
mon père immobile sur la plage
le reti al sole
les filets au soleil
i pescherecci in alto mare
les bateaux de pêche en haute mer
conchiglie e stelle
coquillages et étoiles
le bestemmie e il suo dolore.
les jurons et sa douleur.
Oh, Marta io ti ricordo così
Oh Marthe, je me souviens de toi come ça
il tuo sorriso i tuoi capelli
ton sourire, tes cheveux
fermi come il lago.
lisses comme le lac
Lugano addio cantavi
Tu chantais Lugano adieu
mentre la mano mi tenevi
tandis que tu me tenais la main
addio cantavi
adieu, chantais-tu
e non per falsa ingenuità
et non par fausse ingénuité
tu ci credevi
tu y croyais
e adesso anch'io che sono qua.
et maintenant moi aussi qui suis ici.
Oh, Marta mia addio ti ricordo così
Oh Marthe adieu je me souviens de toi comme ça
il tuo sorriso i tuoi capelli
ton sourire, tes cheveux
fermi come il lago.
lisses comme le lac.
Lugano est la plus importante ville de la Suisse italienne (plus de 60.000 habitants). Et surtout, elle fut la ville où, pendant le Risorgimento italien, de nombreux
militants se réfugièrent pour échapper à la police italienne, ce fut le cas de Carlo Cattaneo (1801-1869), qui doit fuir à Lugano après les Cinq Journées de Milan
en 1848 et qui y meurt, et de Giuseppe Mazzini (1805-1872). Plus tard, Lugano fut un refuge des anarchistes italiens persécutés, comme Pietro Gori (1865-1911),
l’avocat de Sante Caserio (l’assassin de Sadi Carnot à Lyon en 1894), qui fut ensuite expulsé de Suisse et arrêté ; il écrivit alors en 1895 la chanson que chante
Marthe dans celle d’Ivan Graziani, Addio Lugano bella, reprise par quantité de chanteurs encore aujourd’hui (Giorgio Gaber, Giovanna Marini, Maria Carta, Milva,
Daniele Sepe, etc.).
C’est l’occasion de parler d’une autre émigration, l’émigration politique. Elle exista durant tout le Risorgimento : ceux qui luttaient pour l’unité et l’indépendance de
l’Italie étaient réprimés par la police des divers États, et se réfugiaient à l’étranger, en particulier à Lugano. Après l’Unité, les exilés furent les révolutionnaires
socialistes ou anarchistes. Un autre grand mouvement d’émigration politique fut celui des antifascistes à partir de 1924.
Ivan Graziani était originaire de Teramo dans les Abruzzes, et il se sentait à beaucoup d’égards un homme du Sud, qui rencontrait une fille du Nord, dont le père
fut un résistant confronté aux dures conditions des Alpes, vers le lac de Lugano. C’est une des plus grands « cantautori » italiens, que l’on a trop oublié et que sa
région commence à redécouvrir aujourd’hui (Cf. notre Histoire de la chanson en Italie, Vol. III, p. 105).
18) Addio a Lugano
(Pietro Gori
Musica : anonimo
1895
Canta Maria Carta)
Addio Lugano bella
Adieu belle Lugano
o dolce terra mia
Oh ma douce terre,
scacciati senza colpa
chassés sans faute
gli anarchici van via
les anarchistes s’en vont
e partono cantando
et partent en chantant,
con la speranza in cuor.
L’espérance au cœur.
Ed è per voi sfruttati
C’est pour vous, exploités,
per voi lavoratori
pour vous, travailleurs,
che siamo ammanettati
que nous sommes menottés
al par dei malfattori.
Comme des malfaiteurs.
Eppur la nostra idea
Et pourtant notre idée
non è che idea d'amor.
n’est qu’une idée d’amour.
Anonimi compagni
Compagnons anonymes
amici che restate
amis qui restez
le verità sociali
propagez fortement
da forti propagate.
les vérités sociales.
E' questa la vendetta
C’est ça la vengeance
che noi vi domandiam.
que nous vous demandons.
Ma tu che ci discacci
Mais toi qui nous chasses
con una vil menzogna,
avec de lâches mensonges,
repubblica borghese,
république bourgeoise,
un dì ne avrai vergogna.
Un jour tu en auras honte.
Ed oggi t'accusiamo
Et aujourd’hui nous t’accusons
in faccia a l'avvenir.
face à l’avenir.
Banditi senza tregua
Bandits sans trêve,
andrem di terra in terra
nous irons de terre en terre
a predicar la pace
prêcher la paix
ed a bandir la guerra.
et proclamer la guerre.
La pace tra gli oppressi,
La paix entre les opprimés
la guerra agli oppressor.
La guerre aux oppresseurs.
Elvezia il tuo governo
Helvétie ton gouvernement
schiavo d'altrui si rende,
esclave d’autres, se rend,
di un popolo gagliardo
d’un peuple valeureux
le tradizioni offende.
Il offense les traditions.
E insulta la leggenda
Et il insulte la légende
del tuo Guglielmo Tell.
de ton Guillaume Tell.
Addio cari compagni
Adieu chers compagnons
amici luganesi,
amis de Lugano
addio bianche di neve
adieu, blanches de neige,
montagne ticinesi,
montagnes du Tessin,
i cavalieri erranti
les chevaliers errants
son trascinati al nord.
Sont traînés vers le Nord.
La chanson est écrite par Pietro Gori en juillet 1895, où il s’était réfugié après l’assassinat du Président Sadi Carnot à Lyon en 1894 par l’anarchiste italien Sante
Caserio dont Gori était l’avocat. Le premier ministre Crispi avait fait alors une série d’arrestations parmi les anarchistes et les socialistes, accusant Gori, sans
aucune preuve, d’être le mandataire « spirituel » de l’assassinat du Président de la République française. À Lugano, il échappa à un mystérieux attentat en
janvier 1895, et fut ensuite expulsé de Suisse avec 12 autres camarades. Il passe un peu de temps en prison, c’est à ce moment qu’il écrit 2 chansons d’exil. En
1902, il se rend à Ostie, après son retour d’Amérique du Sud, où il était parti en 1898 pour échapper à une nouvelle condamnation après la violente répression de
manifestations populaires par le général Bava Beccaris en 1898, qui fit au moins 80 morts, 450 blessés et plus de 2000 arrestations. C’est après cela et pour les
venger que Gaetano Bresci assassina le roi d’Italie Humbert I en 1900. La présence de Gori est une des explications de la force de l’anarchisme parmi les
émigrés italiens d’Amérique du Sud (Voir les recherches d’Isabelle Felici, dans « Contacts » du site ).
19) Il meridionale
(Franco Trincale
Ballate di Franco Trincale
1970)
Io sono nato laggiù in Meridione
Je suis né là-bas dans le Midi
dove la gente fa colazione
où les gens déjeunent
con un po' di cipolla e di pane
avec un peu d’oignons et de pain
e certezza non ha del domani.
Et n’ont pas de certitude pour le lendemain.
Dove ancora il padrone è il barone
Où le baron est encore le patron
e quando passa gli bacian le mani.
et quand il passe on lui baise les mains.
Dove il divorzio esiste di fatto,
Où le divorce existe dans les faits
dove le mamme si vestono a lutto,
où les mamans mettent des habits de deuil,
dove le mogli son senza i mariti
où les femmes n’ont pas de maris
e le baracche hanno i terremotati.
Et les baraques abritent les victimes des tremblements de terre.
Dove il meglio aspettando si spera,
Où l’on attend en espérant une situation meilleure
dove si muore sepolti in miniera.
Où l’on meurt ensevelis dans une mine.
Io sono nato laggiù in Meridione
Je suis né là-bas dans le Midi
dove la gente è semplice e buona,
où les gens sont simples et bons
dove in pochi si legge il giornale
où l’on est peu nombreux à lire le journal
e la scuola non è obbligatoria.
Et où l’école n’est pas obligatoire.
Dove a dieci anni si è sfruttati
Où à dix ans on est exploités
ed a vent'anni in Questura arruolati.
Et à vingt ans enrôlés au Commissariat.
Io sono nato laggiù in Meridione
Je suis né là-bas dans le Midi
dove profuma la zagara in fiore,
parfumé par la fleur d’oranger,
dove il sensale porta l'amore
où c’est l’entremetteur qui apporte l’amour
e le ragazze son vergini ancora.
Et où les filles sont encore vierges.
Dove il treno lascia i villeggianti
Où le train laisse les touristes
e fa il carico degli emigranti.
Et se charge d’émigrants.
Dove la barba si fa dal barbiere
Où l’on se rase chez le barbier
e il calzolaio fa ancora il mestiere,
et où le cordonnier fait encore son métier,
dove ancora non c'è l'ospedale
où il n’y a pas encore d’hôpital
e l'autostrada ci han fatto passare,
et où on nous a fait passer une autoroute
dove i giovani voglion tornare
où les jeunes veulent revenir
ed i vecchi ci voglion morire.
Et où les vieux veulent mourir.
Io sono nato laggiù in Meridione
Je suis né là-bas dans le Midi
e voglio fare la rivoluzione.
Et je veux faire la révolution.
Dans cette ballade de Trincale, l’émigration est devenue un élément structurel du Midi de l’Italie, coupant jeunes et vieux d’une terre misérable mais aimée, pleine
de côtés positifs derrière son arriération. Il est caractéristique que, quand il reprend la chanson au début des années 2000, Bertelli décide de ne pas chanter le
dernier vers !
Franco Trincale (1935- ) est l’un des grands « cantastorie » du XXe siècle ; originaire de Catania, il en reprend la grande tradition sicilienne, et s’intalle à Milan où
il chante sur les places, devant le Dôme ou aux portes des usines, commentant l’actualité socio-politique et les luttes des travailleurs : il dit qu’il fait du
« journalisme chanté » pour faire réfléchir les gens du peuple. Il éditait lui-même ses disques qu’il vendait durant ses concerts.
20) BALLATA DI SACCO E VANZETTI
(Ballata di cantastorie
1927)
Il 22 di Agosto a Boston in America
Le 22 août à Boston en Amérique
Sacco e Vanzetti van sulla sedia elettrica
Sacco et Vanzetti vont sur la chaise électrique
e con un colpo di elettricità
et d’un coup d’électricité
all'altro mondo li vollero mandar.
On a voulu les envoyer dans l’autre monde.
Circa le 11 e mezza giudici e la gran corte
Vers 11h1/2 les juges et la Grande Cour
eran poi tutti insieme nella cella della morte
étaient tous ensemble dans la cellule de la mort
Sacco e Vanzetti state a sentir
Sacco et Vanzetti, écoutez bien
dite se avete qualcosa da dir.
Dites si vous avez quelque chose à dire.
Entran poi nella cella il bravo confessore
Ils font entrer ensuite le brave confesseur
domanda a tutti e due la santa religione
qui propose à tous les deux la sainte religion
Sacco e Vanzetti con grande espression
Sacco et Vanzetti avec une grande expression
« Noi moriremo senza religion »
« Nous mourrons sans religion ».
E tutto il mondo intero reclama la loro innocenza
Et le monde entier réclame leur innocence
ma il presidente Fuller non ebbe più clemenza
mais le président Fuller n’eut plus de clémence
« Siano essi di qualunque nazion
« De quelque nation qu’ils soient
noi li uccidiamo con grande ragion ».
nous avons grande raison de les tuer ».
Addio moglie e figlio, e te sorella cara
Adieu femme et fils, et toi chère sœur
a noi per tutti e due è pronta già la bara :
pour nous pour tous les deux le cercueil est déjà prêt :
addio amici, in cor la fè
adieu amis, la foi au coeur
viva l'Italia e abbasso il re.
Vive l’Italie et à-bas le roi.
Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, anarchistes italiens émigrés aux USA, furent arrêtés le 9 mai 1920 sous l’accusation fausse d’homicide. Leur innocence fut
aussitôt évidente, et dans le monde entier et aux USA il y eut d’innombrables manifestations pour leur défense (un comité de défense de Milan recueille 300.000
dollars pour payer les frais de défense), mais tout fut inutile, malgré l’absence de preuves, et ils furent tués sur la chaise électrique à Boston le 22 août 1927 après
7 ans passés dans le couloir de la mort. C’était une période de difficultés économiques, du fait de la reconversion d’après-guerre, de grèves souvent violentes (4,5
millions de grévistes en 1918), et à partir de 1925, les attentats anarchistes se multiplient contre les responsables politiques et contre les banques, provoquant
une grande répression dans les milieux anarchistes et contre les communistes et socialistes, car on craint une révolution bolchevique.
Sacco et Vanzetti furent absous et réhabilités par le gouverneur du Massachusetts le 23 août 1977. Leur exécution suscita la création de nombreuses œuvres
d’art, un poème de Louis Aragon, Sur le port de Dieppe, chanté par Marc Ogeret, une chanson de Joan Baez, Here’s to you, mise en musique par Ennio
Morricone pour le film de Giuliano Montaldo, Sacco et Vanzetti (1971) et reprise par de nombreux chanteurs italiens ou autres ; d’autres chansons, comme celle
de Woody Guthrie, sont souvent reprises.
Celle-ci est un chant populaire anonyme de « cantastorie ». (Voir l’ouvrage de Donald Creagh, L’affaire Sacco et Vanzetti, Atelier de création libertaire de Lyon,
2004).
21) Sacco e Vanzetti
(R.Vampo e F. Pensiero, 1927
Enregistrement : Gualtiero Bertelli, Quando emigranti 1)
Sacco e Vanzetti furono arrestati
Sacco et Vanzetti furent arrêtés
a Boston una sera con sorpresa,
à Boston un soir de façon surprenante
d'avere ucciso furono accusati
ils furent accusés d’avoir tué
e pel verdetto furono in attesa.
Et ils restèrent dans l’attente du verdict.
Ma tutto il mondo insorse a tale atto
Mais le monde entier s’insurgea contre un tel acte
e più di un dibattito passò,
et plus d’un débat eut lieu
per fare almeno luce sul misfatto,
pour faire au mins la lumière sur ce méfait
ma tutto invan, la legge condannò !
mais tout fut vain, la loi condamna.
Se ne son spesi dollari
On en a dépensé des dollars
sperando di salvar
en espérant sauver
quegl'infelici uomini da dubbia reità.
Ces malheureux d’une culpabilité douteuse.
E Sacco disse : "Noi siamo innocenti,
Et Sacco dit : « Nous sommes innocents,
e chi ci condannò lo sa pur bene,
et qui nous condamna le sait pourtant bien,
ci han calcolati come delinquenti
on nous a comptés comme délinquants
stringendoci più forte le catene.
En serrant plus fort nos chaînes.
Se il nostro fine in questo caso nuoce
Si notre fin dans ce cas est nuisible
di classe è l'odio che fa condannar,
c’est une haine de classe qui nous fait condamner,
mentre nel mondo intero una voce
tandis que dans le monde entier une voix
s'innalza per poterci liberar.
S’élève pour pouvoir nous libérer.
Ed ho finito, disse,
Et j’ai fini, dit-il,
Vanzetti parlerà,
Vanzetti parlera
io fin non mi so esprimere, egli continuerà". Moi je ne peux pas m’exprimer pus, lui continuera ».
Vanzetti, l'altro martire, parlando
Vanzetti, l’autre martyr, parlant
con voce calma e senza aver paura,
d’une voix calme et sans avoir peur
discusse quel delitto più nefando
discuta ce délit le plus infâme
e pur l'orror della condanna oscura.
Et aussi l’horreur de la condamnation obscure.
Ai giudici egli disse : "Condannate !
Il dit aux juges : « Condamnez !
Rimorso atroce avrete voi un dì.
Vous aurez un jour un remords atroce.
Le nostre idee, è ver, sono avanzate
Nos idées, c’est vrai, sont avancées
ma non per questo noi dobbiam morir".
Mais ce n’est pas pour ça que nous devons mourir ».
Il mondo guarda e attende
Le monde regarde et attend
e grida ognor così :
et crie toujours comme ça :
là sulla sedia elettrica non debbono morir !
là sur la chaise électrique ils ne doivent pas mourir !
Voilà une autre chanson sur Sacco et Vanzetti, écrite et composée par deux émigrés italiens aux Etats-Unis après la mort des deux anarchistes.
22) NOI
(Testo di Gualtiero Bertelli
musica di Gualtiero Bertelli (2003) e Isa).
Noi che sui moli per cent'anni
di voci sparse e silenzi nelle attese
di pianti, che tutto si può piangere
speranze aperte e vite amare spese
Noi che nella scia di cento navi
di giorni lunghi, tracce sparse al sole
abbiamo appeso al colmo di ogni prua
stracci di sorrisi e di parole
Speranze appese e stracci di sorrisi
vite amare spese di parole
passi stesi intorno alla stazione
per figli dottori e case nuove.
Noi che abbiamo venduto i nostri figli
comprato sogni spenti all'imbrunire
e abbiamo accolto uomini già vinti
tornati alla terra per morire.
Noi da sguardi freddi e pane duro
cresciuti di violenze senza nome
di cose amare e armati di paure
di passi stesi intorno alla stazione
Speranze appese, stracci di sorrisi
vite amare spese di parole
passi stesi intorno alla stazione
per figli dottori e case nuove.
Noi che con le mani o nelle strade
soldi avvelenati e salvatori
odiato prezzo dato e mal pagato
per case nuove e figl i dottori.
Ora dalle tavole imbandite
con la memoria corta, addormentata
abbiamo fretta di ricominciare
dall'altra parte della barricata.
Voglio cantare canti in nuove lingue
e ascoltare suoni mai suonati
voglio toccare gesti in nuovi giochi
perdermi con ritmi mai danzati
Voglio sentir pregare in cento lingue
cento dei diversi eppure uguali
voglio veder giocare cento giochi
da uomini diversi eppure uguali.
Cento dei diversi eppure uguali
uomini diversi eppure uguali.
Bertelli explique ainsi la chanson dans le livret de son disque Quando emigranti 1 : « La chanson reprend l’ensemble de la réflexion sur ce que nous avons été et
comment nous avons été traités hier, quand les émigrants c’étaient nous, et sur la façon dont aujourd’hui beaucoup traitent ou voudraient traiter le phénomène
opposé et égal de l’immigration dans notre pays. J’ai écrit ce texte avec Isa après la lecture du livre de Gian Antonio Stella, L’orda, quando gli albanesi
eravamo noi. « Noi », tel est le titre, s’adresse à ceux qui ont la mémoire courte et qui sont guidés par l’ignorance, l’intolérance et l’égoïsme. Qui sait ce que
penseront d’eux nos arrière-grands-parents ? ».
23) La porti un bacione a Firenze
(Autori : Odoardo Spadaro – E. Suvini - Zerboni
1938)
Canta : Carlo Buti
Partivo una mattina col vapore
Je partais un matin par le train
e una bella bambina gli arrivò.
Et une belle jeune fille arriva.
Vedendomi la fa : Scusi signore !
En me voyant elle fait : Excusez-moi Monsieur !
Perdoni, l'è di' ffiore, sì lo so.
Pardonnez-moi, vous êtes de Florence, oui je le sais
Lei torna a casa lieto, ben lo vedo
Vous rentrez chez vous heureux, je le vois bien
ed un favore piccolo qui chiedo.
Et je vous demande une petite faveur.
La porti un bacione a Firenze,
Portez un gros baiser à Florence
che l'è la mia città
qui est ma ville
che in cuore ho sempre qui.
Et que j’ai toujours là dans mon cœur.
La porti un bacione a Firenze,
Portez un gros baiser à Florence
lavoro sol per rivederla un dì.
Je ne travaile que pour la revoir un jour.
Son figlia d'emigrante,
Je suis fille d’émigrant
per questo son distante,
c’est pour ça que je suis loin
lavoro perchè un giorno a casa tornerò. Je travaille parce qu’un jour je rentrerai chez moi.
La porti un bacione a Firenze :
Portez un gros baiser à Florence :
se la rivedo e' glielo renderò.
Si je vous revois, je vous le rendrai.
Bella bambina ! Le ho risposto allora.
Belle jeune fille ! lui ai-je alors répondu
Il tuo bacione a'ccasa porterò.
Je porterai chez toi ton gros baiser.
E per tranquillità sin da quest'ora,
Et pour être tranquille à partir de maintenant
in viaggio chiuso a chiave lo terrò.
Pendant mon voyage je le tiendrai fermé à clé.
Ma appena giunto a'ccasa te lo mgiuro,
Mais à peine arrivé chez toi, je te le jure,
il bacio verso i'ccielo andrà sicuro.
Ton baiser s’en ira vers le ciel, c’est sûr.
Io porto il tuo bacio a Firenze
J’emporte ton baiser à Florence
che l'è la tua città
qui est ta ville
ed anche l'è di me.
Et qui est aussi la mienne.
Io porto il tuo bacio a Firenze
J’emporte ton baiser à Florence
nè mai, giammai potrò scordarmi te. Et jamais, jamais je ne pourrai t’oublier.
Sei figlia d'emigrante,
Tu es fille d’émigrant
per questo sei distante,
c’est pourquoi tu es loin,
ma stà sicura un giorno a'ccasa tornerai.
Mais sois sûre qu’un jour tu rentreras chez toi
Io porto il tuo bacio a Firenze
J’emporte ton baiser à Florence
e da Firenze tanti baci avrai.
Et de Florence tu auras tant de baisers.
L'è vera questa storia e se la un fosse
Elle est vraie cette histoire et si elle ne l’était pas
la può passar per vera sol perchè,
elle peut passer pour vraie parce que
so bene e'lucciconi e quanta tosse
je connais bien les grosses larmes et la toux
gli ha chi distante dalla Patria gli è.
De qui est loin de sa Patrie.
Così ogni fiorentino ch'è lontano,
Ainsi tout florentin qui est loin
vedendoti partir ti dirà piano :
en te voyant partir te dira doucement :
La porti un bacione a Firenze ;
Portez un gros baiser à Florence ;
gli è tanto che un ci vò ;
il y a si longtemps que je n’y vais pas ;
ci crede ? Più un ci stò !
Vous y croyez ? Je n’y suis plus.
La porti un bacione a Firenze ;
Portez un gros baiser à Florence ;
un vedo l'ora quando tornerò.
Je ne vois pas l’heure d’y revenir.
La nostra cittadina
Notre petite ville
graziosa e sì carina,
gracieuse et si charmante,
la ci ha tant'anni eppure la
a passé tant d’années et pourtant
un n'invecchia mai.
elle ne vieillit jamais.
Io porto i bacioni a Firenze
Je porte à Florence les baisers
di tutti i fiorentini che incontri.
De tous les florentins que je rencontre.
Odoardo Eugenio Giano Spadaro est né à Florence de parents siciliens, son père était lieutenant, sa mère harpiste. En 1912, il abandonne ses études pour se
consacrer au théâtre et à la chanson, et il va devenir, après Armando Gill, le second « cantautore » d’Italie, ayant écrit texte et musique de presque toutes ses
chansons. En 1926, il se transfère en France où il jouera au Moulin Rouge aux côtés de Mistinguett, avec Jean Gabin et Viviane Romance ; on le compare à
Maurice Chevalier. Après des tournées à l’étranger, il revient en Italie en 1936. Il chante ici sa chanson la plus célèbre, où l’émigration ne sera qu’un prétexte à
une chanson « patriotique » légère qui donnera lieu à des vidéos de variété, où la douleur de l’émigration n’a plus de place. Mais il est caractéristique que dans
une chanson de ce type, l’émigration reste centrale.
Notons aussi qu’elle est écrite et chantée en dialecte et avec la prononciation florentine.
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9.2.4 La chanson traditionnelle par thème - 3. l’émigration italienne (troisième partie - début)
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Nous
Nous qui sur les môles pendant cent ans
de voix éparses et de silences dans l’attente,
de pleurs, car on peut tout pleurer,
les espérances ouvertes et les vies dépensées dans l’amertume.
Nous qui dans le sillage de cent navires
de jours longs, traces éparses au soleil,
nous avons pendu au sommet de chaque proue
des haillons de sourires et de mots.
Espérances suspendues et haillons de sourires
vies amères et paroles dépensées
pas parcourus autour de la gare
pour des enfants docteurs et des maisons neuves.
Nous qui avons vendu nos enfants
acheté des rêves éteints dans le soir
et qui avons accueilli des hommes déjà vaincus
revenus à la terre pour mourir.
Nous aux regards froids et au pain dur
grandis dans des violences sans nom
armés de peurs et de choses amères
de pas parcourus autour de la gare.
Espérances suspendues, haillons de sourires
vies amères, dépenses de paroles
pas parcourus autour de la gare
pour des enfants docteurs et des maisons neuves.
Nous qui avec les mains ou sur les routes
avons reçu des sous empoisonnés et sauveurs,
prix odieux donné et mal payé
pour des maisons nouvelles et des enfants docteurs.
Maintenant, sur les tables mises,
la mémoire courte, endormie,
nous avons hâte de recommencer
de l’autre côté de la barricade.
Je veux chanter des chants en de nouvelles langues
et écouter des sons jamais joués,
je veux faire des gestes en de nouveaux jeux,
me perdre dans des rythmes jamais dansés,
je veux entendre prier en cent langues,
cent langues différentes et pourtant égales,
je veux voir jouer cent jeux
par des hommes différents et pourtant égaux,
cent dieux différents et pourtant égaux,
des hommes différents et pourtant égaux.