2.1.1. L’actualité politique et judiciaire : où en est le gouvernement Renzi ?
Où en est le gouvernement Renzi ?
Beaucoup se sont réjouis quand Matteo Renzi est devenu Président du Conseil italien le 22 février 2014, après avoir pris le pouvoir dans
le Parti Démocrate (PD) le 8 décembre 2013 ; il avait été auparavant Président de la Province de Florence en Toscane, puis maire de
Florence de 2009 à février 2014. Enfin, un homme jeune arrivait au pouvoir dans la gauche, il était manifestement intelligent, dynamique
et politiquement ambitieux ; il avait su éliminer les dirigeants les plus âgés du Parti Démocrate, dont Pier Luigi Bersani (1951- ) et même
ses contemporains, comme Enrico Letta (1966- ) ; il voulait changer le panorama politique italien, réformer un système qui ne fonctionnait
plus ; l’opinion publique espérait qu’il ferait des réformes véritables, et il se fait élire bientôt Secrétaire National du Parti Démocrate, se
proposant d’être le « rottamatore » des anciens dirigeants, de les « placardiser ». Cela plaît, il est souriant, grand communicateur, grand
comédien disent certains, et, comme il est florentin, on lui attribue des capacités politiques de « machiavel ». Il est né en 1975, il a donc
39 ans, le plus jeune Président du Conseil de toute l’histoire de la République. Va-t-on connaître un renouveau de la vie politique ? Où en
sommes-nous ?
La collaboration du PD avec le Centre-droit.
Dans son article de Il Fatto Quotidiano du 2 août 2015, Marco Travaglio, le Directeur du journal, rappelle que le Financial Times a écrit
que « le vent qui poussait Renzi s’est déjà affaibli ». Deux choses le confirmeraient, d’une part les sondages, d’autre part son échec
relatif aux dernières élections régionales : il pensait gagner les 7 régions où l’on votait ; il est vrai qu’il a gagné la Campanie, mais avec
un candidat tête de liste considéré comme inéligible parce que inculpé de diverses fraudes, abus d’autorité, etc., mais il a perdu la Ligurie
et n’a pas repris la Vénétie, et le Mouvement 5 Étoiles a atteint 24% en Ligurie et 21% dans les Marches, partout ailleurs de 11% à 18%,
devenant donc la seconde ou la troisième force politique nationale. Les sondages de juillet lui donnent 26% des préférences, contre 35%
à Renzi, mais loin devant les autres partis de droite, la Lega Nord de Salvini, 14% et Forza Italia de Berlusconi, 12%. La perspective en
cas d’élections législatives pourrait donc être un duel au second tour entre le PD et M5S.
Renzi avait par ailleurs dans ses listes une dizaine de candidats « imprésentables » pour leur situation judiciaire : peu honorable lorsque
le Président de la République insiste sur les priorités du moment, la lutte contre la corruption et contre la fraude fiscale ! C’est ce qui avait
provoqué la polémique entre Renzi et Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, au moment des élections (Cf. Il Fatto Quotidiano du 7 mai
2015) : loin de faire la politique nouvelle promise par Renzi, dit Saviano, la liste De Luca montre que le P.D. continue la tradition
méridionale, échanger une voix contre un droit, une faveur ; en cela il ne se différencie pas du centre-droit de Nicola Cosentino, lié à la
camorra. Il est vrai que Renzi n’a pratiquement rien dit ni fait contre la mafia depuis le début de son ministère, ce n’est nullement un point
prioritaire de son programme.
Cela indique la réalité de sa politique : réformer en limitant les droits des syndicats et des travailleurs, et prendre des décisions qui ne
mécontentent pas le patronat et la droite modérée avec laquelle il a signé une alliance dès le départ en formant un gouvernement avec le
Nouveau Centre Droit (NCD) d’Angelino Alfano, scission minoritaire du parti de Berlusconi.
Marco Travaglio rappelle à ce propos que, quand Renzi a voulu devenir Président du Conseil, son ami, l’entrepreneur Diego Della Valle,
lui avait conseillé d’attendre, de créer d’abord dans le P.D. une équipe de collaborateurs compétents et se former à la fonction de
Président du Conseil et bientôt pour six mois de Président de l’Europe. Mais Renzi était pressé, c’est un ambitieux qui veut tout tout de
suite, il veut affirmer son pouvoir et il a préféré éliminer Enrico Letta et devenir président immédiatement : « il a choisi de brûler les étapes
sans passer par les urnes, en portant au gouvernement une Armée Brancaleone (le chevalier incapable et déshérité du film de Mario
Monicelli de 1966) d’un très bas profil » (Travaglio) ; il a préféré casser le Parti Démocrate en trois morceaux, les fidèles de Renzi, les
partisans de Bersani ralliés par opportunisme, et une frange d’opposants partisans d’une véritable politique de gauche. On peut estimer
qu’il n’y a pas d’autre politique possible et que c’en est fini de toute perspective de changement anti-austérité ; mais les minoritaires se
battent pourtant en faveur d’une politique qui soit plus favorable à l’ensemble des « classes populaires » et des classes moyennes,
àl’image du parti de Tsipras en Grèce ou de Podemos en Espagne ; beaucoup hésitent aujourd’hui à choisir entre les deux, oubliant sans
doute ce que disaient Gramsci et Gobetti en 1921 : « Ce sera la révolution ou le fascisme ». Aujourd’hui aussi, en Italie comme en
France, une forme de fascisme risque bien d’être à nos portes.
Et de fait, Renzi, formé dans la Démocratie Chrétienne et le parti Populaire, s’inspire surtout des méthodes de Silvio Berlusconi : la
présence médiatique permanente, les promesses, les discours, les bonnes plaisanteries qui font rire le peuple, etc. Mais quelles
décisions de réforme ? D’abord il protège les hommes de droite les plus corrompus et les plus puissants, comme dans l’affaire
récente d’Antonio Azzolini. Ce dernier est un Sénateur du NCD, Président de la Commission du Budget du Sénat ; suite à ses projets
inaboutis de nouveau port à Molfetta (Puglia), pour lequel l’État a versé une contribution de 169 millions d’euros (alors que le devis de
départ était de 57 millions) dépensés en réalité pour d’autres réalisations par Azzollini, alors Maire de Molfetta. Il est donc inculpé «
d’escroquerie aux dépens de l’État », de « faux idéologique », de « faux et usage de faux », « abus de pouvoir », « violation des normes
environnementales », « violation des lois sur le travail, etc. Lorsque le juge a demandé au Sénat l’autorisation d’interception des
communications téléphoniques d’Azzolini et son arrestation, les Sénateurs du PD ont refusé, protégeant ainsi, sur ordre de Renzi,
Azzolini contre les poursuites engagées, tout simplement pour que ne soit pas rompue l’alliance gouvernementale avec le NCD ! Cette
décision a déjà provoqué le départ du PD du Sénateur Felice Casson, indigné de ce vote, et le mécontentement de nombreux élus du PD
qui avaient voté « oui » en Commission. Azzolini est par ailleurs au centre d’une autre affaire de prise de pouvoir sur la maison de soins
La Divina Provvidenza de Rome, à propos de laquelle il a dit aux religieuses qui la dirigeaient : « À partir d’aujourd’hui, c’est moi qui
commande, sinon je vous pisse dans la bouche », c’est le langage habituel de cet éminent sénateur de la République ! Et le PD le
soutient.
Les réformes de Renzi
Le passage de Renzi à la Présidence du Conseil de l’Union Européenne, du 1er juillet au 31 décembre 2014, n’a pas laissé beaucoup de
souvenirs, sinon de discours sur l’Europe à renouveler, malgré les 135 pages de synthèse des résultats obtenus (italia2014.eu/it), même
sur les problèmes qui concernaient directement l’Italie, comme l’immigration. Il a oscillé entre les sourires à Angela Merkel, les clins d’œil
à Tsipras, entre Obama et Poutine, sans rien conclure de précis.
Dans le domaine économique, il s’est attiré l’hostilité des syndicats en adoptant son « Jobs Act » qui encourage les entreprises à
embaucher à temps indéterminé, mais leur donne une plus grande liberté de licencier les travailleurs embauchés (réforme de l’article 18
du Code du Travail). Il a dépensé 11 milliards d’euros pour accorder aux travailleurs gagnant moins de 26.000 euros dans l’année un
bonus de 80 euros par mois sur l’Irpef (Imposition fiacale sur le revenu des personnes physiques). Cela ne règle aucun des problèmes
économiques graves que connaissent les Italiens, et il était possible de faire mieux sans dépenser plus.
En-dehors de cela, Renzi avait promis au début de son mandat il y a 18 mois de réaliser une réforme par mois, mais très peu de choses
ont été faites : réforme de l’administration publique, protection du territoire, sécurité dans les écoles, réforme de l’IRAP (Impôt Régional
sur les Activités Productives), vente aux enchères des « autos bleues » (voitures de protection des personnalités), dont une cinquantaine
ont été vendues sur les 151 promises, le plan « Une maison pour tous », garantie de travail pour les jeunes, etc., tout est resté en plan.
Ce qui a été réalisé c’est essentiellement la réforme institutionnelle et la réforme de l’école. De la première nous avons déjà parlé
(Voir notre dossier dans « Structures-Constitution ») : elle a été préparée en accord avec Berlusconi presque jusqu’à la fin, l’Italicum a été
voté, et Renzi espère arriver en tête au moins au deuxième tour et gagner la prime de majorité ; c’est pour cela qu’il voudrait faire des
élections anticipées dès 2016, sachant que sa popularité diminue régulièrement (il n’est plus aux 40,8% des élections européennes mais
à environ 30%). Quant à la suppression du Sénat, cela le débarrasse d’un organe législatif qui le gênait, mais diminue incontestablement
la démocratie du régime italien, et permettra d’aller plus facilement à un régime autoritaire. Les critiques commencent donc à évoquer la
dissolution faite par Jacques Chirac en France pour renforcer son parti … et qui donna la majorité aux socialistes.
L’autre réforme réalisée est celle de l’école (la « Bonne école »). Nous publierons bientôt un article détaillé d’une correspondante
italienne ; ce qui est sûr, c’est qu’elle rencontre l’hostilité de la grande majorité des enseignants ; dans l’école où enseigne l’épouse de
Renzi, elle a été la seule à ne pas faire grève contre son adoption !
D’autres problèmes se présentent en Italie, par exemple celui de l’avortement. Il y a actuellement 234.000 avortements par an, mais
avorter en Italie (ce qui est légal depuis 1978) reste une entreprise, du fait que la majorité des médecins catholiques opposent leur clause
de conscience aux femmes qui viennent les trouver. Selon L’ISTAT, environ 20% des italiennes doivent changer de province pour pouvoir
avorter. C’est l’Ombrie qui offre le plus de possibilités, suivie du Frioul et de la province de Trento ; au contraire le service est le plus
faible dans le Latium, en Campanie et dans le Molise. Une région comme l’Ombrie accueille donc beaucoup de femmes d’autres régions
(12,8% de l’ensemble) et connaît un surcroît important de travail ? Dans 30 provinces sur 110, plus d’une femme sur trois est contrainte
de se déplacer dans une autre province (21.000 femmes sur 100.000 en 2012). De plus, les médecins n’acceptent souvent de pratiquer
un avortement que dans leur clinique privée conventionnée (36,2% dans les Pouilles, 32,2% en Sardaigne, 16,4% en Campanie). Il ne
semble pas pour le moment que les statistiques ministérielles intègrent ce problème, et selon elles tout va bien ! Et récemment (Cf. la
Repubblica, 15 novembre 2014), le pape François a encouragé les médecins à opposer leur clause de conscience aux demandes
d’avortement, alors que le code déontologique italien est en train d’évoluer dans le sens contraire, et obliger les médecins à répondre
favorablement aux demandes.
Le gouvernement Renzi va donc devoir récupérer le maximum de parlementaires du PD s’il veut durer, et proposer des réformes « de
gauche », comme le pacte d’Union civile pour les couples homosexuels, en discussion depuis des années (mais la ministre Mme Boschi
vient de déclarer que dans le Parlement actuel, ce serait impossible !), ou le vote du droit du sol. Mais il devra surtout conquérir des voix
acquises actuellement à la droite en proposant des réformes « de droite » comme l’allègement des impôts. Mais les électeurs ne
préfèreront-ils pas une droite qui la demande depuis longtemps ? Et la gauche qui se cherche, la minorité du P.D., les trois partis «
communistes », le mouvement qui s’amorce autour de Maurizio Landini, le leader de la FIOM (Fédération des Employés et des Ouvriers
Métallurgistes, de la CGIL), le SEL (Gauche-Écologie-Liberté), les éléments de gauche du M5S, etc. arriveront-ils à s’unir ?
J.G. 4 août 2015
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