4.1.9. Depuis la seconde guerre mondiale : 1. Histoire d’un “compromis historique” (1945-1992) - suite
III.-– 1948-1974 : Le triomphe de la DC et de l’économie libérale dans la reconstruction de l’Italie. Le « miracle
économique » et la création d’une « bourgeoisie d’État ».
1) 1948-1953 : La DC construit son pouvoir
a) Alcide De Gasperi veut assurer la domination de la DC et d’un régime anticommuniste qui redonne à
l’Église catholique sa suprématie sur la société italienne, mais il est conscient qu’il n’est possible de le faire qu’en réalisant
une alliance avec des petits partis laïcs, qui permettrait de briser et d’affaiblir le bloc socialo-communiste, car il sait qu’il y
a une forte présence des laïcs dans le peuple, chez les scientifiques et même dans certaines forces de droite (industriels,
banquiers, organismes économiques) (Cf. sa lettre à Pie XII du 10 février 1949). Il y a donc besoin d’alliances.
Mais il compte aussi pour cela sur les organisation laïques liées à la hiérarchie catholique, Comités Civiques, Action
Catholique, Centre Italien Féminin créé par la DC en 1945, la Gioventù Operaia Italiana Cattolica, les ACLI (Associations
chrétiennes de travailleurs italiens), les organisations paysannes, le Centre Sportif Italien reconstitué en 1944, etc.
Comme les communistes, le mouvement catholique avait appris du fascisme que les organisations de masse étaient
essentielles à la conservation du pouvoir et à l’obtention du consensus populaire. Cela permettait aussi à la DC de garder
une plus grande autonomie par rapport à la hiérarchie ecclésiastique.
Mais l’hégémonie de la DC fut surtout obtenue par le contrôle de l’appareil d’État hérité du fascisme et jamais affaibli
par l’épuration : cela lui donnait un énorme pouvoir sur une économie en bonne partie contrôlée par l’État. Ainsi la DC
plaça ses hommes aussi bien dans la Federazione dei Consorzi agrari (La Federconsorzi, à laquelle s’allia bientôt la
Confagricoltura) que dans l’industrie chimique, dans l’industrie mécanique et métallurgique, et dans la gestion des crédits
du Plan Marshall. Mario Scelba avait déclaré que « les Italiens devaient s’habituer à voir des démocrates-chrétiens à la
tête des grandes organisations financières et industrielles ». Dans un premier temps, cela donnait un pouvoir énorme,
mais cela développa aussi chez ces dirigeants un appétit de pouvoir qui les conduisit à la pratique de toutes les formes de
corruption, une des causes de la fin de la DC 45 ans plus tard. On les appela les « forchettoni » (les hommes de la
fourchette).
De même, la DC avait pris la suite de l’appareil policier du fascisme, en créant la « Celere » (la rapide), dirigée par le
DC Mario Scelba, recrutée souvent parmi d’anciens policiers fascistes, et qui intervint durement contre toute manifestation
et toute grève paysanne ou ouvrière : elle fit plusieurs morts, arrêtait et enchaînait les grévistes, et les traduisait en justice
: de 1949 à 1953, les tribunaux infligèrent plus d’années de galère à des grévistes arrêtés que n’en avaient jamais infligé
les tribunaux spéciaux du fascisme. La « Celere » sera bientôt équipée d’autos blindées, de mortiers et de mitrailleuses.
Le Vatican, pour des raisons qui lui sont propres, entra dans le même jeu : le communisme devenait un péché mortel
(le 13 juillet 1949, le Saint-Office décrète l’excommunication de ceux qui adhérent au PCI ou qui l’aident dans son action),
et sur les confessionnaux, une affichette rappelait cette condamnation. La guerre froide était entrée aussi dans les
églises.
b) Sur le plan politique, c’est le triomphe de la DC, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le Ve
Gouvernement De Gasperi est constitué quadripartite (DC, PLI, PSDI, PRI), suivi du VIe De Gasperi (27 janvier 1950) qui
n’a plus que 3 partis (DC, PSDI, PLI). Elle commence pourtant à perdre du terrain : elle recule fortement aux élections
administratives du 27 mai 1951, et le VIIe gouvernement De Gasperi (28 juillet 1951) n’a plus que 2 partis (DC et PRI).
Ses contradictions internes entre modérés et conservateurs s’accentuent : un courant de gauche (« Iniziativa
democratica ») se constitue avec Giorgio La Pira, Aldo Moro, Amintore Fanfani, Taviani, Rumor , etc.) dans la ligne du
réformiste Giuseppe Dossetti, qui quitte la direction de la Dc le 38 juillet 1951 ; un autre courant de gauche (« Base »)
se forme le 27 septembre 1953 avec Enrico Mattei, Giovanni Marcora (1922-1983), auteur de la loi permettant l’objection
de conscience en 1972, et Giovanni Galloni (1927- ) ; en novembre 1953,un groupe de syndicalistes donne naissance
à un autre courant de gauche, « Forze nuove », avec Giulio Pastore (1902-1969), un des fondateurs de la CISL et Carlo
Donat Cattin (1919-1991), un des promoteurs du « Statut des Travailleurs » en 1970. L’ancienne DC avait été le parti
des propriétaires terriens ; elle est remplacée par un parti dominé par de grands managers industriels (comme Mattei) et
des patrons de moyennes entreprises ; l’Université Catholique de Milan forme cette nouvelle « bourgeoisie d’État ».
En novembre 1952, la DC fit voter une loi électorale, que Calamandrei appela « legge truffa » (loi d’escroquerie) : elle
accordait 65% des sièges de la Chambre des Députés à la coalition qui aurait atteint 50% + 1 voix des votes valides. Mais
aux élections du 7 juin 1953, il manqua quelques milliers de voix à la coalition de droite (DC, PRI, PSDI, PLI) pour que la
loi entre en application : la DC obtenait 40,1%, perdant 8,1% par rapport à 1948 ; le PSDI a 4, 52%, le PLI 3,01% et le
PRI 1,62%. C’est le premier grand échec de la DC, la gauche gagne des voix (PCI = 22,60%, PSI = 12,70% contre les
31% qu’avait le Front Populaire en 1948), ainsi que l’extrême droite (Parti National Monarchiste = 6,85% et MSI = 5,84%).
La DC commence à être touchée par des scandales comme l’affaire Wilma Montesi (avril 1953. Voir La
dolce vita de Fellini, de 1959, et la nouvelle de Moravia, Delitto al circolo di tennis, de 1949) qui oblige le Ministre Attilio
Piccioni à démissionner du Gouvernement.
c) Sur le plan économique, le secteur d’État se développe, donnant naissance à ce qu’on appellera la
« bourgeoisie d’État ». D’une part, l’Institut pour la Reconstruction Industrielle (IRI), créé par le fascisme en 1933
(rachat par l’État de 3 grandes banques en faillite après la crise de 1929), est maintenu : il contrôle les 2/3 de la
production d’acier (Italsider et Dalmine + Terni), la mécanique (Finmeccanica qui contrôle l’Alfa Romeo, l’Ansaldo et la
Selenia), les chantiers navals (Fincantieri), les transports maritimes (Finmare) et aériens (Alitalia), les autoroutes
(Autostrade), les grandes banque, les télécommunications, la RAI et la RAI-TV à partir de 1954. Cela
représentait 556.000 salariés en 1980. L’IRI sera privatisée à partir de 1993 par le Centre-gauche et supprimée en 2000.
Deuxièmement, la Société Nationale des Hydrocarbures (ENI) est créée en 1953 par Enrico Mattei, intégrant l’AGIP
(Agence Générale Italienne des Pétroles) créée en 1926 par le fascisme. L’ENI gère la recherche, l’exploitation et la
distribution du gaz et du pétrole. Mattei découvre l’existence de gaz méthane dans la plaine du Pô ; il signe avec les pays
producteurs de pétrole (d’abord Tunisie, Maroc, Égypte et Iran) des accords « fifty-fifty » qui accordent 50% des revenus
de l’exploitation aux pays au lieu de 25% ; cela lui attire la haine des « 7 sœurs », les grandes compagnies pétrolifères,
et il meurt dans un sabotage de son avion en 1962 (Voir le film de Francesco Rosi, L’Affaire Mattei, de 1972). L’ENI a été
l’un des facteurs du « miracle économique » des années suivants ; il est soutenu par la gauche contre les industriels et
les conservateurs. L’ENI comporte plus de 700.000 salariés. Il finance à partir de 1956 le quotidien de centre gauche « Il
Giorno ».
Enfin, l’ENEL (Société Nationale pour l’Énergie Électrique) apparaît en 1962 après la nationalisation de tous les petits
producteurs d’électricité d’Italie ; L’État leur paie des indemnités qui renforcent la concentration du secteur de la chimie et
du pétrole (Exemple : Montedison). L’ENEL est privatisée en 1999 et constitue un des géants mondiaux de l’électricité,
présent dans le monde entier, en particulier en France.
C’est la période du « miracle économique » : la conjoncture internationale (la guerre de Corée créa par exemple une
grosse demande de production d’acier) et l’aide américaine (plus de 1200 millions de dollars) aident le miracle ; le taux
de croissance dépasse 6% par an ; entre 1958 et 1960, la production augmenta de plus de 30%, mais dans l’automobile,
elle augmenta de 89%, dans la mécanique de précision de 83%, dans les fibres textiles de 66%. mais une des causes du
miracle fut aussi le faible coût du travail : les salaires restent bas malgré la combativité des syndicats. En 1956 est créé le
Ministère des Participations d’État, qui détache les industries d’État de la Confindustria. L’ouverture du marché européen
par le Traité de Rome donne à la moyenne industrie italienne de grands débouchés (par exemple dans des produits
comme les frigos, les lave-vaisselle, les aspirateurs, les produits en plastique etc.). L’industrie réintègre alors 2 millions de
chômeurs.
Mais le miracle touche surtout les industries du Nord, qui a besoin de main-d’œuvre, et cela provoque une émigration
interne du Sud au Nord de plus de 9 millions de travailleurs de 1955 à 1971 et crée une nouvelle catégorie d’ « ouvrier de
masse » sans qualification et sans tradition syndicale, d’où l’explosion violente des années ‘60 ; cela poussa la DC à
adopter des Plans de développement économique, élaborés par Ezio Vanoni (DC, 1903-1956), puis Antonio Giolitti (PSI,
1915-2010), mais ceux-ci créent aussi de forts déséquilibres sociaux, car ils portent sur l’industrie dont ils sous-estiment le
progrès technologique, et ils poussent au développement des biens de consommation individuels, négligeant les biens
collectifs comme l’école, les hôpitaux, les transports, les logements. Ainsi se renforce une mentalité individualiste centrée
sur la famille, et portée à la consommation et à l’apolitisme (la quantité de votants va maintenant diminuer presque
régulièrement).
Par ailleurs, la tentative de réforme agraire des années ’50 (Loi pour la Sila du 12 mai 1950, la loi « stralcio » (=
provisoire) du 21 octobre 1950 et la loi pour la Sicile du 27 décembre 1950) fut un échec du fait de son caractère limité, de
l’hostilité des grands propriétaires aidés par la mafia, qui assassine les syndicalistes paysans. Cette réforme libérale ne
règle pas le problème du déséquilibre Nord/Sud et ville/campagne, et contribue au progrès du PCI et de l’extrême gauche.
De même la création de la Caisse pour le Sud (Cassa per il Mezzogiorno), le 10 mars 1950, qui fournit 1280 milliards
de lires en 12 ans ne règle pas la « question méridionale », et augmente donc à la fois le mécontentement populaire et le
progrès du MSI néofasciste dans le Sud (petite bourgeoisie, propriétaires terriens, petits commerçants, étudiants…).
2) 1954-1963 : vers le Centre gauche
* La DC poursuit sa lutte contre le PCI et la CGIL, dans la vie sociale, dans les entreprises, dans les
administrations, appuyée par les USA (qui décident par exemple en février 1955 de ne plus acheter d’armes aux
entreprises italiennes où la CGIL serait majoritaire dans la Commission Interne). En mars 1955, la CGIL perd la majorité
dans la Commission Interne de la FIAT, et un groupe d’ouvriers crée le SIDA, syndicat « jaune » qui remporte les
élections en 1958. Le Ministre de l’Intérieur, Fernando Tambroni, avec l’aide du Général De Lorenzo, patron des Services
secrets (SIFAR = Service d’Information des Forces Armées) se livre à un travail de fichage policier des citoyens liés à la
gauche (157.000 fiches dont la copie est adressée à la CIA américaine, et qui seront déclarées illégitimes en avril 1967
par la commission Beolchini), pour « limiter le pouvoir des communistes ». Le mur de Berlin est édifié du 12 au 13 août
1961.
Les moyens d’intégrer idéologiquement la classe ouvrière dans le régime DC se développent : première émission de
télévision le 3 décembre 1953, développement du Festival de Sanremo à partir de 1951, tout cela crée une nouvelle
forme de la culture dominante. La mentalité des Italiens évolue : on s’habitue à la télévision (arme essentielle de la DC et
de l’Église), à la consommation, à la mobilité (voitures en augmentation), à la sécurité, aux vêtements élégants, à la
bonne nourriture (la viande rouge et la tranche de veau remplacent les viandes blanche de poulet et lapin) ; les mœurs
sexuelles évoluent ; l’Italie devient plus une société d’employés du tertiaire, où on s’éloigne du travail manuel. Cela
aggrave les contradictions entre le Nord et le Sud qui reste plus agricole et moins développé ; les conflits augmentent, le
mal-être s’installe dès qu’il y a un temps d’arrêt dans la croissance ou une crise internationale, c’est visible dans le cinéma
(Fellini, Antonioni, Pasolini, Rosi, Visconti, Risi …) ; et surtout, le « progrès » crée des besoins qui ne peuvent pas être
totalement satisfaits, on va donc entrer dans une période de grandes actions collectives, accentuées par la révolution
culturelle en Chine (1966-7), Che Guevara à Cuba et en Amérique latine, les théories de Marcuse, les mouvements des
étudiants américains, etc. Par ailleurs se confirme la tendance à développer une économie « souterraine » qui
représente environ 20% du revenu économique ; plus de 1.500.000 personnes travaillent à domicile, dont 80% ne sont
pas déclarées et sont sans couverture sociale : on a une société à double face.
* Une tendance politique d’ouverture se dessine en Sicile, où DC et PSI s’allient dans le gouvernement
régional, ce qui suscite la protestation de l’archevêque de Palerme, tandis que le 18 mars 1957, l’Osservatore Romano,
quotidien du Vatican, rappelle que l’excommunication vaut pour les catholiques qui collaborent avec le PSI. Mais le PSI a
rompu avec le PCI en février 1957, après l’invasion soviétique de Budapest en 1956, approuvée par tous les partis
communistes, y-compris le PCI, qui déclare que les faits de Hongrie et de Pologne en juin 1956 sont une « contre
révolution », ce qui lui fait perdre 300.000 adhérents et une bonne partie de ses intellectuels.
En février 1956, au XXe Congrès du PCUS, le Président Krouchtchev dénonce les crimes de Staline, et la
déstalinisation commence, mal acceptée par une partie du mouvement communiste et par quelques partis, dont le PCF.
Le 15 juin, Togliatti publie une interview où il définit la possibilité du polycentrisme communiste et d’une « voie
italienne au socialisme ». C’est le début d’un détachement de la politique du PCI de celle de Moscou, et la confirmation
du « tournant de Salerne » en 1944.
Les élections du 25 mai 1958 sont marquées par une légère avancée de la DC (42,4%), du PSI (14,2%), du PCI
(22,7%), du PSDI (4,6%), tandis que le MSI (Mouvement Social Italien, néofasciste, 4,8%) et les Monarchistes (4,9%)
régressent.
* La situation évolue lentement. Le pape Pie XII meurt le 9 octobre 1958, et Jean XXIII-Roncalli est élu
pape le 28 octobre, il ouvre le Concile Vatican II le 11 octobre 1962, et celui-ci exprime la possibilité pour les catholiques
de collaborer avec la gauche ; Kennedy est élu Président des USA le 8 novembre 1960, mais assassiné le 22 novembre
1963. Quelques responsables du PSDI quittent leur parti pour adhérer au PSI, qui envisage une fusion avec le PSDI
(rencontre entre Nenni et Saragat à Pralognan dès le 25 août 1956). Un nouveau courant de gauche apparaît dans la DC
en mars 1959, les « Dorotei » (le courant est né au couvent de Ste Dorothée à Rome), avec Paolo Emilio Taviani
(1912.2001), Emilio Colombo (1920- ), Mariano Rumor (1915-1990), Aldo Moro et Luigi Gui (1914-2010), avec l’appui
d’Antonio Segni (1891-1972) qui est alors Président du Conseil et qui sera élu Président de la République de 1962 à
1964. Le 29 avril 1955, Giovanni Gronchi avait été élu Président de la République avec les voix de la gauche.
L’enjeu pour la DC est de contrôler l’évolution du néocapitalisme, par la domination de l’appareil d’État. Elle ne
reculera devant rien pour cela : clientélisme, corruption, financement illégal du parti et de ses alliés, bureaucratisation…
Plus tard, cela lui coûtera la vie.
En mai-juillet 1960, une tentative du gouvernement formé par Fernando Tambroni (1901-1963) avec l’appui du MSI
néofasciste, suscite de fortes manifestations populaires, contre lesquelles la police intervient durement (5 morts à Reggio
Emilia le 8 juillet et des dizaines de blessés) ; 61 intellectuels catholiques connus signent une pétition contre l’accord de
la DC avec les néofascistes et contre les tentatives autoritaires du gouvernement ; Tambroni doit démissionner le 18
juillet, remplacé par un gouvernement Amintore Fanfani, monocolore DC, mais avec abstention du PSI, et qui est dit « de
convergences parallèles ». Une première Municipalité de centre gauche se forme à Milan en janvier 1961, puis à Gênes
et Florence. En juin 1961, Kennedy s’exprime prudemment en faveur du centre gauche dans une entrevue avec Segni et
Fanfani ; le leader social-démocrate Giuseppe Saragat le suit en août, puis le Congrès de la DC en janvier 1962, sur
proposition d’Aldo Moro.
Une évolution se fait aussi dans le PSI, dont le XXXIVe Congrès accepte l’adhésion à l’OTAN en mars 1961. En février
1962 se forme le 4e gouvernement Fanfani, avec abstention socialiste ; Togliatti déclare qu’il en apprécie le programme
et promet une « opposition constructive ». Le syndicat des métallurgistes de la CISL se déclare favorable à l’action
commune avec la CGIL et l’UIL. Le 31 décembre 1962, l’obligation scolaire est étendue jusqu’à 14 ans.
* La droite multiplie ses initiatives pour combattre l’évolution de la DC vers une alliance avec les Socialistes
; en mars 1963, le SIFAR et la CIA prévoient même d’attaquer les sièges de la DC en en rendant responsables les
Socialistes. Mais aux élections politiques du 28 avril 1963, la DC est battue (38,3%, elle perd 4,1%), le PLI hostile au
Centre gauche progresse (7%), le PSI régresse légèrement (13,8%, - 0,4%), le PCI progresse (25,3%, + 2,6%). Le 4
décembre 1963 est formé le 1er gouvernement Aldo Moro de centre gauche (DC, PSI, PSDI, PRI) ; la gauche du
PSI (Tullio Vecchietti, Dario Valori, Lelio Basso) ne vote pas la confiance et est suspendue du PSI : elle donne naissance
au Parti Socialiste d’Unité Prolétarienne (PSIUP) en janvier 1964. Le centre gauche est une nouvelle forme du
traditionnel « transformisme » italien (diviser et intégrer l’adversaire, par morceaux).
La DC, toujours anticommuniste, affaiblie et ayant besoin d’alliances, se tourne vers une politique de compromis
avec la force moins inquiétante qu’est le PSI, avec quelques petits partis laïques.
3) 1964-1973 : vers une nouvelle proposition de « compromis historique par le PCI
* La situation internationale et intérieure se tend à nouveau : le 7 mars 1964, les premiers soldats
américains arrivent au Vietnam, où les bombardements vont commencer ; le 14 octobre, Krouchtchev est destitué et
remplacé par Léonid Brejnev comme Secrétaire du PCUS. Palmiro Togliatti meurt d’un accident cérébral à Yalta le 21
août 1964 ; à son enterrement à Rome assistent un million de personnes ; il est remplacé par Luigi Longo comme
secrétaire du PCI. En remplacement d’Antonio Segni, Giuseppe Saragat est élu Président de la République sans les voix
communistes, le 28 décembre 1964.
Les mouvements de protestation contre cette situation se développent dans le monde entier. Aux USA, apparaissent les
premières manifestations contre la guerre du Vietnam, et les Noirs se révoltent. En septembre 1965, un coup d’État
anticommuniste en Indonésie fait environ 600.000 morts. En Italie, le gouvernement Moro a dû démissionner le 28 juin
1964 : les réactions du monde des affaires sont négatives vis-à-vis du centre gauche. Suite à des concessions des
Socialistes, un second gouvernement Moro se constitue le 22 juillet 1964, puis un troisième en février 1966, après un
nouveau recul des Socialistes sur les réformes à réaliser : on va vers un centre gauche « propre » (c’est-à-dire qui ne
fait pas de réformes anticapitalistes), dira l’opposition. Un coup d’État militaire du SIFAR est envisagé par De Lorenzo en
juillet 1964, et en novembre 1965, le SIFAR est dissous et remplacé par le SID (Servizio Informazioni Difesa) jusqu’en
1977, date à laquelle il est dissous et remplacé par 2 structures, civile et militaire, le SISDE (Service pour les Informations
et la Sécurité démocratique) et le SISMI (Service pour les Informations et la Sécurité Militaire).
* Les conflits deviennent publics à l’intérieur du PCI, entre prosoviétiques et prochinois, réformistes et
révolutionnaires : sont créés le Parti Communiste d’Italie marxiste léniniste, puis à Pise en février 1967, le groupe
« Potere operaio » (Pouvoir Ouvrier). En 1969, Aldo Natoli, Luigi Pintor et Rossana Rossanda publient le Manifesto,
d’abord mensuel puis quotidien ; ils sont exclus du PCI. D’autres revues communistes vivent en-dehors du PCI :
Quaderni Rossi, Quaderni Piacentini… Le Psi s’unifie avec le PSDI pour former le PSU, Parti Socialiste unifié ; une partie
de la gauche du PSI fait scission et va former la Gauche Indépendante.
Une stratégie contradictoire : la lutte extraparlementaire, puis la lutte armée
* C’est le moment où apparaît une nouvelle stratégie d’une partie de la gauche, dite « extra
parlementaire », qui conteste la validité des alliances parlementaires telles que les propose le PCI (le « compromis
historique »,, l’entrée dans la « stanza dei bottoni », la pièce des boutons, les lieux de contrôle du pouvoir d’État), entre
dirigeants de partis politiques (la DC, le PSI, le PCI), au profit d’actions de masse tendant à l’unité des classes exploitées.
Ils sont encouragés par le développement du Mouvement étudiant, des luttes féministes, et du renouveau des conflits
dans l’entreprise. Les Universités commencent à être occupées, le Mouvement est influencé par le Mouvement américain
(Berkeley) ; des groupes catholiques de plus en plus nombreux manifestent leur désaccord avec la politique réactionnaire
de l’Église : les ACLI appuient les projets d’unification syndicale. Jean XXIII est mort le 3 juin 1963 et a été remplacé par
le pape Paul VI-Montini, moins ouvert aux réalités nouvelles. La droite appelle « petits communistes de sacristie »
(comunistelli di sagrestia) les catholiques prêts à collaborer avec la gauche. La censure catholique, les interdictions de
films, etc. se sont faites très fréquentes et dures dans toutes les années ’60.
Le mouvement de 1968-1969 a pour une part débouché dans le renforcement des mouvements terroristes, d’abord
l’extrême droite, à laquelle réplique l’extrême gauche. La DC répond par la « stratégie de la tension », créant la peur
d’un double terrorisme qui justifierait la poursuite d’une politique centriste menée par elle. Mais dès mai 1965, un colloque
du SIFAR, avec De Lorenzo et des représentants catholiques, sociaux-démocrates et néofascistes, avait analysé le
centre gauche comme le premier pas vers une présence communiste au gouvernement et préparé une intervention
militaire au cas où des communistes seraient au gouvernement, ce qui serait un signe d’agression, de « guerre
révolutionnaire ». Un « plan de défense et de contre-attaque » est mis au point, avec un décompte des personnes
prêtes à intervenir à divers niveaux, l’organisation de manifestations, et d’attentats destinés à secouer l’indifférence de la
masse.
La « stratégie de la tension » est la politique de la droite :
les attentats d’origine néofasciste mais encouragés (aidés par « Gladio » ?) par les Services secrets se multiplient. Ils
commencent par celui de Piazza Fontana à Milan, le 12 décembre 1969 (17 morts et 80 blessés), continuent par le
massacre de la place de Brescia le 28 mai 1974 (8 morts et 102 blessés), la bombe du train Italicus le 4 août 1974,
l’attentat de la gare de Bologne, le 2 août 1980, et beaucoup d’autres.
*Les « Brigate rosse » (BR) se considèrent comme l’avant-garde armée destinée à montrer la voie de la
révolution et de la dictature du Prolétariat, et d’entraîner le Prolétariat au combat contre une nouvelle forme de fascisme,
celle du SIM (Système Impérialiste des Multinationales) : c’est une nouvelle forme de Résistance Antifasciste.
Les BR commencent leur activité par des enlèvements de personnalités de droite, elles les interrogent, les font parler,
puis les relâchent ; dans un second temps, elles tirent sur des personnalités favorables au « compromis historique », les
blessent aux jambes, puis « haussent le tir », les frappent à la tête et les tuent. Les premiers responsables seront
Renato Curcio, Alberto Franceschini et Margherita Cagol. Ils s’en prenaient à des individus considérés comme importants
dans la stratégie de compromis entre les Communistes et la DC ; ils incendièrent d’abord des voitures de dirigeants
d’entreprises ou de syndicalistes ; puis ils enlevèrent des personnalités, la première fut le juge Mario Sossi le 18 avril
1974 ; l’enlèvement d’Aldo Moro le 16 mars 1978 fut le sommet de leur action (Voir pour le détail le site de Wikipedia
« brigate rosse », et le livre de Leonardo Sciascia, L’Affaire Moro, 1979).
Ce seront les « années de plomb » très violentes, qui font des centaines de morts et de blessés dans les conflits entre
militants néofascistes et militants de gauche, et les conflits avec la police.
Pendant le même temps, le PCI gagne régulièrement des voix aux élections (il aura jusqu’à plus de 30% des voix, 34,4 en
1976, puis il dépassera la DC en 1982 avec 33,3 % des voix), tandis que la DC stagne ou perd du terrain.
Après la chute d’Allende au Chili le 11 septembre 1973, Enrico Berlinguer, nouveau secrétaire du PCI depuis 1972,
formule à nouveau la proposition d’un « compromis historique » lié à une déclaration d’indépendance vis-à-vis de
l’URSS (« eurocommunisme », condamnation de l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie de 1968, en accord avec le
Parti Communiste espagnol).
Le Centre gauche ne dure que jusqu’en 1976. Des réformes ont été réalisées : loi sur le divorce (loi du 18/12/1970),
confirmée par le referendum d’annulation proposé par la DC et par l’Église, mais qui donne une majorité de 59,1% aux
partisans de la loi, grave échec pour la droite ; la loi sur la famille est réformée en 1975 (sur le modèle de la loi française
de S. Weil), la loi autorisant l’avortement est votée en 1978 (idem).
L’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, principal partisan du compromis dans la DC et président de la DC, en mai 1978,
mirent fin au projet de gouvernement de « compromis » avec le PCI et la DC. Ce fut l’occasion pour l’État d’ écraser le
mouvement autonome : environ 2000 militants d’extrême gauche furent arrêtés, plus de 300 s’exilèrent en France et 200
en Amérique latine. Berlinguer mourut d’une attaque cardiaque le 11 juin 1984. Qu’aurait été l’histoire d’Italie si Moro et
Berlinguer avaient vécu Certainement différente.
Les années ’80 sont en continuité : le XIVe Congrès de la DC ferme la route à toute collaboration avec le PCI, et le 28
novembre 1980, Berlinguer annonce l’abandon de la politique de « compromis historique » au profit d’une politique
« d’alternative de gauche » ; mais le PSI, où Bettino Craxi vient de l’emporter, n’est plus disponible pour cette politique.
Le PSI s’identifie désormais à son nouveau leader, qui dirigera le gouvernement du 4 août 1983 au 17 avril 1987. En
1987, le gouvernement revient à la DC qui perd des voix aux élections. Les attentats et les scandales se multiplient. les 9
et 10 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. On parle de « lottizzazione » (partage du pouvoir d’État en « lots » entre
les partis).
En 1992, ce sera la fin de la DC et du PSI dans l’opération « Mani pulite » (Mains propres), la transformation progressive
du PCI en Parti Démocratique de Gauche (PDS, 10 octobre 1990), puis en Parti Démocrate d’aujourd’hui (PD, en 2007).
Mais c’est le début d’une autre période d’histoire de l’Italie, qui prend fin en 2012, avec la condamnation judiciaire de
Silvio Berlusconi et sa mort politique, et le début de la domination de Mario Monti que nous commençons à expérimenter.
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