4.1.9. Depuis la seconde guerre mondiale : 1. Histoire d’un “compromis historique” (1945-1992)
L’Italie de 1945 à 1992
Histoire d’un « compromis historique »
I. -1943-45 : Écroulement du fascisme et fin de la guerre
1) 10 juillet 1943 : débarquement des Alliés en Sicile. de Rome le 19/07.
Crise interne : Grèves lancées par les militants du PCI contre l’alliance avec l’Allemagne nazie (le Pacte d’Acier avait été signé le 22 mai contre
la défaite militaire (Grèce, etc.) et contre la crise économique qui en est la conséquence.
· Crise politique : Pietro d’Acquarone, Conseiller politique du Roi, et les militaires, qui étaient fidèles au Roi, conseillent d’éliminer le régime
fasciste.
25 juillet 1943 : le Grand Conseil fasciste décide de la démission et de l’arrestation de Mussolini, et de la nomination du Maréchal Badoglio
comme Premier Ministre. C’est la fin du fascisme, marqué par une grande joie populaire. La milice fasciste est aussitôt intégrée dans l’armée
italienne.
2) * Le premier gouvernement Badoglio (25/07/1943-22/04/1944) est un gouvernement de techniciens (2 préfets, 6 fonctionnaires et
2 conseillers d’État) et de militaires (6 généraux), soutenu par les Alliés, dans le but : 1. de maintenir la monarchie, et de sauver l’Italie d’une
éventuelle révolution bolchevique (retentissante interview de Churchill, qui montre que le fascisme a sauvé l’Italie de la révolution en 1922) ; 2. de
sortir du conflit : l’Italie se détache de l’alliance avec l’Allemagne et signe secrètement avec les Alliés l’armistice du 8 septembre 1943.
Cela a deux conséquences : a) L’Italie est coupée en deux, le Nord et le Centre occupés par l’armée allemande, le Sud occupé par les Alliés ; b)
l’armistice est resté secret, l’armée n’a pas été informée tout de suite, et le Roi a fui au Sud. Certains régiments résistent à l’armée allemande et
sont massacrés, d’autres (640.000) sont faits prisonniers.
* Le 12 septembre 1943, Mussolini, emprisonné dans les Abruzzes, est libéré par un commando de SS allemands, et part dans le Nord
pour fonder la R.S.I. (République Sociale Italienne, de Salò, sur le bord ouest du lac de Garde). On appelle ses partisans les « repubblichini »
(diminutif !). La Résistance militaire s’organise, c’est la guerre civile, d’une violence et d’une cruauté extrêmes (les résistants sont considérés
comme « terroristes » et pendus ou fusillés sans jugement dès qu’ils sont faits prisonniers).
* La Résistance est dirigée par six partis : a) les modérés promonarchistes : Démocratie Chrétienne (DC), fondée en 1942 avec des
chrétiens plus progressistes (Alcide De Gasperi, Dossetti) et des conservateurs (Luigi Gedda, militant de l’Action Catholique) ; Parti Libéral
Italien (PLI), fondé en 1943 par Benedetto Croce. b) Les Républicains laïques hérités de Mazzini et Garibaldi, le Parti Républicain Italien (PRI),
dirigés par Randolfo Pacciardi, les frères Rosselli, Pietro Gobetti. c) Les antifascistes révolutionnaires et républicains, le Parti Communiste Italien
(PCI), dirigé par Palmiro Togliatti, et Luigi Longo, allié au Parti Socialiste italien d’Unité Prolétarienne (PSIUP), dirigé par Pietro Nenni, Lelio
Basso et Giuseppe Saragat, le Parti d’Action, ressuscité en 1942 du groupe de Résistance « Giustizia e Libertà », après la brève
existence du parti de Mazzini, républicain et socialiste, dirigé par Ferruccio Parri, Vittorio Foà, Emilio Lussu.
Ces partis formèrent des groupes de résistants très divisés et souvent opposés (voir le roman de Fenoglio, Il partigiano Johnny) ; ils étaient réunis
dans le Comité de Libération Nationale (C.L.N. ) à partir du 9 septembre 1943, et dans le Nord dans le Comité de Libération Nationale Haute
Italie (C.L.N.A.I).
3) * Le tournant de Salerne (« la svolta di Salerno ») : Togliatti, qui est resté en Urss depuis son exil par le fascisme, après des
entretiens avec Staline, est autorisé à rentrer en Italie, où il lance la proposition d’un gouvernement d’union nationale qui reporterait à plus tard le
choix institutionnel, et il rentre dans le second gouvernement Badoglio (22 avril 1944-8 juin 1944), avec la participation des 6 partis du C.N.L.,
communistes compris. Ce gouvernement est reconnu par Moscou. Parallèlement le roi Victor Emmanuel III remet à son fils Humbert II toutes ses
fonctions, et le nomme « Luogotenente Generale del Regno ». 4 communistes participent au gouvernement, dont Togliatti est vice-président.
C’est le premier temps du compromis qui sera l’axe de la politique communiste pendant une grande partie de l’histoire de la
République.
* Rome est libérée le 5 juin 1944, la guerre civile continue dans le Nord, tandis que les Alliés avancent lentement vers le Centre et le Nord.
Le 25 avril 1945 (devenu fête nationale, équivalent de notre 8 mai), les partisans entrent dans les grandes villes du Nord révoltées contre
l’occupation nazie. Le 26 avril 1945, Mussolini est arrêté par la Résistance tandis qu’il tente de fuir en Allemagne ; il est exécuté avec sa
maîtresse Clara Petacci, qui n’a pas voulu le quitter, et 15 hiérarques fascistes, le 28 avril. Leurs corps seront pendus par les pieds devant la
façade d’un garage de la place Loreto à Milan. C’est la fin définitive du régime fasciste ; la fin de la guerre est signée le 8 mai 1945.
Situation de l’Italie en 1945 :
* C’est encore un pays où la paysannerie est majoritaire ; l’agriculture est l’activité dominante jusqu’en
1960 ; même dans le Nord : la Vénétie, aujourd’hui industrialisée, est surtout agricole. C’est aussi un pays de villes
moyennes, donc de petite et moyenne bourgeoisie.
* L’analphabétisme reste important, faible dans le Nord (3% en Piémont) et grandissant à mesure que l’on
descend (11% en Toscane, 23% en Campanie, 32% en Calabre), selon les chiffres du recensement de 1951. Mais
Tullio De Mauro estime à 50% l’analphabétisme réel. La connaissance de la langue italienne est largement concur-
rencée par les dialectes qui restent très vivants, même dans des régions de Nord comme la Vénétie.
* La mortalité infantile est énorme (55%), surtout dans le Sud.
* L’Italie est ruinée par la guerre et par les bombardements : 6 millions de maisons et appartements sont
détruits (énorme problème de logement et nécessité de reconstruction), l’inflation atteint des taux record, donc le
coût de la vie augmente (manque de pain) ; cela veut dire misère, faim, prostitution (les soldats américains
fournissent les clients …), 2 à 3000 suicides par an, etc. Le chômage est très important. Les
routes sont détruites et les communications paralysées. Il y 2 voitures pour 1000 habitants.
* Le patronat veut retrouver son pouvoir dans les entreprises : conflits très durs avec la CGIL, demande
de dissolution des « Conseils de gestion » mis en place avec les syndicats.
* Mais il y a beaucoup d’éléments positifs : en particulier une grande volonté de changement et de
transformation de la société, héritée de la Résistance politique et militaire au fascisme, une foi dans la possibilité de
révolution, un grand dynamisme en particulier culturel (quantité de journaux, livres économiques, théâtre, cinéma :
on relance le Festival de Venise, et c’est l’époque du néoréalisme ; grande créativité littéraire : Elio Vittorini, Cesare
Pavese, Carlo Cassola, Primo Levi, il Politecnico …) et économique.
II.- – 1945-1948 : Comment reconstruire l’Italie ?
Instauration de la République
1) Communistes et Catholiques face à face sous le contrôle américain.
Cette coalition d’union nationale est dirigée par un ex-socialiste, Ivanoe Bonomi, de juin 1944 au 19 juin 1945. La même unité se manifeste sur
le plan syndical : en juillet 1944 se tient à Rome le 1er congrès du syndicat unifié, la Confédération Générale Italienne du Travail (CGIL), qui
rassemble les 3 grands courants syndicaux, catholique, socialiste et communiste et qui intervient aussitôt pour une augmentation des rations de
pain et pour des augmentations de salaires, que la confédération patronale (« Confindustria ») doit accepter ; le 19 janvier 1946 est signé un
accord entre la CGIL et la Confindustria pour un blocage partiel des licenciements.
Un équilibre relatif s’établit donc entre les forces conservatrices ou réactionnaires et les forces révolutionnaires ou progressistes, dans cette
période où il faut reconstruire l’Italie et déterminer quelle sera sa future organisation : République ou Monarchie, Révolution ou simple retour à la
situation antérieure au fascisme (qui n’aurait alors été qu’une « parenthèse »), épuration des cadres fascistes ou continuité politique et
bureaucratique…
On ne saurait oublier l’influence qu’eut sur Togliatti la présence de Franco Rodano (1920-1983), homme politique et philosophe, un des
animateurs du Mouvement des Catholiques Communistes (1943) et de la Gauche Chrétienne (1944-45). C’est lui qui mit Togliatti en contact
avec des représentants catholiques, et durant toute sa vie, ses articles et ses essais furent très écoutés par les dirigeants du PCI dont il était
membre.
Les forces de l’un et l’autre camp sont face à face, doivent travailler ensemble, sous une grande pression internationale : les conférences de
Yalta et Potsdam (février-août 1945) ont réuni les États-Unis, l’Angleterre et l’Union Soviétique pour une réorganisation de l’Europe et du
monde ; en février 1945, les 2 bombes atomiques ont été jetées sur Hiroshima et Nagasaki. Les Etats-Unis ne veulent pas que l’Italie devienne
un pays communiste, et agiront dès qu’ils pourront pour limiter la présence du PCI ; ils veulent que l’Italie soit un très grand marché potentiel
pour les produits américains (ils tentent de détruire Cinecittà pour laisser place libre aux films américains, sous prétexte que c’était une création
fasciste !). Le PCI en est conscient, et cela explique en partie le « tournant » effectué par Togliatti. Et dans l’immédiat on a peur d’une
intervention militaire américaine si le pays évoluait vers un régime communiste. Les Etats-Unis veulent garder un contrôle économique et
politique sur l’Italie, où ils ont de nombreuse bases militaires, et même la Central Intelligence Agency (CIA), créée le 15 septembre 1947, élabore
un plan pour faire de la Sicile un État américain, plus ou moins en rapport avec le « bandit » Salvatore Giuliano, qui a créé en 1945 « l’Armée
Volontaire pour l’Indépendance de la Sicile » (EVIS), qui, en 1947, assassinera des paysans en lutte pour la terre (le 1er mai à Portella della
Ginestra) et incendier des sièges du PCI
Un autre élément de la réalité est la présence du Vatican et de l’Église italienne pour qui l’objectif principal est d’empêcher une victoire
communiste, considérée comme source de problèmes pour l’institution religieuse ; ils interviendront donc avec force, par le biais des paroisses
et de la Démocratie Chrétienne, appelant éventuellement à ne pas voter communiste ou socialiste. En juin 1945, c’est au Vatican qu’est déposé
le fonds de lutte contre le communisme « par tous les moyens » (120 millions de lires) créé par un groupe de patrons (Falck, Valletta de la Fiat,
Costa, Piaggio, Pirelli…) ; le 1er juin 1946, le pape Pie XII lance un appel électoral contre le « matérialisme athée » ; le 7 juin 1947, la « Civiltà
Cattolica », organe des Jésuites, publie un article du R.P. Lombardi (surnommé « le microphone de Dieu » !) appelant à une mobilisation
générale contre le communisme. L’Année Sainte de 1950 voit la proclamation du Dogme de l’Assomption corporelle de Marie au ciel.
Le 5 mars 1946, dans son discours de Fulton, Churchill lance l’idée qu’il y a une « guerre froide » entre l’Est et l’Ouest.
2) L’Assemblée constituante et le referendum.
Le 2 février 1945, le gouvernement Bonomi publie un décret créant le suffrage universel pour tous les hommes et femmes de plus de 21
ans. C’était la première fois que les femmes obtenaient ce droit de vote revendiqué depuis 1881 et soutenu par Maria Montessori, la première
Italienne ayant obtenu un diplôme de médecin.
Le 21 juin 1945, Ferruccio Parri est nommé Premier Ministre d’un gouvernement comprenant les 6 partis de la Résistance. Il dure jusqu’au 10
décembre, date à laquelle il démissionne, et est remplacé par le premier Gouvernement De Gasperi, avec tous les partis antifascistes : ce sera
le premier gouvernement à direction démocrate-chrétienne, sans interruption jusqu’en 1981.
Le 2 juin 1946 est organisé un referendum institutionnel, en même temps qu’est élue l’Assemblée constituante. Le referendum appelle les
électeurs à choisir entre la République et la Monarchie ; il y eut 24.947.187 votants (89% des inscrits de plus de 21 ans, qui étaient au nombre
de 28.005.449) ; au Nord la République l’emporte par 66,2%, tandis qu’au Sud, c’est la Monarchie par 63,8%. Dans l’ensemble du territoire, la
République obtient 12.718.641 voix (54,3%) et la Monarchie 10.718.502 (45,7%). Il y eut 1.498.136 votes nuls.
La République l’avait emporté. Les monarchistes et Humbert II contestèrent la légalité des résultats, et il y eut de violentes manifestations
monarchistes, par exemple à Naples, pour contester la victoire de la République ; finalement Humbert II ne reconnut pas la validité du
referendum et quitta aussitôt l’Italie pour le Portugal, sans jamais abdiquer.
L’Assemblée constituante comprend 204 DC (37,2%), 219 PSIUP et PCI unis (115 PSIUP = 20,7%, 104 PCI =18,7%), 41 UDN (Union
Démocratique Nationale, 7,4%), 30 UQ (Uomo Qualunque, 5,4%), 23 PRI (4,1%), 16 BNL (Bloc National de la Liberté, 2,9%), 7 PdA (1,3%), 13
divers (2,3%). Il y a donc une majorité de partisans de la République. Le 28 juin 1946, cette assemblée élit Président provisoire de la République
Enrico De Nicola, par 396 voix sur 501, au premier tour de scrutin.
L’UDN était essentiellement la représentation du Parti Libéral Italien, comprenant des personnalités comme Luigi Einaudi, Benedetto Croce,
Ivanoe Bonomi, Francesco Saverio Nitti. Le BNL était la représentation des monarchistes avec quelques libéraux. L’élément de droite le plus
nouveau fut l’UQ (L’Homme quelconque), journal et parti fondés par Guglielmo Giannini en décembre 1944 à Rome ; le tirage de la publication
atteignit 850.000 exemplaires en mai 1945. Son slogan est « À bas tout le monde », et sa méthode les calembours sur les hommes politiques :
Calamandrei devient Caccamandrei, etc. Il est à la fois hostile au fascisme, trop centralisateur, et aux antifascistes, hostile au communisme et au
capitalisme, hostile à l’État démocratique et aux impôts, soutien de l’homme de la rue et du petit-bourgeois individualiste. Il disparut en 1948,
laissant dans le vocabulaire le mot « qualunquismo » (= je-m’en-fichisme).
La mentalité n’a disparu … ni en Italie ni en France !…
3) La constitution républicaine, un compromis … historique.
Une des grandes tâches de l’Assemblée constituante fut de rédiger la nouvelle constitution de la République. Ce fut l’objet de
nombreuses discussions, et finalement l’obtention d’un compromis proposé par le PCI. On ne parle pas encore de « compromis
historique », mais c’en est une nouvelle manifestation.
Une commission de 75 membres est élue et commence son travail le 20 juillet. Elle élit son Président, Meuccio Ruini (1877-1970), un juriste
éliminé de la fonction publique par le fascisme, qui participa au C.L.N., ami de Bonomi aux gouvernements duquel il participa ; il eut un rôle
important comme Président de la Commission. Plus tard, il fut Président du Sénat, en 1953, puis Président du Conseil National de l’Économie et
du Travail en 1957.
La commission se divisa ensuite en 3 sous-commissions : Droits et devoirs des citoyens, Organisation constitutionnelle de la République, Droits
et devoirs économiques et sociaux. Le projet de constitution fut présenté à l’Assemblée Constituante le 31 janvier 1947, composé de 131 articles
et de IX dispositions transitoires et finales. Ce projet fut discuté par l’Assemblée du 4 mars au 22 décembre 1947, votée le 22 décembre et
promulguée par le Président De Nicola pour entrer en vigueur le 1er janvier 1948.
La surprise arrive le 25 mars 1947 : on discutait de l’article 7, fallait-il conserver le concordat signé entre l’État fasciste et l’Église catholique le 11
février 1929, fallait-il l’intégrer dans la constitution républicaine ? Le 20 mars, Giancarlo Pajetta, au nom du PCI, avait fait une vive critique très
applaudie du concordat, proposant de revenir à la formule de Cavour en 1860, « Une Église libre dans un État libre ». C’était aussi la position
des Socialistes, des Républicains, des Libéraux, et du Parti d’Action, et seuls la DC et les Monarchistes défendaient le Concordat. Or, Togliatti,
après une rencontre avec Pietro Nenni et Umberto Tupini de la DC « afin de trouver un compromis », dans la séance du 25 mars, fit un discours
très attendu ; il repoussa l’idée que les communistes étaient hostiles aux sentiments religieux, et, au nom de Gramsci, il défendit l’idée que
l’Église et l’État étaient chacun libre et indépendant dans son domaine et que le concordat ne pouvait être abrogé qu’avec l’accord des 2 parties ;
le PCI approuvera donc l’intégration du concordat dans la constitution, afin de garantir l’unité des travailleurs catholiques et des travailleurs
communistes et socialistes. Au nom du PSIUP, Umberto Calosso protesta, déclarant que Togliatti avait donné le spectacle d’un « jésuitisme »
affligeant. L’article fut approuvé par les voix communistes et DC : « 7. L’État et l’Église catholique sont, chacun dans son ordre propre,
indépendants et souverains. Leurs rapports sont réglés par les Pactes du Latran. Les modifications des Pactes, acceptées par les deux parties, ne
requièrent aucune procédure de révision constitutionnelle ».
Voilà un troisième exemple de pratique du « compromis historique ».
En réalité, Togliatti espérait que, en échange de ce cadeau, De Gasperi n’exclurait pas les communistes et les socialistes du gouvernement. Il se
trompait : nous allons voir que cela arriva 2 mois après !
Toute la constitution fut rédigée de façon à pouvoir être acceptée par les communistes et par les démocrates-chrétiens. Ne prenons qu’un
exemple, l’article 1 des Principes fondamentaux : « 1. L’Italie est une République démocratique fondée sur le travail. La souveraineté appartient
au peuple, qui l’exerce dans les formes et les limites de la constitution ». Que lisaient les communistes ? Le « travail » était pour eux « les
travailleurs », le prolétariat ouvrier et paysan, détenteur de la souveraineté. Que lisaient les DC ? Le « travail » était pour eux celui que
définissait la morale chrétienne, jusqu’au corporatisme (négation de la lutte des classes : patrons et ouvriers adhérent ensemble aux
corporations) qui ne déplaisait pas aux néo-fascistes. Tout le monde était content !
Sur un autre plan, le 22 juin 1946, Togliatti, alors Ministre de la Justice, signe le décret d’amnistie pour les délits politiques et militaires, dont les
fascistes seront les principaux bénéficiaires : il n’y aura pas de réelle épuration des cadres fascistes.
4) Le Plan Marshall, la « Doctrine Truman » et l’exclusion de la gauche du Gouvernement. La rupture Est-Ouest, le début de la guerre
froide.
* Le Plan Marshall pour l’Europe. Le 5 janvier 1946, De Gasperi part aux USA pour négocier un plan d’aide économique en
échange d’une exclusion des communistes du gouvernement. Le 12 mars, le Président Truman fait un discours expliquant que les USA aideront
politiquement et économiquement les pays menacés par le communisme. C’est après ce discours que Togliatti approuvera l’intégration du
Concordat dans la Constitution pour montrer que le communisme n’est pas une menace. Parallèlement, se déroulent en Italie de nombreux «
miracles » de statues de la Vierge qui pleurent face à la menace communiste, et la « Peregrinatio Mariae » qui s’achève à Naples dans une
grande manifestation de foules que l’on appelle à la lutte contre le communisme.
En avril, Allen Dulles, futur directeur de la CIA, appelle les USA à prendre l’initiative de la lutte contre les communistes sans y être invités par les
gouvernements. En mai, De Gasperi déclare que l’on ne peut pas gouverner sans tenir compte du « quatrième parti », la Confindustria et le
capital bancaire, et le 31 mai il forme son quatrième gouvernement dont il a éliminé le PCI et le PSIUP, avec l’appui extérieur de l’Uomo
Qualunque. Le 5 juin, on annonce la mise en place du Plan Marshall, qui sera refusé par l’URSS et par les pays d’Europe centrale qui vont
devenir communistes (coup d’État du Parti communiste tchécoslovaque qui s’empare du pouvoir). Churchill invente l’expression du « rideau de fer
» mis par les Soviétiques sur l’Europe de l’Est.
* Les deux « camps » s’organisent. D’un côté, les partis communistes se coordonnent dans le Kominform créé le 5 octobre
1947, en remplacement de l’Internationale Communiste dissoute en 1943 ; en Italie, le PCI et le PSI s’unissent dans un Front Populaire, la
scission de la droite du PSI s’est réalisée en janvier 1947 (« La Critica Sociale » de Giuseppe Saragat, et « Iniziativa socialista » de Matteo
Matteotti, fils de Giacomo Matteotti, forment le Parti Socialiste Démocratique Italien, PSDI). Une scission identique intervient dans l’Association
nationale de Partisans d’Italie : le courant catholique, dirigé par Enrico Mattei la quitte pour former la Fédération des Volontaires de la Liberté.
Bientôt la CGIL connaîtra une double scission, celle des catholiques qui créent la CISL (Confédération Italienne des Syndicats de Travailleurs),
puis les sociaux-démocrates et républicains qui créent la FIL (aujourd’hui UIL, Union Italienne du Travail). Les partis de gauche se prononcent
pour la neutralité internationale de l’Italie. Le PCI a environ 2 millions d’adhérents, le PSI 700.000
* La droite catholique s’organise de son côté, fortement appuyée par le Vatican (appel de Pie XII le 28 mars 1948) et par les
évêques italiens, encouragés par l’assassinat de quelques prêtres réalisé par des militants communistes ex-partisans. En février 1948 se forment
au nombre de 18.000 les « Comités Civiques » promus par l’Action Catholique de Luigi Gedda en vue de combattre les communistes lors de la
prochaine campagne électorale. C’est une véritable croisade anticommuniste qui est lancée par l’Église. La DC a environ 2 millions d’adhérents.
L’armée fiche les éléments « dangereux » de gauche et le Ministre de la Défense, le républicain Randolfo Pacciardi déclare en octobre 1947
qu’il faudra « arrêter 300 communistes et socialistes pour neutraliser la gauche ».
* Le 14 juillet 1948, Togliatti est gravement blessé dans un attentat commis par un extrémiste de droite, Antonio Pallante ; une
révolte populaire gronde, une grève générale est déclarée spontanément, les ex-partisans sortent les armes dissimulées après la Libération et la
base est prête à une action révolutionnaire, les affrontements avec la police se produisent parfois, mais De Gasperi a donné des ordres de
modération. La direction du PCI ne se décide pas à appeler à une insurrection, dont il pense qu’elle aurait été balayée. La victoire de Gino Bartali
au Tour de France cycliste aidera De Gasperi à ramener le calme. Le 16 juillet, Mario Scelba, Ministre de l’Intérieur DC, accuse les communistes
de tentative d’insurrection.
* Et puis, il y a l’action directe de l’administration américaine, qui a envoyé 400 navires de commerce et de guerre dans les
ports italiens, et qui met en œuvre sa supériorité technique dans la communication de masse, pour convaincre les Italiens qu’une victoire
électorale du Front Populaire serait une catastrophe économique. C’est alors que se réalise l’alliance de l’armée américaine avec la mafia
sicilienne, par le biais des deux boss Lucky Luciano, libéré de prison, et Meyer Lansky ; la plupart des maires mis en place par l’armée
américaine sont des mafieux libérés de prison : c’est le début d’une longue histoire de compromission de l’État italien avec les
organisations mafieuses. C’est Allen Dulles, alors chef des services secrets américains en Italie, qui couvre cette opération, en même temps
qu’il coordonne tous les organes de lutte anticommuniste, la franc-maçonnerie, le Vatican, les anciennes structures fascistes et nazies, le bandit
Salvatore Giuliano en Sicile. Sont publiés des rapports alarmistes laissant croire que les communistes et les socialistes préparent la révolution. On
prépare une clandestinité militaire qui interviendrait au cas où la gauche gagnerait les élections ; même le Vatican, où agit un prêtre américain
membre de la franc-maçonnerie et ex-agent de l’OSS, Franck Gigliotti, met en place des organisations comme le « Macri » (Mouvement
Anticommuniste Catholique pour la Reconstruction Italienne), structure paramilitaire financée par l’Intelligence Service américaine. On installe des
hommes de la mafia qui seront plus tard au cœur de la vie politique, Michele Sindona, Licio Gelli, Mino Pecorelli, etc.
Il faut insister sur ce fait que les Américains et les gouvernements de droite organisent dès le lendemain de la guerre des réseaux paramilitaires
clandestins destinés à combattre une éventuelle invasion soviétique, qui influenceront la vie politique européenne et qui resteront secrets, en
liaison avec les services d’espionnage nationaux. En Italie, le réseau « Gladio » (le glaive) ne fut révélé qu’en 1990 par Giulio Andreotti ; il
agissait avec la loge paramaçonnique néofasciste « P2 » (Propaganda 2, dont Silvio Berlusconi était membre), dirigée par Licio Gelli, et aura
sans doute des responsabilités dans les attentats commis à partir de 1969 et dans la pratique de la « stratégie de la tension », dont nous
parlerons plus loin.
Mais le 18 avril 1948, la gauche perd les élections : la DC obtient 48,5% des voix, le Front Populaire 31%.
On entre dans une longue période de conflit, qui repousse de quelques années la politique de « compromis historique » entre les
communistes et la DC. Au fond la DC n’a accepté le principe du « compromis » que lorsqu’elle y a été obligée par un rapport de forces
équilibré. Mais bientôt la pression américaine et l’appui du Vatican la conduisent à jouer la carte de sa domination sur les forces de
gauche. Elle y parviendra pour un temps, au prix de compromissions (mafia, organismes de lutte clandestins…) qui causeront à terme
sa perte.
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