4.2.16. Puglia : La Pouille : la malattia degli olivi
Au chevet des oliviers du Salento , Le Temps, 17/04/2015
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Les oliviers centenaires de la région du Salento, dans le sud de l’Italie, sont frappés
par une mystérieuse épidémie qui laisse présager du pire pour l’avenir de ces
symboles de paix et de longévité.
Pour la communauté scientifique, la responsable se nomme Xylella fastidiosa, une
bactérie qui infecte l’arbre et le fait « étouffer », provoquant son dessèchement
jusqu’à sa mort. En réponse, les autorités italiennes prévoient d’abattre des
dizaines de milliers d’arbres potentiellement infectés et de répandre herbicides et
pesticides dans la région.
Cette issue, un nombre croissant d’habitants du Salento la refusent. Cultivateurs,
agronomes ou simples citoyens, ils veulent sauvegarder l’emblème de leur région.
Le Temps est allé à leur rencontre.
Les habitants du coin le nomment Il Re, le roi. Un arbre si large qu’il faut une bonne vingtaine de foulées pour en faire le
tour. Vu de loin, on dirait un baobab, enraciné dans ce sol sec et poussiéreux couleur terre de Sienne. Il se dit par ici qu’il
pourrait avoir plus de mille ans. Alors quand le tracé d’une nouvelle route l’a menacé d’abattage l’an dernier, une
association s’est mobilisée pour le protéger. Et les ouvriers ont été priés de décaler leur tracé. C’est qu’on ne plaisante
pas avec les oliviers du Salento, cette région des Pouilles qui constitue le talon de la botte italienne. Plus qu’une source
de revenus, ces arbres vénérables sont intimement liés à l’identité de la région et de ses habitants. Hélas, une menace
bien plus grave que n’importe quelle construction pèse en ce moment sur ces symboles de paix et de prospérité.Tout a
commencé il y a quelques années, en 2013 officiellement, bien que certains assurent avoir eu des arbres malades à partir
de 2007 ou 2008. Normalement épanouis dans un climat sec, les oliviers ont commencé à souffrir de dessèchement
spontané (« dessicamento spontaneo »). Les scientifiques parlent du syndrome de dégénérescence précoce de l’olive.
La responsable serait une bactérie, Xylella fastidiosa, que des chercheurs de l’université de Bari ont récemment identifiée
dans des échantillons d’oliviers malades. Lorsqu’elle contamine un arbre, Xylella s’installe dans le xylème, la partie du
bois où circule la sève. Au fur et à mesure qu’elle prolifère, elle obstrue ses vaisseaux, empêchant l’eau et les minéraux
de circuler. Résultat, l’arbre se flétrit puis finit par mourir comme par étouffement. La maladie se propage ensuite grâce à
des insectes tels que la cicadelle, une sorte de sauterelle qui transmet la Xylella aux arbres dont elle suce la sève.
L'arrivée de la Xylella sur le Vieux Continent ne présage rien de bon
Si Xylella est bien la responsable de la maladie des oliviers, alors il y a de quoi s’inquiéter. Car ce microorganisme est
connu des scientifiques, et pas en bien : elle ravage les vignes californiennes depuis la fin du XIXe siècle et a peu à peu
contaminé tout le continent américain, provoquant à chaque fois d’irréversibles dégâts sur les citronniers, lauriers-roses,
caféiers et autres cultures. La découverte de son arrivée sur le Vieux Continent ne laisse donc rien présager de bon.
Comment a-t-elle pu débarquer dans le Salento? D’après l’enquête menée par le parquet de Bari, deux hypothèses se
dégagent. La première : Xylella serait arrivée cachée dans le tronc de certaines plantes ornementales importées
d’Amérique centrale. La seconde : elle aurait légalement traversé l’Atlantique pour être étudiée lors d’un atelier
scientifique de l’Institut agronomique méditerranéen à Bari en 2010.
Quoi qu’il en soit, la terrible bactérie est bien présente dans le Salento. Inconscientes de la gravité de la situation, ou
préférant l’ignorer, les autorités régionales ont tardé à réagir. Dans ce climat confus propice aux informations
contradictoires, l’Italie a finalement produit un plan de lutte dont la pierre angulaire est l’abattage de milliers d’oliviers
infectés, ainsi que l’épandage massif de pesticides et d’herbicides pour limiter la propagation des insectes vecteurs. Sur
les quelque 50 millions d’oliviers qui pousseraient dans toutes les Pouilles, le gouvernement a d’abord prévu d’en couper
un million, avant de ramener ce nombre à une fourchette plus réaliste, de 10 000 à 35 000 arbres. Les 7 premiers sont
tombés le 13 avril, malgré la résistance sur place de quelques activistes.
Giuseppe Silletti, Commissaire extraordinaire en charge de la lutte contre l'épidémie
Le Temps: Pourquoi est-il si important d’abattre les oliviers ? N’y a-t-il aucun moyen de les soigner?
Giuseppe Silletti: Les abattages des oliviers, que nous limiterons tant que possible, sont le seul moyen de combattre
l’épidémie. Associées à de bonnes pratiques agricoles destinées à garder un sol propre, elles permettent de détruire les
réservoirs de Xylella fastidiosa.
- Comment choisissez-vous les arbres à abattre ?– La loi stipule que les arbres montrant des symptômes visibles de la
maladie doivent être abattus. Des tests génétiques pour identifier la bactérie sont en outre effectués en laboratoire à
partie d’échantillons provenant de ces arbres, mais aussi de tous ceux plantés dans un rayon de 200 mètres. ils sont
effectués par les services phytosanitaires régionaux.
- Combien d’arbres comptez-vous vraiment abattre ?– Pour l’instant il est impossible de le savoir, le nombre final ne sera
connu qu’après les interventions. Mais il sera de toute façon bien moins élevé que le nombre d’arbres que nous abattons
chaque année à la demande des propriétaires des provinces de Lecce et de Brindisi.
L'olivier, plus qu'un symbole
« Ces arbres, c’est la plus belle chose jamais sortie de cette terre rouge. Et regardez où nous en sommes », lâche,
accablé, Antonio Provenzano, en inspectant ses oliviers. De leur feuillage, il ne reste plus que quelques branches encore
en vie. « J’essaie d’élaguer les branches malades, mais ce sont plus des soins palliatifs qu’autre chose, ajoute cet
oléiculteur de 48 ans. De mémoire d’homme, on n’a jamais vu ça. » La situation est encore plus critique chez son voisin,
dont les oliviers n’ont plus la moindre feuille. Laissés tels quels, sans aucun entretien, leurs troncs hirsutes les font
ressembler à des décors de film d’horreur. A voir un tel spectacle, on se croirait en plein hiver. Sauf que le soleil brille fort
en cette journée d’avril et qu’à cette époque de l’année, ces oliviers sont censés afficher un feuillage dense, d’un joli vert
argenté.
« Celui-là, je l’appelle le pied de mammouth », dit Antonio Provenzano en désignant un gros olivier qui rappelle
effectivement la patte du pachyderme. Planté devant le chantier de sa maison, il semble accueillir les visiteurs. Antonio
plonge les mains dans ses poches et retrace les événements. Pour lui, tout a commencé l’année dernière, dans son
oliveraie d’une centaine d’arbres. En plein hiver, il constate que des branches sont desséchées, sans en comprendre la
cause. Les oliviers de son voisin sont également concernés. Puis l’été arrive et avec lui les insectes vecteurs de la
maladie. Le dessèchement s’intensifie. Vite, il élague les branches mortes. Mais la maladie progresse inexorablement.
Couper ses oliviers ? Impensable pour lui qui tient cette passion de son père, lui-même oléiculteur. «Sans mes oliviers,
tout ça n’en vaut plus la peine, lâche-t-il en montrant du menton le chantier de sa future maison jouxtant son oliveraie.
Tant qu’il leur restera ne serait-ce qu’un seul rameau en vie, je les protégerai, même si je dois m’y enchaîner».
Domenico Bosco Professeur d'entomologie agricole à l'Université de Turin
Le Temps: Faut-il s’attendre à une progression de l’épidémie qui frappe les oliviers italiens ?
Domenico Bosco: Malheureusement oui. Des prélèvements viennent de mettre en évidence un nouveau foyer dans la
province de Brindisi, à environ 30 km au nord de la première zone infectée. A cela s’ajoute la découverte de nouvaux
foyers de maladie au sein mêmme de cette zone initiale.
- La maladie est connue depuis plus d’un siècle. Pourquoi est-il si difficile de trouver un traitement ?
– Parce que les outils dont on dispose ne sont pas adaptés. On ne peut pas faire grand chose contre des bactéries
s’attaquant aux cultures. Les antibiotiques sont à proscrire, car utilisés à telle échelle, de nombreuses résistances
apparaitraient certainement. Quant aux produits à base de cuivre, utilisés contre les champignons, ils limitent au mieux la
progression des bactéries, mais ne les éradiquent pas.
- Que peut-on faire?
– La seule option restante, c’est de faire de la prévention. Xylella étant transmise par des insectes, on peut essayer de les
contrôler, par exemple en arrachant les herbes abritant leurs larves, ou en utilisant des pesticides pour tuer les adultes.
- L’abattage des oliviers est-il inéluctable ?
– je crains que l’élagage ne suffise pas et qu’il faille non seulement arracher les oliviers malades, mais aussi les autres
arbres concernés par la maladie, tels que les amandiers, les cerisiers, certains lauriers-roses… Si nous ne le faisons pas,
les insectes continueront à propager la Xylella et l’épidémie sera hors de contrôle.
- Les pesticides ont-ils un intérêt dans ce cas précis ?
– Je suis d’accord, ce n’est pas la solution la plus populaire. Mais les insecticides ont déjà prouvé leur efficacité sur des
maladies associées à la Xylella en Amérique. Et l’olivier étant pollénisé par le vent, le risque d’empoisonner des insectes
pollinisateurs est somme toute assez faible si les produits sont correctement appliqués.
Au delà de ses projets personnels fortement remis en question, c’est tout le sort des Pouilles qui l’inquiète. Avec 40% de
la production totale d’huile d’olive italienne, la région, déjà très pauvre, se retrouverait dans une situation économique
catastrophique. Symboles de paix et de longévité, surnommés l’or vert des Pouilles, les oliviers sont aussi et surtout partie
intégrante de l’identité de la région. Leur disparition serait vécue comme un traumatisme. « Vous ne pouvez pas vous
rendre compte à quel point ce serait un drame pour toutes les Pouilles », résume l’oléiculteur.
A l'écoute des arbres malades
Une telle hécatombe signerait en outre la fin d’un mode de culture traditionnel très ancré dans le Salento. C’est du moins
ce que redoute Tina Minerva, militante au sein de l’association d’agriculteurs bio Spazi Popolari. Emmitoufflée dans sa
doudoune noire malgré les vingt degrés, elle villipende la mauvaise gestion de l’épidémie, avec de vifs gestes des mains.
« C’est à se demander si il n’y a pas une volonté de tuer ces oliviers », s’emporte-t-elle en rappelant que la disparition de
nombreux petits oléiculteurs ne ferait pas que des malheureux. Elle cite notamment la Coldiretti, la plus grande
confédération italienne des agriculteurs, partisane selon elle d’une agriculture industrialisée, ou encore les firmes
agrochimiques, pour qui ce nouveau fléau constitue avant tout un nouveau marché. Alors l’abattage et les produits
chimiques, Tina ne veut pas en entendre parler. Elle est persuadée qu’il est possible de faire reculer l’épidémie avec des
méthodes respectueuses de l’environnement, et tient à nous le prouver.
Le coeur de la zone infectée, quelque part entre Gallipoli et Sannicola, n’est que sécheresse et désolation. Tina nous
emmène droit vers un oasis de verdure qui résiste effrontément à la maladie. Les oliviers y vivent en pleine forme. Par
quel miracle? Experte en agronomie, la jeune femme explique que depuis janvier 2014, ces arbres sont traités « avec des
pratiques agricoles adaptées ». Les herbes dans lesquelles pondent les cicadelles sont arrachées, les branches des
oliviers ne sont jamais coupées au-delà d’un certain diamètre pour préserver la vigueur des arbres, et des espèces dites
symbiotiques sont plantées près des racines pour favoriser leur coopération mutuelle. Exemple, des pieds de fèves qui «
enrichissent le sol en azote et décompactent la terre autour des racines. » Tina Minerva insiste : il n’y a dans ces
pratiques rien de nouveau, tout au plus s’agit-il d’usages oubliés ou négligés.Les hommes reviendront le lendemain pour
injecter dans la terre des microorganismes bénéfiques pour l'olivier. Si tout se déroule comme prévu, l'arbre peut être
rétabli en 4 à 5 mois
« Nous n’avons pas la science infuse, nous essayons simplement de soigner ces oliviers, explique Tina Minerva. Le
gouvernement, lui, n’a qu’une idée en tête: éradiquer la Xylella, alors qu’on ne sait même pas si c’est elle la responsable
de la maladie ». C’est là un autre point de désaccord majeur avec les autorités: s’appuyant notamment sur des travaux
d’agronomes de l’université de Foggia, ainsi que sur des résultats d’analyse microbiologique, elle estime que la maladie
ne serait pas due à une bactérie, mais à un champignon. Une information qui pourrait changer la donne, car cela
changerait complètement la stratégie à adopter. Ayant pris connaissance de ces éléments nouveaux, l’Autorité
européenne de sécurité des aliments s’est d’ailleurs engagée à publier un nouveau rapport scientifique sur la maladie d’ici
fin avril.
Alors, bactérie ou champignon? C’est une bataille des mots qui a commencé entre les autorités et les opposants. Les
premiers ne parlent que d’épidémie de Xylella. Les seconds désignent la maladie par son nom scientifique ou Codiro
d’après l’abréviation italienne, sans aucune allusion à sa cause supposée. C’est pour faire passer le message et
défendre le patrimoine des Pouilles que l’association « Spazi Popolari » organise régulièrement des soirées où elle
explique au public sa propre vision des faits, non sans dénoncer la stratégie officielle.
C’est le cas ici à Guagnano, à une vingtaine de kilomètres de Lecce, capitale de la province. Environ 60 personnes ont
répondu présent à cette réunion d’information organisée dans le Museo del Negroamaro, en fait une cave réaménagée en
musée dédié au cépage local. Le président de « Spazi Popolari », l’oléiculteur bio Ivano Gioffreda, est de retour de
Rome où il est allé plaidé la cause des oliviers. Bon prêcheur, il se laisse emporter par son discours et marque des
pauses pour laisser place aux applaudissements de l’auditoire.
Pour lui, les chercheurs en charge d’étudier l’épidémie de sont pas indépendants et sont soumis aux autorités régionales
des Pouilles. « Les scientifiques ne viennent jamais voir nos résultats sur le terrain », déplore-t-il. « Si j’organise ces
réunions, c’est pour informer le public que la Xylella est une fraude contre la Communauté Européenne. » Selon
l’oléiculteur, la région des Pouilles aurait en effet intérêt à exagérer l’impact de la Xylella afin d’obtenir un maximum de
compensations financières de la part de Bruxelles. Une thèse difficile à vérifier, mais Ivano Gioffreda rappelle que le sud
de l’Italie n’en serait pas à sa première magouille du genre.