Marche : Les Marches
Il est difficile de faire un résumé de l'histoire des Marches. Le pluriel du nom
indique bien que cette région se constitue peu à peu en unité administrative à la suite
d'un long processus d'unification d'un plus grand nombre de petites villes ou de petits
Etats. Le terme de « Marches » n'est d'ailleurs employé qu'à partir de 1815 dans les
actes officiels, mot d'origine germanique (Mark = territoire, région) qui remonte à
l'époque féodale, quand, à l'imitation des territoires de frontière de l'empire de
Charlemagne, on appela « Marches » une région de frontière généralement gouvernée
par un « Marquis » (Le Marche, un marchese). Par contre, depuis longtemps, la
population était bien identifiée comme « Marchigiani » (Cf Dante, Divine Comédie,
Purg., V, 69 : « Quel paese / che siede tra Romagna e quel di Carlo » = Cette région
située entre Romagne et le règne de Charles (Charles II d'Anjou qui gouvernait alors les
Marches). Dès 969 existaient plusieurs « marches » entre Apennin et Adriatique.
Pendant la Préhistoire, les Marches étaient habitées par des
chasseurs qui habitaient dans des grottes. Des découvertes
récentes permettent de faire remonter le peuplement de la région
à plus de 100.000 ans (paléolithique inférieur) : des bifaces,
parfois sculptés en figures de femmes nues ou en têtes de chien
ont été retrouvées en 1963. Plus tard, vers 5000 av.J.C., il y eut
une population pacifique d'agriculteurs et d’éleveurs à laquelle se
substituent vers la fin du IIIè millénaire av.J.C. des groupes de
marchands-guerriers de la région égéenne, qui apportent les
métaux ... et les armes. Au IIè millénaire arrivent aussi des
populations d'origine villanovienne (âge du bronze et du fer), qui
continuent cependant à polir des silex et qui fabriquent des
céramiques noires et brillantes.
De l'âge du fer, la civilisation la mieux connue est celle dite
des « Piceni », qui donnent leur nom à la Vè région de l'Italie d'Auguste. Leur nom
serait celui de populations sabines émigrées, qui auraient eu comme emblème un
pic, oiseau consacré à Mars, sorte de totem faisant des Piceni « les hommes du
pic »; une autre étymologie fait remonter le nom au « pix » italique qui était l'ambre
produite ou travaillée dans la région. Les Sabins auraient émigré suite à un «
printemps sacré », voeu public par lequel on consacrait à la divinité les enfants à
naître au printemps suivant : devenus adultes, parce que consacrés aux dieux, ils
ne feraient plus partie de la communauté et seraient bannis de la patrie. On ne
connaît pas beaucoup de choses de cette civilisation, sinon par les nécropoles
(VIIIè-Vè s.), où on retrouve des armes offensives et défensives et des chars de
combat, et par de rares inscriptions qui donnent une idée vague de la langue des
Piceni qui ne semble pas d'origine indoeuropéenne et fait apparaître des traces
d'étrusque et de grec (inscription bilingue de Pesaro).
Au début du IVè s. av.J.C., en -387, s'installe une colonie de grecs venus de Syracuse qui resserre les liens de la région
avec les Grecs et fonde la colonie de Ankon, l’actuelle Ancona ; de la même époque date une invasion de Gaulois Senoni qui
s'installent au nord de l'Esino (cf carte).
Les Romains firent d'abord alliance avec les Piceni dans les guerres contre les Etrusques, les Gaulois, les Samnites, les
Sabins et les Ombriens, mais après les victoires de -295 (Bataille de Sentino) et -290, ils exercent sur leurs alliés une telle
pression économique et politique que les Piceni se révoltent à partir de -269, suscitant une guerre civile qui dure jusqu'à
l'occupation de la région par Jules César, qui assigne les terres à ses vétérans. C'est Auguste, puis Hadrien qui organisent le
territoire en Vè Région, ensuite divisée en provinces. La via Flaminia y fut installée en 220, et plusieurs villes furent fondées à
partir de -264.
La région est dévastée par les invasions barbares (destruction des villes par Alaric) puis par les guerres entre Goths
(Érules guidés par Odoacre, puis Ostrogoths et Visigoths) et Byzantins (535-553) qui l’emportent en 552 et toute l’Italie
retombe sous l’autorité de l’empereur Justinien ; les habitants fuient vers les collines ; les sièges épiscopaux, existants depuis
le 1er s. avec la pénétration du christianisme le long des voies consulaires, disparaissent avec les villes. L'invasion lombarde
en 568 contraint les Byzantins à se réfugier au nord de l'Esino, renforçant ainsi la coupure de la région entre nord et sud du
fleuve. Pépin le Bref et Charlemagne sont vainqueurs des Lombards et donnent la partie septentrionale du territoire aux
pontifes romains, créant ainsi les États de l’Église.
Le nom de « Marca » apparaît au Xè s. avec la dynastie impériale des Othons et les Marches sont alors prises dans les
luttes entre l'Empire et la Papauté. En 1155, Frédéric Barberousse donne en vicariat la Marche d'Ancône au condottiero, le
comte Bonconte I di Montefeltro dont la famille en garde la Seigneurie jusqu'en 1508 pour la céder aux Della Rovere jusqu'en
1631 puis à la gestion directe par le Pape. Le sud des Marches est au contraire pris dans une histoire compliquée de luttes
permanentes entre les communes libres et entre les factions à l'intérieur de chaque ville, jusqu'au XVè s. et au-delà. Ancona
devient à cette époque une importante République maritime
L'art du moyen-âge est surtout marqué par l'architecture religieuse, synthèse d'influence orientale, byzantine et
lombarde : le christianisme pénètre en effet par l'orient (la situation géographique des Marches en a toujours
fait une terre de frontière ouverte au trafic et aux influences culturelles) aussi bien que par la plaine du Pô. Plus
tard, le courant franciscain introduit dans la région l'influence de Giotto (Pietro da Rimini, Giovanni Baronzio...)
et un modèle de Croix peintes (Carlo da Camerino, 1396). Le gothique international se manifeste avec des
peintres comme Jacopo et Lorenzo Salimbeni (Vers 1400-1420. Oratoire de S.Giovanni à Urbino), le courant
venu de Venise (Jacobello del Fiore, 1370-1439), de l'Emilie (Antonio Alberti da Ferrara, v. 1400-1449) et de la
Dalmatie (Giorgio da Sabenico).
La grande période de l'histoire d'Urbino est celle de la domination des Montefeltro auxquels le pape Eugène IV confère la
dignité ducale en 1444. En 1474, Frédéric de Montefeltro est nommé Gonfalonier de l'Eglise par Sixte IV. Après son fils
Guidobaldo, la dynastie passe aux Della Rovere dont le dernier représentant, Francesco Maria, meurt sans héritier en 1631.
Urbain VIII envoie alors dans l'Etat le premier Légat pontifical en la personne de son frère, Antonio Barberini.
C'est surtout dans le nord de la région que se développe l'art de la Renaissance, à la cour des Montefeltro à
Urbino, et des Sforza à Pesaro, qui créent des cours brillantes et raffinées accueillant de nombreux artistes qui
représentent la nouvelle culture toscane (contraste avec la tyrannie brutale des Malatesta à Rimini). Frédéric
d'Urbin représente un prince de type nouveau, grand condottiere, chef de guerre et grand stratège, en même
temps que mécène et artiste qui devient un modèle de seigneur de la Renaissance. Le Palais ducal d'Urbino est
l'emblème de cette culture ; il fut l'objet de tous les soins de Frédéric et vit passer les plus intéressantes
personnalités artistiques du Quattrocento, Luciano Laurana (architecte venu de Dalmatie, 1430-1502),
Francesco di Giorgio Martini (architecte militaire de Sienne, 1439-1502), Piero della Francesca (de Sansepolcro,
1415-1492), Paolo Uccello (de Florence, 1397-1475), peut-être Botticelli (de Florence, 1445-1510) et Melozzo da
Forlì (1438-1494), mais aussi les épigones de la culture gothique, Juste de Gand (flamand, à Urbino de 1471 à
1480) et Pierre Berruguete (espagnol, 1450-1506), des humanistes comme Vespasiano da Bisticci. C'est à Urbino
que se forment Bramante (1444-1514) et Raphaël (1483-1520), fils du peintre Giovanni Santi (ou Sanzio). Il faut
noter aussi la présence dans la région de Luca Signorelli (1441-1523) que l'on retrouvera à Orvieto, et du
vénitien Carlo Crivelli (1430-1500) dans le sud de Marches : Venise reste toujours pour les Marches un pôle
d'attraction ; Urbino fait des commandes au Titien vers 1530 et d'autres villes à Lorenzo Lotto.
Après la chute des Montefeltro, le Palais ducal est encore agrandi et complété par Girolamo Genga (architecte,
1476-1551) et par le décorateur Federico Brandani (1525-1575) qui réalise les stucs du palais. Les peintres
Taddeo et Federico Zuccari (1529-1566) d'Urbino feront carrière à Rome. Urbino voit encore naître Federico
Barocci (1535-1612), peintre maniériste tourmenté.
Au XVIIIè s., les Marches participent activement au mouvement des Lumières : traités philosophiques (le Comte Nicola
Graziani), traités d'agriculture (don Antonio Tocci, Luigi Riccomanni), propositions de réformes constitutionnelles (Abbé
Fortunato Benigni), recherches sur l'histoire de la région (Abbé Giuseppe Colucci). Les idées jacobines se développent, mais
l'invasion française de 1797 retourne les populations contre les Français et provoque « l'insorgenza » de 1799 (pillage et sac
des villes par les troupes françaises, déportations, condamnations à mort). Rendues à l'Etat pontifical (Pie VII) après la
bataille de Marengo (14 juin 1800), les Marches sont intégrées dans le Royaume d'Italie en 1808 pour revenir au Pape en
1815, après la victoire de l’armée autrichienne sur les troupes du maréchal Joachim Murat (Bataille de Tolentino en mai
1815).
Les Marches n'ont pas à proprement parler d'art baroque ; l'architecte Luigi Vanvitelli (de Naples, 1700-1773)
représente plutôt un goût néoclassique. Vincenzo Ghinelli (1792-1871) relie le Palais ducal d'Urbino à la ville et
édifie la grande masse du Théâtre Sanzio au pied du Palais. Camillo Morigia (1743-1795) réalise la façade de la
Cathédrale d'Urbino dont l'intérieur est refait par Giuseppe Valadier (de Rome, 1762-1839). Un des grands
peintres baroques locaux fut Pasqualino Rossi (1641-1722). Plusieurs grands musiciens naissent dans les
Marches, Rossini, Spontini, Lanzi, mais ils poursuivent en général leur carrière dans d’autres régions, à cause
du manque de centre culturel important dans la région.
Le style Liberty s'affirme à Pesaro avec l'architecte et céramiste Ruggeri (début XXè s.).
De nombreux volontaires des Marches participent au mouvement révolutionnaire des Carbonari et aux soulèvements de
1820-21, 1831-2 (développement du mouvement « La Giovine Italia »). Avec l'élection du Cardinal Giovanni Maria Mastai
Ferretti au pontificat en 1846 (Pie IX), les libéraux soutiennent pour un temps le mouvement néo-guelfe qui se proposait de
réaliser l'unité italienne sous l'égide du pape. Mais la révolution de 1848 et la proclamation de la République romaine en 1849
retournent la situation ; les Marches sont occupées par l'armée autrichienne à partir de 1849 jusqu'en 1857. L'entrée des
troupes piémontaises dans les Marches le 11 septembre 1860 est préparée par le travail souterrain de sociétés libérales
modérées comme la « Société Nationale italienne » ou les garibaldiens « Chasseurs des Alpes ». L'annexion au Royaume
d'Italie ne fait pourtant jamais disparaître la tradition républicaine, à travers des sociétés ouvrières marquées par la pensée de
Giuseppe Mazzini ; l'action du parti socialiste se combine ici avec une tradition catholique marquée par la prédication des
« Spirituels » franciscains et des Capucins, plus proches des masses populaires. Les « fraticelli » franciscains s’étaient
souvent réfugiés dans les Marches après leur condamnation par le Pape Jean XXII en 1317, parce qu’ils soutenaient que le
Christ et les Apôtres ne possédaient rien ni en propre ni en commun. C'est des Marches que viennent deux personnalités
déterminantes des courants les plus avancés de la première Démocratie Chrétienne : Filottrano Vincenzo Ottorino
Gentiloni (1865-1916) (auteur du pacte de 1913 qui réintègre les catholiques dans la vie politique italienne) et Romolo Murri
(un des fondateurs de la D.C.).
La région tombe sous le contrôle fasciste dès 1922 ; le régime fasciste y installe même un camp de concentration à Serra
San Quirico. La résistance antifasciste se développe dans cette région qui se trouve sur la « ligne gothique » qui sépare les
troupes allemandes des troupes alliées ; la région n’est libérée qu’en septembre 1944.
Les Marches trouvent leur assise administrative définitive en 1861. L'économie de la région reste surtout agricole.
L'industrialisation ne se développe qu'après la seconde guerre mondiale. Prise entre le Nord et le Sud de l'Italie, la région n'a
bénéficié ni des crédits de la Caisse pour le Midi ni de la richesse des régions septentrionales, et elle a dû procéder à son
développement par ses propres forces, avec une grande capacité d'initiative, devenant du même coup une véritable région, et
non plus seulement un ensemble de ces petites villes qui avaient fait jusqu'alors l'histoire des Marches. C'est la région d'Italie
qui a le taux le plus bas de criminalité. Elle a développé un fort secteur alimentaire (dont ses vins : Verdicchio, Rosso Conero,
Rosso Piceno, Bianchello del Metauro, ecc.), chimique et pharmaceutique, pétrochimique et manufacturier (meubles, tabac,
papier de Fabriano…)
En septembre 1997, un tremblement de terre secoue l’Ombrie et les Marches et cause beaucoup de dégâts. En 2004, est
instituée une nouvelle province, celle de Fermo, mais en 2009, le territoire de la Haute vallée du fleuve Marecchia est détaché
des Marches et rattaché à l’Émilie-Romagne ; le détachement est confirmé en juillet 2010 par la Cour Constitutionnelle.
Page mise à jour le 4avril 2015
Jean Guichard