Piemonte : Le Piémont - Histoire 4
À la mort de Charles Félix en avril 1831, c’est Charles Albert qui devient roi : par absence d’héritiers mâles de Charles Félix, la royauté
passe à une autre branche des Savoie, celle des Savoie-Carignano qui descendent de Thomas, le dernier fils de Charles Emmanuel I.
Cette branche, dont un des membres fut le prince Eugène, grand chef de guerre vainqueur des Français en 1706, était très liée à la
France et sensible aux Lumières et parfois à la religion réformée ; pendant la période napoléonienne, le père de Charles Albert s’était mis
au service de la France, et la mère de Charles Albert avait fait l’éducation de son fils et de sa fille entre la France et la Suisse ; on l’appelait
« la princesse jacobine », et Charles Albert était passé dans un collège de Genève tenu par un pasteur calviniste. En 1821, il prend le parti
des insurgés, et, malgré l’opposition de l’Autriche, il accède au trône en 1831, après avoir tenté de se refaire une virginité politique en
participant à la répression d’un mouvement libéral en Espagne en 1823. Il sera donc objet de méfiance aussi bien des libéraux qui le
considèrent comme un traître que des conservateurs qui le croient jacobin ! Et ses décisions oscilleront entre les deux : il refuse l’amnistie
politique mais appelle au gouvernement des libéraux, il renforce la répression contre le mouvement de la «Jeune Italie » de Mazzini, fait
des concessions aux Jésuites, mais il promulgue de nouveaux codes civil et pénal inspirés de la pensée napoléonienne, et soutient le
progrès de l’économie (il libère par exemple le commerce des barrières douanières et favorise la 4e Exposition d’industrie nationale de
Turin en 1844) et de la culture. Son règne sera donc aussi un mélange contradictoire de maintien d’un État conservateur et de poussée de
progrès et de pensée libérale (Cesare Balbo, Massimo d’Azeglio, Vincenzo Gioberti …). Cela laissera mûrir les conditions pour que les
intérêts dynastiques des Savoie rejoignent les exigences du « Risorgimento » et fassent du Piémont le guide de l’unification italienne.
En juin 1846, est élu pape Giovanni Mastai Ferretti, sous le nom de Pie IX, et il semble ouvrir une porte à une politique libérale, en
proclamant aussitôt une amnistie politique. Cela libère les soucis religieux de Charles Albert, et il approuve les initiatives d’assistance de la
marquise Giulia Falletti di Barolo, du chanoine Cottolengo (la Petite Maison de la Divine Providence) ou du jeune don Bosco avec
ses oratoires pour les enfants des rues. Il fait appeler le jeune Camille Cavour, considéré comme un « carbonaro impénitent » à la
Commission Supérieure de Statistiques, il appelle le pédagogue Ferrante Aporti, haï par les ecclésiastiques pour former les futurs
maîtres. En 1848, la population atteint 2.758.000 habitants, l’éclairage au gaz est installé en 1837 à Turin, qui se développe très
rapidement, atteignant 137.000 habitants en 1848, dont 62% des hommes et 40% des femmes savent lire et écrire. Pourtant la situation
des ouvriers reste très dure, environ 20% de la main-d’œuvre est constituée d’enfants mineurs, et les conflits se multiplient avec les
patrons.
C’est au Piémont que s’impriment les oeuvres des patriotes
libéraux, et que prend forme l’idée d’une lutte pour une
Italie unie sous la direction de la famille de Savoie. Charles
Albert est conscient de cette évolution et en 1847, il
promeut un certain nombre de réformes importantes, réduit
la censure et les pouvoirs de la police, licencie ses
ministres réactionnaires, institue les Cours d’Appel et de
Cassation, réforme les administrations communales par
élection directe des conseillers sur base censitaire,
développe l’instruction universitaire d’État. Ainsi, il isole la Droite réactionnaire et
l’archevêque de Turin au profit de partis libéraux et démocrates, et il concède finalement une Constitution qu’on appellera le « Statut »,
qui s’inspire de la constitution de Louis-Philippe en 1830, rédigé en français et en italien, et qui sera la constitution de l’Italie jusqu’au
fascisme (Cf tapisserie ci-dessus : Charles-Albert signe le Statut). Il adopte le drapeau tricolore vert, blanc, rouge assorti dans le blanc de
la croix de Savoie.
Le Statut déclare la religion catholique « religion d’État », les autres cultes étant « tolérés », il reconnaît la liberté d’association et de
réunion, introduit un Parlement à deux chambres, Sénat nommé et Chambre des députés élue au suffrage censitaire par collège
uninominal (= 1,88% de la population pour les élections politiques et 6,27% pour les élections administratives). C’était une reconnaissance,
encore partielle, des principes libéraux et une marginalisation des réactionnaires. Le Parlement se réunit au Palazzo Carignano (Cf
photo page précédente) ; les nobles n’y sont que 32 sur 204 ; l’ensemble est une majorité modérée, libérale, de droite ou de gauche,
selon les régions du Piémont.
Le 22 mars 1848 éclate l’insurrection antiautrichienne de Milan (les « Cinq
journées de Milan »), et cela décide Charles-Albert à déclarer la guerre à
l’Autriche, ce sera la première guerre d’indépendance. L’armée
piémontaise n’est pas encore bien organisée, malgré la création des «
bersaglieri » en 1836, infanterie légère, et le renforcement de l’artillerie
encore insuffisante. Mais Charles-Albert ne veut pas laisser l’initiative de
la lutte pour la libération de l’Autriche aux libéraux démocrates de Milan, il
fait donc preuve d’une audace qui sauvera dans l’avenir la monarchie de
Savoie. L’entrée en Lombardie est triomphante (victoires de Goito et
Pastrengo), et le maréchal Radetzky se réfugie dans le Quadrilatère des
forteresses de Vénétie. Peschiera tombe, mais Radetzky reçoit des
renforts et gagne la bataille de Custozza le 25 juillet. Charles-Albert se
retire, abandonne Milan et signe un armistice le 9 août (armistice de Salasco, du nom du général chargé de la
signature). Il reprend les hostilités au printemps 1849 et subit une défaite définitive à Novara le 23 mars, malgré
les nombreuses révoltes populaires qui éclatent dans beaucoup de villes ; le soir même il abdique au profit de son fils Victor Emmanuel II
et part en exil au Portugal où il meurt le 28 juillet. L’Autriche ne pousse pas son avantage pour ne pas trop affaiblir le roi, elle a compris
que maintenant l’opposition n’est plus entre absolutisme et libéralisme mais entre libéraux modérés (Cavour, D’Azeglio) et radicalisme
démocratique (Mazzini, Garibaldi).
Cavour entre au gouvernement en 1850 comme ministre de
l’agriculture et du commerce puis passe aux finances en 1852 ; il
devient chef du gouvernement en 1852. Il promeut une politique de
développement économique qui marquera le triomphe de la
bourgeoisie des entrepreneurs : il libéralise les échanges internationaux
(le libre échange est sa doctrine de base), soutient les entrepreneurs
avec l’aide de l’État, augmente les impôts fonciers et les impôts directs,
renforce l’armée, n’hésite pas devant des investissements qui
aggravent le déficit de l’État, développe les chemins de fer (935 kms en 1860), commence les travaux pour
le canal Cavour en 1853 et pour le tunnel du Fréjus en 1857 ; depuis 1851, les leçons universitaires sont en
italien et non plus en latin, et il crée en 1858 les écoles de formation des maîtres ; il fait adopter le système
métrique décimal.
Cette politique se traduit par un renforcement de la classe ouvrière qui émerge
peu à peu des vieilles corporations artisanales qui sont abolies dès 1844 ; naissent
les premières sociétés ouvrières qui font leur premier congrès en 1851 (115 sociétés
en 1861) ; les premières coopératives ouvrières fournissent des aliments à bas prix.
La surveillance policière des activités ouvrières est renforcée, la grève est un délit.
Mais Cavour est conscient que pour éviter le socialisme, il faut améliorer les
conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
La politique de Cavour provoque aussi un conflit avec les parties les plus
réactionnaires de l’Église : le développement de l’école publique est combattu par
Fransoni, l’archevêque de Turin et par les Jésuites. En 1849, la loi Siccardi supprime les
tribunaux ecclésiastiques et contrôle les dons aux sociétés religieuses. Cette loi est
commémorée par l’obélisque de la place Savoia de Turin avec la mention : « La loi est
égale pour tous ». L’archevêque Fransoni, qui avait appelé le clergé à ne pas obéir à la loi,
est arrêté, emprisonné et exclu du Royaume. La loi Rattazzi, de mars 1855, supprima les congrégations
religieuses qui n’avaient pas d’objectif d’assistance ou d’enseignement (331 couvents sont supprimés), suscitant
une hostilité hystérique d’une partie du monde catholique, mais la majorité de ce Piémont très catholique fut plutôt
contente d’être débarrassée de Fransoni.
Cavour et Victor Emmanuel II se détestent et sont opposés sur la politique religieuse, mais ils sonr d’accord sur la
politique étrangère. Ils ont consacré une grande attention à la réforme de l’armée confiée au jeune général
Alfonso La Marmora, ministre de la guerre de 1849 à 1860 ; il renforce les écoles militaires, développe la cavalerie légère et les
bataillons de « bersaglieri » ; on modifie la conscription, réformant 37% de chaque classe pour insuffisances physiques (taille inférieure à
1m.56) et 23% pour motifs de famille (fils unique d’une mère veuve ou d’un père âgé) ; les autres sont pris pour un service de 5 ans plus 6
ans de réserve. L’armée était ainsi de 46.000 hommes, qui pouvaient tripler par le rappel des réservistes. Il était possible de se payer (très
cher) un remplaçant.
La première épreuve fut la participation à la guerre de Crimée en 1855 : Cavour envoie 18.000 hommes
contre la Russie, aux côtés des Turcs, de la France et de l’Angleterre. Elle ne coûte que 15 morts à
l’armée piémontaise dans la bataille de la Cernaia, mais permit à Cavour de développer ses relations
diplomatiques avec la France et de parvenir en 1858 aux accords de Plombières par lesquels la
France s’engageait à aider le Piémont en cas d’attaque de l’Autriche, en échange du rattachement de la
Savoie et du comté de Nice à la France. La comtesse de Castiglione, Virginia Oldoini, aurait par ses
charmes aidé Cavour à convaincre Napoléon III ! Par ailleurs Victor Emmanuel II marie sa fille Maria
Clotilde di Savoia à Jérôme Bonaparte.
Dans son discours du 1er janvier 1859, Victor Emmanuel II évoque le « cri de douleur »
qui monte vers lui de l’Italie contre l’oppression autrichienne, et il mobilise aussitôt
l’armée, grossie d’un corps de volontaires italiens commandé par Garibaldi. L’Autriche
tombe dans le piège et demande le désarmement, Cavour refuse et l’Autriche attaque
le 26 avril et envahit le Piémont, ouvrant la Seconde guerre d’indépendance, Mais la
contre attaque franco piémontaise repousse les Autrichiens et remporte la bataille de
Magenta le 4 juin 1859, après laquelle Victor Emmanuel II et Napoléon III entrent à Milan. Le 24 juin se déroule les
batailles de San Martino, la plus sanglante de la guerre, et de Solferino, victoires franco piémontaises dont les 40.000
victimes portèrent Henry Dunant à fonder la Croix Rouge. Ces victoires provoquèrent l’insurrection de la Toscane, de la
Romagne, des Marches, de l’Ombrie et des duchés de Parme et de Modène. Inquiet de ces mouvements républicains
dans l’Italie centrale, Napoléon III arrête la guerre et signe avec l’Autriche l’armistice de Villafranca le 11 juillet 1859
Garibaldi organise alors l’expédition des Mille qui part de Quarto près de Gênes avec l’accord secret de Cavour,
débarque à Marsala en Sicile et conquiert l’île sur les troupes du roi de Naples François II. Puis il débarque en Calabre le
20 août et entre triomphalement à Naples le 7 septembre. Une insurrection dans les États du pape offre à Cavour
l’occasion d’intervenir en Italie centrale, et les troupes royales occupent les Marches et l’Ombrie et défont l’armée
pontificale à Castelfidardo le 18 septembre. Garibaldi remet le Sud de l’Italie au roi le 22 octobre et se retire à l’île de
Caprera. Le 17 mars 1861, lors de la réunion du premier parlement au palais Carignano, Victor Emmanuel II est
proclamé roi d’Italie et 10 jours plus tard Rome est déclarée capitale, mais ne le deviendra réellement que le XX
septembre 1870. En attendant la capitale reste à Turin.
11) De l’unité italienne à la première guerre mondiale
L’unité de 1861 fut pour le Piémont à la fois une perte et une conquête. Une perte parce que la région cessait d’avoir un rôle
politique central, pour devenir plus périphérique. Turin fut d’abord capitale, mais en 1864, la capitale fut déplacée à Florence, et
Turin perdit la cour, les ministères, les ambassades, la banque centrale, l’hôtel des monnaies, et sa population baissa de 220.000 à
194.000 habitants. En 1864, les Turinois protestèrent pacifiquement contre ce transfert de la capitale, et leurs manifestations furent
durement réprimées par l’armée, au coût de 50 morts et 134 blessés. Turin se sentit abandonnée et
rejetée.
Mais parallèlement, le Piémont s’étendit à l’Italie entière : la région transmit à la nouvelle Italie ses lois, ses
impôts, ses institutions, son organisation militaire, sa classe politique royale, et cela renforça un fort
sentiment antipiémontais complexe : méfiance démocratique vis à vis de la noblesse piémontaise, hostilité
au service militaire obligatoire, mépris des humanistes contre la culture
piémontaise plus scientifique et technologique, arrogance des bureaucrates
piémontais, inadaptation des lois piémontaises à l’agriculture du centre et du
sud de l’Italie, etc. Il est vrai que le Piémont fournit en particulier une armée à
tout le pays : dans les années ‘60 et ‘70, un tiers des généraux et des aides
de camp du roi étaient piémontais, et c’est cette armée qui réprima avec
férocité le « brigandage » méridional.
Cette situation fut cause d’un progrès de la gauche piémontaise qui connut
un succès aux élections de 1865, où même un homme comme Angelo
Brofferio, poète, écrivain et journaliste d’extrême-gauche fut réélu au
Parlement ; les deux grands quotidiens turinois, la « Gazzetta del Popolo », anticléricale et
garibaldienne, et la « Gazzetta piemontese », libérale éclairée, furent dans l’opposition au pouvoir
central. Un homme politique comme Giovanni Giolitti (1842-1928), élu libéral piémontais, sera
souvent le symbole de l’opposition piémontaise à la politique de droite du sicilien Francesco Crispi
(1819-1901), ancien partisan de Mazzini rallié à la monarchie et à la droite. À partir de ce moment,
l’électorat piémontais resta orienté à gauche pendant une grande partie du XXe siècle.
Après l’Unité, le Piémont resta une zone de petite propriété agricole, beaucoup plus que les autres régions italiennes, centrée sur
la production de vin, de vers à soie, de fruits, bien introduite sur le marché. Sauf dans les zones de montagne, ce régime assure la
vie des petits propriétaires, moyennant un travail très important et dur. Par contre, dans la région de Novara et Vercelli, le
développement des rizières va de pair avec celui de plus grandes propriétés, plus mécanisées et travaillées par 40% de journaliers
agricoles. Le souvenir de cette production se retrouve dans les grandes fermes (la « cascina ») des grands propriétaires
cultivateurs de riz, et dans les chants de mondines importées chaque saison de Vénétie ou d’Émilie pour le repiquage et la récolte
du riz.
L’élevage bovin continue à augmenter (de 500.000 dans l’Ancien Régime à un million en 1871). La mécanisation progresse
partout, pour les semailles, la récolte du foin et les moissons. La déforestation est importante, et la surface des bois diminue au
profit des terres cultivées : l’industrie, qui manque de charbon, a besoin de bois comme source d’énergie.
Au moment de l’unité, l’industrie piémontaise reste la plus développée d’Italie, et sa classe ouvrière la plus moderne et la plus
organisée. la production de vers à soie représente un quart de la production nationale, et la soie reste un des secteurs les plus
importants ; la production des tissus de laine et de coton constitue un tiers de la production nationale ; la mécanisation est forte
dans le travail du coton, moins dans celui de la laine et de la soie. Le manque de charbon est un obstacle, que l’ouverture du tunnel
du Fréjus en 1871 réglera en partie, permettant l’importation du charbon de Saint-Étienne, qui ne coûtait que 28 F. la tonne, contre
63 F pour le charbon de Cardiff importé jusqu’alors par voie maritime. Le marché de l’industrie textile reste centré sur le marché
français (Lyon pour la soie) et les commandes militaires ; les producteurs de laine de Biella visent plutôt le marché intérieur italien,
et sa valeur triple de 1854 à 1872.
Hors du textile, le Piémont travaille les produits chimiques (fertilisants), la tannerie, l’industrie
alimentaire (Cirio fondée en 1836 à Turin) ; la mécanique représente l’avenir mais est encore limitée
aux usines de produits ferroviaires et aux usines militaires. Les ouvriers de l’industrie sont en 1888
environ 140.000 sur une population de 3.179. 000 personnes. L’analphabétisme
diminue lentement : en 1881, 63% des hommes et 47% des femmes savent lire et
écrire : la population agricole se réduit à 40% ; la bourgeoisie l’emporte maintenant
en richesse sur la noblesse qui, dans les années ‘80, ne possède plus que 33% des
patrimoines supérieurs à 500.000 lires. Par contre, l’urbanisation reste moins
importante que dans d’autres régions d’Italie : seulement 21% de la population habite
dans des centres supérieurs à 6000 habitants. Les seules villes en expansion sont
les villes industrielles, Alessandria (72.000 habitants en 1901), Novara (44.000
habitants en 1901) et Biella (19.000 habitants) ; les villes agricoles grossissent moins vite ; Asti (44.000
habitants), Casale (31.000 habitants), Vercelli (30.000 habitants), Cuneo (27.000 habitants). Turin prend une
identité industrielle de plus en plus marquée : sur 194.000 habitants, la ville a 52.000 ouvriers, dont 21.000
femmes en 1864. En 1881, la population est montée à 253.000 habitants, dont 69.000 ouvriers (27%). Deux
édifices symbolisent la ville : le sanctuaire de Santa Maria Ausiliatrice, centre du catholicisme social dans les
quartiers ouvriers, et la Mole Antonelliana, rachetée en 1873 par la commune à la communauté hébraïque, et
qui fut le plus haut édifice en maçonnerie de toute l’Europe d’alors.
A la fin du XIXe siècle, le Piémont connaît une forte crise agricole. Tous les
produits, sauf le vin, connaissent une récession importante qui met la région en difficulté par
rapport à la Lombardie, à la Vénétie et à l’Émilie, ainsi que dans ses relations avec la France. Mais,
en particulier grâce au réseau associatif des paroisses (très développé : 347 coopératives en
1889), il y a peu de manifestations paysannes. Mais les paysans commencent à émigrer, en
France d’abord, puis en Amérique, en Argentine, au Brésil. De 1876 à 1913, auraient quitté le
Piémont 1.540.000 personnes, mais beaucoup rentrèrent après avoir gagné un peu d’argent.
Beaucoup de communautés rurales d’Amérique du sud restent jumelées à la commune italienne
d’origine. La reprise agricole ne se fera qu’au début du XXe siècle, avec la mécanisation, l’usage
des fertilisants, en particulier dans la culture du riz. La production du vin se multiplie, dépassant 6 millions d’hectolitres, et exportant
sur le marché français les vins comme le Vermouth, le Martini, l’Asti spumante ; le phylloxera atteint les vignes des petits
propriétaires qui s’organisent et luttent pour obtenir des aides de l’État et de meilleures conditions de vie et de
travail.
La crise est moins forte dans le domaine industriel : première Exposition Nationale de
l’industrie en 1884, à Turin qui connaît aussi ses débuts d’éclairage électrique et la
construction du Bourg Médiéval du Valentino. Il y a pourtant un crack immobilier et
bancaire qui se traduit par des centaines de faillites et des taux élevés de chômage et de
délinquance ; la masse des dépôts dans les caisses d’épargne est 5 fois moins importante
qu’en Lombardie, en Émilie et en Vénétie ; la soie est touchée, elle souffre de la rupture
commerciale avec la France ; au contraire le coton se développe, favorisé par les tarifs
douaniers qui lui ouvrent le marché intérieur ; de grandes usines occupent jusqu’à 3000
ouvriers et le nombre de travailleurs de ce secteur monte à 33.000 ; le secteur est aussi
prospère du fait qu’il dépend peu des banques mais vit d’investissements suisses et allemands (par exemple Leumann à Collegno).
Au Parlement élu en 1890 figurent de nombreux industriels du coton, nouvelle classe politique bourgeoise qui remplace peu à
peu la vieille noblesse. Cependant, l’augmentation de la production d’électricité d’origine hydrique était un avantage incontestable
du Piémont. La production lainière occupe 15.000 ouvriers et représente 40% du total national ; le métier à tisser à énergie
hydraulique puis électrique remplace peu à peu le métier à main, et détermine la formation d’une classe ouvrière moderne, qui
supplante les anciennes corporations de tisseurs à domicile. En 1901, la classe ouvrière du Piémont est la troisième d’Italie,
l’analphabétisme est en chute constante (17%) ; la mortalité a diminué de moitié en 30 ans ; la population de Turin est passée à
330.000 habitants.
Le mouvement ouvrier se développe, créant à Turin son Association Générale des ouvriers, avec ses 10.000 adhérents, la plus
importante d’Italie ; de grandes grèves commencent à être organisées, et à la fin du siècle, le mouvement socialiste prend forme,
malgré la répression policière contre les leaders et contre la presse, sous Crispi. Beaucoup d’intellectuels suivent le mouvement,
comme Edmondo De Amicis (1846-1908), l’auteur de Cuore (1886), né en Ligurie mais étudiant à Turin, ou Cesare Lombroso
(1835-1909) qui adhère au socialisme au Congrès de Gênes en 1892. En 1897, les votes socialistes montent à 27% et 2 députés
sur 5 sont socialistes ; Alessandria est la première ville italienne à avoir un maire socialiste,
l’ouvrier Paolo Sacco. En 1904, 1339 Sociétés de Secours Mutuel existent en Piémont, la plupart
appartiennent au monde ouvrier. Un mouvement syndical moderne s’organise aussi, articulé en 17
Chambres du Travail. En face d’eux, s’organise une Ligue Industrielle à partir de
1906, qui réunit les propriétaires de 530 entreprises, et qui donnera naissance en
1910 à la Confindustria nationale, l’organisation patronale encore existante
aujourd’hui. Les« metalmeccanici » furent les organisateurs des grandes grèves
de 1901-02 qui obtiennent une diminution de la journée de travail à 10 heures,
l’obligation d’un préavis pour le licenciement, la reconnaissance des commissions
internes dans les entreprises. Contre les autres entrepreneurs Agnelli se bat pour
une médiation de l’État et une ligne moins dure, et Giolitti condamne les patrons partisans d’une ligne dure et
réalise les bases d’un contrat collectif avec les syndicats en même temps qu’une semaine de 57 heures. Par
ailleurs Agnelli introduit dans ses usines les méthodes tayloristes importées d’Amérique : la production journalière
passe de 10 à 25 voitures.
Sur un autre plan, Giolitti instaure le suffrage universel masculin, et Turin envoie au
Parlement 3 députés socialistes sur 5. C’est à Turin qu’entrent au Parti Socialiste les
hommes qui seront les fondateurs du Parti Communiste après la guerre, Antonio Gramsci,
Palmiro Togliatti, Angelo Tasca, Umberto Terracini.
C’est sous Giolitti que le développement industriel du Piémont fut le plus
fort, dans une convergence entre les libéraux giolittiens, les industriels et
les socialistes réformistes, et avec l’appui de la Stampa, maintenant
dirigée par Alfredo Frassati (100.000 copies par jour). Les services
essentiels (eau, énergie électrique, tramways) sont municipalisés ; les
écoles techniques pour ouvriers se multiplient, ainsi que les constructions
sociales. La population de Turin passe à 415.000 habitants en 1911 ; les
logements ouvriers développent d’immenses périphéries industrielles.
C’est l’industrie mécanique, surtout automobile, qui prend le dessus,
formant une base ouvrière bien préparée techniquement (on parle d’une «
aristocratie ouvrière ») : la FIAT en 1899, d’abord productrice de voitures
de luxe pour les loisirs aristocratiques, puis pour une utilisation plus large,
enfin pour les besoins militaires pendant la première guerre mondiale. En 1911, la FIAT a
plus de 3000 ouvriers.
En 1901, le Piémont a 342.000 ouvriers d’usine, 9,8% de la population totale ;
les salaires étaient les plus hauts de toute l’Italie, et l’analphabétisme le plus
bas (11% dans tout le Piémont, et 3,8% à Turin. Un certain nombre
d’entreprises donnent son image au Piémont : Olivetti à Ivrea (créée en 1908, spécialiste des machines à écrire),
Pirelli, la RIV de Villar Perosa, la Borsalino d’Alessandria, les Cartiere (papeteries) Burgo de Verzuolo, Lancia, Alfa
Romeo, Itala, Michelin, Talmone …, sans parler de l’industrie du cinéma (14 sociétés de production et 40 salles en
1914), et des courses automobiles créées par Agnelli, ou du football (la Torino, la Juventus, la Pro Vercelli) : le
premier championnat italien de football se joue à Turin en 1898.
12) Le Piémont de la première guerre mondiale à aujourd’hui
Depuis l’Unité, le roi a changé deux fois : Victor Emmanuel II meurt à l’improviste à Rome le 9 janvier 1878. Humbert I prête serment le
19 janvier 1878, il est assassiné le 29 juillet 1900 par l’anarchiste Gaetano Bresci à Monza, pour venger la répression violente d’une
manifestation populaire pacifique de Milan par le général Bava Beccaris (plus de 300 morts et un millier de blessés). Le jeune Victor
Emmanuel III prononce son discours de la Couronne le 11 août 1900 ; il régnera jusqu’à son abdication du 9 mai 1946 au profit de son fils
Humbert II qui régnera jusqu’au referendum constitutionnel du 2 juin 1946 qui donnera la majorité à la
République.
Le Piémont manifesta un hostilité populaire à l’entrée en guerre de l’Italie en mai 1915, qui provoque
un mouvement de grève générale de protestation à Turin ; cependant la population piémontaise se plia à
la discipline de mobilisation et subit de fortes pertes, 3% des hommes moururent à la guerre, en particulier
dans la zone de Cuneo qui fournit les troupes alpines très engagées dans le conflit ; de plus la grippe
espagnole provoqua 3000 morts rien qu’à Turin. C’est le monde paysan qui supporta de 60 à 70% des
morts, mutilés et invalides, car les ouvriers avaient été exonérés de service militaire pour ne pas ralentir la
production militaire, mais ils avaient été soumis à une discipline de fer, soumis au code pénal de guerre,
avec un rythme de travail de plus en plus lourd. La protestation contre la guerre se renforça à partir de la
révolution russe de 1917, les manifestations furent durement réprimées par l’armée à coups de
mitrailleuses et de chars d’assaut, faisant 41 morts et 150 blessés ; plus de 1000 arrestations de militants
décapitèrent les partis et syndicats dans la province de Turin. Cela accentua les conflits entre la Stampa
favorable à Giolitti et aux socialistes réformistes accusés de pacifisme et la Gazzetta del Popolo favorable à
l’intervention et à la répression des ouvriers « subversifs » et provoqua une campagne nationale de dénigrement de
Turin giolittienne.
Cependant le Piémont profita de la guerre dans un premier temps, par les commandes de guerre dans la
métallurgie, le textile et le coton ; Biella fournit les ¾ du drap vert de gris acheté par l’armée, et la FIAT passe de
4000 à 40.000 ouvriers ; Turin monte à 525.000 habitants en 1918, aux dépens des campagnes qui se
dépeuplent, favorisant encore plus le développement de la petite propriété qui passe de 44% en 1911 à 65% en
1921, les grandes propriétés sont parcellisées et vendues à de petits propriétaires.
Turin est un laboratoire de modernité économique et politique, la Chambre du Travail
a plus de 100.000 inscrits et le journal socialiste l’Avanti tire à 50.000 exemplaires. La
fin de la guerre marqua une retombée des commandes, du chômage et une
émigration vers la France demandeuse de main-d’œuvre. Les syndicats obtiennent
un régime de 8 heures de travail, et le mouvement socialiste se radicalise ; les socialistes gagnent les
élections de novembre 1919 (63% à Turin, 70% à Biella).
Le Piémont fut ensuite en 1919-1920 le centre d’un important mouvement de
conseils d’usine, expression de l'« Ordine Nuovo » publiée par les groupes de
l’extrême-gauche du parti socialiste animés par Antonio Gramsci, Palmiro Togliatti,
Umberto Terracini, Angelo Tasca, Alfonso Leonetti. Les usines furent occupées,
mais les travailleurs continuèrent à les faire fonctionner, à partir du 22 août, sous la
protection de leurs « gardes rouges », qui disposaient des armes restées dans les
usines après la fin de la production de guerre ; la grève conduisit à un accord national
signé par les entrepreneurs et les syndicats, qui accordait beaucoup d’avantages au
personnel (augmentations de salaires jusqu’à 20%, les fêtes payées, une indemnité de
licenciement, etc), et qui fut encouragé par Giolitti. Mais le parti socialiste se méfiait de
cette extrême-gauche qui d’ailleurs le quitta en août 1921 à Livourne pour fonder le
Parti Communiste d’Italie. Et Turin fut un peu isolée par rapport au reste de l’Italie.
Agnelli, qui était resté modéré pendant la période des conseils d’usine, et avait même
eu l’habileté de proposer la transformation de la FIAT en coopérative,
sortit vainqueur de l’épreuve ; aussitôt après il devint propriétaire de la
Stampa, et en novembre 1920, les socialistes perdirent la mairie de
Turin. Une autre revue avait engagé le dialogue avec l’Ordine Nuovo, Energie Nuove, remplacée
par la Rivoluzione liberale, tendue vers une synthèse entre le socialisme de Gramsci et le
libéralisme politique et dirigée par Piero Gobetti, assassiné par les fascistes et qui meurt à Paris en
février 1926.
Préoccupés par le mouvement des conseils d’usine, les industriels piémontais financent les
premières organisations de type fasciste, dirigées par le capitaine Mario Gobbi ; ces « fasci di
combattimento » de « squadristi » furent actifs dans la destruction des locaux socialistes et
l’agression ou l’assassinat de militants ouvriers et socialistes. Ainsi le fascisme prenait pied au
Piémont fin 1920, début 1921, dirigé par Cesare De Vecchi (novembre 1884-juin 1959) et Piero
Brandimarte ; il est encouragé aussi bien par la petite bourgeoisie frustrée après la guerre que par
les propriétaires fonciers inquiets de possibles révoltes du prolétariat des journaliers agricoles.
Cette montée du fascisme est parfois combattue par les préfets et les carabiniers (Alessandria) mais plus souvent aidée par la police qui
avait été en conflit avec les « rouges » (Turin). Le sommet fut atteint dans l’été 1922 : dans la
province de Novara, 221 administrations socialistes furent éliminées par les actions des « squadristi
», des maires socialistes furent agressés, les locaux brûlés, 83 militants socialistes assassinés,
agressions contre les lieux de distribution de la Stampa, etc., bien que les fascistes piémontais soient
seulement environ 15. 000 contre 80 000 en Lombardie. Les violences fascistes se poursuivirent
même après la marche sur Rome d’octobre 1922 et la prise de pouvoir de Mussolini à qui le roi,
incapable de résister à un mouvement que l’armée aurait pu éliminer sans peine, confie la charge de
premier ministre (Cf photo ci-contre : rencontre de Victor Emmanuel et de Mussolini en 1922).
Pendant 20 ans, il se rendra ainsi complice du régime fasciste : il reçoit
Mussolini deux fois par semaine, approuve toutes ses décisions
(entreprises coloniales, participation à la guerre civile espagnole d’Espagne
aux côtés de Franco, lois raciales, entrée en guerre …) ; et, bien
qu’étranger au style du fascisme, il ne laissera jamais apparaître aucune
distance entre la royauté et le régime. Le roi ne se séparera de Mussolini
que le 24 juillet 1943, lorsqu’il aura compris que sa politique conduit à la ruine l’Italie et la monarchie : Mussolini
est arrêté par le Grand Conseil Fasciste, le roi signe l’armistice avec les Alliés le 8 septembre 1943 et s’enfuit de
Rome vers Brindisi. Il abdique le 9 mai 1946 au profit de son fils Humbert II, qui restera roi jusqu’au referendum
du 2 juin de la même année. Puis Victor Emmanuel émigre en Égypte où il mourra le 28 décembre 1947.
Humbert II quitte l’Italie le 15 juin pour le Portugal tandis que la reine Maria José se retirera en Suisse ; exilé par
la Constitution républicaine qu’il n’a pas reconnue, Humbert II mourra exilé le 18 mars 1983 et sera enterré à
l’abbaye d’Hautecombe ; il avait fait cadeau au Vatican du Saint Suaire de Turin. Il laisse 3 filles et un fils, Victor
Emmanuel, né en 1937, compromis dans diverses affaires judiciaires dont une d’incitation à la prostitution, et
dont le fils, Emmanuel Philibert a tenté une carrière de danseur avant de se lancer dans la chanson au Festival
de Sanremo de 2010. Triste fin d’une dynastie de dix siècles d’existence !
Au Piémont, Mussolini oscilla entre légalité et extrémisme fasciste des « squadristi », mais c’est le modéré Cesare De Vecchi qui garda
presque toujours le pouvoir. Car le fascisme dut toujours tenir compte de la puissance de la famille Agnelli et du souci de celle-ci de garder
le contrôle et de l’économie et de la Stampa combattue par la Gazzetta del Popolo dont Mussolini avait acquis le contrôle financier. Un
relatif équilibre politique finit par s’établir entre le pouvoir fasciste et la famille Agnelli qui jouait une carte nationale, ignorant souvent les
pouvoirs locaux.
La liquidation des cadres syndicaux et socialistes et la promotion d’un syndicat fasciste permit à Agnelli de développer tranquillement les
techniques tayloristes et l’organisation scientifique du travail, faisant faire un bond à l’industrie mécanique qui attire vers le Piémont une
importante main-d’œuvre immigrée de Vénétie, Sicile et Pouilles, qui s’entasse dans les nouveaux quartiers qui poussent autour du
Lingotto et de la Snia Viscosa. Mais la crise de 1929 vint frapper tous les secteurs ; l’agriculture (prix du riz, de la soie grège, du vin, qui
s’écroulent, provoquant un chômage des journaliers) et l’industrie (salaires réduits de 15%, 50.000 chômeurs, expulsion du logement,
etc.). La FIAT résista pourtant mieux que les autres, grâce à ses contrats avec l’Union Soviétique. Et à la fin des années Trente, le
Piémont avait retrouvé sa richesse, il avait le plus haut revenu national, dont il représentait 13,5%. L’industrie représentait 52% de ce
revenu, l’agriculture 24% et les services tertiaires 24%. Quelques grandes industries, dont la FIAT (57.000 ouvriers et bientôt 22.000 de
plus avec la construction de l’usine Mirafiori) occupaient une place de premier plan en Italie, la Snia Viscosa, Michelin, Olivetti, Cotonificio
Valle di Susa, Burgo, etc.
Jusqu’en 1929, le fascisme eut beaucoup de peine à obtenir un consensus aussi bien des industriels que
des ouvriers, qui restaient marqués par leur tradition de syndicalisme révolutionnaire animé par les militants
communistes, et Agnelli s’opposa toujours à la pénétration du syndicat fasciste dans son entreprise. Les
choses se stabilisèrent un peu avec la crise de 1929 qui affaiblit la résistance des industriels et réduisit la
classe ouvrière à la misère ; or le régime tenta d’aider les entreprises et de créer des œuvres d’assistance
pour les chômeurs et mendiants ; il ouvrit aussi des travaux publics pour réduire le chômage, autoroute
Turin–Milan, constructions à Turin (Torre Littoria), réhabilitation des petites villes de province (le vin à Asti).
Par ailleurs le syndicat fasciste s’opposa vigoureusement à l’augmentation de la productivité et des rythmes
du travail, mesurés scientifiquement (méthode Bedaux) ; le régime élargit sa politique sociale, par des
institutions pour les ouvriers (le « dopolavoro »), pour les jeunes (les « balilla »), en accordant des
allocations familiales, des crèches, la semaine de 40 heures, le « samedi fasciste ». Au début des années
30, plus de la moitiés des ouvriers avait adhéré au syndicat fasciste,
et le Parti National Fasciste avait 89.000 adhérents dans la classe
moyenne, mais ces adhésions étaient dépourvues de tout
enthousiasme et de toute conviction ; la remontée du prix du riz permit de mieux traiter les milliers
de mondines qui se déversaient au Piémont chaque année ; mais en profondeur, le Piémont fut peu
fasciste, l’antifascisme était toujours prêt à se manifester, et en 1940 le Tribunal de Turin
prononça 2172 condamnations pour propagande antifasciste.
Le Piémont fut défavorable à l’entrée dans la seconde guerre mondiale ; les commandes militaires
ne furent pas aussi nombreuses qu’en 1915, la population était favorable à la France, contre qui la
campagne de juin 1940 fut meurtrière pour les Italiens (6000 morts ou blessés contre une centaine
du côté français) ; les bombardements frappèrent durement Turin et les centres ferroviaires, et à
partir de mars 1943, les ouvriers recommencèrent à faire des grèves antifascistes qui
bouleversèrent l’industrie. Les industriels entreprirent des contacts avec des personnalités communistes ou alliées pour se détacher du
fascisme ; Agnelli et Valletta rétablirent les commissions internes que le fascisme avait supprimées en 1926.
À partir de l’armistice du 8 septembre 1943, les nazis occupent la totalité de l’Italie, et commencent à se former les groupes de partisans
armés pour lutter contre l’armée allemande. Le Piémont fut en première ligne, et dès novembre, les groupes piémontais formaient déjà
40% des groupes armés de toute l’Italie. D’une zone à l’autre, l’orientation politique des formations était différente ; dans certaines vallées
dominèrent les antifascistes libéraux de tradition gobettienne qui montèrent des villes vers la montagne avec les membres du nouveau
Partito d’Azione pour former les bandes de « Italia libera » puis de « Giustizia e Libertà » (Duccio Galimberti, Dante Livio Bianco, Willy
Jervis, ingénieur vaudois, Vittorio Foa et Franco Venturi, les frères Acchiardo, Ada Gobetti ; ils faisaient preuve d’une profonde politisation
et d’une grande rigueur éthique). D’autres groupes étaient formés de militants communistes, avec le philosophe Ludovico Geymonat,
Giancarlo Pajetta, Leo Lanfranco, Antonio Giolitti, ou avec d’anciens officiers comme Pompeo Colajanni, « Cino » Moscatelli ou « Ciro »
Gastone. Quelques bandes furent monarchistes et conservatrices, commandées par des officiers de carrière (Enrico Martini, le sergent
Maggiorino Marcellin, Eugenio Cefis) qui recrutaient parmi les soldats de la Quatrième Armée qui s’étaient débandés après le 8
septembre et ne voulaient pas abandonner les armes.
Les Waffen-SS réagirent aux interventions de ces formations par des représailles sur les civils, en brûlant les villages (à Boves), en
ratissant les vallées et en faisant la chasse aux Juifs dont plusieurs centaines furent déportés. Les rapports entre les groupes partisans de
différentes orientations furent parfois difficiles, entre groupes communistes et groupes de « Giustizia e Libertà », mais ils se partagèrent
souvent pacifiquement les zones de combat. Dès le début, les groupes s’entendirent pour former un CLN, Comité de Libération
Nationale, dont le sommet était formé de généraux (Operti, puis Perotti, fusillé par les nazis, puis Trabucchi).
Dès la création de la République Sociale de Salò par Mussolini (arrêté par le roi le 25 juillet 1943 et libéré par un commando SS le 12
septembre), l’Italie entra dans une terrible période de guerre civile entre les « repubblichini » alliés aux troupes allemandes et les
formations antifascistes. Les Allemands réagirent avec violence aux actions partisanes, ils devaient conserver l’accès aux cols des Alpes
et des Apennins pour pouvoir répondre à un éventuel débarquement allié en Ligurie ou en Toscane : ils fusillaient nombre de partisans et
de civils, laissant leurs cadavres pendus aux arbres des places pour impressionner les habitants ; ils brûlèrent plusieurs villages : Barge,
Paesana, Cartignano, San Damiano, Cicogna, Val de Thures … Mais les groupes partisans résistèrent et parvinrent à se réorganiser,
constituant le CLNAI, Comité de Libération Nationale de la Haute Italie, qui regroupait environ 28.000 hommes sous les armes, et qui
libéra et géra de nombreuses communes du Piémont : l’occupation des vallées prit une grande importance stratégique après le
débarquement allié en Provence en août 1944 pour empêcher les troupes allemandes du Piémont de passer les Alpes vers la France
(bataille du col de la Madeleine).
La Résistance italienne tint immobilisée
la moitié des unités allemandes d’Italie
du Nord, mais l’offensive allemande
menée par Kesselring pour la
reconquête des vallées contraignit la
Résistance à se replier vers les collines
et la plaine pendant l’hiver 1944-45, après lequel les Alliés multiplièrent les fournitures d’armes parfois lourdes et de munitions qui
permirent aux partisans de reprendre l’offensive.
L’adhésion des populations à la Résistance fut différente selon les zones du Piémont. Dans celle de Cuneo, l’adhésion, loin d’être
unanime, fut forte, car c’était une région de tradition antifasciste et libérale ; Biella fut une autre zone très antifasciste, mais sur une base
ouvrière influencée par les traditions de lutte syndicale et communiste. Turin fut très touchée par les bombardements alliés (2000 civils
tués, et 40% des édifices de la ville atteints par les bombes), mais en donna toujours la responsabilité au fascisme ; par ailleurs les GAP
(Groupes d’action patriotique) y furent actifs, tuant plusieurs responsables fascistes ou des officiers allemands ; ce fut aussi la ville où, dès
l’automne 1943, les ouvriers commencèrent à faire des grèves, interdites par les Allemands et sources de représailles brutales (700
ouvriers déportés après celles de mars 1944), mais prirent très vite une signification politique. Les grèves sont souvent lancées en accord
avec la direction de la FIAT, qui les organise avec les ouvriers et les coordonne avec les bombardements américains pour empêcher les
Allemands de transférer en Allemagne les installations industrielles (grève et bombardement du 22 juin 1944). L’ensemble de la
bourgeoisie industrielle était loin d’être favorable à la Résistance, mais s’y rallia peu à peu, sachant qu’elle avait le soutien des Alliés
contre un fascisme discrédité et sous la coupe des Allemands ; l’exemple de la rencontre entre l’industriel Chevallard et les partisans de la
Val Sangone est significatif. Enfin la tradition militaire piémontaise fit que beaucoup d’officiers s’intégrèrent dans les groupes de partisans
par patriotisme et hostilité à l’occupant allemand, plus que dans les autres régions d’Italie. Malgré les représailles allemandes, les paysans
gardèrent une attitude de soutien au moins passif des partisans antifascistes. Cela obligea la République de Salò à envoyer des brigades
lombardes au Piémont pour remplacer l’absence de fascistes locaux (par exemple l’envoi, qui fut un échec, des Brigades Noires de
Pavolini et du Prince Borghese dans la Valle di Lanzo et la Valle dell’Orco). Mussolini qualifia le Piémont de « Vendée monarchique,
réactionnaire et bolchevique » ; les fascistes se maintenaient avec peine dans de rares villes comme Vercelli, mais les rizières des
alentours sont aux mains des partisans, et à la fin, les Brigades Noires restées au Piémont furent induites à se rendre aux Américains
plutôt qu’aux partisans et plutôt que de tenter le retour en Lombardie, dont la route était contrôlée par la Résistance.
Dans les premiers mois de 1945, les Allemands se livrent à leurs dernières représailles par des villages brûlés, des partisans torturés
(massacres de Grugliasco, Santhià, Caluso, Cuneo) et des Juifs déportés ou fusillés, mais ils commencent à tenter de traiter avec les
responsables partisans en vue de se garder une possibilité de fuite vers l’Allemagne. Le CLN a prévu l’organisation de tribunaux de
partisans qui n’ont le droit de condamner à mort que des fascistes pris les armes à la main, les autres ne pouvant être jugés que pour des
crimes spécifiques ; cela n’empêcha pas les opérations de vengeance des dernières et féroces représailles allemandes et fascistes :
environ 2500 fascistes furent exécutés, le chiffre le plus élevé de toutes les régions italiennes. Même après la Libération, et la reprise de la
justice par la magistrature ordinaire, les tribunaux piémontais furent plus durs que les autres : environ 3600 personnes furent condamnées
pour collaboration avec les Allemands, dont 203 à mort, dont seulement 18 exécutées. ; il n’y eut par la suite qu’une centaine de fascistes
assassinés par des partisans, dont 5800 avaient été exécutés par les fascistes.
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Fattori, L’assalto alla Madonna della
Scoperta (Battaglia di San Martino),
1862, détail
T. Cremona, Victor
Emmanuel II
la comtesse de
Castiglione
Perforatrice du tunnel du Fréjus inventée par
G. Sommeiller
M. Gordigiani - Cavour
Vincenzo Giacomelli-Bataille de Pastrengo,
1848
Charles Albert signe le « Statuto
»
: Palazzo Carignano, Parlement
Vercelli - Statue de mondine
Angelo Brofferio, 1812-1866, tandis
qu’il écrit sur le mur de sa prison,
où il a été arrêté en 1830 sur ordre
de Charles Félix
La Mole Antonelliana
Vigne de Santo Stefano Belbo
La première cuve de la martini
(1863)
Edmondo De Amicis
: Cesare Lombroso
Lorenzo Delleani, Les fondateurs de la
Fiat, 1907
la Fiat 3 ½ HP de 1899 et 24/32 HP
1905 ;
Publicité Fiat.
Victor Emmanuel II en tenue de
chasseur et d’officier
Victor Emmanuel III et la
reine mère Marguerite
Piero Gobetti, 19 juin 1901-
15 février 1926.
Discours de Benito Mussolini
Giovanni Agnelli fait visiter le Lingotto au roi Victor
Emmanuel III en 1923
Antonio Gramsci, 22 janvier
1891-27 avril 1937
Mussolini libéré par les SS s’apprête à quitter
sa prison de Campo Imperatore
Un « balilla » en exercice
L’Italie du Nord en 1943-5
Turin, église du Carmine, après un
bombardement de 1943
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