Piemonte : Le Piémont - Histoire 2
Accueil Actualités italiennes Nature Histoire Sructures Langue Création de formes artistiques Creation de culture materielle Chanson Voyages Contacts
5) Des Seigneuries aux Communes. La prospérité médiévale Le Moyen-âge apparaît comme une période de plus grande prospérité : ce fut une période de climat plus doux même dans les zones alpines, les investissements prospérèrent, l’optimisme augmenta, et les monastères défrichèrent de grands espaces des forêts de plaine pour installer des pâturages, par exemple les abbayes de Santa Maria di Lucedio (d’immenses domaines créés au XIIe siècle par les cisterciens de Chalons sur Saône au nord D’Asti) et de Staffarda (fondée en 1140 au sud de Cavour par les cisterciens). De plus en plus, évêques et propriétaires autorisèrent leurs paysans à déboiser et à bonifier la terre pour planter des céréales, nécessaires pour nourrir une population en augmentation, des châtaigneraies (qui remplaçaient les bois sauvages de chênes où paissaient les porcs par une forêt « domestique » destinée à l’alimentation des hommes) ; les porcs étaient remplacés par de l’élevage ovin. La charrue tirée par des bœufs avait acquis le soc métallique (la « slòira ») qui permettait de creuser plus profond un sol où alternaient le blé et le seigle semés en automne et l’avoine, le millet, le sorgo semés au printemps. L’irrigation se développait (les fossés appelés « rogge »), le paysage se remplit de moulins avec leur roue en bois. Et puis les puissants, évêques, moines ou princes, s’occupaient moins de l’agriculture, tirant plus d’argent des impôts et des péages ; l’esclavage fut à peu près liquidé au profit d’une forme nouvelle de métayage qui laissait les paysans plus libres et conscients de l’être. Les monastères développèrent la transhumance de leurs troupeaux de porcs et de moutons vers leurs domaines alpins, fournissant des péages énormes aux possesseurs de terres, comme le comte de Savoie (par exemple à Rivoli passaient chaque année 25.000 moutons). La population rurale se répartit de façon inégale, mais, pour des raisons de sécurité, se regroupe autour du « château » ou de la « villa », dans des bourgs ou villages : les paysans se pensent de plus en plus comme une communauté, en particulier pour les  négociations avec le seigneur pour la location de la terre ; le nombre de villages se réduit donc, tandis que se créent des villages nouveaux autour d’un monastère (Borgo San Dalmazzo, Villar San Costanzo) ou d’une forteresse de colline (Cf les noms en « Rocca » : Roccasparviere, Roccavione) ; à peu de choses près, la campagne prend l’aspect qu’elle a encore aujourd’hui. Ce qui domine tout cela, c’est d’abord la « seigneurie » locale, le seigneur qui tente de « protéger » les paysans, prince, évêque, chanoine, homme d’affaires, monastère. Se crée ainsi un rapport conflictuel entre le seigneur (le « dominus ») qui veut faire fructifier sa terre et la communauté paysanne qui cherche à alléger sa soumission : paiement de la taille, amendes pour les transgressions, travail gratuit (la « roida »), l’obligation de loger le seigneur, ses hommes et sa cour, le droit pour le seigneur de reprendre le bien de qui meurt sans héritier, la taxe à verser pour utiliser les pâturages, les bois, les eaux, tous droits qui existent jusqu’à la Révolution française. Le seigneur a en effet repris l’ancien droit royal de punir et de contraindre, à travers la violence et le serment de fidélité. La vie se déroule donc dans une permanence de conflits, souvent armés, entre seigneurs voisins, pour le contrôle des terres louées aux paysans, pour savoir à qui seraient payées les taxes. Cela conduisit à marquer de façon toujours plus visible (fossé, croix, etc.) les limites de territoire de chacun, donnant ainsi forme aux futurs territoires des communes. C’est donc une aristocratie militaire qui prend le pouvoir dans la société, formant une ensemble de familles, selon le droit franc, lombard ou romain qui ne prévoient pas le droit du premier né mais la subdivision de l’héritage et donc la nécessité de se regrouper en « condomini » qui mettent en commun leurs propriétés ; certaines familles deviendront ainsi dominantes dans le Piémont : Morozzo della Rocca, Luserna di Rorà, Valperga di Caluso, San Martino d’Aglié, Radicati di Brozolo. Au-dessus de ce grouillement de familles nobles locales, quelques nobles ont une importance supérieure, les marquis de Montferrato, les marquis de Saluzzo, les comtes de Savoie et les comtes de Biandrate, qui influencent la politique des grands, empereurs ou papes, avec lesquels ils s’unissent par mariages de leurs enfants. Ils devaient cependant défendre leurs terres, dont ils risquaient toujours de perdre le contrôle, et garder la fidélité de leurs paysans et sujets en jouant de la contrainte et des concessions. Disposant au départ de terres souvent dispersées, ils tendent à se créer des domaines toujours plus unifiés. Parmi les puissants du Piémont figuraient les monastères. Ce furent d’abord les moines « noirs », les Bénédictins, peu à peu concurrencés par l’arrivée des moines « blancs », Cisterciens et Chartreux. nés en France, en Bourgogne (Cîteaux) pour les premiers, en Dauphiné (Grande Chartreuse) pour les seconds, qui s’étendent d’abord en Piémont avant toute autre région d’Italie ; ils sont appuyés par les princes les plus forts de la plaine et des montagnes ; signe d’une grande ferveur religieuse, l’installation de ces deux ordres ne va pas sans opposition : ils transforment considérablement le paysage des campagnes en déboisant et en occupant les terrains incultes, faisant perdre aux paysans leurs droits de chasse et de ramassage du bois. Ils sont cependant très appréciés et utilisés par les princes dont ils facilitent les rapports avec l’empereur et surtout le pape. Par contre une réalité nouvelle s’oppose au pouvoir des princes, celle des communes urbaines, qui se créèrent aussi en Piémont, même si finalement les dynasties princières se révélèrent plus résistantes. L’expérience communale se développa dans les plus grandes villes, de 10.000 à 15.000 habitants, comme Vercelli, Asti, Chieri et Alessandria (créée en 1168), mais aussi dans des villes de 5.000 habitants, parfois anciens centres épiscopaux, comme Turin, Ivrea, Novara, Alba, Acqui Terme, Tortona, Pinerolo, Moncalieri, Casale, Biella, Chivasso, ou villes nouvelles comme Cuneo, Mondovì, Fossano, Cherasco, Savigliano. Les communes favorisent l’immigration des paysans et artisans désireux de trouver du travail et d’échapper à la soumission aux seigneurs, en leur octroyant un droit de citoyenneté et une exemption d’impôts pendant plusieurs années. Les villes grandissent, il faut élargir les enceintes, construire de nouvelles maisons plus adaptées, ayant plusieurs étages, tandis que les nobles immigrés se font construire des maisons fortes surmontées de tours. Les boutiques d’artisans se multiplient, en même temps que les foires et les marchés ; les industries s’installent le long des fleuves, moulins, tanneurs, foulons ; les chantiers se développent pour la construction des églises (Vercelli, première église gothique d’Italie, en 1219) ; les marchands s’organisent en associations ; souvent les villes obtiennent de l’empereur le droit de battre monnaie (Asti dès 1140, qui vit du commerce de l’argent par ses banques installées dans une partie de l’Europe). Cette poussée des communes se traduit par une participation plus large de la population à la gestion de la ville, jusqu’alors dirigée par l’évêque : on élit des consuls qui agissent au nom de la collectivité, en 1095 à Asti, Tortona en 1122, Novara en 1139, Vercelli en 1141, Turin en 1147. Ainsi s’établissent des rapports parfois violents entre une population qui s’émancipe, l’évêque et le comte ou marquis local, formant des alliances changeantes selon les nécessités du moment (conflits d’Asti, de Turin, de Vercelli). Ce qui est nouveau, c’est la conscience qu’a le « peuple » d’avoir des intérêts collectifs et de constituer une communauté unie (le terme de « commune » apparaît pour la première fois à Vercelli en 1148). Bientôt les consuls commenceront à devenir « judices » et à rendre la justice, dès 1161 à Asti, 1170 à Tortona, 1178 à Vercelli ; à partir de ce moment-là, les évêques perdent le contrôle des péages et des impôts sur les marchés, souvent à contrecoeur ; la juridiction épiscopale finira par disparaître totalement, à Tortona en 1234, Vercelli en 1243, et sera remplacée par une nouvelle juridiction. Les consuls finiront par constituer une nouvelle oligarchie, une aristocratie consulaire (80 familles à Asti, 70 à Vercelli) qui est composée de « milites », chevaliers qui forment le cœur des armées communales : les communes ne sont pas créées seulement par une nouvelle bourgeoisie mais aussi par une aristocratie militaire capable d’assurer la direction politique des masses urbaines et rurales ; ils se font même souvent élire au chapitre de la cathédrale ou au poste d’évêque qui est au cœur d’un comité d’affaires qui dirige la vie de la commune et la vie de l’Église, s’appropriant des rentes, des terres et des châteaux (l’évêque Gisulfo Avogadro à Vercelli, de 1131 à 1151, puis l’évêque Guala Bondoni de 1170 à 1182). Ces trafiquants enrichis par le commerce et l’usure deviennent les familles les plus illustres des villes piémontaises de l’Ancien Régime. Lorsque Frédéric Barberousse (1122-1190)) fut élu empereur en 1152, les villes piémontaises se trouvèrent face à un projet de consolidation du pouvoir monarchique et de constitution d’un empire universel qui impliquait la soumission de l’Italie du Nord et du Royaume de Sicile ; elles durent prendre position, car cela mettait en cause l’autonomie communale qui commençait à se développer. Les villes où le pouvoir communal était le moins évolué se soumirent à l’empereur et appuyèrent sa lutte contre Milan, sous la direction de l’évêque à qui l’empereur donna plus de pouvoir sur leur district : Vercelli, Turin et l’évêque Carlo qui accueillent l’empereur en 1159, Novare qui participe à la destruction de Milan en 1162. Le marquis de Montferrat était le principal point d’appui de l’empereur ; Milan, en lutte d’influence avec Lodi, Côme et Pavie était le centre de la lutte anti-impériale. D’autres villes, en conflit avec leur évêque et hostiles au marquis de Montferrat, résistèrent à l’avancée impériale : Asti, Chieri, Tortona (en lutte contre Pavie qui soutenait l’empereur), Chieri est assiégée et détruite par Frédéric Barberousse en 1154, Asti en 1155, Tortona fut incendiée en 1155 et en 1163. Mais bientôt, les communes se renforcèrent et en 1167, même Vercelli, Asti et Novare adhérèrent à la Ligue lombarde constituée le 7 avril 1167 à l’abbaye de Pontida, renforcée le 1er décembre et appuyée par le pape Alexandre III, en l’honneur de qui on nomma « Alexandrie (Alessandria) » la nouvelle ville et forteresse construite contre l’empereur aux confins du marquisat de Montferrat. Descendu en Italie en 1158 et 1166, puis en 1174, l’empereur fut vaincu par les troupes communales le 29 mai 1176 et dut accepter la trêve de 1177 et le Traité de Constance en 1183, par lequel les communes restaient fidèles à l’empereur, à condition que celui-ci leur reconnaisse une pleine autonomie juridictionnelle. Novare et Vercelli avaient signé le Traité du côté de la Ligue, Asti du côté de l’empereur avant de rétablir son alliance avec Milan. Les marquis de Montferrat et de Saluzzo tentèrent encore de reprendre la lutte contre les communes de 1190 à 1206, mais durent renoncer et se retournèrent vers l’Orient en participant aux croisades où ils se marièrent avec des princesses byzantines et moururent, signant ainsi la fin des dominations princières en Piémont. La crise des deux marquisats laissa une place plus grande aux comtes de Savoie, qui durent cependant négocier avec les communes de Turin et D’Asti. La lutte entre les communes et l’empereur continua sous Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250), la Ligue lombarde se reconstitua en 1226, et obtint finalement la victoire en 1238, en particulier grâce à la victoire de l’armée de Bologne sur celle de Modena. La Ligue se dissout en 1250 à la mort de Frédéric II. Ce fut le moment où se constituèrent en Italie les deux partis opposés, « parti de l’Église » (les Guelfes) et « parti de l’empire » (les Gibelins), auxquels les communes adhèrent moins par idéologie que par des intérêts qui peuvent les faire passer de l’un à l’autre ; à l’intérieur même de chaque commune, les familles nobles se rattachaient à un parti ou à l’autre en fonction de leurs intérêts dans la ville : à Vercelli, les Bicchieri et les Bondoni favorables à l’empire contre les Avogadro et les forces populaires qui s‘appuient donc sur l’évêque et le pape. Outre les pressions qu’elles exerçaient sur les châteaux pour qu’ils leur cèdent leurs droits, les communes construisirent des villes nouvelles qui limitaient encore plus les pouvoirs des princes ou des évêques. Ainsi en 1167, les habitants de 8 localités dépendant du marquisat de Monferrat décidèrent de quitter leurs villages et de fonder un bourg nouveau qu’ils appelèrent « Alessandria » en l’honneur du pape Alexandre III ; pour affaiblir Monferrat, Gênes et Rome approuvèrent et le pape y instaura un siège épiscopal, malgré l’opposition des autres évêques locaux. De même Cuneo fut fondée en 1198 contre le marquisat de Saluzzo, et il lui fallut attendre 1231 pour atteindre sa pleine autonomie. Mondovì est fondée à la fin du XIIe siècle par les habitants de Vico et d’autres villages, et dut se battre contre l’évêque jusqu’en 1233 pour obtenir son autonomie grâce à l’appui de la Ligue Lombarde ; il en fut de même de Savigliano, créée par des paysans et des chevaliers ; Fossano est fondée en 1236 par les communautés de 4 localités ; Moncalieri est créée par les habitants de Testona qui abandonnent leur village en 1196 pour se mettre sous la protection d’une maison des Templiers. Mais beaucoup de villages nouveaux, des « bourgs francs », furent fondés par les chevaliers et les paysans d’une ville pour affaiblir un prince rural concurrent ou pour fortifier une voie d’accès à leur territoire : c’est le cas d’Asti, de Chieri, de Novara, de Mondovì, d’Alessandria et de Tortona ; beaucoup de nouveaux paysans venaient y habiter pour échapper à la domination d’un seigneur ; ainsi le territoire piémontais est-il remodelé par l’action des hommes. Même le comte de Savoie crée en 1139 le village d’Avigliana sur la route  qui débouche du Val de Suse, grand passage de marchands. Cette évolution poussa les paysans à s’organiser et à défendre leurs intérêts en négociant avec leur seigneur et en nommant des consuls pour les représenter, demander des franchises, limiter les droits des seigneurs (contributions, amendes, etc.) ; parfois même le seigneur est contraint de s’intégrer dans la communauté villageoise en se faisant élire « podestat » (maire du village). En somme, les communautés rurales, comportant un grand nombre d’habitants, imitaient les communautés urbaines, parfois peu importantes, créant une même culture politique centrée sur l’organisation communale et sur la défense des libertés et des intérêts communs. Les communes commencent à s’organiser de façon nouvelle, créant des conseils communaux (« consiglio di credenza »), à la tête desquels on nomme un podestat, généralement chevalier et expert de droit, pris dans une autre ville pour qu’il soit moins soumis aux luttes entre les factions locales ; se constituent aussi des « società di popolo », souvent consacrées au saint patron qui constituent un mode de participation large de la population à la vie de la commune, et la base d’une organisation populaire d’autodéfense armée, qui excluait les familles les plus importantes, lesquelles à leur tour constituaient des « societates militum » des plus riches marchands ou chevaliers. Au Piémont, les sociétés populaires s’intégraient avec les organismes professionnels, les corporations d’artisans, comme à Novara, Vercelli, Asti, Turin, Tortona. Certes, les familles les plus nobles et les plus riches devenaient souvent hégémoniques dans les organisations populaires et les manipulaient, mais il n’en reste pas moins que ces structures communales constituaient des expériences de gouvernement « démocratique » plus avancé.
abbaye de S Maria di Lucedio
abbaye de Staffarda
Vercelli, Piazza Cavour
Frédéric Barberousse
Armoiries de la famille des Hohenstaufen
Plaque commémorative de la création de la Ligue lombarde à Pontida
Frédéric II (De Arte venandi cum avibus).
Frédéric II (Palais Royal de Naples).
château de Moncalieri
Mondovì, Torre del  Belvedere(XIII-XIV sec.)
Les comtes de Savoie * v. 1027-v. 1047 : Humbert Ier Humbert aux Blanches Mains (v. 980-v. 1048), tige de la Maison de Savoie * v. 1047-v. 1051 : Amédée Ier, fils du précédent v. 1051-v. 1060 : Othon Ier, frère du précédent. Il épouse Adélaïde, comtesse de Turin. * v. 1060-v. 1078 : Pierre Ier, fils du précédent * v. 1078-1094 : Amédée II (v. 1048-1094), frère du précédent * 1094-1103 : Humbert II (mort en 1103), fils du précédent * 1103-1149 : Amédée III (v. 1095-30 août 1149), fils du précédent, mort lors de la troisième croisade *1149-1189 : Humbert III (1136-1189), fils du précédent * 1189-1233 : Thomas Ier (v. 1177-1233), fils du précédent * 1233-1253 : Amédée IV (1197-1253), fils du précédent *1253-1263 : Boniface le Roland (1244-1263), fils du précédent *1263-1268 : Pierre II (v. 1203-1268), oncle du précédent *1268-1285 : Philippe Ier (1207-1285), frère du précédent *1285-1323 : Amédée V le Grand (v. 1249-1323), neveu du précédent *1323-1329 : Édouard le Libéral (1284-1329), fils du précédent 1329-1343 : Aymon le Pacifique (1291-1343), frère du précédent *1343-1383 : Amédée VI le Comte vert (1334- 1383), fils du précédent *1383-1391 : Amédée VII le Comte rouge (1360-1391), fils du précédent *1391-1416 : Amédée VIII le Pacifique (1383- 1451), fils du précédent
6) Des communes aux principats. La montée des Savoie. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, la plupart des communes, pour se défendre ou pour survivre, tendirent à abandonner leur autonomie et à se soumettre à un prince extérieur, Charles d’Anjou vers 1259-1260 ou le marquis de Montferrat ou, après lui, les Visconti de Milan dans l’est du Piémont et les Savoie dans l’ouest de la région, dont le pouvoir s’étend de plus en plus. Mais la  cause de la perte d’autonomie des communes réside surtout dans le développement des deux partis guelfe et gibelin qui viennent appuyer leurs partisans dans chaque ville et poussent donc à une division interne entre les factions qui s’allient tantôt avec les Angevins, le pape et le parti de l’Église, tantôt avec l’empereur et son parti, selon les vicissitudes locales (les Bicchieri gibelins contre les Avogadro guelfes à Vercelli, les De Castello gibelins contre les Solaro guelfes à Asti, les Guasco guelfes contre les gibelins Lanzavecchia à Alessandria, les Brusati guelfes contre les Tornielli gibelins à Novara, etc) ; ils s’expulsent de la ville à tour de rôle, profitant qui de la descente en Italie de l’empereur Henri VII en 1310, qui de la domination d’un roi angevin de Naples, rasant les tours et les maisons de l’adversaire et se qualifiant de « guelfes » ou de « gibelins » selon la qualification de l’adversaire. À Turin, les familles qui soutiennent les Savoie (les Della Rovere, Beccuti, Borgesio) s’étaient dites « guelfes » en 1280, leurs adversaires Zucca, Sili se qualifieront donc de « gibelins » ! Ces crises politiques se doublent d’une crise sanitaire et démographique  dont les causes sont la peste et les guerres. La peste met fin à la croissance démographique de 1348 à 1420 ; au Piémont, elle fauche le tiers des habitants en 1348-49 et revient régulièrement en 1361-2, 1371-4, 1381-4, 1398-1401 ; elle dure 17 ans au XVe siècle à Turin ; elle explique l’extraordinaire diffusion des cultes de S. Sébastien et de S Roch, protecteurs des populations contre la maladie ; la croissance démographique ne reprendra qu’à partir de 1450. En 1348, les Juifs sont considérés comme la source de la peste par empoisonnement des sources. Quant à la guerre, son visage change à partir de la fin du XIIIe siècle : de conflit entre de petites puissances et de petites armées locales, elle devient conflit entre des puissances supra régionales, comme les Savoie, les Anjou, les Visconti, les papes, l’empereur, etc. qui extorquent de l’argent pour entretenir leurs armées de mercenaires anglais, allemands ou suisses ; jusqu’à sa mort en 1412,  un capitaine de mercenaires, Facino Cane, terrorise le nord et l’est du Piémont, parvenant à s’emparer de Novare, Alessandria et Tortona. Mais l’originalité piémontaise est d’intégrer très tôt dans l’armée les fantassins, archers et arquebusiers, efficaces contre la cavalerie féodale. Mais guerres et épidémies de peste n’arrêtent pas le mouvement général de développement de la société piémontaise, de la production agricole, du commerce, des banques, de la consommation, de la construction, et surtout celui des  grands États qui soumettent les plus petits et augmentent l’importance de leurs cours, de leurs appareils administratifs et de leurs armées. Leur domination se marque par la construction de forteresses, de châteaux, de palais, qui constituent à la fois un système de défense, un symbole de leur autorité et un lieu de résidence aristocratique confortable et décoré de fresques comme celles de la Salle baronale du château de la Manta, près de Saluzzo. Même les maisons de paysans deviennent plus salubres, la loi les oblige par exemple à se couvrir de tuiles ou d’ardoise, et non plus de paille, les pierres et les briques remplacent les murs de bois. Dans les petites villes se développe aussi une activité artisanale et industrielle de qualité, la laine à Pinerolo, la futaine (tissu croisé de fil et de coton) à Chieri, la soie à Racconigi, le papier à Caselle qui répond à une nouvelle demande  intellectuelle et bureaucratique, typographie à Turin, Mondovì, Saluzzo, Vercelli. L’agriculture augmente l’élevage aux dépens des céréales, la vigne commence à prendre une place importante ; une nouvelle transhumance apparaît, les bergers descendent leurs troupeaux dans la plaine pendant l’hiver et s’intègrent donc à la nouvelle prospérité des villes sans abandonner leurs vallées de montagne. Le territoire se partage bientôt entre quatre principaux acteurs : la famille d’Anjou, qui détiendra le Royaume de Naples jusqu’en 1442 et qui possédait quelques territoires en Piémont, doit abandonner Asti au marquis de Montferrat en 1345 et céder ses autres possessions (Cuneo) à Amédée VI de Savoie en 1382. Le principat d’Acaia est réabsorbé dans le comté de Savoie en 1418. Il ne reste donc que le duché de Milan qui domine l’est du Piémont (Novare, Vercelli, Alessandria, Tortona, et parfois Alba, Cuneo Asti et Mondovì) ; la frontière entre Milan et les Savoie s’établira sur le fleuve Sesia, qui reste la frontière linguistique entre les deux États, sous la pression des armées milanaises commandées par le condottiere Bartolomeo Colleoni  (1395-1475). Les marquis de Montferrat (la famille des Aleramici de 967 à 1306, puis les Paléologues de 1306 à 1533, suivis par les Gonzaga de 1536 à 1708) ne résistent à leurs adversaires qu’en devenant « capitani di ventura » (chefs de guerre) au service des puissances voisines, jusqu’à l’annexions du marquisat par les Savoie en 1708. Le marquisat de Saluzzo, après diverses vicissitudes, fut définitivement absorbé par les Savoie en 1701. C’est donc la dynastie des Savoie qui va finalement l’emporter au Piémont, surtout à partir du Comte Vert, Amédée VI, qui obtient en 1379 la reddition de Biella au nord, et en 1382 celle de Cuneo au sud. Son fils Amédée VII, le Comte Rouge, ajoute à ses domaines Mondovì en 1396, Vercelli en 1427, Chivasso en 1435, et l’empereur concède en 1416 le titre de duc  à Amédée VIII, qui deviendra pape de 1440 à 1449 sous le nom de Félix V. Les comtes puis ducs de Savoie furent longtemps pris entre la France et le duché de Milan sur le plan international, mais dès cette époque, ils apparurent comme la principale et quasi exclusive puissance piémontaise, à qui ne manquaient que quelques vallées alpines (Valle Varaita, Val Chisone et haute vallée de Suse sujettes au Parlement de Grenoble avec les communautés du Briançonnais et du Queyras). Le renforcement des grands principats territoriaux va de pair avec la soumission des petits nobles ruraux jusqu’alors indépendants, et des grandes familles nobles de la ville qui avaient commencé à investir dans des propriétés foncières à la campagne, dans leurs châteaux ou villas ; parmi ceux-ci, les banquiers se transforment au XIVe siècle en seigneurs ruraux vassaux des princes, sans pour autant abandonner leur activité de banquiers qui leur permet de fournir en argent les Savoie et les Visconti, en échange d’offices et d’investitures très rentables. Le lien entre la politique et la finance se resserre ainsi étroitement : les banquiers deviennent des seigneurs féodaux, et les politiques se créent une cour de banquiers capables de les aider financièrement. Par ailleurs les Visconti ont pour politique d’affaiblir les communes en leur ôtant une partie de leur environnement rural dont ils font de nouvelles petites seigneuries qui leur sont soumises, ayant été libérées de la tutelle de la commune. Ainsi se crée une nouvelle noblesse unie autour du prince ; un des meilleurs exemples est la famille de financiers  de Vitaliano Borromeo à qui est donné un vaste territoire autour du Lac Majeur, et qui passe presque au niveau d’une noblesse princière. Il ne faut pourtant pas en conclure qu’il s’agit d’un retour à la féodalisation passée, car ces nouvelles féodalités sont peu stables, pouvant être revendues ou échangées à volonté ; elles ne correspondent qu’à un renforcement d’une nouvelle forme de pouvoir d’État. Cette évolution transforme le rôle et l’importance des villes piémontaises, parmi lesquelles Turin devient centrale ; sa position géographique est déterminante pour le recentrage de l’administration des Savoie, dont le cœur est encore de l’autre côté des Alpes, mais où les possibilités d’expansion vers l’ouest sont annulées par le rattachement du Dauphiné à la couronne de France en 1349. L’évêque est à Turin, et c’est là que se transfère en 1403-04 l’Université qui avait envisagé de s’installer à Vercelli. Or c’est dans la principale faculté de l’Université, celle de Droit et Jurisprudence que se forment les juges et conseillers qui seront à la base de l’administration politique. Turin devient donc le centre intellectuel et bureaucratique des Savoie ; comme par ailleurs les domaines turinois deviennent plus importants et plus riches que ceux de la Savoie, on peut dire que la décision de transférer la capitale de l’État de Chambéry à Turin est prise dès le début du XVIe siècle, bien avant la décision formelle d’Emmanuel Philibert en 1573. En 1459, Ludovic de Savoie fait transférer de Moncalieri à Turin le « Consiglio cismontano » (qui s’occupe des impôts du duc, du rappel des troupes et des tribunaux). Turin est élevée au rang d’archevêché en 1515. C’est encore le duc d’Orléans qui contrôle la ville d’Asti ; un des ducs deviendra roi de France en 1499 sous le nom de Louis XII et se servira de cette possession pour revendiquer des droits sur l’Italie. Cette centralisation sur un petit nombre d’États se traduit par l’apparition de nouveaux organismes de gouvernement et de nouvelles bureaucraties. Chaque État est un agrégat de villes, de seigneurs et de communautés rurales qui se sont soumis individuellement à des conditions précises, le prince doit nommer des fonctionnaires locaux pour les représenter, maintenir l’ordre, faire respecter les contrats, juger les procès et ramasser les impôts ; ce personnel est rémunéré par le prince et doit présenter des comptes rendus écrits de ses activités, mais les postes sont accordés à ceux qui les achètent ou les louent, quitte à ce qu’ils soient sous- loués moyennant finances et à devenir héréditaires. Cela coûte cher à l’État et diminue son efficacité, la complexité de plus en plus grande de la gestion obligeant à multiplier les charges, dans lesquelles s’infiltre la noblesse « de robe », les notaires et juristes enrichis au service du prince, faisant de chaque conseil un lieu de pouvoir dominé par des clans d’amis et de relations qui constituent une élite capable de gérer la politique au niveau régional. Les princes recherchent dans chaque État les personnes les plus susceptibles de les servir et de leur être fidèles, juristes, trésoriers. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, on peut estimer l’importance du budget d’un État : 7 à 800.000 ducats d’or par an pour le duché de Milan, 150 à 200.000 pour le duché de Savoie. Les luttes sont terribles et souvent mortelles entre les clans  qui cherchent à conquérir les postes et à exercer le pouvoir par tous les moyens, de la corruption à la violence, dans une ville. Alessandro Barbero donne l’exemple de Cuneo : « À Cuneo, dans la seconde moitié du XVe siècle, le général des Finances du duc de Savoie, Ruffino de’ Morri, domine la vie politique de la commune, fait entrer qui il veut dans le conseil communal, manœuvre l’élection du vicaire et les adjudications les plus juteuses, les assurant à des amis et parents ; si nécessaire, il intimide le conseil communal par des menaces, il en exclut les rares qui osent s’opposer à lui et les remplace par des hommes de paille, « plébéiens, ignorants et venus de la campagne », comme commente un contemporain scandalisé, ou bien il les fait se réunir illégalement en temps de peste et sans nombre légal, et il peut le faire parce qu’il sait pouvoir compter à la cour sur des couvertures  si solides qu’aucune protestation provenant de Cuneo ne pourra jamais être écoutée » (Op. cit., p. 191). Autour du prince se constitue aussi une cour, qui ne doit pas être confondue avec les organismes de gouvernement : ce sont les services qui s’occupent de la vie du prince, de sa nourriture, de son trousseau, de son mobilier, de sa garde-robe, de sa chasse, de ses chevaux et de ses chiens. Les membres de cette cour sont des gentilshommes influents du fait de leur proximité physique avec le prince, majordomes, chambellans, écuyers. En 1504 Charles II de Savoie dispose de 16 majordomes, et pour donner du travail à tous ses courtisans, il les fait nommer par trimestres. La chasse, au faucon ou aux lévriers restera un des loisirs préférés de l’aristocratie de Savoie ; les tournois avaient été très pratiqués, en particulier par le Comte Vert à la fin du XIVe siècle ; ils avaient disparu avec la vieille féodalité (en France, Catherine de Médicis les interdit en 1559 à partir de la mort de Henri II dans un tournoi). Mais la chasse était une pratique permanente dans la famille de Savoie, peu portée sur les études et la littérature ; jusqu’à Victor Emmanuel II, on pratiqua à la cour des battues de chasse. Les territoires de la plaine du Pô étaient alors disséminés de forêts où abondaient les sangliers, les cerfs, les lièvres, les lapins sauvages, les volatiles ; c’était d’abord non seulement une pratique sportive, mais la source d’un complément alimentaire nécessaire à une époque où le bétail mal alimenté n’est pas assez nourrissant. Les plébéiens des communes avaient aussi l’autorisation de chasser, mais ils devaient recevoir et loger les princes lors des grandes battues. Plus tard, les Savoie se firent construire de grandes résidences de chasse tout autour de Turin, Venaria, Stupinigi, Racconigi. Mais une des caractéristiques du Piémont est de réunir des assemblées, parlements généraux de vassaux et de représentant des communes rurales. La première dont on ait la trace se déroule le 9 mars 1305 à Trino, dans le marquisat de Montferrat, avec 67 vassaux et 59 députés des communes rurales, événement politique nouveau et moderne, qui manifestait que cette société voulait faire entendre sa propre voix dans les prises de décision politiques. Ce ne fut jamais le cas ni du duché de Milan ni de villes comme Florence ou Venise. Ces assemblées, appelées des « Trois États » étaient réunies surtout pour décider des « subsides » à accorder au prince et des taxes payées par chaque commune, mais parfois elles prenaient aussi des décisions politiques dans les moments de crise ou d’urgence. Ce fut un mode de prise de décision politique original et propre au Piémont. Cela limitait les luttes locales entre les clans et la pratique de l’intimidation et de la violence, à la différence de ce qui était pratiqué dans le voisin duché de Milan, plus centralisé et moins « démocratique ». Les communautés rurales avaient d’ailleurs la possibilité de recourir directement au prince lorsqu’elles avaient un conflit avec le seigneur local ; le prince fait alors intervenir un de ses officiers pour régler le problème. Il n’y eut dans le Piémont qu’une grande révolte paysanne en 1383 à la mort du Comte Vert, que le successeur, le jeune Amédée VII, appelé par les paysans contre les nobles locaux, mit plus de cinq ans à régler. Ce fut une exception : toujours les problèmes furent réglés par voie judiciaire, selon les règles édictées dans les Statuta Sabaudiae Ducalia d’Amédée VIII. Dans le domaine religieux, les ordres traditionnels stagnent, les donations faites aux Bénédictins diminuent, ils apparaissent dorénavant comme inutiles, immobilisant d’immenses richesses territoriales, le prestige de leurs moines et le nombre de vocations sont en baisse : le pape met en « commende » beaucoup d’abbayes, c’est-à-dire les confie à un administrateur laïque, c’est le cas de Staffarda (1462), de la Novalesa (1479), de San Michele della Chiusa (1381), de Villar San Costanzo, de Santa Maria de Pinerolo. Par contre naissent de nouvelles institutions, les ordres « mendiants », Franciscains et Dominicains, masculins et féminins (les Clarisses) portés par une grande piété populaire ; au début, ils ne s’installent pas dans des couvents, mais se présentent sous forme de prêcheurs, très écoutés et reconnus. Puis bientôt, abandonnant l’idéal de pauvreté christique de François d’Assise, ils s’installent dans de grands couvents qui deviennent aussi des centres de lutte contre les « hérésies » et des lieux de sépulture des princes. Par ailleurs des mouvements de « pauvres » forment des communautés nouvelles comme les « Umiliati » qui vivent une expérience spirituelle tout en continuant leur travail de filature de la laine ou de tissage. Ces mouvements se divisent bientôt entre ceux qui veulent s’installer dans l’institution et ceux qui veulent continuer à pratiquer une pauvreté totale ; les premiers acceptent des charges de trésoriers ou des postes d’évêques, les seconds apparaîtront comme socialement dangereux et seront excommuniés, condamnés et parfois brûlés par l’Inquisition. Car l’Église officielle se mondanise, « toujours plus dominée par la politique, par le clientélisme et par le profit » (Alessandro Barbero, op. cit. p. 201). Parmi les mouvements de pauvres présents au Piémont, il faut compter quelques Franciscains, comme Angelo Carletti de Chivasso (1411-1495, Vicaire général de l’Observance, fondateur de monts-de-piété) et Antonio de Vercelli, ou des prophétesses comme Caterina de Racconigi (1486-1547), du Tiers Ordre dominicain, fille d’un serrurier et d’une tisserande. Mais le plus important de ces mouvements et le seul qui existe encore fut celui des « Valdesi », disciples de Pierre Valdo de Lyon (1140-1206 ?) et qui trouvent refuge dans les hautes vallées du Piémont. Beaucoup d’autres mouvements de ce type eurent une forte influence, les « Apostolici », fondés à Parme par Gherardino Segarelli, brûlé en 1300 et remplacé par Fra Dolcino (1250-1307), originaire de Novare, jusqu’à ce qu’ils soient anéantis en 1307 et leur chef brûlé par l’Inquisition. Au cours des XIVe et XVe siècles, celle-ci se fait au Piémont de plus en plus cruelle dans la répression des « hérétiques » et des Juifs, très présents dans les villes piémontaises (banquiers, médecins, éditeurs, libraires …) et très tôt enfermés dans leurs « ghettos » (Turin 1457). À ces répressions s’ajoutent les procès contre les « sorcières », dans une forme de paranoïa collective qui considère ces représentantes de l’ancienne  culture populaire comme de dangereuses alliées du diable représentant un danger mortel pour la société civile et religieuse et devant par conséquent être férocement combattues. Les laïques participent à la vie spirituelle à travers toute une série de manifestations autour des paroisses, des monastères et des associations pénitentiaires qui célèbrent de plus en plus le culte de la Vierge Marie : Santa Maria d’Oropa (culte de la Vierge Noire), sanctuaire de la Madonna della Consolata à Turin. C’est aussi l’époque où commencent à se créer dans le Piémont et en Lombardie les « Sacri Monti » de Varallo, d’Oropa, de Varese, etc. qui vont offrir des lieux de pèlerinage dédiés à la Passion du Christ ou à la vie de la Vierge ou de François d’Assise à tous ceux qui n’osent plus se rendre en Terre Sainte. A. Barbero conclut : « Au Piémont aussi, en somme, nous touchons de la main la contradiction qui est celle de toute la société européenne à cette époque, c’est-à-dire d’une société extraordinairement vitale et créative, dans une vigoureuse croissance économique et culturelle, et en même temps proie de sombres obsessions et sujette à un très dur assujettissement de la part du pouvoir laïque et ecclésiastique » (op. cit. p.208-09). 7) De 1494 à 1748, le jeu des Savoie entre la France et l’Espagne. Lieu de passage européen essentiel, le Piémont avait toujours été convoité par les grandes puissances voisines. Déjà à la mort du Comte Rouge Amédée VII en 1391 à l’âge de 28 ans, les clans français se déchaînent pour le contrôle de sa succession, soutenus par sa mère la comtesse Bonne de Bourbon favorable au duc de Bourbon, ou par sa femme Bonne de Berry favorable au duc de Berry, tandis que le duc de Bourgogne vise la succession par le biais de sa fille Marie, fiancée encore dans l’enfance à Amédée, le fils du Comte Rouge qui n’a encore que trois ans ! Plus tard, c’est le conflit entre la France et l’empire espagnol, en lutte pour l’hégémonie en Europe et dans la Méditerranée, qui conditionnera l’évolution du Piémont. La France a besoin de la fidélité des ducs de Savoie et des marquis de Saluzzo pour assurer le passage de ses armées vers l’Italie à travers les Alpes. L’Espagne craint la présence française dans le Piémont, qui menace ses possessions de la plaine du Pô (le duché de Milan) et la route de la Méditerranée aux Flandres et à l’Allemagne à travers les cols des Apennins ; c’est pourquoi elle gardera le contrôle du marquisat de Montferrat (la place forte de Casale Monferrato) jusqu’à la guerre de succession espagnole. Les ducs de Savoie ne pourront donc jamais mener une politique indépendante pendant cette période et devront penser le développement de leur État en jouant de l’alliance tantôt avec l’un tantôt avec l’autre, dans une région constamment traversée par des armées étrangères qui font peser un poids insupportable, économique, militaire et politique. Le marquisat de Saluzzo ne sera assimilé par les Savoie qu’en 1588 et celui de Montferrat qu’en 1713. Le Piémont souffrit d’abord des guerres d’Italie jusqu’en 1559, oscillant entre la France et l’Empire (on réveille les termes de « guelfes », partisans de la France, et de « gibelins » partisans de Charles-Quint), selon que la victoire est française (François 1er vainqueur à Marignan en 1515) ou espagnole  (capture de François 1er à Pavie en 1525). Le Piémont est souvent rattaché à la France (comme de 1536 à 1559), perdant parfois presque toute existence, et toujours parcouru par les armées française, espagnole ou suisse (les redoutables mercenaires suisses) qui pillent, ravagent, violent des populations terrorisées. Mais la faiblesse du Piémont tient d’abord à celle de l’État savoyard, à l’arriération de sa cour et à la médiocrité de ses dirigeants. Le Comte Vert, Amédée VI avait été un dirigeant énergique, à la tête d’une cour brillante ; il élimine son rival, le prince Filippo d’Acaia, organise une croisade réussie en 1365-66 contre les Turcs. Son fils, le Comte Rouge, meurt jeune à 26 ans, remplacé par le long règne d’Amédée VIII, diplomate subtil à qui l’empereur Sigismond de Luxembourg accorde le titre de duc, qui agrandit les terres des Savoie et réorganise l’État de Savoie (Statuts de 1430). En 1434, il abandonne l’administration du duché à son fils Ludovic et se retire au monastère de Ripaglia, sur le lac de Genève, avec les principaux personnages de sa cour, où il mène, dira le futur pape Pie II, une vie peu monacale, mais d’où il s’arrange pour être élu pape en 1439 sous le nom de Félix V, contre le pape en place Eugène IV. Mais son entreprise, dont il pensait surtout qu’elle allait favoriser l’État de Savoie, trouve peu d’échos, et il renonce en 1449 en abdiquant auprès du nouveau pape Nicolas V. Il meurt le 7 janvier 1451 à Genève, « achevant une existence de finesses politiques, de soins administratifs et de ruses diplomatiques » (Gianni Oliva, op. cit. p. 146). Ses successeurs seront dans l’ensemble médiocres, son fils Ludovic, puis Filiberto I, Carlo I, Filippo II « Sans terre », puis Carlo II dit « Le Bon », duc de 1504 à 1553, de caractère indécis et de peu d’autorité, à qui il ne restera qu’une bande de terre étroite, de la vallée d’Aoste à  Nice. Dans ces conditions, la cour de Savoie resta une cour plus proche de celles du Moyen-âge que des nouvelles cours brillantes de la Renaissance : les Savoie étaient trop pauvres pour constituer des résidences, des châteaux, des fêtes exubérantes comme les cours de Florence, de Rome ou de Venise. Après le règne des « trois Amédée », l’évolution des Savoie avait ralenti, il faudra attendre l’arrivée d’Emmanuel-Philibert pour que la progression reprenne et rejoigne la grandeur des nations modernes qui maintenant dominaient l’Europe, la France, l’Espagne, l’Autriche impériale. La défaite que le duc de Savoie Emmanuel-Philibert, gouverneur des Pays-Bas et général des armées impériales, infligea aux Français à Saint-Quentin en 1557 conduisit à la paix de Cateau- Cambrésis en 1559, qui restitua aux Savoie les régions que la France avait conquises. Mais la France gardait le contrôle de 5 forteresses (Turin, Chieri, Chivasso, Villanova d’Asti et Pinerolo), l’Espagne de 2 (Asti, Santhià, plus Novara et Alessandria). Emmanuel-Philibert profita ensuite de la guerre civile en France (massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572) pour récupérer ses forteresses ; son successeur Charles Emmanuel I profita aussi de la crise française pour annexer en 1588 le marquisat de Saluzzo, mais dut céder à la France en échange la Bresse et le Bugey (Traité de Lyon de 1601), augmentant son éloignement de la partie française du duché. Le XVIIe siècle fut marqué par une alternance d’alliance des Savoie avec la France et avec l’Espagne, entrecoupées d’épisodes de peste dont celle de 1630 décrite par Manzoni dans Les Fiancés. Les Français de Richelieu l’emportèrent et le Traité de Cherasco de 1631 fit remettre aux Savoie une partie des territoires du marquisat de Montferrat, en échange de la Val Chisone et de la forteresse de Pinerolo, la plus inaccessible du Royaume et destinée aux prisonniers d’État comme Nicolas Fouquet, gardé par d’Artagnan et ses mousquetaires et, plus tard, comme le Masque de Fer. Jusqu’en 1659, armées française et espagnole se livrèrent aux assauts, conquêtes, pertes, nouveaux assauts, provoquant la misère et souvent la mort de toute la population. Cela fut aussi cause de guerres civiles internes à la Maison de Savoie : en 1637 meurt le duc Victor Amédée I, la régence est assurée par Marie Christine de France, sœur de Louis XIII et favorable à la France ; l’Espagne suscita contre une rébellion de ses beaux-frères, Tommaso et Maurizio qui s’emparèrent du Piémont jusqu’à ce que les troupes françaises reconquièrent les villes perdues. Mais après la mort de Christine, le Piémont fut pratiquement un vassal du Roi Soleil, et consacré à des guerres comme la guerre du Sel, contre la contrebande et l’hostilité populaire à la gabelle, et la guerre contre les Vaudois imposée par Louis XIV après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. De 1690 à 1715, le Piémont s’allia à l’empire contre Louis XIV à qui il avait refusé la forteresse de Turin. En mai 1706, la France assiégea Turin, encerclant la citadelle très efficace construite pour Emmanuel Philibert par l’architecte Francesco Paciotto, selon les nouveaux critères de fortification développés par Francesco di Giorgio Martini à la fin du XVe siècle ; sous la forteresse, un jeu de « mines » et de « contre-mines » permettait d’arrêter les assiégeants qui tenteraient de détruire les murailles ; c’est ce que fit Pietro Micca dans la nuit du 29 au 30 août 1706, en faisant exploser un groupe de soldats français qui s’étaient infiltrés dans un conduit souterrain. Cela prépara la victoire du prince Eugène de Savoie qui écrasa les troupes françaises le 7 septembre, épisode glorieux de l’armée piémontaise toujours fêté aujourd’hui et qui fut à l’origine de la construction de la basilique de la Superga. Malgré une dure période de froid (l’année 1709 est la plus froide de l’histoire) et de famines répétées (1693-4 et 1709-10), ce fut le début d’une reprise et d’une période de prospérité : en 1713, au Traité d’Utrecht, Victor Amédée II  arrache la couronne de roi de Sardaigne ; en 1738, Charles Emmanuel III (1730-1773) obtient Novare et Tortona, et en 1748 à la paix d’Aquisgrana, il annexe Vigevano, Voghera et le Haut Novarese, portant la frontière du Piémont sur le Ticino. Page suivante
Rappelons que l’Italie est alors divisée entre plusieurs États : au sud, le Royaume de Naples (qui comprend la Sicile jusqu’en 1282, date des Vêpres siciliennes), occupé dès 1264 par le Français Charles d’Anjou, jusqu’en 1442 où le Royaume passe à la famille d’Aragon. Au centre, les États de l’Église qui remontent jusqu’à Ravenne, et les Républiques de Florence, Sienne, Lucques et Pise. Au nord, les Este à Ferrare, les Scaliger à Vérone, la République de Venise, le Principat de Trento et le Patriarcat d’Aquileia, le Duché de Milan (Visconti), la République de Gênes. Le Piémont est divisé entre les marquisats de Saluzzo et de Montferrat et le comté de Savoie.
Le condottiere Facino Cane (1360-1412)
tour cylindrique du château de la Manta
château de Verzuolo, construit au XIVe siècle pour la défense du marquisat de Saluzzo
L’Italie à la fin du XIVe siècle
Chasse au faucon -Miniature florentine de 1485
Abbaye de la Novalesa
Sanctuaire de la Vierge Noire à Oropa
L’caval d’Brons, statue d’Emmanuel-Philibert, Piazza San Carlo à Turin
Pietro Micca
Turin pendant l’assaut français de 1706
Ducs de Savoie (1416-1675) • 1416-1451 : Amédée VIII le Pacifique (1383-1451) • 1451-1465 : Louis Ier (1402-1465), fils du précédent • 1465-1472 : Amédée IX le Bienheureux (1435-1472), fils du précédent • 1472-1482 : Philibert Ier le Chasseur (1465-1482), fils du précédent • 1482-1490 : Charles Ier le Guerrier (1468-1490), frère du précédent • 1490-1496 : Charles II « Le Bon » (1489-1496), fils du précédent • 1496-1497 : Philippe II sans Terre (1438-1497), grand-oncle du précédent, • fils de Louis Ier • 1497-1504 : Philibert II le Beau (1480-1504), fils du précédent • 1504-1553 : Charles III (1486-1553), frère du précédent • 1553-1580 : Emmanuel-Philibert Tête de Fer (1528-1580), fils du précédent • 1580-1630 : Charles-Emmanuel Ier le Grand (1562-1630), fils du précédent, origine des Savoie-Carignano. • 1630-1637 : Victor-Amédée Ier (1587-1637), fils du précédent • 1637-1638 : François-Hyacinthe (1627-1638), fils du précédent • 1638-1675 : Charles-Emmanuel II (1634-1675), frère du précédent
Amédée VIII et sa femme Marie de Bourgogne, par Carlo Arienti (1841)
Toute reproduction (papier ou numérique) est interdite sans une autorisation écrite du propriétaire du site.