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Histoire de la région Ombrie - 3° partie - suite
3) Un texte de Giosuè Carducci, Santa Maria degli Angeli (Rime Nuove,  1877)                  4) Un texte de Taine de 1865 sur Assise (Voyage en Italie, Paris, Hachette et Cie, 1881, pp. 20-32)  Au sommet d’une éminence abrupte, sur un double rang d’arcades superposées, apparaît le monastère ; à ses pieds un torrent écorche le sol et tournoie au loin entre les grèves de cailloux roulés ; au-delà, le vieux bourg s’allonge sur la croupe de la montagne. On monte longuement, sous le soleil ardent, et tout d’un coup, au bout d’une cour bordée de fines colonnettes, on entre dans l’obscurité de l’édifice. Il n’a point d’égal ; avant de l’avoir vu, on n’a pas l’idée de l’art et du génie du moyen-âge. Joignez-y Dante et les Fioretti de saint François, c’est le chef-d’œuvre du christianisme mystique. Il y a trois églises, l’une sur l’autre, toutes ordonnées autour du tombeau de saint François. Au-dessus de ce corps vénéré que le peuple croyait toujours vivant et plongé dans la prière au fond d’une grotte inaccessible, l’éifice s’est exhaussé et a fleuronné glorieusement comme une châsse architecturale. La plus basse est une crypte noire comme une tombe, on y descend avec des torches ; les pèlerins se retiennent aux murs suitants et tâtonnent pour toucher la grille. Là est la tombe, dans un pâle jour éteint semblable à celui des limbes. Quelques lampes de cuivre, presque sans lumière, y brûlent éternellement, comme des étoiles perdues dans une profondeur morne. La fumée monte en rampant sur les voûtes, et l’épaisse odeur des cierges se mêle à l’odeur de cave. Le gardien avive sa torche, et de flamboiement subit dans la noirceur horrible, au-dessus des os d’un mort, est une sorte de vision de Dante. C’est ici la fosse mystique d’un saint qui, du milieu de la pourriture et des vers, voit dans son cachot de terre gluante entre le rayonnement surnaturl du Sauveur. Mais ce qu’on ne peut représenter avec des paroles, c’est l’église moyenne, long soupirail bas, soutenu d’arceaux  ronds qui se courbent dans une demi-ombre et dont l’écrasement volontaire fait plier instinctivement les genoux. Un revêtement d’azur sombre et de bandes rougeâtres étoilées d’or, une merveilleuse broderie d’ornements, de torsades, d’enroulements délicats, de feuillages et de figurines peintes, courent les arcs et les plafonds de leur multitude harmonieuse ; le regard s‘en remplit ; un peuple de formes et de teintes vit sur ses voûtes ; je donnerais pour ce caveau toutes les églises de Rome. Ni l’antiquité ni la renaissance n’ont compris cette puissance de l’innombrable ; l’art classique agit par la simplicité, l’art gothique par la richesse ; l’un prend pour type le tronc de l’arbre, l’autre l’arbre entier avec tout l’épanouissement de son feuillage. Il y a ici un monde comme dans une forêt vivante, et chaque objet est complexe, complet comme une chose vivante : ici les stalles du chœur, chargées et couturées de sculptures ; là-bas une riche escalier tournant, des grilles ouvragées, une fine chaire de marbre, des monuments funéraires dont le marbre fouillé et travaillé semble le plus élégant coffret d’orfèvrerie ; çà et là, au hasard, une gerbe élancée des plus sveltes colonnettes, un amas de joyaux de pierre dont l’ordonnance semble une fantaisie, et dans le labyrinthe des feuillages colorés une profusion de peintures ascétiques avec leur auréole de vieil or terni : tout cela vaguement entrevu parmi les reflets noirs des boiseries, dans un jour de pourpre éteinte, tandis qu’à l’entrée le soleil baissant tombe, par cent mille flèches d’or comme un paon qui s’étale. Au sommet, l’église  supérieure s’élance aussi brillante, aussi aérée, aussi triomphante que clle-ci est basse et grave. Véritablement, si on se laissait aller aux conjectures, on croirait que dans les trois sanctuaires l’architecte a voulu représenter les trois mondes  : tout en bas, l’ombre de la mort et l’horreur du sépulcre infernal ; au milieu, l’anxiété passionnée du chrétien qui prie, lutte et attend dans notre terre d’épreuves ; en haut, la joie et la gloire éblouissante du paradis. Celle-ci,tout exhaussée dans l’air et dans la lumière, effile se colonnettes, aiguise ses ogives, amincit ses arceaux, monte et monte encore, illuminée par le plein jour de ses hautes fenêtres, par le rayonnement de ses rosaces, de ses vitraux, des filets d’or, des étoiles qui luisent sur ses arceaux et sur ses voûtes, enserrant les glorieux personnages, des histoires sacrées dont elle est peinte du pied jusqu’au sommet. Sans doute le temps les a lézardée, plusieurs sont tombées, l’azur dont elle était revêtue s’est terni ; mais l’esprit refait ce qui a disparu pour l’œil, et revoit la pompe angélique telle qu’il y a six siècles elle éclatit pour la première fois. Une cathédrale n’a point cette splendeur ; il faut une chapelle distincte pour figure à l’homme la dernière station de la vie chrétienne. Comme dan la Sainte-Chapelle de notre Louis IX, les hommes trouvaient ici un tabernacle ; la gravité et les terreurs de la religion étaient effacées ; in n’apercevait autour de soi que les splendeurs du ciel et le ravissement de l’extase.  Sous cette voûte qui, comme un dais aérien, semble ne point s’appuyer sur la terre, parmi les scintillements de l’or et les effluves de la clarté transfigurée par les vitraux, dans  cette merveilleuse broderie de formes élancées et entre-croisées qui s’enchevêtrent comme une parure de fiancée, l’homme se sentait transporté vivant dans le paradis. Nous ne retrouverons pas, nous n’écrirons pas ces fêtes. On les a écrites pour nous, et je me répétais tout bas ces vers de Dante :                     Tout se tient ici ; l’ami de Dante, Giotto, a peint dans la seconde église des visions semblables. Ce sont ses élèves et ses successeurs, tous imbus de son style, qui ont tapissé de leurs œuvres les autres parois de l’édifice. Il n’y a point de monument chrétien où les pures idées du moyen-âge arrivent à l’esprit sous tant de formes, et s’expliquent les unes les autres par tant de chefs-d’œuvre contemporains. Au-dessus de l’autel gardé par une grille ouvragée de fer et de bronze, Giotto a couvert la voûte surbaissée de grands personnages calmes et d’allégories mystiques. C’est saint François recevant des mains du Christ la Pauvreté comme épouse ; cest la Chasteté assiégée en vain dans une forteresse à créneaux, et honorée par les anges ; c’est l’Obéissance, sous un dais, entourée de saints et d’anges agenouillés ; c’est saint François glorifié, en habit doré de diacre, entouré de vertus célestes, de séraphins qui chantent. Ce Giotto, qui au-delà des monts, ne nous semble qu’un maladroit et un barbare,est déjà un peintre complet ; il fait des groupes, il sait les airs de tête : ce qui lui reste de roideur ne fait qu’ajouter à la sévérité religieuse de ses figures. Un relief trop fort, un mouvement trop humain dérangerait notre émotion ;il ne faut pas des expressions trop variées ni trop vives pour des anges et des vertus symboliques ;  ce sont toutes des âmes dans une extase immobile. Les fortes et splendides vierges, les archanges bien musclés qu’on fera dans deux siècles nous ramènent sur la terre ; leur chair est si visible que nous ne croyons pas à leur divinité. Ici, les personnages, les grandes femmes nobles rangées en processions hiératiques, ressemblent aux Mathilde, aux Lucie de Dante ; ce sont les sublimes et flottantes apparitions du rêve. Leurs beaux cheveux blonds sont chastement et uniformément relevés autour de leur front ; pressés les uns contre les autres, ils contemplent ;  de grandes tuniques à longs plis, blanches ou bleues, ou d’une rose pâle, tombent autour de leur corps ; ils se serrent autour du saint, autour du Christ, silencieusement comme un troupeau d’oiseaux fidèles, et leurs têtes un peu tristes ont la langueur grave du bonheur céleste. Ce moment est unique. le treizième siècle est le terme et la fleur du christianisme vivant ; iln’y a plus après lui que scolastique, décadence et tâtonnements infructueux vers un autre âge et un autre esprit. Un sentiment qui auparavant n’était qu’ébauché, l’amour, éclata alors avec une force extraordinaire, et saint François en fut le héraut. Il appelait l’eau , le feu, la lune, le soleil ses frères, il prêchait les oiseaux, il rachetait, en donnant son manteau,les agneaux qu’on portait au marché. On conte que les lièvres et les faisans se réfugiaient dans les plis de sa robe. Son esprit débordait sur toutes les créatures ; ses premiers disciples vécurent comme lui dans une sorte d’ivresse, « en sorte que quelquefois, pendant vingt jours et parfois trente jours, ils se tenaient seuls sur la cime des monts élevés, contemplant les choses célestes. » leurs écrits sont des effusions. « Que nul ne me reprenne, si l’amour me fait aller semblable à un fou ! Il n’y a plus de cœur qui se défende, qui échappe à un tel amour … car le ciel et la terre me crient et me répètent hautement, et tous les êtres que je dois aimer me disent : aime l’amour qui nous a faits pour t’attirer à lui … O Christ, souvent tu cheminas sur la terre comme un homme enivré ! L’amour te menait comme un homme vendu. En toutes choses tu ne montras qu’amour, ne te souvenant jamais de toi … Les traits pleuvaient si serré que j’en étais tout agonisant. Il les dardait si fortement que je désespérais de les parer, trépassé non par mort véritable mais par excès de joie ». Ce n’était pas seulement dans les cloitres que l’on rencontrait ces transports. L’amour était devenu le souverain de la vie laïque aussi bien que de la vie religieuse. À Florence des compagnies de mille personnes vêtues de blanc parcouraient les rues avec des trompettes, sous la conduite d’un chef qu’on nomme le seigneur d’amour. La langue nouvelle qui naît, la poésie et la pensée qui s’éveillent, ne s’occupent qu’à décrire l’amour et à l’exalter. Je viens de relire la Vita nuova et quelques chants du Paradis ; le sentiment est si intense qu’il fait peur  : ces hommes habitent dans la région brûlante où la raison se fond. Le récit de Dante, comme son poème, témoigne d’une hallucination continue ; il s’évanouit, les visions l’assaillent, son corps devient malade, et toute sa force de pensée s’emploie à rappeler et à commenter les spectacles déchirants ou divins dans lesquels il a fléchi (comparer : Aurélia de Gérard de Nerval et l’Intermezzo de Heine). Il consulte plusieurs amis sur ses extases, et ils lui répondent par des vers aussi mystérieux et aussi violents que les siens. Il est clair qu’à ce moment toute la culture supérieure de l’esprit ses rassemble autour du rêve maladif et sublime. Les initiés ont une langue apocalyptique, volontairement obscure ; ils mettent un double et triple sens sous leurs paroles ; Dante lui-même pose comme règle qu’il y en a quatre dans un sujet. Dans cet état extrême, tout devient symbole : une couleur comme le vert ou le rouge, un nombre, une heure de la journée ou de la nuit, prend une importance étrange ; c’est le sang du Christ, ce sont les prairies d’émeraude du paradis, c’est l’azur virginal du ciel, c’est le chiffre sacré des personnes divines, qui devient ainsi présent à l’esprit (…). Il y a en bas dans la plaine une grande église, qui contient la maison du saint ; mais elle est moderne, avec une coupole païenne et pompeuse. Les fresques d’Overbeck sont des pastiches ; pour rester gothique il se fait maladroit et donne aux anges un cou tors, à Dieu l’air piteux d’un homme à qui son dîner ne réussit pas. On s’en va vite, rien de plus désagréable après la dévotion vraie que la dévotion factice ».                        Principaux ouvrages consultés : (Voir aussi notre dossier François d’Assise, à chercher dans : Mots-Clés)  * Touring Club Italiano – La Biblioteca di Repubblica, Emilia Romagna, 2005, pp. 732-772. * 			Idem				   , Umbria, 2004, 720 p. * 			Idem				   , Toscana, 2005, pp. 789-93 * Touring Club italiano, Città da scoprire, vol. 2, Italia centrale, 1984, 400 p. * David H. Farmer, Dizionario Oxford dei Santi, Franco Muzzio Editore, 1989, 472 p.  * Sur le franciscanisme : 	-  Giorgio Petrocchi, Scrittori religiosi del Duecento, Sansoni, 1974, 162 p. 	- Marco Masuelli, Letteratura religiosa e società del medioevo, da Francesco e Jacopone a Bernardino da Siena, Paravia, 1975, 204 p. * Enciclopedia dell’architettura, Garzanti, 1996 * G. Mazzoni et G. Picciola, Antologia carducciana, Zanichelli, 1953 * Jacopone da Todi, Le Laude, Libreria Editrice Fiorentina, s.d. * Saint François d’Assise, Documents (Écrits et premières biographies, rassemblés et présentés part les PP. Théophile Desbonnets et Damien Vorreux, O.F.M., Éditions franciscaines, 1968, 1600 pages). Contient les écrits de François d’Assise, les deux Vies de Thomas de Celano et de Bonaventure, la Légende des Trois Compagnons, La Légende de Pérouse, le Miroir de Perfection, les Fioretti, le Sacrum Commercium, Quelques témoins et Chroniqueurs du XIIIe siècle. Réédition 1981. * Un certain nombre de ces textes sont publiés à part, voir en particulier : 1) Le Miroir de perfection, traduit par M.-Th. Laureilhe, Éditions Franciscaines, 1966 2) Les petites fleurs de saint François d’Assise, choisies et traduites par Frédéric Ozanam, illustrations de Brunelleschi, Gibert Jeunes, Librairie d’Amateurs, 1942. Traduction et édition pittoresque des Fioretti.  * Paul Sabatier, Vie de S. François d’Assise, édition définitive Fischbacher, Paris, 1931. C’est la première biographie critique de François d’Assise. * Chiara Frugoni, Saint François, la vie d’un homme. Préface de Jacques Le Goff, Pluriel, Hachette, 1999, 190 pages. Traduit de l’Italien par Catherine Dalarun-Mitrovitsa.  Chiara Frugoni est la meilleure spécialiste de François d’Assise, elle est aussi l’auteur de l’ouvrage Francesco e l’invenzione delle stimmate, una storia per parole e immagini fino a Bonaventura e a Giotto, Torino, Einaudi, 1993. Sa biographie est à la fois très précise et très agréable à lire. Voir aussi de Chiara Frugoni, Quale Francesco ? Il messaggio nascosto negli affreschi della basilica, Torino, Einaudi, 2017 ; Una solitudine abitata. Chiara d’Assisi, Bari, Laterza, 2016 et Storia di Chiara e Francesco, Torino, Einaudi, 2011. * Jean Guichard, Notes pour un Cantique, et : Histoire de Frère Michel Minorite, dans : Revue Lumière et Vie, Francois d’Assise, l’évangile toujours possible, n° 143, juin-juillet 1979, pages 59-74 et 89-115. C’est la première traduction française de ce texte, qui raconte l’arrestation et l’exécution à Florence en 1389, du frère franciscain « fraticelle » Giovanni Berti da Calci, dit frère Michel. Umberto Eco a repris une partie de ce récit dans Le nom de la rose. * Raoul Manselli, La religion populaire au Moyen Âge, Problèmes de méthode et d’histoire, Institut d’Études Médiévales et Librairie Vrin, 1975, 234 pages. * Joseph Delteil, François d’Assise, in : Œuvres complètes, Grasset, 1961, pp. 547-694. Un des plus beaux textes sur la vie et l’histoire de François et des « françoisiers », « l’almanach du Père François ».  * Sur la question de savoir si le Christ et les Apôtres n’avaient possédé aucun bien ni en propre ni en commun qui sera déterminante dans l’évolution de l’ordre franciscain, voir l’article fondamental de : Duval- Arnould Louis. Élaboration d’un document pontifical : les travaux préparatoires à la constitution apostolique Cum inter nonnullos (12 novembre 1323). In : Aux origines de l’Etat moderne. Le fonctionnement administratif de la papauté d’Avignon. Actes de la table ronde d’Avignon (23-24 janvier 1988). Rome : École Française de Rome, 1990. pp. 385-409. (Publications de l’École française de Rome, 138). Consultable sur Internet. * Gérard Bessière, Saint François, Éditions du Cerf, 1977, 20 pages, pour enfants.  * André Vauchez, Les hérétiques au Moyen Âge : suppôts de Satan ou chrétiens dissidents ?, CNRS Éditions,  ... Et pour rire un peu de la « folie » de François : Jean-Louis Fournier, Le Pense-bêtes de saint François d’Assise, Préface de Pierre Desproges, dessins de Gilles Gay, Livre de Poche, Payot, 1994.  * Sur Pierre Valdo : Bernard Félix, L’hérésie des pauvres, vie et rayonnement de Pierre Valdo, Préface de André Gounelle, Labor et Fides, 2002. (Et voir notre dossier sur les Vaudois).  								                                                  Jean Guichard, 15 septembre 2018
Frère François, que d’air embrasse cette belle coupole de Vignola, où, à l’agonie, croisant les bras, tu gisais nu sur la terre seule. Et juillet brûle et le chant d’amour vole sur la plaine laborieuse. Oh, que le chant ombrien me donne une trace de ta parole et le ciel ombrien une trace de ton visage. Sur l’horizon du pays montagneux dans la grande splendeur douce et solitaire  comme sur le seuil de ton paradis, que je te vois droit les bras tendus chantant à Dieu : - Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur Mort corporelle.
Maître de Sainte Claire - François recevant Claire à la Portioncule - Peinture sur bois, Basilique Sainte Claire (XIIIe siècle).