Storia dei popoli d’Italia e canzone - 3° partie
Troisième Partie
De la Renaissance à la Révolution française - Du XVIe au XVIIIe siècles
« La storia che impariamo nelle scuole istituzionali è la storia delle dominazioni, del potere da esercitare su popolazioni assoggettate, è la storia delle
signorie, delle dinastie regnanti, di accaparramenti di ricchezze, dunque storia dei destini delle ricchezze che passano da una mano all’altra. La forza
motrice di ogni guerra è la volontà di possedere, di tenere (…) Nella guerra vince il più forte cioè colui che è più ricco. Nella grande storia il vero
protagonista non è l’uomo bensì le ricchezze dell’uomo. I motivi principali di ogni guerra, di ogni azione bellica sono l’accaparrarsi di beni materiali che
appartengono agli altri. Questa è la storia che impariamo nelle scuole. La retorica come la logica di questa grande Storia è la giustificazione della
guerra che nel grande mondo della piccola gente è portatrice di miseria, di degrado e di morte. E’ quel piccolo mondo di quella grande gente che opera
e dirige i destini di quel grande mondo che è la piccola gente »
« L’histoire que nous apprenons dans les écoles institutionnelles est l’histoire des dominations, du pouvoir à exercer sur des populations sujettes, c’est
l’histoire des seigneuries, des dynasties régnantes, d’accaparement de richesses, dons histoire des destins des richesses qui passent d’une main à
l’autre. La force motrice de toute guerre est la volonté de posséder, d’avoir (…). Dans la guerre gagne le plus fort c’est-à-dire celui qui est le plus riche.
Dans la Grande histoire, le vrai protagoniste n’est pas l’homme, mais bien les richesses de l’homme. Les motifs principaux de toute guerre, de toute
action guerrière sont l’accaparement de biens matériels qui appartienne aux autres. Telle est l’histoire que nous apprenons à l’école. La rhétorique
comme la logique de cette grande Histoire est la justification de la guerre qui dans le grand monde des petites gens est porteuse de misère, de
dégradation et de mort. C’est ce petit monde de ces grands personnages qui fait et dirige les destins de ce grand monde que sont les petites gens »
(Onorato Bonic’, La piccola storia di un paese qualsiasi, www.uispmarghera.org/Onorato.Pdf).
La Renaissance n’a pas été cette orgie que décrit l’Ammucchiata. mais ce qui est certain c’est qu’elle ne fut que le fait d’une élite de la société,
dont la masse du peuple ne fut tout au plus que spectateur extérieur. À partir du beau livre trop peu connu de Frédéric Antal (, Fernand
Braudel écrit : « Le beau livre catégorique de Frederick Antal (1947) pose le problème et propose une réponse. Pour lui, la dialectique autoritaire
artiste-client se résout au bénéfice de ce dernier. C'est le client qui commande, choisit, impose ses goûts – le client, c'est-à-dire le haut d'une société
étroite : une noblesse résiduelle, mais qui souvent donne le ton, enviée et, le cas échéant, ostentatoire ; une haute bourgeoisie, à l'échelle du temps
fabuleusement riche, celle des sept arts majeurs, enfoncés dans cet inextricable «polypier» de sociétés mercantiles qui est, au vrai, le cœur marchand
de la gigantesque entreprise urbaine ; une moyenne bourgeoisie, enfin, qui ferme la marche, celle des quatorze arts moyens et mineurs. Le reste de
la population, le popolo, est hors jeu. «Traditionnellement, tout le monde se mêlant de tout à Florence », ce petit peuple bavarde, étale ses querelles,
affiche ses préférences. Mais autant en emporte le vent, car il n'entre pas dans les cadres d'une civilisation qu'il peut voir et juger à la rigueur – du
dehors – lorsqu'il s'agit, au cœur de sa ville, de l'achèvement de la coupole de Santa Maria del Fiore, ou du Baptistère, mais qu'il ne voit pas, ou
mieux n'entend pas lorsqu'il s'agit des cheminements qui, par exemple, mettent en cause Platon et la Caballe, ou même les normes, antiques ou non,
qui président à la construction de la chapelle des Pazzi, par Brunelleschi.
C'est même précisément à cette époque, celle de Masaccio et de Donatello, peut-être même déjà au temps de Giotto ( … ), c'est à cette époque qu'il
y a eu cette cassure profonde de la société florentine en deux, entre le très petit groupe qui participe à la culture raffinée et la masse, rejetée dans les
rangs obscurs des spectateurs à qui l'on ne demande pas trop leur avis. Sans doute ont-ils des yeux pour voir, des oreilles pour entendre (ne serait-ce
que les prêches de l'église ou que les farces et brocards des poeti di piazza) mais jusqu'où portent, et qui se préoccupe de savoir jusqu'où portent les
vers facétieux et anti-humanistes d'un Burchiello, par exemple, que nous avons tant de peine à comprendre tant ils sont contournés et compliqués
dans leur vivacité ? Ce petit peuple que nous recherchons, à peine l'apercevrons-nous au cours des fêtes populaires. Aussi éveillé, aussi prompt à la
riposte qu'il est illettré, le voilà sensible sans doute à des parties de la Divine Comédie qu'on lui récite, à des historiettes tirées des vieux romans de
chevalerie, ou frappé par une chanson piquante, un lamento sentimental, ou les bouffonneries de Gonnella (NDR: un personnage de bouffon des
Novelle de Matteo Bandello, 1485-1561)... Mais nous ne l'atteignons pas, et c'est dommage. Cette culture d'en bas ne fait guère surface, nous
pouvons tout au plus essayer de l'imaginer » (.
Et il est possible que le succès de Savonarole après la mort de Laurent de Médicis en 1492 soit dû aussi à la rancune des Florentins contre cette
culture aristocratique fermée, pour eux inaccessible, de la cour des Médicis. Après octobre 1434, quand Cosme de Médicis revient d’exil et prend
tout le pouvoir, toutes les œuvres architecturales, picturales et littéraires ne dépendent plus que des goûts d’un groupe très restreint qui devient une
cour princière. Toute la construction culturelle de la Renaissance repose sur une société où les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres
toujours plus pauvres.
L’année 1492 est pour l’Italie celle de la mort de Laurent le Magnifique, la fin d’une période de paix et d’équilibre entre les États ; les découvertes
géographiques, Christophe Colomb et beaucoup d’autres, passent presque inaperçues et on n’en voit guère les conséquences sur la situation de la
Méditerranée. Et l’Italie entre pour plus de deux siècles dans une période de grave crise et souvent de régression, d’enrichissement d’une petite
minorité et de misère d’une majorité de la population.
1)
La guerre permanente
L’Italie est ravagée par les « guerres d’Italie » de 1494 (entrée en guerre ce Charles VIII qui veut reconquérir le
Royaume de Naples) à 1559 (Traité du Cateau-Cambrésis entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Saint Empire
romain germanique, où la France abandonne sa politique d’ingérence en Italie). En France, ces guerres seront
suivies des guerres de religion entre protestants et catholiques, qui commencent sous le règne de Catherine de
Médicis qui ouvre la Régence en 1560 et jusqu’à l’Édit de Nantes signé en 1598. Et c’est la fin de l’indépendance
italienne : la plupart des États italiens passent sous la domination d’un des grands États nationaux qui se sont
constitués en Europe, la France, l’Espagne qui fait partie de l’Empire romain germanique dominé par Charles
Quint, l’Angleterre. Traité de Cateau Cambrésis - Œuvre française Palais Public de Sienne.
La guerre est presque permanente dans toute l’Europe, l’Espagne contre les Pays-Bas (1548-1648), la France et
l’Angleterre, la guerre de Trente Ans (1618-1648) avec ses conséquences dans la Valtellina (Valteline, au Nord de
l’Italie catholique contre les Grisons protestants de 1620 à 1626) et dans le Montferrat (de 1627 à 1631), l’Espagne
contre la France entre 1640 et 1659 (Paix des Pyrénées), la guerre de dévolution (1667-68) entre l’Espagne et Louis XIV dans les Flandres, la guerre
de Hollande entre 1672 et 1678, la guerre de neuf ans, où s’affrontèrent la France et le Piémont (1688-1697), sans parler des guerres permanentes
entre Venise et l‘Empire Ottoman, par exemple celle de 1698. Toutes ces guerres affaiblirent l’État espagnol qui chercha donc à obtenir le plus d’argent
possible de ses possessions italiennes, augmenta les impôts et provoqua de nombreuses révoltes populaires.
Les « guerres d’Italie ».
Le 25 janvier 1494, Charles VIII, qui se considère comme héritier du royaume des Alpes part à sa conquête et y entre déguisé en empereur byzantin ;
après lui, son cousin et successeur Louis XII repart en 1498 à la conquête du Milanais (il s’en estime héritier par sa grand-mère paternelle) et du
Royaume de Naples. Il réussit, aidé par le roi d’Aragon, mais il doit quitter le Royaume en 1504, et y renoncer par le Traité de Blois. La même
année, il part à nouveau à Gênes pour réprimer une révolte contre les Français ; il est finalement battu en 1513 par les mercenaires suisses ; il meurt
en 1515, remplacé par François Ier. Celui-ci franchit les Alpes dès août 1515 et remporte la bataille de Marignan, grâce à l’aide de l’armée
vénitienne ; il garde le Milanais jusqu’en 1525, et doit abandonner le Royaume de Naples à Charles Quint, nouveau roi d’Espagne et empereur du
Saint-Empire, après avoir perdu la bataille de Pavie le 24 février 1525. En mai 1527, pour punir l’alliance du pape avec la France (et pour payer ses
soldats), Charles de Bourbon, chef de l’armée impériale, fait piller Rome par ses lansquenets. En 1536, François Ier envahit à nouveau la Savoie et
le Piémont qui resteront possession française jusqu’en 1559, et il signe un Traité avec le Sultan ottoman. Une neuvième guerre reprend de 1542 à
1546, après des changements d’alliances entre la France, l’Angleterre, le pape, l’empereur, les Ottomans jusqu’à une dixième guerre qui se termine
en 1556, et reste marquée par la défaite de Sienne, défendue par le Français Blaise de Monluc (vers 1500-1577) et donnée à Florence. Un dixième
guerre s’acheva par le Traité de Cateau-Cambrésis le 3 avril 1559.
2) Il est faux que la découverte de l’Amérique en 1492 ait pour conséquence la décadence de l’Italie.
L’Italie est donc traversée par les guerres de 1494 à 1559, entre les Français, les Espagnols et les troupes impériales, avec participation de
l’Angleterre et de l’empire Ottoman. C’est une guerre de type nouveau, qui utilise l’artillerie et se traduit par des massacres sauvages, celui de Brescia
en 1511 par les Français, celui de Rome par les lansquenets allemands en 1527, celui de Pavie par les Français en 1528, le sac de Gênes par les
Espagnols en 1532. Mais ces épreuves ne sont pas permanentes et n’affectent pas toutes les régions d’Italie ; elles n’empêchent pas non plus le
développement de Rome sous Jules II (1503-1513) et Léon X (1513-1521), ni les pèlerins de s’y rendre pour les jubilés. Venise aussi participe aux
guerres et elle prospère, le grand escalier du Palais des Doges est construit par Sansovino en 1559, Giulio Romano construit le Palazzo Tè de
Mantoue entre 1525 et 1535 ; d’autres cours restent vivantes et riches, celle des Montefeltro à Urbino, pour qui Baldassare Castiglione écrit Il
Cortigiano en 1528, celle des Este à Ferrare, celle des Gonzaga à Mantoue, etc. Ce ne sont pas les villes-États qui subissent les
conséquences des guerres et qui s’appauvrissent, les seuls à les subir et à s’appauvrir, sont les pauvres, les paysans en particulier.
La crise des guerres n’affaiblit pas l’Italie, les témoignages des marchands l’attestent : le modèle marchand développé par l’Italie reste dominant,
fondé sur la domination de la mer Méditerranée et sur la possession d’îles et de ports dans la mer Noire et la Méditerranée orientale (Tripoli ou
Alexandrie d’Égypte) ou de quartiers dans une ville comme Damas, où les Italiens vendaient leurs produits et en achetaient d’autres qu’ils exportaient
jusque dans le nord de l’Europe (par les ports de la Baltique, et par l’intermédiaire de Bruges, Londres et Southampton).
Certes l’Italie avait connu au XIVe siècle une période difficile, à cause des épidémies de peste qui augmentaient le malaise social, de l’expansion
turque contre l’empire mongol qui fit crouler la route de la soie entre le Moyen-Orient et l’Asie, de la
guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre, de la
faillite de plusieurs banques florentines en 1345 (les
Bardi, les Peruzzi, les Acciaiuoli, etc.), de la guerre
entre Venise et Gênes … Mais le XVe siècle redevint un
siècle florissant sous la direction des villes du centre et du
nord de l’Italie (voir la carte ci-contre, prise dans Storia
d’Italia, op. cit. Bompiani, 1989, 104, p. 3).
Venezia, Fondaco dei Turchi nel ‘700 -Milano, Raccolta Bertarelli.
Grâce à sa flotte et à sa domination de l’Adriatique,
Venise continuait à contrôler le commerce des épices
avec les Arabes, du poivre, du genièvre, de la laque, de
l’indigo, du coton, des colorants, de l’ambre, de la soie, du
corail. La Sérénissime s’était dotée d’une flotte puissante
de galères de marché, copie marchande de la galère longue de guerre, qui facilitait son commerce
avec l’Orient, tandis qu’elle étendait son empire terrestre vers l’Ouest et son commerce avec le nord de l’Europe. Son organisation commerciale et
militaire d’État ou privée lui permit de maintenir cette domination au moins jusqu’à la bataille de Lépante en 1571, contre la concurrence de la flotte
anglaise.
Quant à Florence, elle continuait à se développer, obtenant enfin un accès à la mer par la conquête de Pise en 1406, mais ne pouvant concurrencer
la flotte vénitienne, elle se tourna plutôt vers le commerce avec le nord, installant ses banquiers à Londres (les Médicis, les Cavalcanti, les
Ridolfi…), par les ports de l’Espagne et de l’Atlantique. Lucques développa pour sa part l’industrie de la soie.
Si Venise avait le monopole du commerce des épices, Gênes transportait des matières plus volumineuses et de moindre valeur, le blé, le vin, l’alun,
sur des navires marchands plus grands dotés de voiles de grande dimension, les caraques, gérées par des entreprises privées, et naviguant de la
mer Noire et de l’île de Chio à Majorque, Malaga, Cadix, Gibraltar.
Gênes ne perdit Chio qu’en 1566, Venise avait perdu Rhodes en 1522, Chypre tombe en 1572, la Crète en 1669 ; en Méditerranée, la flotte anglaise
augmenta de plus en plus sa présence, ajoutant sa concurrence à celle des flottes turque et espagnole ; cette dernière contrôlait alors politiquement
presque tout le sud de l’Italie.
Rappelons enfin la présence des Italiens dans la découverte des nouvelles routes commerciales de l’Atlantique, après la
découverte de la Chine par Marco Polo, un génois, Christophe Colomb, découvre l’Amérique au profit des souverains
espagnols, financé par un Italien de Séville, Francesco Pinelli. Ce sont aussi les Génois, installés depuis longtemps à
Séville et en Aragon, qui soutiennent Sebastiano Caboto aux Moluques en 1526, Antonio da Noli pour les Portugais
aux îles du Cap Vert en 1460. C’est financé par les Italiens que Pedro Alvarez Cabral doubla pour la première fois le
Cap de Bonne Espérance et rejoignit le Brésil en 1500. Il faudrait aussi évoquer Vespucci, Verrazzano et beaucoup
d’autres.
Les Génois furent aussi engagés dans le commerce des esclaves noirs qu’ils envoyaient dans le Nouveau Monde cultiver
la canne à sucre, ils l’exploitaient depuis le Moyen-Âge (esclaves du Caucase et de l’Angola). Ce n’est pas par hasard
que les Florentins créent au XVIe siècle le port de Livourne, pour compenser l’enlisement de celui de Pise, et que tous les
grands ports italiens se développent de nouveau à la même époque.
Ridolfo Ghirlandaio (1483-1561), Portrait de Christophe Colomb, Gênes
Les Génois deviendront aussi les banquiers du gouvernement espagnol à la place des Fugger et des banquiers
flamands, après la banqueroute de la couronne d’Espagne en 1557. La supériorité
de leurs techniques financières valut aussi aux banquiers italiens (vénitiens, génois, lombards, amalfitains,
napolitains, florentins…) de pouvoir s’installer en force dans le nouveau port d’Anvers. Ruggero Romano a fait
remarquer qu’il y avait d’ailleurs tant d’Italiens en Espagne et au Portugal, toujours en rapport avec leurs familles
italiennes, qu’ils faisaient profiter indirectement l’Italie de l’or venu d’Amérique (Cf. Storia d’Italia, Bompiani,
1989, n°106, Vol. V, pp. 27-48, L’Italia, il Mediterraneo, L’Atlantico, et l’exemple du Génois Sir Horatio
Palavicino dans id. Gigliola Pagano de Devitiis, L’arrivo dei Nordici in Mediterraneo, n° 107, p. 55, d’où est
tirée la carte ci-dessous). Ce sont les Génois qui gèrent une partie importante des finances publiques
espagnoles, permettant l’arrivée en Italie d’une partie de l’or et de l’argent
espagnols. Outre le commerce de l’or et des épices, les Génois et les
Vénitiens ont su aussi s’assurer le contrôle du sucre, non seulement en
Sicile et en Calabre, mais aux îles Canaries.
Il faudra donc attendre le XVIIe siècle pour que l’Italie commence à
ressentir les effets des nouvelles routes commerciales, et pour que ce
soient les marines anglaise et hollandaise qui prennent le dessus. Le premier navire anglais arrive à Livourne le
25 juin 1573, suivi par la suite de très nombreux navires flamands, hollandais, allemands et même russes, en
particulier pour répondre aux besoins en blé de l’Italie, touchée par de graves pénuries. Il n’y a pas eu de déclin
de l’Italie à cause de la découverte de l’Amérique et des routes de l’Atlantique, ni à cause de l’avancée de
l’empire Ottoman, ni la circumnavigation de l’Afrique à partir de 1496, c’est probablement à cause de son
organisation politique de classe que l’Italie a connu un déclin relatif.
Car il faut voir avec Braudel que ce développement triomphal de Gênes est lié à un passage de l’activité
productive et commerciale à l’activité bancaire. Or cette domination de la finance ne profite qu’à un petit nombre
de familles qui l’exercent, pas à l’ensemble d’un peuple d’ouvriers, de paysans et d’artisans. Comme dit
Ruggero Romano, là est le « ver » qui se développe dans le fruit (op. cit. p.43). Et cela est encore aggravé par
l’absence de stratégie économique des États et de volonté politique claire ; seule Venise résistera plus
longtemps à l’offensive anglaise et hollandaise. Mais le déclin ne devint irréversible qu’à partir de la moitié du XVIIe siècle.
Un autre phénomène vint encore aggraver la crise, outre l’affaiblissement des marines italiennes et l’arrivée des marines nordiques : de plus en plus,
la classe marchande italienne va chercher le maximum de profits dans les investissements immobiliers et fonciers, plus rentables et moins risqués
que les activités commerciales maritimes qui subissaient les risques de piraterie et de tempêtes. Ainsi le commerce va augmenter son emprise sur la
production, le rôle des producteurs (ouvriers, artisans, paysans) diminue peu à peu dans la vie politique italienne. Cela est visible dans l’évolution des
corporations (le arti e i mestieri). Alors que jusqu’au XIVe siècle, elles avaient non seulement une fonction d’organisation du travail, elles étaient à la
base (du moins les corporations majeures, art de la laine, de Calimala, de la soie, des notaires, des médecins, etc.) du fonctionnement politique, elles
perdent peu à peu cette importance politique dans des régimes dominés à nouveau par une nouvelle aristocratie bancaire et foncière. Les nouvelles
manufactures préfèrent avoir de plus en plus des travailleurs indépendants, non dépendants des corporations qui se
spécialisent par ailleurs en Italie dans la production de produits de luxe (la soie plutôt que la laine), momentanément plus
rentable mais de commercialisation plus réduite et plus soumise aux crises économiques. Ainsi, les travailleurs pèsent de
moins en moins sur le pouvoir politique (à Lucques, dès le début du XVIe siècle, les corporations furent interdites de toute
activité politique et de toute participation au gouvernement) qui exerce un contrôle bureaucratique de plus en plus
grand sur le travail productif.
À partir de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, la transformation économique et l’augmentation de la population sont à la
source de crises agraires et de carences alimentaires qui favorisent le développement de grandes épidémies de peste (1591-
92,1630-31,1656-57) qui augmentent la misère de la masse du peuple paysan et urbain, d’où la création des Monts de Piété et
des « Scuole » (associations à la fois professionnelles et caritatives, en particulier à Venise) et la construction de nombreux
hôpitaux, pour tenter de limiter les conséquences sociales de la pauvreté et de la misère (Voir : Giovanni Muto, Corporazioni :
da organismo economico a gruppo sociale, Storia d’Italia, Bompiani, op. cit., n° 108, pp. 73-96).
Le Arti di Orvieto nel 1602 - Museo dell’opera del Duomo
3) L’influence des changements climatiques.
Rappelons aussi tout de suite que les XVIe et XVIIe siècles furent perturbés par la « petite ère glaciaire » qui assaillit le monde entier et donc toute
l’Europe et la Méditerranée entre 1570 et 1700 : Les peintres en ont parfois fait une source de divertissement, mais ce fut en réalité une catastrophe
écologique, donc alimentaire (Cf ci-dessous Heindrick Avercamp, Paysage d’hiver avec patineurs, 1608, Amsterdam) (. cette catastrophe climatique
abaisse la température de 3 à 5 degrés provoquant des effets désastreux sur les récoltes (par exemple en Sicile, mauvaises récoltes de 1605 à 1608,
de 1634 à 1641, de 1668 à 1677) et donc accroissant la misère populaire et les famines (Voir l’ouvrage de Philipp Blom, Quand la nature se rebelle.
Le changement climatique du XVIIe siècle et son influence sur les sociétés modernes, Éditions des
Sciences de l’Homme, 2017, 270 pages, traduit de l’allemand. En italien, Il primo inverno. La piccola era
glaciale e l’inizio delle modernità europea (1570-1700), Marsilio, 2018, 286 pages). Les récoltes de
céréales, élément essentiel de la nourriture quotidienne, diminuent, le prix du blé et donc du pain tend à
se multiplier par deux ou par trois, d’où une série de révoltes populaires et une situation de guerre civile
presque permanente qui obligent même les classes dirigeantes, noblesse et bourgeoisie, à se
transformer. Ce phénomène climatique contribue donc à renforcer les changements déjà perceptibles
sur le plan technologique (de Guttenberg à Léonard de Vinci, à la médecine), sur le plan religieux
(Luther, la Réforme et la Contre-Réforme catholique, d’où les guerres de religion), sur le plan
scientifique (Galilée, Newton …), sur le plan artistique (passage de l’art de la Renaissance au
Maniérisme et à l’art baroque, plus marqué par le drame de la vie sociale). Tout l’univers social et mental
hérité du Moyen-Âge chrétien est bouleversé, et l’Europe entre dans une autre perspective, et dans une crise qui est aussi l’ouverture de notre monde
contemporain dans tous les domaines, agricole, économique, scientifique, social, militaire, politique, culturel, artistique.
Blom souligne entre autres que cette période vit se développer la « chasse aux sorcières » : dans ce temps religieux, il fallait bien trouver une cause
divine (Dieu punit ainsi les péchés des humains) ou magique, alors, ne pouvant punir Dieu, on brûle les sorcières en plus grand nombre dans tous les
pays où sévit la crise climatique, hivers très froids, étés trop secs, pluies torrentielles, grêles, etc. (Cf. pp. 50 sq).
Il fallut du temps pour que l’on s’aperçoive de l’insuffisance des théologies (qui interprétaient les phénomènes comme manifestation de la colère
divine), des processions, de la chasse aux sorcières, du recours à l’alchimie et à la magie. D’autres modèles vont permettre une évolution de la
pensée, et parmi ceux-ci le texte du De rerum natura de Lucrèce que Poggio Bracciolini avait redécouvert en 1417 et qui est maintenant édité à de
nombreux exemplaires. On prend conscience à nouveau que les phénomènes climatiques conditionnent tout, y-compris le contenu de la pensée et de
la vie culturelle.
4) Les dominations étrangères.
a) Les Turcs et autres pirates
Plusieurs puissances sont dominantes en Méditerranée. Commençons par le « Turc », l’Empire ottoman, fondé en 1299, qui a mis fin à l’Empire
Byzantin par la conquête de Constantinople en 1453, s’est étendu en Europe jusqu’à la Serbie, au sud jusqu’à l’Égypte et au Yemen, et il n’est arrêté
dans son expansion que par la défaite terrestre devant Vienne en 1529 et navale à Lépante en 1571. Les Turcs, aidés par
les pirates des États barbaresques d’Alger et de Tunis et souvent alliés de la France contre les Habsbourg, n’en menacent
pas moins l’empire vénitien dans la Méditerranée orientale (les Turcs conquièrent Chypre en 1570 et la Crète (Candia) en
1669 après 24 ans de guerre contre Venise), son commerce, son alimentation. Tous les habitants des côtes italiennes,
sardes et siciliennes, le long de la mer Adriatique jusqu’au delta du Pô comme de la mer Tyrrhénienne jusqu’à la Toscane,
craignent désormais les expéditions turques ou barbaresques. Ce n’est qu’à partir de 1699 que l’Empire ottoman
commence à décliner, perdant en 1782 le contrôle de la Mer Noire, puis en 1840 celui de l’Algérie conquise par la France,
puis en 1882 celui de l’Égypte dominée par la Grande-Bretagne.
Soliman le Magnifique (1494-1566)
Un autre danger menaçait Venise, les « Uscocchi », les Uscoques, un petit peuple de chrétiens ayant fui
la Bosnie pour échapper à l’avancée turque en 1537, qui devait vivre de la piraterie contre les navires
ottomans ou vénitiens dans l’Adriatique ; ils furent combattus et pratiquement éliminée par les Vénitiens
en 1617 mais avaient encore quelques activités en 1707 : c’est un bel exemple d’un petit peuple ignoré
de la grande histoire, qui avait dû se battre pour résister aux oppressions des « grands » peuples (Voir
sur Internet l’essai de Miroslav Bertosa, La guerra degli Uscocchi e la rovina dell’economia istriana).
Uscoque -Dessin du XIXe siècle - Zagreb.
Les pirates barbaresques étaient alors équipés de « bertoni » (mot dérivé de « bretone » = breton), bâtiments inventés par des
Anglais, ronds et très hauts, dotés de trois mats et sept voiles carrées, sa forme lui permettait de bien tenir la mer, même l’océan, et sa
coque était très solide, ils étaient dotés de 20 à 30 canons et étaient donc supérieurs aux galères méditerranéennes. Alger et Tunis disposaient d’une
centaine de « bertoni », en plus d’autres bateaux et étaient fournis de matériel par les Flamands par haine des Espagnols. Mais la piraterie en
Méditerranée connut aussi la présence des Anglais et des Français ; en période de famine, on n’hésitait pas à s’emparer d’un navire de blé traversant
la Méditerranée, même si c’était celui d’un autre pays chrétien, tous se battaient alors contre tous.
b) Les Espagnols et l’Empire romain germanique.
Mais une autre grande puissance dominait alors la Méditerranée et l’Italie, l’Espagne. En 1504, Louis XII de France doit abandonner le Royaume de
Naples à Ferdinand II d’Aragon ; à partir de 1519, Charles de Habsbourg, roi d’Espagne et duc de
Bourgogne, obtient le titre d’Empereur romain germanique sous le nom de Charles Quint et devient donc
le roi de l’Espagne et de son empire colonial, des provinces des Pays-Bas, du Royaume de Naples et des
provinces autrichiennes ; ayant repris aussi le duché de Milan à partir de 1522, il est le monarque le plus
puissant de son époque ; et il domine une bonne partie de l’Italie, du nord au sud.
Possessions de Charles Quint en Europe
Titien (1490-1576) - Charles Quint à la bataille de Mühlberg - 1548.
La puissance de l’Espagne diminue dans l’océan Atlantique où elle est dominée par les marines anglaises
et hollandaises, mais elle garde son influence en Méditerranée et en Italie, où
elle est pourtant à nouveau menacée par la France, mais où elle provoque aussi
un retour de la féodalité. L’Espagne avait constitué en Italie le Vice-Royaume de
Naples (de 1503 à 1707), elle possédait la Sicile, la Sardaigne, la Lombardie
(duché de Milan), et elle avait un certain contrôle sur la République de Gênes,
sur les Duchés de Modène, Reggio, Parme et Mantoue et sur le Grand-Duché
de Toscane. Le peuple devait subir, outre les dévastations des guerres, le poids
de la fiscalité et la présence menaçante des soldats qu’il fallait loger et souvent
nourrir et qui se livraient volontiers à des violences sexuelles, qui susciteront dans la Commedia dell’Arte la création de
l’officier espagnol, le Capitano Spaventa.
c) La France.
En effet, Louis XIV (règne de 1643 à 1715) et Richelieu (1552-1642) puis Mazarin (1602-1661) cherchent de plus en plus à couper les routes
côtières aux navires de ravitaillement espagnols, les obligeant à prendre la haute mer, plus dangereuse. Et les incursions françaises en Italie
deviennent plus fréquentes : celle dirigée par Thomas de Savoie investit les Presidi (les Présides, petit État
stratégique créé par l’Espagne en 1557, pris sur les territoires de la République de Sienne quand celle-ci
passe sous domination florentine. Ces territoires et ces petites îles au niveau de l’île d’Elbe permettaient de
contrôler le trafic de toute la Méditerranée centrale) ; la France conservera Piombino et Portolongone
jusqu’en 1650.
Une seconde incursion fut menée par le duc de Guise en juillet 1647 pour tenter de soutenir à Naples le
mouvement révolutionnaire de Masaniello, dans le cadre de la guerre de Trente Ans franco-espagnole. Une
troisième incursion fut dirigée aussi par Thomas de Savoie en 1648, sans succès.
d) Les Anglais et les Hollandais.
Dès 1568, les provinces septentrionales des Pays-Bas espagnols commencent à se révolter contre la domination espagnole de Philippe II (1527-
1598), héritier de Charles-Quint, et prennent bientôt leur indépendance, formant en 1581 la République des Provinces Unies, de religion luthérienne,
tandis que le sud (aujourd’hui Belgique et Luxembourg) reste fidèle à l’Espagne et catholique. Cette nouvelle république acquiert bientôt une
puissance maritime qui fait à la fois l’admiration, l‘envie et l’hostilité des grandes puissances, à commencer par l’Espagne. Amsterdam, sa capitale,
avait été aidée par Venise dans la conquête de son autonomie. Les Hollandais pénètrent en Méditerranée grâce à leurs bons rapports avec Gênes et
avec Venise, et ils ont un point d’ancrage à Livourne, mais il n’y eut jamais en Méditerranée une très importante flotte hollandaise, même quand elle
tenta d’intervenir dans la révolte anti espagnole de Messine, aidée par la flotte française, entre 1674 et 1678, elle n’y eut que 18 vaisseaux. Par contre,
la présence hollandaise devint dominante dans le commerce atlantique, africain et asiatique.
Les Anglais aussi avaient pénétré en Méditerranée, apportant du blé, du poisson salé et des draperies à la population italienne affamée, à meilleur
marché que les produits vendus par Venise. À partir de 1650, ils eurent en Méditerranée 24 vaisseaux de guerre. Au XVIIIe siècle, les Anglais
garantirent de plus en plus la stabilité politique de la Méditerranée, ils étaient à Tanger depuis 1662, à Gibraltar depuis 1704, à Minorque de 1708 à
1783. Mais la Méditerranée perdit de son importance et les grands conflits commerciaux et militaires vont s’orienter plutôt vers l’Amérique.
Ne se trouvaient libres de la domination de puissances étrangères que la République de Venise, le Duché de Savoie, devenu Royaume de Piémont
Sardaigne en 1720 et les États du Pape (Stato Pontificio). En 1713, on définissait l’Italie comme « un cadavre sans esprit » et elle semblait souvent
s’être « endormie ».
États du pape au XVIIe siècle.
* Les États du Pape représentaient aussi un État italien, bien que sur les 57 cardinaux du Sacré Collège,
20 viennent de nations étrangères et 37 soient italiens. De nombreux nobles d’autres villes italiennes étaient
aussi venus habiter Rome pour profiter de son prestige, et ils s’y faisaient construire de somptueux palais (les
Giustiniani venaient de Gênes, les Chigi de Sienne…). Rome était devenue une ville spectaculaire, avec ses
palais, ses fontaines, ses monuments dont le plus admiré était celui de Bernini autour de Saint-Pierre, qui
coûtaient des fortunes au budget pontifical. En 1680, Rome avait environ 120.000 habitants, souvent soumis à
une répression terrible de la part de papes comme Sixte V qui voulaient éliminer ce qu’on appelait le
« brigandage » qui n’était en général que révolte populaire contre la misère et l’exploitation.
* Le Grand Duché de Toscane. Comme les autres à l’époque, il se développe artistiquement, construit
des monuments splendides pour la gloire des princes, crée des « Académies » de recherche scientifique, on
commence à faire de grands voyages d’exploration, dans la montagne et à l’étranger. Cosme de Médicis ouvre
le grand port de Livourne, son premier accès à la mer qui devient aussi une escale pour les navires anglais et
hollandais, mais ses travailleurs sont surtout des forçats italiens ou turcs. La classe dominante est très riche.
Mais le peuple florentin vit pauvrement.
* La République de Venise, bien qu’affaiblie, reste une grande puissance maritime, nous en
avons parlé ailleurs (Voir nos dossiers sur Venise dans « Histoire des villes »). Elle a su, dans la
capitale, créer des institutions, comme le Carnaval, qui diminuaient la dureté de la lutte des classes,
mais partout dans l’État, la pression fiscale est très grande sur les sujets, surtout au moment où il
faut financer les guerres contre l’Empire Ottoman. Venise sut aussi éviter largement les conflits
religieux ; son doge, qui n’est ni héréditaire ni sacré, est donc moins dominateur et autoritaire que
les monarques absolus de droit divin.
Vénétie - Villa La Badoera (Rovigo) - Palladio, 1556-1563.
* Le Duché de Savoie enfin, très dominé par la France jusqu’à ce qu’il change d’alliance et se
rapproche de l’Angleterre et de la Hollande, à partir de sa victoire militaire à Turin en 1706 sur les
armées de Louis XIV. Il accorde alors la liberté religieuse aux protestants et aux Vaudois, qui se sont
déjà réfugiés dans les hautes vallées piémontaises. Le Piémont devint donc l’État européen le plus
indépendant de l’Espagne catholique, et à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, il favorisa un
nouveau système de production textile basé sur l’utilisation du moulin à soie circulaire à roue hydraulique et sur la concentration de tout le cycle
productif en un seul grand édifice. En quelques décennies, le Piémont devint le premier producteur de textiles en Italie. À la différence des États
catholiques (Espagne, Portugal, Italie) qui restaient à l’arrière-garde à cause de leur attachement au féodalisme et aux idéologies religieuses
médiévales, des nations comme la France, la Hollande et l’Angleterre commençaient leur passage au capitalisme, se développaient
démographiquement et économiquement, souffraient moins de la peste. L’Italie bourgeoise (et la Curie pontificale) fut incapable de se libérer
complétement du féodalisme, de faire son unité politique, de chasser les oppresseurs étrangers et de soutenir les révoltes populaires et
paysannes (voir le site internet https://www.homolaicus.com/storia/moderna/seicento.htm#google_vignette).
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