Storia dei popoli d’Italia e canzone - 3° partie - suite2
Et comment le peuple vit-il donc tout cela ?
Quelques chansons
Les chansons populaires nous parlent d’abord des guerres et des occupations étrangères. L’une des plus répandues dans toute l’Italie est Cecilia,
qui au départ se réfère probablement au comportement des soldats espagnols présents dans le Sud et en Lombardie dès le début du XVIe siècle : un
homme est condamné à mort (peut-être simplement pour avoir ramassé du bois mort dans une forêt seigneuriale), sa femme va demander sa grâce au
capitaine espagnol qui la lui accordera si elle vient passer une nuit avec lui ; avec l’accord de son mari, Cecilia accepte et au matin en ouvrant la
fenêtre, elle voit que le capitaine a fait pendre son mari. Les strophes finales sont diverses, dans quelques-unes Cecilia tue le capitaine (dans la version
de La Piazza, Amore piccolino fatte grande, 1994), dans la plupart elle refuse la vie commune qu’il lui propose et se promet de ne plus avoir de mari.
En 1944, une chanson reprend l’air pour raconter une histoire semblable arrivée avec un commissaire collaborateur des Allemands, que Clelia tue lors
de sa fuite (Leggende e racconti popolari di Roma, Newton Compton, 1982). Costantino Nigra décompte déjà 5 versions de la chanson, dans son
Canti popolari del Piemonte, de 1888, repris par Einaudi en 1974 (2 volumes) et il y en a beaucoup d’autres, dont une belle version en dialecte
piémontais chantée par Roberto Balocco. Voici une version toscane interprétée par le Canzoniere Internazionale :
VANNE VANNE CECILIA
Va, va Cécile
Vanne vanne Cecilia vanne dal capitan
Va, va, Cécile, va chez le Capitaine
e chiedigli una grazia che lui te la farà
et demande-lui une grâce, il te la fera
Grazia signor capitano che grazia vuoi da me
Grâce, Seigneur capitaine. Quelle grâce veux-tu de moi ?
grazia ti sarà fatta vieni a dormire con me
La grâce te sera faite, viens dormir avec moi
Ora vo' alle Murate a dirlo al mio mari'
Je vais aux Murate le dire à mon mari
se lui sarà contento stasera sarò qui
s'il est d'accord, ce soir je serai ici
Vanne vanne Cecilia ma non pensare all'onor
Va va Cécile mais ne pense pas à l'honneur
salva la vita mia levami di prigion
Sauve ma vie tire-moi de prison
Quando fu mezzanotte Cecilia fa un sospir
Quand ce fut minuit, Cécile pousse un soupir
il capitano l'abbraccia e un bacio gli vuol dar
le capitaine l'embrasse et veut lui donner un baiser
Che ha' tu che ha' tu Cecilia che tu non puoi dormir
Qu'as-tu, qu'as-tu Cécile que tu ne peux dormir?
un sogno brutto l'ho fatto che è morto il mio mari'
Un mauvais rêve j'ai fait, que mon mari est mort
E la mattina si affaccia a lo balcon
Et le matin à l'aube elle se met au balcon
lo vede il suo marito col capo ciondolon.
elle voit son mari la tête pendante
Grazia signor capitano lei me l'ha fatta sì
Une grâce, capitaine, oui tu me l'as bien faite
la mi ha tolto l'onore la vita al mio mari'
tu m'as pris mon honneur, la vie à mon mari
Addio castel di paglia castello fiorentin
Adieu château de paille, château en Espagne
me l'hai tolto l'onore la vita al mio mari'
tu m'as pris mon honneur, la vie à mon mari
Non vo' più capitani non voglio più mari'
Je ne veux plus de capitaine, je ne veux plus de mari
son colla rocca e i' fuso me ne vo' stare così.
je veux rester seule avec ma quenouille et mon fuseau.
Un voyageur anglais, Gilbert Burnet (1643-1715), traverse une partie de l’Italie en 1683 et constate que c’est le pays le plus riche d’Europe et où il y a
le plus de mendiants. Cette situation contradictoire reste celle du XVIIIe siècle : il n’y a plus la moindre harmonie sociale, et une minorité aristocratique
continue à s’enrichir tandis que la masse urbaine et paysanne tombe dans la misère. Sur un autre plan, l’Église oriente la religion populaire vers le culte
du Cœur de Jésus et de la Vierge Marie, dans une dévotion extérieure qui se manifeste par les processions, le sens d’une consolation des misères
humaines, qui conduiront en 1799 des masses ignorantes à massacrer les Jacobins napolitains sous la direction du cardinal Fabrizio Dionigi Ruffo
(1744-1827) et de l’armée de la Sainte Foi (les sanfedisti), sous le drapeau de saint Janvier. La révolution jacobine fut le fait de nobles et de bourgeois
éclairés qui furent combattus par la masse ignorante du peuple, en particulier pour des raisons religieuses. Malgré tout se développe progressivement
une classe bourgeoise, du fait de l’affaiblissement de la féodalité, de l’accroissement des biens allodiaux (libres de toute soumission à un seigneur), et
qui commence à s’organiser et à prendre conscience d’elle-même dans les loges de la franc-maçonnerie.
C’est cette bourgeoisie, avec quelques secteurs de la noblesse, qui accueillera les idées et les pratiques de
la Révolution française, surtout dans ce qu’on appela « il triennio giacobino » (les trois années jacobines)
entre 1796 et 1799, qui ne parvinrent pourtant jamais à intégrer le peuple urbain et paysan, qui restait sous
le contrôle d’une Église traditionaliste et monarchiste ; partout durant ces trois ans éclatèrent des révoltes
paysannes et des insurrections urbaines contre les nouveaux pouvoirs révolutionnaires installés avec l’appui
des armées françaises.
Caserta -Palais Royal - 1752.
Le Royaume de Naples est remis en 1734 à Charles de Bourbon (1716-1788), fils de Philippe V
d’Espagne. C’est un début d’indépendance, et de réunification entre Naples et la Sicile, séparées depuis le
Moyen-Âge (Vêpres Siciliennes de 1282) ; la construction du Palais Royal de Caserta à partir de 1752, le
plus grand du monde, sur le modèle de Versailles, est le symbole de cette nouvelle autonomie royale. Mais
le pouvoir appartient toujours à la minorité aristocratique : au Parlement, les militaires ont 228 voix, les ecclésiastiques 63 et les petits propriétaires
fonciers 43. La justice est toujours aussi vénale et clientéliste, malgré les tentatives de réforme opérées par les Bourbons. Les masses paysannes sont
soumises à de grandes famines comme celles de 1763 ou de 1784, 1789, 1793, aggravées par un tremblement de terre comme celui de 1783.
Comment vécut le peuple italien durant ces trois siècles ? On n’en a pratiquement aucun témoignage écrit direct, l’analphabétisme étant très répandu,
mais on a les témoignages des voyageurs et des observateurs du pouvoir, et surtout les contenus transmis par des chansons qui commencent à être
mieux connues et recherchées par les intellectuels qui s’intéressent toujours plus au folklore, à la culture populaire.
Les Turcs dans la chanson populaire
La guerre contre les Turcs suscita de nombreuses chansons tant à Venise qu’à Naples. Voici Le Romanele, chantée par Michela Brugnera.
« Altino » est l’ancienne ville latine d’Altinum près de Venise, fréquentée dès le VIIIe millénaire av. J.C., qui tenait son nom de l’ancienne divinité Altnoi,
qui impliquait la lagune. La « lune » du vers 3 est le Turc qui a pour symbole une demi-lune ; le « Schissa », de shisar = schiacciare, écraser, est celui
qui a le nez écrasé c’est-à-dire le lion ailé de saint Marc, symbole de Venise ; la « puta » ou « putela » est en vénitien la jeune fille, comme le « putèlo »
est le petit garçon ; en italien, le « putto » (du latin putus) est l’enfant qui revient en histoire de l’art sous la forme d’un enfant nu, prélude aux petits
anges de l’art chrétien. La « romana » était le long vêtement noir que portaient les Vénitiens et qui devient l’habit des représentants de la ville,
les« romanele » pourraient donc se traduire par « les petites vénitiennes ».
Le romanele
Alberto: chitarra, basso, percussioni; Loris: percussioni; Francesco.: flauto; Michela: Voce)
(Michela Brugnera
Canti popolari veneti, 1979)
Le rovine de Altin ga fabricao
Les ruines d’Altino ont créé
la sirena del mar Venezia bela
la sirène de la mer, Venise la belle.
ma la luna vien suso de recao
Mais la Lune revient à l’attaque
par volerghe dar smaco a la so stela
pour donner un coup à son étoile
El Schissa mo che pareva indormensao
Le « Nez Plat » qui semblait endormi
el move e el dosso co la coa eI flagella
bouge et se flagelle le dos avec sa queue
al sbate le ali e al ne vol dir co ele
il bat des ailes et il veut nous dire par là
che contro al can spieghemo nu le vele.
Que contre le Chien nous devons lever les voiles
Ortensia vegno a darte bone niove :
Orthensia je viens te donner de bonnes nouvelles :
co i to francesi a Zara semo stai
avec tes Français nous avons été à Zara
e la zente de Zara più se move
et les gens de Zara ne bougent plus
nu dopo in Romania semo passai.
Et après nous sommes passés en Roumanie.
E la de bel valor co mile prove
Et là en faisant preuve de grande valeur
gavemo el Grego castigà i pecai !
nous avons châtié les péchés des Grecs !
ceder tuto a dovesto al nostro sbarco,
Ils ont dû tout céder à notre arrivée,
Ortensia viva i toi viva San Marco.
Orthensia, vive les tiens et vive Saint Marc.
Cipro, Candia, Morea xe i nostri regni
Chypre, Candie, Morée sont nos royaumes
e chi ne li vol tior se fassa avanti.
Qui veut nous les prendre, qu’il avance.
Chi dar sangue no vol xe fioi indegni,
Qui ne veut pas donner son sang est un fils indigne
xe dala nostra banda tuti i santi.
Tous les saints sont de notre bande.
Chi dar sangue no vol xe fioi indegni
Qui ne veut pas donner son sang est un fils indigne
xe dala nostra banda tuti i santi
tous les saints sont de notre bande
e vien per capotrupa el nostro Marco
le chef de groupe est notre Marc
e nu lo seguitemo co l'imbarco.
Et nous le suivons avec notre flotte
Ghe xe un corsaro turco che se vanta
Il y a un corsaire turc qui se vante
de no voler robar che bele pute
de ne vouloir voler que les belles filles
ma le bela fra nu ga l'aqua santa
mais chez nous les belles ont de l’eau bénite
e quele che xe senza xe le brute.
Et celles qui n’en ont pas sont les laides.
In 'sta maniera mi lasso che '1 canta
De cette manière je m’arrête de chanter
perchè cussi le xe segure tute
parce que comme ça elles sont toutes en sécurité
se po' el vegnirà qua co i so spaurachì
si après il vient ici avec ses épouvantails
tagiarghe savaremo nu i mustachi.
Nous saurons lui couper les moustaches.
Adio bela Venezia, adio laguna,
Adieu belle Venise, adieu lagune
adio care putele veneziane,
Adieu chères jeunes filles de Venise
mi vado a misurarme co la luna
je vais me mesurer avec la Lune
vado a farghe paura a le sultane.
Je vais faire peur aux sultanes.
La guerre, fléau de la vie quotidienne des peuples, n’a qu’une compensation, l’amour. Alors il arrivait que des jeunes filles se déguisent en soldats pour
accompagner leur fiancé à la guerre, c’est ce que raconte aussi Michela Brugnera dans le même disque, dans la chanson intitulée La guerriera.
Costantino Nigra en cite de nombreuses versions (n° 48, pp. 334 sq), découvertes des pays slaves à l’Espagne, dans le sud de la France et dans une
bonne partie de l’Italie, faisant l’hypothèse que cette chanson s’était répandue avec les Croisades :
La guerriera
(Int. : Michela Brugnera,
Canti popolari veneti
Dischi dello Zodiaco, 1979
Alberto : chitarra ; Loris : chitarra ; Michela : Voce.)
No no pianger mio Bepino
Non ne pleure pas, mon petit Beppe
piangi forse pa 'ndar melitar
peut-être pleures-tu parce que tu pars à l’armée
no no pianger mio Bepino
Non ne pleure pas, mon petit Beppe
che ala guera te toca andar.
parce qu’il te faut aller à la guerre.
E mi taglio i miei biondi capelli
Je vais couper mes cheveux blonds
e me vesto da melitar
et m’habiller en militaire
e mi monto sul cavalo
et je monte sur mon cheval
che ala guera me toca 'ndar.
puisqu’à la guerre il me faut aller.
Co' so stada in cima al monte,
Quand je suis arrivé en haut de la montagne
un tenente mi fermò
un lieutenant m’a arrêtée
« ma voi siete una donzella
« mais êtes-vous une donzelle,
o l'amante de un melitar ?»
ou la maîtresse d’un militaire ? »
« No non sono una donzella
« Non, je ne suis pas une donzelle
nè l'amante de un.melitar
ni la maîtresse d’un militaire
mi so un povaro coscritto
je suis un pauvre conscrit
che ala guera me toca 'ndar ».
qui à la guerre s’en doit aller ».
Noi faremo una fontana
Nous ferons une fontaine
'na fontana in mezo al mar
une fontaine au milieu de la mer
e se la sarà 'na dona
et si elle est une femme
la se lavarà le man.
là elle se lavera les mains.
I soldai che va ala guera
Les soldats qui vont à la guerre
no i se lava mai le man
ne se lavent jamais les mains
ma soltanto qualche volta
mais seulement quelquefois
co el sangue dei cristiano.
avec le sang des chrétiens.
Noi faremo un bel giardino
Nous ferons un beau jardin
un giardino de rose e fior
un jardin de roses et de fleurs
e se la sarà 'na dona
et si elle est une femme
la se seglierà el miglior.
elle choisira la plus belle
I soldai che va ala guera
Les soldats qui vont à la guerre
no i racoglie mai dei fior
ne cueillent pas de fleurs
ma soltantola baioneta
mais seulement la baïonnette
par combater l'imperator.
pour combattre l’empereur.
E so mama sula porta
Et sa maman est sur la porte
so papà gera al balcon
son papa était au balcon
che i spetava la so figlia
qui attendait sa fille
comandante de un bataglion.
commandant d’un bataillon.
Verginella gero prima
Jeune fille j’étais avant
verginella io son ancor
je suis encore jeune fille
Mi go fato sete ani de guerra
J’ai fait sept ans de guerre
sempre al fianco del mio primo amor.
toujours à côté de mon premier amour.
Les incursions turques étaient redoutées surtout par les villages côtiers du Sud, mais aussi de presque toute l’Italie, car les pirates et corsaires
ottomans, algérois et tunisiens remontaient souvent jusqu’au Nord de la mer Adriatique et jusqu’au Nord de la Toscane. Les Turcs arrivaient
brusquement, pillaient les richesses du village, enlevaient les filles, tuaient les hommes qui résistaient et repartaient. C’était un élément de la vie
populaire rurale que ne connaissaient pas ou peu les grandes villes non côtières. Il est souvent présent dans les chansons. Une chanson de prison en
dialecte de Rome (le « romanesco ») commence ainsi :
A tocchi a tocchi, la campana sona
Coup par coup la cloche sonne
Li turchi so’ arivati a la marina
les Turcs sont arrivés au bord de la mer
Chi c’ha le scarpe rotte le risola
Que celui qui a des souliers cassés les ressemelle
Io già l’ho risolate stamatina
moi je les ai déjà ressemelés ce matin.
Come te posso amà
Comment puis-je t’aimer
Come te posso amà
comment puis-je t’aimer
Si scappo da sti cancelli
si je m’échappe de ces grilles
Quarcuno l’ha da pagà.
Quelqu’un devra le payer.
All’erta all’erta la campana sona
Alerte alerte la cloche sonne
Li turchi so’ arivati a la marina
les Turcs sont arrivés au bord de la mer
Viva li monticciani e viva Roma
Vive les monticiani et vive Rome
Viva la gioventù trasteverina.
Vive la jeunesse du Trastevere.
C’est un chant de prisonniers romains, de la prison Saint Michel, qui est aussi une chanson d’amour ; il est d’autant plus significatif que le malheur de la
vie (les « souliers cassés ») s’exprime à travers l’arrivée des Turcs.
Une autre chanson des Pouilles, probablement du XVIe siècle, évoque la bataille de Lépante de 1571, elle est sans doute à l’origine de quelques autres
des années suivantes :
All’armi, all’armi: la campana sona
Aux armes aux armes : la cloche sonne
li Turchi son sbarcati alla marina
les Turcs ont débarqué au bord de la mer
Chi ci ha le scarpe rotte l’arisola
Que celui qui a les souliers cassés les ressemelle
che noi dobbiamo far lungo cammino.
Car nous devons faire un long chemin.
Da Malta son partite sei galere
De Malte sont parties six galères
a tutte e sei l’onore del mare
à toutes les six, honneur de la mer
Il Capitano avanti e gli altri dietro
Le Capitaine devant et les autres derrière
la guerra contro i Turchi vanno a fare.
Contre les Turcs ils vont faire la guerre.
C’est de ces chansons qu’Eugenio Bennato s’est sans doute inspiré pour écrire sa chanson de 1980, partie du disque Brigante se more. On sait en
tout cas qu’a poussé Bennato à écrire cette chanson une tarentelle traditionnelle qui commémora l’attaque turque de Sorrente en 1558, qui déporta à
Constantinople une grande partie des habitants. Une des seules femmes échappées au rapt fut Cornelia Tasso, la grande sœur du poète Torquato
Tasso, ce qui fut un des faits qui l’incita à écrire la Jérusalem délivrée. La chanson avait été publiée parmi celles recueillies par Antonio Casetti et
Vittorio Imbriani dans Canti e racconti del popolo italiano, Loescher, 1872 :
Quanno sona la campana (La fuga)
(Eugenio Bennato, Brigante se more,
Musicanova, Philips, 1980)
All’arme, all’arme, la campana sona
Aux armes aux armes, la cloche sonne
Li Turchi so’ sbarcati a la marina
les Turcs on débarqué au bord de la mer
chi tene ‘e scarpe vecchie se l’assola
Que celui qui a de vieux souliers les ressemelle
c’avimmo a fare nu ungo cammino.
nous avons un long chemin à faire
Quant’è lungo stu cammino disperato
Qu’il est long ce chemin désespéré
e sta storia se ripete ciento vote
et cette histoire se répète cent fois
nuie fuìmo tutte quante assai luntano
nous fuyons tous très loin
quanno sona la campana.
quand sonne la cloche.
All’arme, all’arme, la campana sona
Aux armes aux armes, la cloche sonne
Li Turchi so’ sbarcati a la marina
les Turcs on débarqué au bord de la mer
Chi tiene o grano lo porta a la mola
Que celui qui a du blé le porte au moulin
comme ce vene janca la farina
comme ça il aura de la farine blanche.
ma nun bastano farina festa e forca
Mais il ne suffit pas d’avoir farine, fête et potence
pe sta gente ca n’ha mai vuttato e mane
pour ces gens qui n’ont jamais été violents
o padrone vene sempe da luntano
le maître vient toujours de loin
quanno sona la campana.
quand sonne la cloche.
E po’ vene o re Nurmanno ca ce fa danno
Et puis vient le roi normand qui nous cause des torts
e po’ vene l’Angiuino ca ce arruvina
et puis vient l’Angevin qui nous ruine
e po’ vene Aragonese, ih che surpresa
et puis vient l’Aragonais, Oh quelle surprise
e po’ vene o re Spagnuolo ch’ è mariuolo
et puis vient le roi espagnol qui est un voleur
e po’ vene o re Burbone ca nun va buono
et puis vient le roi Bourbon qui ne nous convient pas
e po’ vene o Piemuntese ca ce vo’ bene
et puis vient le Piémontais qui ne nous aime pas
ca possa essere cecato chi nun ce drede
Que puisse être aveuglé celui qui ne nous croit pas
ca possa murire acciso chi nun ce crede.
Que puisse être tué celui qui ne nous croit pas.
Quoiqu’en ait dit Bennato lui -même dans son livre Brigante se more (Coniglio Editore, 2009), il a bien repris
une chanson ancienne, n’y ajoutant que la liste des autres peuples et rois étrangers qui ont dominé le Sud de
l’Italie.
Tintoretto (1519-1594), Bataille de Lépante, 1577.
La bataille de Lépante (1571) a été un des épisodes les plus chantés, elle
marqua un recul de l’impérialisme ottoman et fut un soulagement pour les pays
occidentaux. Mais vécue dans la chanson populaire, elle fut aussi maudite pour
sa cruauté, sa violence, la souffrance des marins qui se battaient bien mais
parce que c’était une condition de survie, ils n’étaient pas là de leur plein gré, ils
étaient soldats parce que c’était un emploi avec lequel ils feraient vivre leur
famille, au péril de leur propre vie, c’étaient aussi des bagnards condamnés à ramer enchaînés sur les
galères. Tout ici est maudit : le bateau, le capitaine (qui sert le pouvoir mais non les marins), le couteau, le canon, le Turc bien sûr et même le Lion,
symbole de Venise, la patrie qui combat on ne sait pourquoi. Et vive le temps passé où j’allais en barque avec mon père qui me montrait la beauté de la
navigation et des étoiles. Écoutons la chanson de Calicanto, de 1997, dont l’auteur, Corrado Corradi, nous a communiqué la nature : « Le morceau
intitulé « Lepanto » est de ma composition, en ligne avec les intentions qui ont donné naissance à la réalisation du CD « consacré au bicentenaire de
la chute de la République de Venise (1797) ». Du point de vue historique, le choix est tombé fidèlement sur le moment, bien connu, où paradoxalement
la victoire de la bataille de Lépante (1571) marque le début du début de la République. Du point de vue musical, par ce texte cru j’ai voulu souligner
l’horreur, la peur mais aussi la nécessaire cruauté de qui, sans raison et impuissant face au pouvoir, tue pour survivre. En réfléchissant sur ces années
(1997), la « recherche » se focalisait sur la tentative d‘actualiser une tradition musicale vénète que Calicanto pratiquait depuis presque vingt ans »
(Corrado Corradi, 27 mai 2021).
LEPANTO
Corrado Corradi, Alberto D’Amico, Corrado Corradi
Calicanto, Venexiana, 1997)
Maedeta barca
Maudite barque
te si ea me candana,
tu es ma condamnation,
maedeto mio capitan
Maudit soit mon capitaine
ta morti e chi ti servi ;
ses morts et ceux qu’il sert ;
maedeto turco che te me speti.
Maudit turc qui m’attend
La luna gùa guà
La lune affile, affile
la gùa ben le lame
elle affile bien les lames
le man le man me sua
mes mains suent
xe qua xe qua l’Infame
il est là il est là l’Infâme
xe fiame xe foghèra
il y a des flammes, tout un foyer
e col canon che sbara
et avec le canon qui tire
rebomba ‘sta galera.
Cette galère retentit
... issa ... forsa ... is ...
…. Allez … en avant …
... issa … forsa . is ..,
Brusaghe e vele, cavaghe i oci, verzi e buèe .
Brûle-lui ses voiles, arrache-lui les yeux, étripe-le
Meti in caène, magnaghe el core, tajaghe e vene.
mets-le dans les chaînes, mange-lui le cœur, taille-lui les veines
Ti te ricordi pare ?
Te souviens-tu, mon père,
Ti me contavi e stele ...
tu me racontais les étoiles…
che gèra beo noare.
Qu’il était beau de nager.
Maedeta note
Maudite nuit
Che te scondi el me corajo :
toi qui caches mon courage
Maedeto Lion
maudit Lion
Che te soffi sempre controvento
qui souffle toujours à contre courant
Maedeto corteo
maudit couteau
Cussi violento.
Si violent.
El vento xe de giasso
Le vent est de glace
E i oci dei compari
et les yeux des camarades
In fondo par che diga :
au fond semblent dire :
« Te copo de spavento ».
« je te fais mourir d’épouvante ».
EI mar sempre più rosso,
La mer semble plus rouge
el fià sempre più corto,
le souffle toujours plus court,
sò straco, sò straco morto.
Je suis fatigué, très fatigué.
Brusaghe e vele, .....
Brûle-lui ses voiles,…
Dio ti te incanti ?
Dieu, pourquoi t’étonnes-tu ?
Parchè i s-ciavi
pourquoi les esclaves
gà da liberare i santi ? ...
doivent-ils libérer les saints ? ….
Brusaghe e vele, .....
Brûle-lui ses voiles,…
E penso anche ‘sra volta
Et je pense cette fois encore
che semo tuti mati
que nous sommes tous fous
che ea vita xe ‘na tolta ...
que la vie se fiche de nous …
Maedeta vitoria
Maudite victoire
cussì alegra de miseria.
Si gaie dans sa misère.
Maedeto siensio
Maudit silence
cussì busiàro de rimorsi.
Si trompeur dans ses remords
Maedeto mi
Maudit moi-même
che son parfin contento.
Qui suis même content.
La bataille de Lépante (7-8 octobre 1571) fut considérée comme une victoire décisive des alliés de la Sainte Ligue chrétienne, même si elle fut qu’une
défaite turque et pas la fin de la guerre avec l’Orient, nous en connaissons d’autres formes aujourd’hui. On oublia qu’elle ne fut la marque que d’une
supériorité relative et qu’elle coûta très cher au peuple des marins, des soldats et des bagnards qui ramaient sur les galères : 29.000 turcs et 8.000
chrétiens dont 4856 vénitiens, et 18.000 blessés en deux jours ; l’Église célébra aussitôt cette terrible « victoire » et en 1573 le pape Grégoire XIII
décida par la bulle Monet Apostolus qu’une grande fête serait célébrée chaque année le premier dimanche d’octobre à Raguse, de même que le pape
Pie V avait béni le départ des troupes et remis à Don Juan d’Autriche l’étendard qu’il brandit durant toute la bataille. Raguse continue cette
célébration.
C’est ce que souligne le beau texte récent d’un chanteur hip-hop italien, Alessio Mariani (Murubutu, 1975- ), qui est en même temps professeur
d’histoire et de philosophie au Lycée de Reggio-Emilia, La battaglia di Lepanto (1571). (Voir sur internet son interview par Stefania Parmeggiani, La
Repubblica, 28 novembre 2016, « Il professore che insegna a tempo di rap »).
La battaglia di Lepanto (1571)
(Murubutu (Alessio Mariani, 1975- )
Gli ammutinati del Bouncin’ ovvero mirabolanti avventure di uomini e mari,
Mandibola Records/Irma Records, 2014)
La spia turca entrò alla notte nel golfo, fra le onde del porto
La nuit tombée, l’espion turc entra dans le golfe, au milieu des eaux du port
Aveva issato vele nere per non essere scorto su a bordo,
il avait hissé des voiles noires pour ne pas être aperçu là-haut sur le bord
Contò le navi nemiche sul posto rimanendo nascosto
il compta les navires ennemis qui étaient là en restant caché
Poi riferì a sua maestà l’entità della flotta pronta allo scontro.
Puis il rapporta à sa majesté l’importance de la flotte prête au combat.
La flotta della Santa Alleanza, di Venezia e di Spagna,
La flotte de la Saint Alliance, de Venise et de l’Espagne
In nome della santa fede, truppe della Santa Sede,
au nom de la sainte foi, des troupes du Saint Siège,
di Genova e Malta
de Gênes et de Malte
Comandate da Giovanni d’Austria che reggeva
commandées par Jean d’Autriche qui dominait
Sull’acqua
sur l’eau
Una croce d’oro e la resse alta per la durata dell’intera battaglia.
Une croix en or qu’il tint en l’air pendant toute la bataille.
Rit: La furia abbatte qua un’altra bandiera, un’altra barriera,
Refrain : la fureur abat ici une autre bannière, une autre frontière
un’altra frontiera,
une autre barrière, une autre frontière
Dal mare si alza là un’altra alba nera e bombarda
de la mer s’élève là une autre aube noire et bombarde
un’altra galera !
une autre galère !
L’onda abbatte qua un’altra bandiera, un’altra barriera,
L’onde abat ici une autre bannière, une autre barrière,
un’altra frontiera,
une autre frontière
Dal mare si alza là un’altra alba nera, e bombarda... bombarda.. De la mer s’élève là une autre aube noire, et elle bombarde… elle bombarde...
Il vento cambiò in un attimo decretando l’attacco,
Le vent changea en un instant, décrétant l’attaque,
Il Cristo contro la Sublime e Christ contre la Sublime Porte
all’imbocco del golfo di Patrasso e
à l’embouchure du golfe de Patras et
Flotta contro flotta e fu in un attimo impatto
flotte contre flotte ce fut l’impact en un instant
Ma la forza d’urto delle galeazze di San Marco Mais la force de frappe des galéasses de Saint Marc
travolse ogni ostacolo.
renversa tous les obstacles
Le trentotto bocche da fuoco fecero il vuoto sui nemici,
les trente-huit bouches de feu firent le vide chez les ennemis
Il rumore del fasciame schiantato da palle di piombo da quaranta chili,
le bruit du bordage abattu par des balles de plomb de quarante kilos
Sfasciato da bocche da fuoco di quaranta tipi
mis en pièces par des bouches de feu de quarante espèces
Che frantumavano troppe prue e poppe in rotte, mosse.
Qui brisaient trop de proues et de poupes en déroutes,
da attriti precisi
agitées par de précis frottements.
Il contrattacco ottomano non si fece aspettare,
La contre attaque ottomane ne se fit pas attendre,
Arrivarono suonando tamburi che fecero tremare il mare
ils arrivèrent en jouant du tambour et firent trembler la mer
Poi dalle volte gli arcieri, scontri in pochi metri,
puis à leur tour les archers, des heurts à peu de mètres,
I galeotti morivano incatenati ai remi passati dalle Les bagnards mouraient enchaînés à leurs rames passées au fil de l’épée.
Dopo il divieto completo di guardarsi Après l’interdiction de regarder derrière soi
Alla tempesta di frecce si unì il diluvio cieco
à la tempête de flèches se joignit le déluge aveugle
del fuoco greco,
du feu grégeois,
Raggiunsero l’ammiraglia reale stringendola in un morso,
ils atteignirent le navire amiral du roi, l’enserrant dans une morsure
Volarono i ganci, il suono del rostro sul corpo in legno di cedro.
Les gaffes d’abordage volèrent, le bruit des rostres sur le corps en bois de cèdre.
Sui lati gli ultimi scontri fra navi di scorta,
Sur les côtés les dernières rencontres entre les navires d’escorte,
Tra le navi di Alì il corsaro apostata e la flotta di Doria
entre les navires d’Alì le corsaire apostat et la flotte de Doria
E come vendetta per la sconfitta di Famagosta
et comme une vengeance pour la défaite de Famagouste
La testa mozza del pascià fu issata in segno di vittoria
La tête coupée du pacha fut hissée en signe de victoire
perché fosse scorta
pour qu’on la voie.
Quando scese la sera il mare era pieno di rottami di navi, teste di scafi, Quand descendit le soir la mer était pleine de navires, de têtes de coques,
I superstiti mossero in forze verso la baia vicina,
Les survants se dirigèrent en force vers la baie voisine,
Naufraghi a strati, fuochi alti sui lati dei bastimenti incendiati,
des tas de naufrages, de grands feux sur les côtés des bateaux incendié
Solo due navi portarono notizia alla vicina Messina.
Seulement deux navires apportèrent la nouvelle à la proche Messine.
Fu un ecatombe di morti e colpiti, di monchi o spariti ma
Ce fut une hécatombe de morts et de blessés, de manchots et de disparus mais
La morte come nube sulle frotte dei volti dei molti feriti ;
la mort comme un nuage sur les tas de visages des nombreux blessés ;
Ma Lepanto alla fine del conto non fu fine di molto :
mais Lépante à la fin ne fut pas la fin de grand-chose :
Forse la fine del primato turco sui mari o del primato.
Peut-être la fin du primat turc sur les mers ou de son primat
Sul mare nostrum sur le mare nostrum
Ma nel conflitto perenne fra occidente ed oriente
mais dans l’éternel conflit entre occident et orient,
non cambiò niente : cela ne changea rien :
Cambiarono tempi, armi, ma non l’equilibrio fra le potenze, les temps et les armes ont changé, mais pas l’équilibre entre les puissances,
Le contese fra gli alleati della lega presente
les querelles entre les alliés de la présente ligue
Superava la lotta perenne contro le tenebre del nemico
Ce qui l’emportait, c’était la lutte éternelle contre les ténèbres de l’ennemi de toujours.
Come disse il sultano dopo la sconfitta cocente,
Comme dit le Sultan après cette cuisante défaite,
Quando seppe dei suoi capi falciati dalle frecce,
quand il apprit que ses chefs avaient été fauchés par les flèches,
Delle carcasse di navi spiaggiate sulle secche
les carcasses de navires échoués sur les hauts-fonds
« Gli infedeli mi hanno bruciato la barba ...ahhhhha...
« Les infidèles m’ont brûlé la barbe …
ahhhhhan …
crescerà nuovamente ! ».
elle repoussera ! ».
La furia abbatte qua un’altra bandiera, un’altra barriera, un’altra frontiera,
Refrain : …..
Dal mare si alza là un’altra alba nera e bombarda un’altra galera!
L’onda abbatte qua un’altra bandiera, un’altra barriera, un’altra frontiera,
Dal mare si alza là un’altra alba nera, e bombarda... bombarda...
Francesco Scaramuzzi, Alessandro Farnese alla battaglia di Lepanto, Parma, 1826.
De nombreux grands musiciens classiques ont aussi chanté Lépante, Andrea (1533-1585) et Giovanni Gabrieli (1557-
1612), Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594), Giovanni Croce (1557-1609), Claudio Monteverdi (1567-
1643)… Cela fait souvent l’objet de concerts publics.
Le monde chrétien et l’Islam avaient en réalité d’autres contacts, commerciaux certes, mais aussi « paramilitaires », conséquences de la guerre ;
c’était le cas de ceux qu’on appelait les « renégats », faits prisonniers par les corsaires maures, ottomans, et convertis à l’Islam, faisant parfois ensuite
dans le monde turc des carrières importantes qui leur auraient été interdites dans le monde chrétien parce qu’ils n’étaient que de pauvres pêcheurs ou
marins, et devenant corsaires barbaresques au service du Sultan.
Un exemple particulier fut très connu et chanté, celui de Scipione Cicala (1544-1905) : c’était le fils d’une riche famille de Gênes (« Sinan », c’est-à-
dire « génois » en turc. Son père Vincenzo était Vicomte et corsaire), fait prisonnier avec son père quand il a 19 ans (17 en réalité) en 1560 dans la
bataille de Djerba, près des Îles Egadi, et devenu esclave du Sultan Soliman le Magnifique, dont il sera page, avant de devenir en 1591 le favori de son
successeur Selim II, qui le nomme bientôt commandant de sa flotte puis pacha.
Comme le raconte la chanson de De André, il préfère ne pas sortir son sabre et se rendre pour ne pas « chatouiller la fortune » ; c’était pourtant un
homme riche, qui mangeait et buvait à sa faim (un « imbuto », un entonnoir), et il devient galérien, puis janissaire. Mais une nuit où le Bey prie en
pensant aux jeunes vierges (les « houris ») qui l’attendent au Paradis, il ne s’aperçoit pas qu’il arrive sur un haut-fond, mais Scipione si, et il fait tourner
le navire vers le sud-ouest (le « libeccio »), sauvant le navire et son commandant. Il est alors remarqué (on dit aussi que ce fut pour sa beauté
physique), se convertit à l’Islam (ce n’est pas un « imbécile ») et devient riche et honoré, ayant montré ses qualités militaires et nautiques (le titre de la
chanson signifie « le gênois grand amiral de la flotte ottomane »). Et il repense à une chanson populaire tyrrhénienne qu’il entendait sur son bateau
quand il été fait prisonnier. Cette aventure fut aussi celle d’autres marins génois (voir par exemple Uluç Alì Pascià = Giovanni Dionigi Galeni), qui
furent souvent très admirés par les Ottomans à Istamboul où ils avaient un quartier et où on peut encore visiter le palais de Sinan. (Voir les détails de la
carrière de Cicala en tapant « Scipione Cicala » sur Wikipedia italiano.ou le commentaire de la chanson de De André sur Canzoni contro la
guerra, www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=808).
Sinàn Capudàn Pascià
(Testo : Fabrizio De André
Musica : Mauro Pagani e Fabrizio De André
Creuza de Mä, 1984)
Teste fascië ‘nscià galéa
Têtes enturbannées sur la galère
E sciabbre se zeugan a lûn-a
et les sabres jouent avec la lune
A mæ a l’è restà duv’a a l’éa
le mien est resté où il était
Pe nu remenalu ä furtûn-a
pour ne pas chatouiller la fortune.
Intu mezu du mä, Gh’è ‘n pesciu tundu
Au milieu de la mer il y a un poisson rond
Che quandu u vedde ë brûtte
qui quand il voit les femmes laides
U va ‘nsciù fundu
s’en va au fond de la mer
Intu mezu du mä, Gh’è ‘n pesciu palla
Au milieu de la mer il y a un poisson ballon
Che quandu u vedde ë belle
qui quand il voit les belles femmes
U vegne a galla
s’en vient à la surface.
E au postu d’i anni ch’ean dedexenueve
Et au jour de mes dix-neuf ans
Se sun piggiaë ë gambe e a mæ brasse neuve
ils ont pris mes jambes et mes jeunes bras
D’allua a cansún l’à cantà u tambûu
depuis lors le tambour a chanté sa chanson
E u lou s’è gangiou in travaggiu dûu
et le travail s’est transformé en tourment.
Vuga t’è da vugâ prexuné
Vogue tu dois voguer prisonnier
E spuncia spuncia u remu fin au pë
et pousse pousse la rame jusqu’au pied
Vuga t’è da vugâ turtaiéu
vogue tu dois voguer, gros mangeur
E tia tia u remmu fin a u cheu
et tire tire la rame jusqu’au cœur.
E questa a l’è a ma stöia E t’ä veuggiu cuntâ
Et voilà mon histoire je veux te la raconter
‘N po’ primma ch’à vegiàià
un peu avant que la vieillesse
A me peste ‘ntu murtä
m’écrase dans le mortier
E questa a l’è a memöia, A memöia du Cigä
et voici la mémoire, la mémoire de Cicala
Ma ‘nsci libbri de stöia Sinán Capudán Pascià
mais, dans les livres d’histoire, de Sinàn Capudàn Pacha
E suttu u timun du gran cäru
Et sur le timon du grand char
C’u muru ‘nte ‘n broddu de fàru
avec la face dans un bouillon d’épeautre
‘Na neutte ch’u freidu u te morde
une nuit où le froid te mord
U te giàscia u te spûa e u te remorde
te mastique, te crache et te mord à nouveau
E u Bey assettòu u pensa ä Mecca
Et le Bey assis pense à la Mecque
E u vedde ë Urì ‘nsce ‘na secca
et voit les Houris sur un haut-fond
Ghe giu u timùn a lebecciu
je tourne le timon au sud-ouest
Sarvàndughe a vitta e u sciabeccu
sauvant sa vie et son navire.
Amü me bell’amü A sfurtûn-a a l’è ‘n grifun
Amour mon bel amour l’infortune est un vautour
Ch’u gia ‘ngiu ä testa du belinun
qui tourne autour de la tête d’un imbécile
Amü me bell’amü A sfurtûn-a a l’è ‘n belin
Amour, mon bel amour, l’infortune est une bite
Ch’ù xeua ‘ngiu au cû ciû vixín
qui vole autour du cul le plus proche.
E questa a l’è a ma stöia E t’ä veuggiu cuntâ
Et voilà mon histoire je veux te la raconter
‘N po’ primma ch’à a vegiàià
un peu avant que la vieillesse
A me peste ‘ntu murtä
m’écrase dans le mortier
E questa a l’è a memöia A memöia du Cigä
et voici ma mémoire, la mémoire de Cicala
Ma ‘nsci libbri de stöia Sinán Capudán Pasciá
mais dans les livres d’histoire de Sinàn Capudàn Pacha
E digghe a chi me ciamma rénegôu
Et dis à qui m’appelle renégat
Che a tûtte ë ricchesse a l’argentu e l’öu
qu’avec toutes ses richesses, son argent et son or
Sinán gh’a lasciòu de luxî au sü
Sinàn a permis de briller au soleil
Giastemmandu Mumä au postu du Segnü
en blasphémant Mahomet au lieu du Seigneur.
Intu mezu du mä Gh’è ‘n pesciu tundu
Au milieu de la mer il y a un poisson rond
Che quandu u vedde ë brûtte
qui quand il voit les femmes laides
U va ‘nsciù fundu
s’en va au fond de la mer
Intu mezu du mä Gh’è ‘n pesciu palla
Au milieu de la mer il y a un poisson ballon
Che quandu u vedde ë belle
qui quand il voit les belles femmes
U vegne a galla.
s’en vient à la surface.
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