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Storia dei popoli d’Italia e canzone - 2° partie suite 5
Deuxième partie IV. - La Renaissance 1. - La Renaissance, fruit de cette nouvelle société communale et de sa nouvelle classe dominante L’Italie s’approche donc de sa « Renaissance » (il Rinascimento). Le terme n’est adopté qu’à partir du XIXe siècle,  par l’historien Jacob Burckhardt (1818-1897) dans son ouvrage de 1860 La civilisation de la Renaissance en Italie. Il y analyse non seulement l’art et la littérature mais la totalité de la société italienne à partir du XIVe siècle, en commençant par la structure économique et politique ; la deuxième partie s’intitule « développement de l’individu » et la troisième « la résurrection de l’Antiquité ». C’est souvent à ça qu’on résume la « Renaissance » : la redécouverte de l’Antiquité classique gréco-romaine. Il est vrai que l’Italie avait perdu la mémoire intellectuelle de cette Antiquité entre le Ve et le XIe siècles, en particulier sous la pression de l’idéologie chrétienne qui fit tout pour effacer ce souvenir d’un passé de péché que Dieu aurait puni en faisant tomber l’empire romain en 473, et pour imposer la domination de la pensée chrétienne à partir d’Augustin d’Hippone (354-430) : on transforme les temples païens en églises chrétiennes si on ne peut pas les faire tomber (on voit encore à Rome sur le haut des colonnes du Temple d’Antonin et Faustine, à l’entrée du Forum Romain, la trace des cordes par lesquelles les chrétiens avaient tenté en vain d’abattre le Temple), et le temps romain laisse place au temps rituel et non-historique des chrétiens centré sur le retour annuel des grands moments de l’histoire du Christ et du culte des saints, Noël, le Carême, Pâques, l’Ascension, les apparitions, la fête du saint patron local, etc. Pour ces sociétés agraires du Moyen-Âge, il n’y a pas d’« histoire », mais un cycle du temps fermé sur lui-même et répétitif comme le rythme des saisons et de la lune. Mais il faut penser aussi que les habitants des villes avaient continué à vivre à l’intérieur des ruines de l’empire romain, par exemple il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que les arcades extérieures du Théâtre de Marcellus ne soient plus occupées par les petits commerces alimentaires, et les étages par la famille Orsini (Cf. ci-dessus gravure du XVIe siècle). C’est dire que dans la vie quotidienne la présence de la Rome antique n’a jamais cessé. Les explications des origines de la Renaissance sont nombreuses (voir sur Wikipedia le site : Renaissance italienne), mais ce qui est fondamental c’est le lien avec les transformations économiques et politiques des siècles antérieurs, et l’apparition d’une nouvelle classe dominante, cette « bourgeoisie » formée des principaux industriels-banquiers-commerçants alliée à une partie de l’ancienne aristocratie, qui affirme une nouvelle idéologie et s’intéressse plus au luxe (alimenté par le commerce de la soie avec l’Orient), à la culture et à l’esthétique. Par ailleurs c’est une civilisation urbaine, et non plus rurale, et son intérêt se développe pour la connaissance de son histoire passée (dont celle de Rome et de la Grèce, augmentée encore par l’arrivée des savants byzantins exilés en Italie après la conquête ottomane de l’empire byzantin). Peu à peu, reprend l’historiographie locale dans chaque ville, Agnello di Ravenna (805-846) à Ravenne, Amato di Montecassino (1010-1090) en Campanie, Guglielmo di Puglia (fin XIe-début XIIe siècles) pour l’histoire sicilienne, Caffaro di Rustico da Caschifellone (1099-1163), et Bartolomeo Scriba (fin XIIe-1248) à Gênes, Ogerio Alfieri (1236-1294) à Asti continué par Guglielmo Ventura (1250-1325), Perusio da Cereta à Vérone, et beaucoup d’autres dans plusieurs villes, comme Martin da Canale (XIIIe siècle) à Venise, premier auteur en langue vulgaire et non en latin (c’est-à-dire qu’il est soucieux d’être aussi compris par un plus grand nombre de laïcs), le moine franciscain Salimbene da Parma (1221-1290), le moine dominicain Jacopo da Varazze (Jacques de Voragine, 1228-1298), dont les textes inspireront tous les peintres de la Renaissance, Bonvesin de la Riva (1240-1315) à Milan. On connaît mieux des auteurs comme Dino Compagni (1225-1324) pour ses chroniques florentines (il fut plusieurs fois gonfalonier et exilé de Florence parce que guelfe « blanc »), Giovanni Villani (1280-1348) pour son histoire de Florence des origines à son époque (écrite à partir de 1333), tous deux marchands avant d’être chroniqueurs, de nombreux historiens des papes à Rome, ou Bartolomeo Caracciolo  (1300-1362) à Naples et Buccio di Ranallo (1294-1363) à l’Aquila, ou Opicino de Canistris (1296-1353) à Pavie. C’est plus que dans n’importe quel autre pays européen, et c’est plus le fait de l’Italie du Nord et du Centre que de l’Italie du Sud qui est plus sensible aux histoires dynastiques qu’aux histoires collectives des villes et des régions. Notons aussi que beaucoup tiennent à souligner que l’origine de leur ville est romaine ou troyenne et on loue la liberté retrouvée des villes en se référant à l’antique République romaine et à ses vertus, comme le fait Leonardo Bruni (1370-1444) dans ses Louanges de la ville de Florence (1403). Et les nouveaux philologues vont veiller à ce qu’on retrouve les textes anciens avec le maximum d’exactitude, comme Coluccio Salutati (1331)1406) et surtout Lorenzo Valla (1407-1457) qui a le courage de corriger même les textes théologiques ou de montrer que la fameuse « donation de Constantin » (un don de biens territoriaux à l’Église par l’empereur) était un faux écrit postérieurement par des scribes chrétiens au service du Vatican. Ajoutons enfin que de nombreux marchands, surtout florentins, commencent à écrire les mémoires de leur famille, ou leur autobiographie dont la Vita Nuova (1295) et le Convivio (1304-1307) de Dante seront parmi les premiers exemples, suivis par Donato Velluti (1313-1370) avec sa Cronica domestica (à partir de 1367) et bien sûr par Francesco Petrarca dans ses lettres, son Secretum ou son Canzoniere. Concluons donc sur ce point  : la base de la Renaissance est l’apparition de cette nouvelle structure économique dite « communale » particulièrement développée dans le Nord et dans le Centre de l’Italie, et de sa nouvelle classe dominante, la « bourgeoisie », nouvelle aristocratie post féodale. La démographie a considérablement augmenté la population, et par conséquent l’étendue des villes, le commerce et les marchés y sont florissants, faisant des villes italiennes les plus riches d’Europe, un nouvel urbanisme fait apparaître dans les murs, des rues et autour de maisons plus propres, de somptueux palais seigneuriaux et de grandes églises (en 1324, Florence a une enceinte de 8,5 km épaisse de 2 mètres et haute de 10, dotée d’un fossé de 17 mètres de largeur, couronnée de créneaux guelfes et défendue par 63 tours - Cf. plan ci-dessus), le luxe privé se développe et augmente le goût de la décoration et de l’art, la richesse et la joie de vivre se manifestent partout, tellement que plusieurs villes doivent adopter des « lois somptuaires » qui limitent la possible corruption morale afférente. Les fresques d’Ambrogio Lorenzetti à Sienne (1337- 1339) sur les effets du bon et du mauvais gouvernement rendent bien compte de cette réalité de richesse, de bien-être et de joie de vivre. Voir aussi la description des mois faite par Folgòre di San Gimignano (voir chapitre précédent), appel à une vie où chacun obéit à ses désirs et se livre à une joie de vivre très païenne. Un dernier aspect essentiel doit enfin être souligné : cette nouvelle vision du monde va aussi de pair avec un progrès de la science et de la technologie, nécessaire à ce nouveau monde de banquiers et de commerçants. Il n’est certes pas le seul fait de l’Italie, l’Europe du Nord y tient une grande place. Mais de ce point de vue, on peut dire que Galileo Galilei (1584-1642) est  l’héritier de la Renaissance, il a changé radicalement notre façon de penser, de nous voir nous-mêmes, nos origines, notre histoire. Les théologiens qui l’ont condamné alors ne s’y sont pas trompés. En ce sens, on peut dire que la « Renaissance » est bien une transition vers un autre monde, qui va peu à peu se créer avec d’autre valeurs. 2. - Dates de la Renaissance Quand commence donc la « Renaissance » ? Le mot apparaît tard, dans le Dictionnaire de l’Académie Française en 1718, Balzac le reprend en 1830 dans Le Bal de Sceaux, Michelet en 1855 dans son Histoire de France à propos du XVIe siècle, mais surtout Burckardt en 1860 dans La culture de la Renaissance en Italie, et c’est le Dictionnaire universel de Pierre Larousse qui le généralise en 1875. À travers eux se crée le mythe de la Renaissance comme le début de la modernité, nouvelle époque qui débouchera plus tard dans la Révolution Française. Par contre, beaucoup d’historien voudront réviser cette idée : pour eux la véritable Renaissance commence par le passage du paganisme romain antique au christianisme, et certains compteront par exemple François d’Assise comme le premier écrivain « renaissant » ; d’autres, comme Étienne Gilson (1884-1978) considéreront que la « Renaissance » n’est que la continuation d’un Moyen-Âge devenu sans Dieu, c’est-à- dire aussi une perte de l’homme ; on parla d’humanisme chrétien et de renaissance carolingienne. Ce confusionnisme fait oublier qu’il y eut vraiment une rupture de continuité entre le Moyen-Âge et la Renaissance, dans le domaine littéraire et artistique, mais surtout dans le mode de pensée, dans les modes de vie, dans les rapports sociaux. La seule classe qui y resta indifférente fut celle des paysans, c’est-à-dire une énorme majorité de la population : que le maître soit romain, lombard, carolingien ou bourgeois des villes, son exploitation reste la même, ses conditions de vie restent les mêmes, il est toujours un « paysan », être soumis, inférieur, réprimé s’il se révolte. Si l’on pense la « Renaissance » comme une restauration de l’Antiquité classique, elle commence donc lorsque les intellectuels et les artistes prendront vraiment conscience de ce fait, c’est-à-dire au début du XIVe siècle avec la recherche de manuscrits anciens, comme le fit déjà Pétrarque. Mais derrière cela, il faut bien voir qu’il y a une nouvelle vision du monde où a disparu le mépris de l’homme « pécheur » et des choses terrestres au profit d’un amour de la nature, des hommes, des femmes, du plaisir et de la joie de vivre dans la beauté retrouvée des corps antiques ; et aussi une appréciation non plus divine mais humaine des sociétés politiques agies par la force, la volonté de vaincre, la raison d’État (voir Machiavelli et Guicciardini), et des sociétés où compte d’abord la réussite économique, le calcul, l’argent au-delà de toute morale et de toute métaphysique religieuse, et où l’art, la beauté, la recherche de manuscrits sont devenus des marchandises susceptibles d’augmenter la gloire du Prince, d’où la pratique du mécénat et de la politique culturelle des princes et des papes, et où les lettrés, les intellectuels et les artistes sont devenus des employés du Prince (combien d’écrivains étaient-ils aussi ambassadeurs et conseillers politiques !). Les technologies nouvelles permettent l’affirmation de cette pensée, en particulier l’apparition du livre qui permet par exemple de diffuser beaucoup plus largement les textes de Virgile, Tite Live, Salluste, Plaute, Jules César, Cicéron, Juvénal, etc. L’Italie (Venise) a un rôle prépondérant dans ce développement qui est en même temps celui des bibliothèques des palais bourgeois. En résumé, on pourrait faire commencer la Renaissance par Francesco Petrarca (1304-1374). Où se termine-t-elle ? Beaucoup la font finir avec Niccolò Machiavelli (1469-1527), déjà contredit par Francesco Guicciardini  (1483-1540) par exemple sur la possibilité d’utiliser les mythes et les héros romains pour analyser la société contemporaine. Au maximum deux siècles d’existence ! Après, il est peu opératoire de parler de « seconde Renaissance » : Léonard de Vinci  (1452-1519) ou Raphaël (1483-1520) appartiennent encore à la Renaissance, mais pas le second Michelange (1475-1584), pas le Titien (1488-1576), pas le Tintoret (1518-1594) … : on passe déjà dans le maniérisme ou dans l’art baroque. Autre époque : La Réforme luthérienne (1517) et le Concile de Trente (1545-1563) vont sanctionner le changement.   3) Chantons la Renaissance Ce sont d’abord les principaux intéressés qui ont chanté eux-mêmes leur nouvelle vision du monde,  Lorenzo dei Medici (1449-1492) et un poète comme Angelo Poliziano (1454-1494).     Chi non è innamorato (Lorenzo dei Medici Canzoni a ballo, XVIII Musica : Stefano Palladini e Nazario Gargano Poesia in musica, Look, 1994) Chi non è innamorato Que celui qui n’est pas amoureux 
esca di questo ballo,
 sorte de ce bal, ché faria fallo a stare in sí bel lato.
          car il ferait erreur de rester dans un si belle compagnie. Se alcuno è qui, che non conosca amore,
 Si quelqu’un est ici et qu’il ne connaisse pas l’amour parta di questo loco ;          qu’il parte de ce lieu : 
perch’esser non potria mai gentil core
 car il ne pourrait jamais être un cœur noble chi non sente quel foco.
         celui qui ne sent pas ce feu. Se alcun ne sente poco,
         Si quelqu’un le sent peu si le sue fiamme accenda,
 qu’il allume ses flammes, che ognun lo intenda ; e non sará iscacciato.
 afin que chacun le comprenne ; et il ne sera pas chassé. Amor in mezzo a questo ballo stia,
 Que l’amour soit au milieu de ce bal e chi gli è servo, intorno.
          et ses serviteurs autour de lui. E, se alcuno ha sospetto o gelosia,
 et si quelqu’un a des soupçons ou de la jalousie non facci qui soggiorno ;          qu’il ne demeure pas ici ; 
se non, che arebbe scorno.
 il n’en aurait que de la honte. Ognun ci s’innamori,          Que chacun tombe amoureux, 
o esca fuori del loco tanto ornato.
 ou qu’il sorte de ce lieu si orné. Se alcuna per vergogna si ritiene
 Si une dame par honte se retient di non s’innamorare,
 de tomber amoureuse, vergognerassi, s’ella pensa bene,
 qu’elle ait honte si elle y pense bien, piú tosto a non lo fare :          de ne pas le faire : 
non è vergogna amare
          il n’y a pas de honte à aimer chi di servirti agogna ;          celui qui désire te servir ; 
saria vergogna chi gli fussi ingrato.
 ce serait une honte de ne pas lui céder. Se alcuna ce ne fussi tanto vile,
 S’il y avait une dame qui fût assez vile che lasci per paura,
 pour renoncer par peur, pensi bene che un core alto e gentile
 qu’elle pense bien qu’un cœur élevé et noble queste cose non cura.
 ne se soucie pas de ces choses. Non ha dato Natura
 La Nature ne vous a pas donné tanta bellezza a voi,
 tant de beauté acciò che poi sia il tempo male usato. pour que le temps soit ensuite mal employé. L’invitation de Laurent de Médicis est claire : pas de honte (mot répétéplusieurs fois) ni de peur, aucune dame ne doit refuser de céder à celui qui est amoureux d’elle, c’est une question de raison (« si elle y pense bien », répété deux fois) et de Nature. À quoi servirait la beauté si ce n’était pour inciter à l’amour. On est à l’opposé de Dante à qui la raison éclairée par la foi disait au contraire de ne pas céder à un amour interdit (Voir Francesca da Rimini, Enfer chant V). Aucune allusion à la source divine de l’amour, ce n’est qu’une question de « nature ». Le poète préféré de Laurent de Médicis était Angelo Poliziano (1454-1494) qui meurt peu après lui. Il nous chante ici le mois de mai et nous invite à le célébrer, car c’est le mois de l’amour qui veut que les hommes et les jeunes filles tombent amoureux, comme les bêtes sauvages et les fleurs, question de nature, là aussi. Certes l’amour est un « petit ange », mais il ressemble plus au petit Cupidon de l’Antiquité qu’à un ange chrétien. Le gonfalon selvaggio du début est le bouquet de fleurs des bois que les amoureux déposaient en mai devant la porte de leur aimée, de même que lors des combats, elle-même donnera des guirlandes à son amoureux, car l’amour est comparé à la guerre ou à son substitut, le jeu guerrier des joutes et des tournois dont la femme est le prix. Ces poèmes dits « chansons » étaient évidemment accompagnés de musique, joués et dansés, mais malheureusement on n’en a souvent plus aucune partition. C’est aussi le cas de la suivante, de Franco Sacchetti. Ben venga maggio Testo : Angelo Poliziano  Canzoni a ballo, CXXII Musica  : Stefano Palladini, Nazario Gargano Poesia in musica, Look Studio, 1994)  Ben venga maggio Que vienne le mois de mai E 'l gonfalon selvaggio ! et l’enseigne sauvage ! Ben venga primavera Que vienne le printemps Che vuol l'uom s'innamori ; qui veut que l’homme tombe amoureux ;  E voi, donzelle, a schiera et vous, jeunes filles, en troupe Con li vostri amadori, avec vos amoureux  Che di rose e di fiori vous qui de roses et de fleurs Vi fate belle ìl maggio, vous faites belles en mai Venite alla frescura venez à l’ombre fraîche Delli verdi arbuscelli. des petits arbres verts. Ogni bella è sicura Toutes les belles sont sûres Fra tanti damigelli ; au milieu de tant de damoiseaux ; Che le fiere e gli uccelli les bêtes fauves et les oiseaux Ardon d'amore ìl maggio. brûlent d’amour en mai. Chi è giovane e bella Qui et jeune et belle Deh ! non sie punto acerba, ah ! qu’elle ne soit pas cruelle, Ché non si rinnovella car l’âge ne se renouvelle pas L'età come fa l'erba : comme l’herbe : Nessuna stia superba qu’aucune ne soit orgueilleuse All'amadore il maggio. envers son amant en mai. Ciascuna balli e canti que chacune danse et chante Di questa schiera nostra. dans notre troupe. Ecco che i dolci amanti Voilà que vos doux amants Van per voi belle in giostra : entrent pour vous dans l’arène : Qual dura a lor si mostra qui se montre dure envers eux farà sfiorire il maggio. fera faner le mois de mai. Per prender le donzelle Pour prendre les jeunes filles   Si son gli amanti armati. les amants se sont armés. Arrendetevi, belle, Rendez-vous, belles, A' vostri innamorati ; à vos amoureux ; Rendete e' cuor furati, rendez les cœurs volés Non fate guerra il maggio. ne faites pas la guerre en mai. (Non enregistré par Palladini) : Chi l'altrui core invola Qui vole son cœur à quelqu’un ad altrui doni el core. lui donne aussi son cœur. Ma chi è quel che vola ? Mais qui est-ce qui vole ? È l'angiolel d'Amore C’est l’angelot d’amour che viene a fare onore qui vient vous faire honneur, con voi, donzelle, al maggio. jeunes filles, en mai. Amor ne vien ridendo, L’amour vient à nous en riant  con rose e gigli in testa, avec des roses et des lys sur la tête e vien di voi caendo : et vient vous chercher : fategli, o belle, festa. faites-lui fête, oh belles. Qual sarà la piu presta Quelle sera la plus prompte a darli e fior del maggio ? à lui donner sa fleur en mai ? «Ben venga il peregrino ! «  Que vienne le pèlerin ! Amor, che ne comandi ?» Amour, que lui commandes-tu ? » « Ch’al suo amante il crino « Qu’à son amant chaque belle ogni bella ingrillandi, orne les cheveux de guirlandes, ché li zitelli e grandi car les petits et les grands s’innamoran di maggio ». tombent amoureux en mai ». Nous avons vu que la « Renaissance » n’avait concerné que l’élite de la société bourgeoise, mais il faut penser aussi que les grands bourgeois et les nouveaux seigneurs investissaient de plus en plus dans la terre et l’agriculture et s’intéressaient donc aux paysans, et aussi aux petites paysannes. Il se forme donc toute une  tradition poétique qui chante la beauté des pastourelles. Voici par exemple une chanson de Franco Sacchetti  (1332-1400), fils d’un marchand florentin, né à Ragusa (aujourd’hui Dubrovnik), devenu aussi homme politique en Toscane et célèbre, outre ses nombreuses poésies, pour ses Trois cents nouvelles. « Biondella » et « Martino  » sont les noms de deux animaux du troupeau. Là encore apparaît l’image du petit ange et tout est petit, les bergères, leur lit, leur cabane, le bosquet de leur pré, leurs brebis, leurs guirlandes … O vaghe montanine pasturelle (Texte : Franco Sacchetti, Musique : Palladini / Gargano, Poesie in musica, 1994) — O vaghe montanine pasturelle,
 – Oh charmantes pastourelles de la montagne D’onde venite sì leggiadre e belle ? d’où venez-vous donc,  si  gracieuses et si belles ? Qual è il paese dove nate sete,
 Quel est le pays où vous êtes nées Che sì bel frutto più che gli altri adduce ? qui, plus que les autres, produit de si beaux fruits ? Creature d’Amor vo’ mi parete,
 Vous me paraissez des créatures d’amour Tanto la vostra vista adorna luce !
 tant votre forme est ornée de lumière ! Nè oro ne argento in voi riluce,
 En vous ne brille ni l’or ni l’argent, E mal vestite parete angiolelle. et même mal habillées, vous paraissez de petits anges. — Noi stiamo in alpe presso ad un boschetto  Nous sommes dans la montagne près d’un bosquet Povera capannetta è ’l nostro sito :
 Une pauvre cabane  est notre logis : Col padre e con la madre in picciol letto
 Avec notre père et notre mère dans un petit lit Torniam la sera dal prato fiorito ;
 nous revenons le soir de notre pré en fleur ; Dove natura ci ha sempre nodrito,
 où la nature nous a toujours nourris Guardando il dì le nostre pecorelle. —   en gardant le jour nos petites brebis. — Assai si de’ doler vostra bellezza,
 Votre beauté doit beaucoup souffrir, Quando tra monti e valle la mostrate ;
 car vous ne la montrez qu’entre mont et vallée ; Che non è terra di sì grande altezza
 et il n’est pas de ville d’une si grande noblesse Dove non foste degne et onorate.
 où vous ne seriez dignement honorées. Deh, ditemi se voi vi contentate Allez, dites-moi si vous vouscontentez Di star ne’ boschi così poverelle.          de rester dans les bois dans une telle pauvreté — Più si contenta ciascuna di noi
 Chacune de nous est plus contente Andar dietro alle mandre alla pastura,
 d’aller en pâturage derrière nos troupeaux Che non farebbe qual fosse di voi
 que ne le serait n’importe lequel d’entre vous D’andare a feste dentro vostre mura. d’aller à des fêtes à l’intérieur de vos murailles. Ricchezze non cerchiam nè più ventura
 Nous ne cherchons ni richesses ni plus de fortune Che balli canti e fiori e ghirlandelle. — que des bals, des chants, des fleurs et des guirlandes. 
 Ballata, s’i’ fosse come già fui,
 Ballade, si j’étais encore jeune comme je le fus Diventerei pastore e montanino ;
 je deviendrais berger dans la montagne ; E prima che io il dicesse altrui. et sans le dire à personne. Sarei al loco di costor vicino ;
 Je serais dans ce lieu à côté d’elles ; Et or direi Biondella et or Martino,
 Et je dirais tantôt « Biondella », tantôt « Martino », Seguendo sempre dov’andasson elle. en les suivant toujours là où elles seraient allées. Pendant que les bourgeois se livraient ainsi à la fête et à la joie de vivre, que faisaient les paysans et que chantaient-ils ? Ils ne  l’écrivaient certainement pas, mais se le transmettaient oralement d’une génération à l’autre. Dario Fo (1926-2016), le Nuovo Canzoniere Italiano et l’Istituto Ernesto De Martino avaient tenté de prolonger cette tradition dans leur spectacle Ci ragiono e canto  de 1966. C’est un ensemble de chansons dont la source et l’histoire sont toujours indiquées dans le livret et dont certaines sont très anciennes. Les textes disent la vie quotidienne du peuple, ses peines, son travail, son exploitation, ses souffrances, ses mythes, sa foi religieuse comme son hostilité aux prêtres qui lui demandent de l’argent ; mais ils disent aussi ses modes de pensée, ses « paroles de vérité » qui expriment son ordre des choses, et même sa connaissance des changement scientifiques (une chanson dit ironiquement : « Je suis content d’être au monde / depuis que je sais qu’il est rond », et elle ajoute que l’on marche toujours pieds-nus alors que les « Signori » ne font rien : le progrès de la pensée ne change rien à la situation des paysans). Citons quelques chansons. Une première est une berceuse dont Roberto Leydi reprend le texte dans I canti popolari italiani, Mondadori, 1973, pp. 46-47. Elle raconte la triste vie réelle des parents, avant de dire que sa mère est une reine et son père un comte Nana bobò (recueillie à Chioggia en 1954 Ci ragiono e canto, 1966) Nana bobò, nana bobò, Fais dodo, fais dodo tuti i bambini dorme e Guido no. tous les enfants dorment et pas Guido, Nana bobò, nana bobò, tuti i bambini dorme e Guido no. Dormi dormi dormi per un ano, Dors, dors pendant un an la sanità to padre e poi guadagno. la santé à ton père et puis un peu de gain. E dormi dormi dormi bambin de cuna, Dors, dors, enfant du berceau to mama no la gh'ela, a xe 'ndà via,          ta maman n’est pas là, elle s’en est allée la xe 'ndà via, la xe 'ndà a Sant'Ana, elle s’en est allée, s’en est allée à Sainte Anne la xe 'nda prendar l'acqua nela fontana prendre de l’eau à la fontaine E la fontana non è minga mia, et la  fontaine n’est pas à moi la xe dei preti de Santa Lucia. elle est aux prêtres de Sainte Lucie. Nana, bambin, nana bambin, Dors mon enfant, dors mon enfant e dormi dormi piú di una contesa et dors plus qu’une comtesse to mama la regina ta maman est la reine to padre il conte ton père est le comte to madre la regina dela tera ta mère est la reine de la terre to padre il conte dela primavera. ton père est le comte du printemps/ À la fin de la vie, on pleure la mort des proches, et les paysans pratiquent le « lamento funebre », et font appel pour cela à des femmes du village qui se spécialisent dans la représentation de la douleur de la famille. Ce sont les « pleureuses ». C’était une vieille pratique en particulier des pays du Nord de l’Europe, et autour de  la Méditerranée, on la connaît depuis l’Égypte ancienne. Celle-ci est de provenance slave, passée dans les Abruzzes avec les migrations de la fin du XVIe siècle suite à l’invasion turque, elle est reprise par Giovanna Marini et a été étudiée par un auteur comme Ernesto de Martino : Mare maje (enregistré dans les Abruzzes Ci ragiono e canto, 1966) Mare maje, e scure maje Je souffre, je sombre tu si morte e io che fazze Tu es mort et moi qu’est-ce que je fais  ma me sciatt'e trecce 'n fazze Maintenant je frappe mes tresses sur mon visage ma m'accede 'n coll'e taje je vais me tuer sur ton corps E mare ma' mare ma' mare maje Je souffre, je sombre … e scure ma' scure ma' scure maje ma m'acce' mo m'acce' ma m'accede ‘ncoll’ e ta’ So na pachera spirgiute, Je suis une brebis perdue lu muntoni m’ha lassate les moutons m’ont laissé seule lo guaggiuoni sembr’abbaje le chiot aboie sans arrêt pe la fame mo s’arraje de faim il se met en colère O mare ma’ ecc. Je a tiné na casarielle J’avais une petite maison ma songhe senza recette maintenant me manque même une tanière senza foche esenza lette, je suis sans feu, sans lit, senza pane e companaje sans pain sans rien pour mettre dessus E mare ma’ ecc. Entre le berceau que l’on balance et le cercueil final, il y a une vie de travail dont on chante les rythmes, comme dans ce chant vénitien, Canto dei battipali, ceux qui enfonçaient les pieux dans les canaux et la lagune de Venise : de six à huit hommes étaient rassemblés autour d’un pieu sur lequel ils tapaient à tour de rôle avec leur masse ; l’un d’entre eux entonnait le premier vers de la chanson et tous les autres lui faisaient écho en abattant leur masse. Ainsi le chant de travail n’était pas un spectacle, mais un moment nécessaire de l’acte de travail : Canto dei battipali (Ci ragiono e canto, 1966) E leveremo Et nous lèverons la bandiera bianca ooh ! le drapeau blanc ooh !  Bandiera bianca drapeau blanc ma segno di pace ooh ! mais signe de paix ooh ! E leveremo Et nous lèverons la bandiera rossa ooh ! le drapeau rouge ooh ! Bandiera rossa Drapeau rouge ma sègno di sangue ooh ! mai signe de sang ooh ! E-leveremo Et nous lèverons la bandiera nera ooh ! le drapeau noir ooh ! Bandiera nera Drapeau noir ma segno di morte ooh ! mais signe de mort ! Un autre chant dit par exemple simplement la dureté du travail et le retour d’exil, enregistré dans le Latium, et très probablement ancien. Montesicuro est un village proche d’Ancona dans les Marches, donc assez loin du Latium. Le « paolo » (ou « giulio ») valait 10 « baiocchi » et un « scudo » valait 100 « baiocchi », il avait donc gagné 6 « paoli », une bien maigre somme. So stato a lavorà a Montesicuro So stato a lavorà a Montesicuro Je suis allé travailler à Montesicuro  se tu sapesse quanto ho guadagnato Si tu savais combien j’ai gagné ce manca quattro pavele a uno scudo.              il ne manque que 4 « paoli » à un écu Non posso di però quanto ho sudato Mais je ne peux pas dire tout ce que j’ai sué so mezzo morto me se schianta il core je suis à moitié mort et mon cœur va éclater e 1'anama me va per conto suo. et mon âme s’en va de son côté Mannaggia allora a quanno ci ho pensato       merde au moment où j’ai pensé d'annatte a laorà ma a quel diserto       à aller travailler dans ce désert che p'arricchi 'n brigante so crepato.               car je vais crever pour enrichir un brigand. Avec les chants de travail, les communautés paysannes pratiquent beaucoup les chants d’amour, par lesquels les garçons déclarent leur amour à une fille en venant chanter des sérénades sous son balcon, avec leurs frères ou leurs amis. Et puis on chante les problèmes nouveaux posés par l’évolution de la société, les ravages provoqués par les nobles lorsqu’ils viennent chasser sur les terres agricoles, les famines, les épidémies de peste, la nécessité de s’exiler pour faire vivre la famille, la guerre qui va de plus en plus obliger les paysans à se battre pour leur seigneur puis pour leur nation, ce qui fait d’eux les principales victimes des combats, ceux dont on ne parlera jamais, qui ne seront jamais des héros, et auxquels on n’offrira plus tard que des monuments aux morts sur la place du village. Et puis les corvées, les injustices infligées par la justice ou par les abus de droits, la misère. Ils chantent aussi leurs fantasmes, leurs croyances, et  leur vie n’est souvent rythmée que par le cycle des fêtes religieuses chrétiennes qui racontent la vie du Christ ou celle du saint protecteur local. L’objet de ces fêtes n’est pas « Dieu », rarement le « Père », mais les souffrances de Jésus sur la Croix, en qui les paysans se reconnaissent, ou celles de sa mère, Marie, image de ce que souffrent tous les jours les mères qui voient souffrir ou mourir leurs enfants. On invoque aussi le « saint », héritier  chrétien des « dieux » protecteurs spécialisés du polythéisme ancien, pour être guéris d’une maladie, pour enrayer une sécheresse source de famine, pour éviter une  épidémie, pour être sauvés d’un naufrage, etc. ; l’ex-voto est l’une des expressions importantes de cette religion populaire, qui est loin de la religion officielle dominante, car il y a bien deux religions chrétiennes, celle du peuple, celle des classes dominantes qui fait le maximum pour faire taire ou réprimer la première. Le peuple chante aussi pour se divertir, dans ses soirées, ses fêtes de village : à l’occasion d’un mariage, d’un baptême, d’une cérémonie civile ou religieuse, on raconte des histoires de rois, de princes, de fées ou de dragons, on s’oppose dans des « contrasti » sur les thèmes de la vie (voir plus haut), etc. C’est tout cela « l’histoire », pour le peuple, bien loin de celle que l’on raconte, qui n’est que celle des rois,  des nobles, des « grands », des batailles, des guerres. La « renaissance » n’existe pas pour le peuple, c’est une réalité de cour et d’église, de princes, de banquiers, de cardinaux ; tout au plus, le peuple viendra admirer les belles images que les pouvoirs financent dans les églises, pour compenser par ces dons leurs péchés d’usure et de luxure et gagner malgré tout une chance d’aller au paradis. RETOUR A LA TABLE DES MATIERES                          SUITE 2.6 DU FICHIER
Miniature de la Chronique de Giovanni Villani sur la construction du Baptistère de Florence Botticelli, Autoportrait, vers 1475, dans L’adoration des Mages Machiavel par Santi di Tito (1536-1563) - Portrait posthume Le Concile de Trente dans l’église Santa Maria Maggiore de Trento