5.2. Situation des femmes et féminisme (début)
LA SITUATION DE LA FEMME EN ITALIE ET LE MOUVEMENT FÉMINISTE ITALIEN Depuis le Moyen-Âge, la femme est considérée en Italie comme «  inférieure  » et devant être soumise à l’homme. Afin de comprendre cette situation, il faut tenir compte de trois racines à partir desquelles l’image de la femme a été façonnée. Le mot clé de la première racine est le pater familias, le père de famille romain antique. Il a le droit de vie et de mort sur sa femme et ses enfants qui lui appartiennent tout comme ses terres et ses biens. Il s’agit d’une manière de voir les femmes mais pas la seule. Les voisins des Romains, les Etrusques ont une vision différente de la femme  : elle peut garder son nom de famille après le mariage, elle a le droit de sortir en public avec son mari et y prendre la parole, elle peut hériter des biens de son père au même titre que les hommes (Voir les tombes étrusques représentant l’homme et la femme, sur un pied d’égalité et unis par la tendresse). Ces femmes sont vues par les Romains comme indécentes et de moralité douteuse. Les Romains ayant vaincu et dominé les Etrusques, c’est la vision de la femme «  objet  » qui s’est affirmée. A noter que la position du pater familias, la potestà maritale, la supériorité du mari dans le couple au titre de la gestion des bien de la famille, y compris la dot de la femme, et la responsabilité parentale des enfants sera abolie dans le droit italien seulement en 1975 avec la réforme du droit de la famille. Le mot clé de la deuxième racine c’est la pensée Judéo-chrétienne dans sa spécificité catholique. Rome devient chrétienne à partir de l’Edit de Constantin (313 après J.C.) et restera jusqu’à nos jours un berceau de cette religion  ; le siège international de l’Église s’installe à Rome, alors siège de l’Empire, et le «  Souverain Pontife  », titre impérial, devient le titre de l’évêque de Rome. La femme y a un rôle subordonné, et elle ne peut être prêtre (on n’a retenu de la Genèse que le deuxième récit, qui indique la création de la femme à partir d’une partie du corps de l’homme ce qui en constitue la dépendance  ; on a « oublié » le premier récit où Dieu les créa «  homme et femme  »)  ; on a même discuté longtemps pour savoir si elle avait une « âme »  ; elle a un rôle de pécheresse (Le mythe d’Ève et de la pomme, et l’interprétation du « péché originel » comme péché «  de la chair  », exercice de la sexualité, ce qui est stupide d’un point de vue théologique) qui a condamné par son action le destin de l’humanité entière. L’accouchement dans la douleur est par exemple tellement ancré dans la culture italienne que l’épidurale n’a été rendue gratuite dans les hôpitaux italiens qu’en décembre 2012. La Bible nous donne aussi une idée de la manière dont cette tradition voit la femme contrainte à une multitude d’interdictions dues à son état considéré comme impur à cause des règles, de l’accouchement, de l’allaitement, etc. En contraste avec une tradition païenne où la femme avait une présence et un rôle positif en relation avec la mère-terre, la tradition judéo-chrétienne affirme la suprématie du dieu du ciel représenté par le Père. La religion catholique valorise une vision de la femme en tant que vierge (conformément au mépris du corps comme source de plaisir typique de cette pensée) ou en tant que mère et épouse. Ce qui domine, en particulier dans la religion populaire italienne (voir aussi la peinture), c’est l’image de Marie, Vierge et Mère. L’idéal est la virginité, mais on honore aussi la femme comme mère (l’importance de la «  mamma  »), et pendant longtemps l’Église catholique a limité l’activité sexuelle à la production d’enfants. Ceci dit, l’image de la Vierge Mère, est porteuse de choses parfaitement contradictoires et on s’aperçoit que derrière elle, a été vécue toute une autre pratique, toute une autre image de la femme dans son autonomie par rapport à l’homme : car c’est elle qui est la plus proche de la divinité : c’est une femme qui est mère de Dieu. Derrière cette image, on a eu des femmes qui tout au long de l’histoire de l’Italie, religieuses ou laïques, ont joué des rôles très importants, qui ont développé des possibilités d’ordre privé, mais sont intervenues également dans la vie publique. Ceci pour dire que les clichés sont vrais mais qu’il faut très vite les nuancer, car si on les force trop, on dit des choses contraires à la vérité historique. a) La chasse aux «  sorcières  ». Les moyens mis en place par l’Eglise Catholique pour avoir raison de ces traditions ont été multiples. Tout d’abord la récupération des divinités païennes  : en Italie différents cultes de la madone sont consacrés aux «  Madonne nere  » (Loreto, Montevergine, Oropa), survivances d’une divinité chtonienne liée à la mère-terre. Par ailleurs, à partir des XIIIe-XIVe siècles, les femmes de la société italienne, de même que celles de l’Europe, sont fondamentalement marginalisées, persécutées et exclues de toute une série d’activités de la vie sociale des hommes. Pourquoi à partir de cette époque ? Il faut parler d’un épisode qui est celui de la chasse aux sorcières et qui fut très fort en Italie. C’est fondamental et on y insiste peu dans les livres d’histoire, mais maintenant qu’on a pu faire beaucoup de travaux scientifiques on s’aperçoit que ce fut une rupture. Ces «  sorcières  » étaient les détentrices d’un savoir naturel qui souvent remontait aux anciennes populations, aux Romains, aux Grecs, quelquefois aux Egyptiens. Ces sorcières utilisaient ce savoir dans le domaine médical, et en particulier dans tout ce qui touchait à la reproduction : elles en étaient les régulatrices dans les sociétés agraires jusqu’aux XIIIe- XIVe siècles. Elles connaissaient environ 200 plantes qui permettaient d’éviter la maternité, de l’interrompre ou de la faciliter, et les études qui sont faites maintenant (colloque de 1984 en Italie avec des historiens, biologistes, médecins, etc...  ) et les expérimentations ont montré leur efficacité, bien sûr inférieure à celle des moyens contraceptifs ou abortifs modernes (presque 100%), mais dans l’ensemble on s’est aperçu que c’était très valable. À partir des XIIIe-XIVe siècles, on va accuser les sorcières de tous les péchés, surtout du péché sexuel (l’accusation centrale était qu’elles forniquaient avec le diable, qui leur apparaissait sous forme de bouc), pendant les fameux sabbats, qui n’étaient rien d’autre que des réunions régulières où ces femmes se transmettaient leurs connaissances ou les mettaient en commun. Or le pouvoir de ces femmes va devenir insupportable aux sociétés qui se développent, en particulier en Italie du Nord et du Centre à partir du Xlllème siècle (les «  communes  » puis les «  seigneuries  »). Dans les sociétés agraires on limitait les maternités en fonction des besoins assez stables du travail de la terre. On passe, avec les communes, à une prédominance sociale des villes sur les campagnes (même si la majorité de la population reste paysanne). Pour la production des biens industriels (textile, petite métallurgie), le commerce, la banque, la ville a besoin de main d’oeuvre pour se développer. Au milieu du XIVe siècle à Florence, l’industrie de la laine fait vivre 30 000 personnes sur une population de moins de 100 000 habitants. On le sait maintenant (travaux des historiens, archives, etc.) la chasse aux sorcières a été un fait non pas d’origine religieuse au départ, mais un choix politique et économique. Il était insupportable que ces femmes qui relevaient d’une tradition tout à fait autre que la tradition «  bourgeoise  » (au sens technique du terme  : les habitants des bourgs, des villes) continuent à contrôler le flux des naissances. Et à partir de ce moment, dans une connivence très typique de ces siècles entre le pouvoir civil urbain et le pouvoir religieux, le choix est fait d’éliminer les dites «  sorcières  ». En même temps, on interdit aux femmes l’accès à un certain nombre de professions politiques ou intellectuelles importantes : au XIIe siècle des femmes étaient capitaine du peuple, chef des armées d’une ville, grand médecin et professeur d’université (Salerne). On interdit également les femmes barbiers soupçonnées d’entretenir à côté de leur salon de coiffure une petite activité de prostitution. On élimine les sorcières à cause du pouvoir qu’elles avaient sur le contrôle de la population : - de 800 à 1300 la population en Europe passe de 30 à 75 millions - du XVe au XIXème siècle elle passe de 75 millions à 640 millions ! C’est une explosion démographique. L’élimination fut un véritable massacre : entre le XIVe et la fin du XVIIe les chiffres avancés vont de 100 000 à 10 millions (la tendance actuelle des historiens donne un chiffre plus près des 10 millions) de femmes brûlées sur les bûchers après être passées par l’Inquisition. Le terme de sorcière fut d’ailleurs très commode pour se débarrasser de tout ce qui était gênant (Jeanne d’Arc, sorciers dans le Frioul en Italie du Nord, etc. Voir les travaux de Carlo Ginsburg). Les femmes portent derrière elles, en particulier en Italie, tout ce poids d’une évolution historique, l’apparition d’un nouveau type de société dans lequel elles vont être marginalisées : c’est un fait massif. Mais là encore il faut nuancer, car ces femmes marginalisées socialement, interdites d’activités sociales, ce sont elles qui vont former, éduquer les futurs hommes politiques, hommes d’affaires. La femme a un pouvoir à l’intérieur de la maison sur lequel l’homme a traditionnellement peu de prise (la «  Mamma  »). Ce pouvoir extraordinaire va marquer tout un mode de fonctionnement psychologique en Italie. A cela va s’ajouter un phénomène qui n’est pas propre à l’Italie, la médicalisation de la maternité qui va soumettre la femme aux exigences du médecin homme. 2) Les mouvements féministes Le féminisme avait en Italie une longue tradition. Dès l’Unité italienne, des femmes se regroupèrent pour formuler des revendications visant à changer le statut de la femme dans la société; on parlait alors d’« émancipation » de la femme, et une bataille fut menée dès 1866 pour une instruction féminine égale à celle de l’homme et dans une école commune aux deux sexes : le projet de Anna Maria Mozzoni, Un passo avanti nella cultura femminile, s’opposa alors à celui de Francesco De Sanctis, Ministre de l’Instruction, favorable à des écoles supérieures exclusivement féminines(; à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le mouvement féministe se développa en liaison avec la tradition républicaine (sur les thèmes de l’émancipation sociale et politique) et avec la tradition socialiste (sur les thèmes de l’égalité économique et du travail), et les femmes manifestèrent une présence active dans les luttes sociales aussi bien des mondines, que des ouvrières du textile et des maîtresses d’école ; la chanson fut souvent pour ces mouvements un moyen d’expression privilégié(2). Sous l’influence des féministes russes (Alexandra Kollontaï et allemandes (Clara Zetkin) ou italiennes (Anna Kuliscioff, la compagne de Turati) dans le bref temps où la Révolution de 1917 leur laissa une possibilité d’expression, les premières femmes communistes italiennes, dont Camilla Ravera, poussèrent plus loin les revendications, posant le problème de la « femme au foyer » (la « casalinga »), de l’avortement et du droit de vote des femmes ; parallèlement se développait un mouvement féminin catholique, nettement hostile à l’« émancipation » de la femme, centré sur la défense de la famille, - contre toute forme de contraception, contre l’avortement considéré comme un « infanticide » -, et enfermant la femme dans le travail de la maison, la maternité et l’éducation des enfants. Le fascisme renchérit encore sur les thèmes du mouvement catholique ; la conception de la femme est sans doute un des points oùla convergence fut la plus profonde entre l’Eglise catholique et le fascisme : défense de la famille, exaltation de la fonction maternelle, renforcement de l’autorité masculine, répression de la sexualité féminine au profit de la « potenza virile italiana », qui pourra par ailleurs s’exercer librement dans les bordels d’Etat (le « casino » des films de Fellini (3)). Le résultat fut une diminution de l’emploi féminin et des salaires, mais paradoxalement l’adoption de mesures d’assistance très avancées, de protection de la maternité pour les femmes travailleuses, et un développement des organisations féminines (Piccole Italiane, Giovani Italiane, Giovani fasciste, Donne fasciste, Massaie rurali, Fasci femminili) qui organisaient des activités chorégraphiques et la propagande du régime. Le code pénal Rocco de 1930 sanctionnait l’infériorité de la femme : poursuite de la femme en cas d’adultère (l’homme ne pouvait l’être qu’en cas de « concubinage notoire » commis dans le lit conjugal), peines réduites pour le « crime d’honneur », réclusion pour toute propagande en faveur de la contraception, etc. mais aussi condamnation des homosexuels (cf. le film de Scola, Una giornata particolare). Les accords du Latran en 1929, établissant entre autres les effets civils du mariage religieux (jusqu’à la révision de 1984), scellèrent le « bloc clérico-fasciste » et le mariage religieux devint la pratique de 98 % des Italiens ; en février 1958, l’Evêque de Prato, Mgr Fiordelli dénonça en chaire comme « concubins publics » les époux Bellanti qui avaient osé se marier selon le rite civil, son intervention provoqua une mobilisation très profonde aussi bien des forces catholiques intégristes que des forces de gauche qui finirent par obtenir une condamnation de l’Evêque en justice. La seconde guerre mondiale marqua une rupture : les femmes retournèrent au travail pour remplacer les hommes partis à la guerre, elle participèrent activement à la Résistance antifasciste, aux côtés des hommes et à égalité avec eux. Cela relança un mouvement féministe lié aux forces de gauche : en 1944 se constitue l’Unione Donne Italiane (UDI), - proche du PCI ((4) -, qui se prononce aussitôt pour l’égalité politique des femmes (droit de vote) (5) et pour l’émancipation économique, contre la vie chère et la spéculation sur les aliments (qui contraignaient de nombreuses femmes à se prostituer à l’occasion de l’avancée des troupes américaines, créant le phénomène des enfants noirs napolitains que rappelle la chanson de E.A. Mario, sur des vers de E. Nicolardi, Tammurriata nera, 1944), mais aussi pour l’égalité des salaires et contre les licenciements qui commencèrent à toucher la main-d’œuvre féminine, à partir du moment où les hommes furent démobilisés. En réponse à l’UDI, la Démocratie-Chrétienne crée en 1945 le Centro Italiano Femminile qui développe le thème de la défense de la famille en même temps qu’un réseau d’aide aux familles qui s’appuie sur les puissantes structures paroissiales ; un autre thème récurrent est celui de la Vierge-Mère, à la fois défense de la virginité (comme refus de la sexualité féminine) et de la maternité, impliquant la lutte contre le divorce, la contraception et l’avortement. Ce qui est important pour notre sujet, c’est que l’UDI rentre aussi dans cette problématique de la famille ; son slogan de 1947 est « Pour une famille heureuse, pain et travail » ; la femme, même travailleuse, reste fondamentalement « épouse et mère », et le mouvement communiste, suivant sa tradition dominante, se refuse à considérer le problème de la femme autrement que comme une dimension subordonnée de la lutte des classes ; la stratégie de lutte des femmes sera donc déterminée en fonction des nécessités de la stratégie globale du parti communiste et de la gauche. Cela signifie que l’on refuse de poser tout problème touchant aux rapports spécifiques de l’homme et de la femme, c’est-à-dire impliquant une allusion à la sexualité ; et en effet l’UDI attend longtemps avant de parler même de divorce et d’avortement ; la lutte des classes exigeait que l’on ne « divise » pas les militants en soulevant des questions qui risqueraient d’entraîner des cassures dans les couples communistes. La gauche communiste soutient et amende tous les projets de lois qui, au cours de années 50 et 60, modifient le statut de la femme, plus qu’elle n’en prend l’initiative, laissée soit à la DC (qui développe les droits de la mère : loi de 1950 sur les congés des femmes enceintes), soit aux socialistes et aux libéraux (qui se battent sur la contraception, la prostitution et le divorce). Et pourtant, les problèmes se font pressants : une enquête de 1952 fait apparaître le chiffre de 800 000 avortements (clandestins) par an et le 2-01-1975, Pino Donizetti parle sur Il Giorno de 2 000 000 d’avortements par an ; en 1953, le Parlement est contraint d’abolir les lois fascistes qui interdisaient la contraception ; le 4 mars 1958, est voté le projet de loi présenté par Lina Merlin, sénatrice socialiste, « pour l’abolition de la prostitution et la lutte contre l’exploitation d’autrui », concluant à la fermeture des maisons closes (instituées par Cavour en 1860), à l’encontre des habitudes et du « sens commun » des Italiens (32 % des hommes répondent oui à la question : « Avez-vous eu des rapports avec une prostituée ? »). La prostitution devient « libre », le proxénétisme, le racolage et les actes obscènes en public sont punis par la loi ; ce sera une source de revendications des prostituées italiennes. En 1968, le Parlement supprime l’art. 559 du Code Pénal qui punissait d’une réclusion maximum de deux ans l’adultère de la femme. Des lois comme celles de 1963 autorisant l’accès des femmes à toutes les professions ne connaissent qu’une application réduite (quelques femmes magistrats ou capitaines au long cours), tant le poids de la mentalité traditionnelle est lourd, y-compris dans la tête des militants de gauche ; on peut en dire autant de lois comme celle de mai 1956 instaurant l’égalité des salaires, ou celles de 1962-63 interdisant le licenciement d’une femme pour cause de mariage, qui furent combattues et peu appliquées par les patrons. La véritable rupture eut lieu autour de 1968, avec l’apparition d’un mouvement féministe qui se définit par son « autonomie » et par sa volonté de faire de la lutte des femmes le levier d’une révolution en profondeur de la société italienne. Tout ce que l’Italie avait encore de mentalité patriarcale, cléricale et fasciste est secoué en quelques années par un étonnant bouillonnement d’idées, de discussions, de remises en cause de toutes les « évidences » sur la femme, de sa situation économique à sa sexualité, de son statut social à sa psychologie. Des groupes naissent un peu partout, dans tous les milieux sociaux, débattent et agissent sur tous les problèmes de la condition féminine, le groupe Demau (Demistificazione Autoritarismo) qui, né en 1966-7, devient en 1976 le Gruppo Demistificazione Autoritarismo Patriarcale, les Collectifs féminins du Movimento Studentesco romano (1969-70), Rivolta Femminile (1970) qui forme ensuite les collectifs de Lutte Féministe, le Front Italien de Libération féminine (1970) qui publie la revue Quarto mondo à partir de mars 1971, les Groupes Féminins de Trente (1971), le Comité pour le Salaire au Travail domestique de Padoue (1971), le comité Féministe de Bologne, le Mouvement Féministe Romain (1971) ; mais le mouvement le plus important, du moins sur le terrain politique, fut le M.L.D. (Movimento di Liberazione della Donna) qui naît en 1969 dans la mouvance du Parti Radical, et des idées de 1968, alimentées aussi par la connaissance des textes féministes français et américains. Le M.L.D. aura aussi un rôle de coordination, qui rendit possible l’organisation de grandes manifestations féministes, comme en ont connu peu de pays occidentaux, dont celle du 8 mars 1974(5). L’ « autonomie » du mouvement a un sens précis : prendre en compte la spécificité des réalités féminines, pour ouvrir la perspective non d’un « séparatisme » des femmes, mais d’une dialectique à l’intérieur d’une gauche ancienne et nouvelle et d’un mouvement révolutionnaire qui a souvent répondu aux revendications féministes « par l’opportunisme ou par la violence physique rationnellement prédéterminée et politiquement «justifiée» », parce qu’il était marqué (par une conception du communisme et du militantisme faite de terrorisme et de moralisme idéologique» (6). Il ne s’agit pas pour le mouvement féministe « d’insérer » les femmes dans la société actuelle, c’est à dire de les soumettre à une exploitation « égale » à celle des hommes, mais de dépasser cette société, de la transformer en un monde où des « rapports sexuels libres et égaux » seront le signe de rapports humains débarrassés de toute logique d’appropriation et de pouvoir : « La bataille pour la libération de la femme n’est pas un simple appendice à la lutte de classe, un sujet spécifique de plus, mais une véritable révolution culturelle (souligné dans le texte) capable de remettre en discussion la dichotomie entre vie et politique et de mettre à nu, - par les thématiques de la famille, des rapports entre les sexes, de l’historicité des besoins et de la qualité de la vie -, la sclérose théorique qui paralyse la plus grande partie de l’ancienne et de la nouvelle gauche marquées par le positivisme canonisé de la Seconde Internationale »(7). Le mouvement féministe relance ainsi en Italie une forme d’utopie révolutionnaire, dans la mesure où il ne se propose pas « d’émanciper » les femmes à l’intérieur de la réalité existante, mais de créer une autre réalité où femmes et hommes soient « libérés ». Par là, il bouleverse plus de certitudes bien enracinées de l’Italie de gauche et de l’Italie catholique, que n’en déstabilisera jamais le terrorisme politique. Vie et politique se rejoignant, problèmes de l’individu et problèmes sociaux convergent, le « personnel » est « politique », selon une formule qui apparaît alors. La société italienne n’a pas fini de vivre les conséquences de cet ébranlement de son vieux substrat idéologique. Dans l’immédiat, la classe politique doit concéder au mouvement un certain nombre de réformes, dont la première est le vote de la loi instituant le divorce, le 1er décembre 1970, par 319 voix contre 286 (démocrates-chrétiens et néo-fascistes, qui tenteront en vain de faire abroger la loi par le referendum populaire du 12 mai 1974, où 54,26 % des suffrages exprimés confirment, du Nord au Sud, l’approbation de la loi par les Italiens); en 1975, le Parlement adopte le nouveau Code de la Famille, calqué sur le modèle français, qui instaure l’égalité de l’homme et de la femme dans le couple et limite donc le pouvoir du père (sur les biens de la famille, sur l’éducation des enfants ; le nom du père cesse d’être obligatoirement celui de la femme et des enfants, etc.) ; en juin 1978, la loi 194 légalise l’avortement dans un texte qui s’inspire de celui de la loi française (loi Weill du 17-1-1975) ; en 1981, est aboli l’article 587 du Code pénal qui légalisait le concept juridique de « crime d’honneur » ; depuis 1984, le Parlement affronte, sans parvenir à des décisions définitives, des projets de loi réprimant toutes les formes de violence sexuelle dont sont victimes les femmes et les enfants ; il faut rappeler que le viol était en Italie du Sud un moyen courant d’imposer un mariage à une jeune femme : enlevée, « déshonorée », elle n’avait de choix qu’entre le mariage et l’exclusion ; une jeune sicilienne, Franca Viola, a été la première à refuser le « mariage réparateur » et à faire arrêter son agresseur, jeune homme riche et influent du village ; elle devra en conséquence s’exiler à Bologne avec sa famille. C’était en 1965. 3) Changements des structures, et dates principales La condition de la femme en Italie a encore un long chemin à parcourir pour arriver au niveau des pays de l’Europe auxquels elle veut être égale. Il faut bien tenir compte que dans ce domaine spécifique encore plus que pour tout autre, il faut parler d’Italies au pluriel : le Centre-Nord et le Centre-Sud. Les écarts sont très significatifs. Pensons que dans le code de la Famille de 1865, les femmes n’étaient qu’un accessoire du chef de famille : elles n’avaient pas le droit d’exercer la tutelle sur leurs enfants légitimes, ne pouvaient pas accéder aux emplois publics, ne pouvaient pas gérer l’argent qu’elles gagnaient par leur travail professionnel ; elles devaient avoir une « autorisation maritale » pour donner ou aliéner des biens immobiliers, etc. Les grands leaders du Risorgimento approuvaient cette sujétion de la femme. Gioberti écrivait : « La femme en somme est d’une certaine façon envers l’homme ce qu’est le végétal envers l’animal, ou la plante parasite envers celle qui se dresse et se soutient par elle-même ». Rosmini : « Il est de la compétence du mari, selon la convenance de la nature, d’être le chef et le maître ; il est de la compétence de la femme, et cela est bien, d’être presque une accession, un accomplissement de son mari, toute consacrée à lui et dominée par son nom ». La loi interdisait le vote des « analphabètes, interdits, détenus » … et des femmes… Seuls les Républicains, Mazzini et les autres, se battirent pour l’émancipation des femmes. Les femmes étaient faites pour la maison, et comme l’écrivait l’Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, «  Certains travaux ne conviennent pas aux femmes, faites par la nature pour les travaux domestiques, qui protègent grandement l’honnêteté du sexe faible ». Même les socialistes ne luttèrent pas vraiment pour le travail féminin, auquel les ouvriers étaient hostiles, et un slogan socialiste disait : « Les femmes qui travaillent comme vous sont des hommes » ! Des propositions de vote des femmes furent constamment repoussées : Minghetti en 1861, Nicotera en 1876-77, Depretis en 1882, etc. En 1912, Giolitti s’oppose à une proposition de vote des femmes. En 1900, il y a 250 filles inscrites à l’Université, 287 dans des lycées, 267 dans des écoles supérieures, 1178 dans des collèges, et presque 10.000 dans des écoles professionnelles. Ernestina Prola fut la première femme à obtenir son permis de conduire en 1907 ; Emma Strada est la première à devenir ingénieur en 1908, Teresa Labriola la première à devenir avocate en 1912. Le fascisme renforça cette sujétion, aidé par l’Encyclique pontificale Casti Connubii (Pie XI, 1930) qui déclarait « Cet ordre implique et la primauté du mari sur sa femme et ses enfants, et la soumission empressée de la femme ainsi que son obéissance spontanée, ce que l'Apôtre recommande en ces termes : « Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur ; parce que l'homme est le chef de la femme comme le Christ est le Chef de l’Eglise. » ». L’article 587 du Code pénal fasciste réduisait d’un tiers la peine infligée à l’homme qui tuait sa femme, sa fille ou sa sœur pour défendre son honneur ou celui de sa famille. Tout cela fut dominant jusqu’en 1975 ! Mariage : si aujourd’hui on se marie moins, on se marie encore beaucoup, mais on pratique aussi la vie commune (la « convivenza »), assez stable. Le mariage a d’abord été un mariage religieux, jusqu’en 1865 où l’on introduit le mariage civil. Mais comme la majorité de la population ne l’a pas su, on a vu un certain nombre d’escroqueries au mariage entre 1865 et 1875 : c’est à partir de ce moment que l’Eglise recommandera aux prêtres de ne  célébrer le mariage religieux qu’après le mariage civil. 1919 : abolition de l’autorisation maritale 1929 : on va signer le Concordat = Renversement : un des articles impliquait les effets civils du mariage religieux. Il suffit de se marier à l’Église et le prêtre transmet l’avis à l’état-civil. C’est le mariage religieux qui reprend le dessus, pour les catholiques évidemment, car il s’agit d’un Concordat entre l’Église catholique et l’Etat italien. Pour les autres confessions, il fallait la délégation obligatoire d’un officier d’état civil. Code civil de l’époque : 3 articles étaient lus aux conjoints : Art. 143 : le mariage impose aux époux l’obligation réciproque de la cohabitation, de la fidélité, de l’assistance. - Art. 144 : le mari est le chef de la famille, la femme suit la condition civile du mari, prend son nom et est tenue de l’accompagner partout où il juge opportun de fixer sa résidence. Le mari dispose même de la dot de sa  femme.     - Art. 145 : le mari a le devoir de protéger sa femme, de la garder auprès de lui, de lui fournir tout ce qui est nécessaire aux besoins de la vie dans la mesure de ses ressources ; la femme doit contribuer à l’entretien du mari si celui-ci n’a pas les moyens nécessaires.      - De plus il faut qu’il y ait volonté du célébrant pour célébrer le mariage. Le régime concordataire va durer jusqu’en 1984.
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