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LA CHANSON EN LOMBARDIE - page 2
2.4 - Angelo Branduardi (1950- ), une version poétique de la chanson d’auteur.
Il est né à Cuggiono, près de Milan, mais a étudié le violon au Conservatoire de Gênes avant de revenir, vers 14 ans, vivre dans sa ville natale, où il
apprend aussi à jouer de la guitare. Il fait des études dans un Institut Tecnique de Tourisme où il rencontre Franco Fortini, étudie un peu la Philosophie
à l’Université de Milan, il y rencontre Luisa Zappa, étudiante en Langues étrangères, qui deviendra sa femme, écrira les textes avec lui et les traduira
dans diverses langues. Elle lui fera connaître aussi plusieurs traditions populaires européennes et moyen-orientales. Il lui dédie cette phrase : « …per
quello che ho cercato di rubare alla vita, lei mi ha sempre tenuto il sacco ». (Pour ce j’ai cherché à voler à la vie, elle a toujours tenu mon sac).
Elle a été la plus permanente de ses collaboratrices, parmi tous ceux avec qui Branduardi a travaillé, et il lui doit une partie de sa popularité, en
particulier à l’étranger.
Angelo Branduardi est totalement étranger à la chanson politique, même sa chanson 1° aprile 1965 écrite avec Luisa Zappa (Pane e rose, 1995), tirée
de la dernière lettre de Che Guevara à ses parents, n’évoque pas du tout l’action révolutionnaire du Che, mais sa tendresse pour ses parents, sa
fatigue et sa crainte de la mort ; il est par contre celui des cantautori qui est le plus proche de la tradition populaire, italienne et étrangère.
Son premier disque, Angelo Branduardi, 1974, contient 2 vers tirés du Livre de Job, 12, 7-10 : « Eppure chiedilo agli uccelli del cielo / ed essi ti daranno
risposta… » (Et pourtant demande-le aux oiseaux du ciel / et ils te donneront la réponse). Les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons, les 4 catégories du règne animal,
ont la réponse aux mystères de la vie. C’est une chanson inspirée par Paul Buckmster, le grand arrangeur anglais qui viendra enseigner Branduardi et l’influencera beaucoup. La
chanson suivante, Per creare i suoi occhi, est inspirée par une fable indienne. Une autre chanson, Il regno millenario, est inspirée par le chapitre III du roman de Robert Musil,
L’homme sans qualités (Vers le règne millénaire ou les criminels). Une chanson, Storia di mio figlio, est autobiographique en même temps qu’elle se réfère aux « blanches routes de
Galilée », à l’histoire de Jésus enfant. Ce premier disque est déjà significatif des thèmes et des sources de Branduardi : la vie, la nature, la mort, de la littérature allemande aux fables
indiennes et à la Bible (10).
Son second disque, La luna (1975), est écrit avec Luisa Zappa pour les textes et Maurizio Fabrizio pour la musique. La première chanson homonyme rapproche l’homme de la lune,
l’un et l’autre naissent, grandissent et meurent, et « l’idée que l’on puisse se mettre à dialoguer avec la lune est accompagnée du pressentiment de la mort » ; il y a aussi à la source
un texte du poète chinois Li Po (698-762). La seconde chanson, Tanti anni fa, évoque la vision nocturne des lacs, dont l’immobilité des eaux est l’allusion au tombeau, cercueil de
cristal où l’on se conserve intact et dont on peut donc sortir ; mais au fond du lac, il y a la « forteresse des poissons », dont la vue est présage de mésaventure et de mort : Branduardi
évoque à ce propos le château de Miramare, près de Trieste, construit par l’Archiduc Maximilien, futur empereur du Mexique, et qui était semblable à la « forteresse des poissons » :
on dit que depuis sa mort on voit le fantôme de l’Archiduc rôder dans le parc. Gli alberi sono alti est une ballade anglaise du XVIIe siècle, reprise aussi par Joan Baez. . La première
strophe de Notturno est la traduction d’un chant de Alcmane, poète grec du VIIe siècle av.J.C., tandis que la seconde est d’origine orientale. Rifluisce il fiume est l’image de l’eau
comme représentation symbolique circulaire de la vie, tandis que le cercle, figure qui n’a ni début ni fin, est un dépassement du temps et de la mort ; la danse circulaire de la fin de la
chanson est la reproduction symbolique du mouvement de l’eau. Donna mia est l’une des nombreuses poésies écrites par Branduardi pour sa dame. Enfin Confessioni di un
malandrino est la traduction d’un poème de Serge Esenin (1895-1925), qui fut l’un des auteurs préférés de Branduardi, qui avait avec lui beaucoup de ressemblance physique. C’est
une des chansons qui fit connaître Branduardi à ses débuts.
Les trois disques suivants de Branduardi furent Alla Fiera dell’Est (1976), et sa version anglaise, La pulce d’acqua (1977) et Cogli la prima mela (1979). La première chanson
homonyme de Alla Fiera dell’Est est une remarquable chanson « itérative », répétitive, comme les aimait la tradition populaire. Elle est inspirée par une vieille chanson pascale
hébraïque, où chaque animal punit le précédent pour avoir mangé le rat (qui remplace « il capretto », le chevreau de la chanson hébraïque, symbole d’Israël opprimée) et est puni à
son tour, jusqu’à ce que le Seigneur les anéantisse tous après avoir éliminé l’Ange de la Mort. Dans sa traduction française, Branduardi remplace le rat par une « taupe ». Il utilise
pour la musique un mélange d’instruments européens et d’instruments orientaux, le violon, la guitare, la harpe, le luth, la flûte, la clarinette, le hautbois, le bouzouki (ancien instrument
grec et moyen-oriental, un peu semblable au luth), le cuica (très ancien instrument membranophone, semblable au putipù napolitain et au petadou niçois), le benzo (instrument indien
carré à 5 cordes), le sitar (instrument indien à 7 cordes avec 11 cordes de résonnance en-dessous). Dans certains enregistrement récents, Branduardi a même ajouté une launeddas
sarde.
Écoute 13 : Alla fiera dell’Est (Alla fiera dell’Est, 1976)
Le disque est un des 100 disques choisis par Mauro Ronconi, 100 dischi ideali per capire la nuova canzone italiana, Editori Riuniti, 2002. Il comporte d’autres belles chansons, comme
La favola degli aironi et La serie dei numeri, écrites par Luisa Zappa ; la seconde est une autre chanson répétitive reprise d’un chant populaire breton. Il funerale évoque les animaux
que rencontre l’âme après la mort, selon une tradition orientale ; Sotto il tiglio est un souvenir d’une ballade d’un poète allemand du XIIe siècle, Walther von der Vogelweide ; Il vecchio
e la farfalla conte la fable du vieillard qui rêva d’être un papillon tandis que le papillon rêvait d’être un vieil homme endormi. Pendant la production du disque, Luisa Zappa accoucha de
sa première fille, Sarah, pour qui Branduardi écrivit aussitôt La canzone per Sarah, une belle chanson où les vœux du père sont l’univers entier.
Écoute 14 : Canzone per Sarah (Alla fiera dell’Est, 1976)
On a déjà dans ce second disque toute l’originalité de Branduardi ; en particulier, il est celui qui échappe, dans le texte et dans la musique, aux influences dominantes du pop et du
rock anglo-saxons, et un de ceux qui s’ouvrent à l’inspiration du moyen-âge, un « moyen-âge émotionnel », comme dit Ruedi Ankli (11), qui sera au cœur de ses disques suivants. Il
ne se limite pas à la tradition italienne, mais, à la différence de Guccini et De André, il intègre une tradition internationale, qui fera aussi son succès à l’étranger : il s’intéresse en
particulier à la tradition nordique et celtique, où la danse et la musique sont l’antidote de la mort, et où l’être humain se fond dans la nature et les animaux. Faut-il dire pour autant que
Branduardi fuit la réalité et s’enferme dans un imaginaire passéiste ? Il revendique son caractère apolitique, il ne veut transmettre aucun message mais seulement « des émotions et
des images » ; en cela il utilise les mythes autrement que Guccini, De André ou Edoardo Bennato quand il chante les histoires de Peter Pan, de Pinocchio ou des musiciens de
Brême, autres mythes en partie non-italiens. Mais son moyen-âge nous renvoie à une réflexion sur notre réalité humaine, de naissance, de vie, d’amour, de mort, qui traverse toute
l’histoire. Branduardi « s’y meut-il comme dans un cercle vicieux » (Ruedi Ankli, op. cit. p. 81) ? Ou bien est-il le meilleur représentant d’une autre ligne de cantautori ? L’intervention
sur des faits historiques contemporains change d’ailleurs de sens à mesure que l’histoire avance : Primavera di Praga de Guccini (1968) est à cette époque l’expression d’une
opposition politique à l’arrivée des chars russes, mais aujourd’hui, 45 ans plus tard, elle est devenue un document historique et littéraire qui n’est plus d’actualité, n’est plus
« politique ». Branduardi évite l’actualité politique dans ses chansons, il se réfère à ce qui lui paraît universel dans les mythes et les légendes, et il nous renvoie donc à une autre
dimension de notre humanité, réfléchie à travers une réalité historique plus ancienne, grecque, médiévale, etc. ou plus mondiale, pas seulement italienne, mais orientale, indienne,
américaine, etc.
Il ira jusqu’à chanter des textes du moyen-âge, de la Renaissance ou de l’âge baroque (ses quatre disques Futuro Antico I (1996), musiques médiévales (Guirant Riquier, Guillaume
de Machaut…), II (1999), chansons de Giorgio Mainerio (XVIe s.), III (2002), musique de la cour des Gonzague à Mantoue, IV (2007), Venise et le Carnaval), et les textes de la
tradition franciscaine, parce que François est « un Saint qui a choisi la joie de vivre, qui la recommande à ses disciples, aime la pauvreté jamais séparée de la « letizia » (la joie) »,
parce que « son être solaire, son énergie vitale, le rendent si éloigné des visages tristes et exaltés de la spiritualité scholastique traditionnelle » ; et pour cela, « sa figure, fragile et
extraordinairement vigoureuse, est plus que jamais vivante dans le contexte des passions et des problèmes contemporains : pauvreté, maladie,
marginalisation, écologie, attitude face à l’autre, la guerre » (Introduction à L’infinitamente piccolo, 2000). C’est sans doute pour cela qu’ont participé
à ce disque Franco Battiato, Madredeus, Ennio Morricone, La Nuova Compagnia di Canto Popolare, les Muvrini, l’orchestre La Viola.
N’y a-t-il de cantautore que politiquement « engagé » ? En tout cas, cela ne l’empêche pas d’être invité à la Fête de l’Humanité en 1980 et d’y avoir
un public de 120.000 spectateurs, ni d’être réinvité en 1993 …
Le disque suivant est La pulce d’acqua (1977). On y retrouve le thème des danses macabres (Ballo in fa diesis minore), avec le souvenir du film de
Bergman, Le septième sceau, et l’intervention de la launeddas sarde de Luigi Lai. Vient ensuite Il ciliegio, reprise d’une ballade populaire anglaise
chantée par Joan Baez, et tirée de l’Évangile apocryphe du Pseudo-Matthieu. L’histoire de Merlin et de la fée Viviane est réélaborée dans Nascita di
un lago. Branduardi est-il le poète de cour évoqué dans Il poeta di corte, tué pour avoir chanté aussi les cruautés de son seigneur ? La pulce d’acqua
est inspirée par un récit indien de Californie, évoquant le thème de la communication avec la nature et avec les morts ; La sposa rubata est tirée de
ballades populaires bretonnes chantées par Joan Baez ; La lepre nella luna vient d’une poésie d’un moine japonais de la fin du XVIIIe siècle : c’était
l’habitude des Japonais de voir un lièvre dans la lune, qui est aussi comparée à l’eau, un des nombreux mythes inspirés par la lune ; La bella dama
senza pietà est librement inspirée par une ballade du poète anglais John Keats (1795-1821).
Angelo Branduardi atteint sa pleine maturité avec son quatrième disque, Cogli la prima mela (1979), un ensemble de 9 chansons magnifiques où
s’impose le moyen-âge. La première chanson homonyme appelle à vivre sa vie, à la danser, la pomme évoquant aussi la féminité, selon un récit des
Fables de Italo Calvino. La strega, la sorcière, évoque l’histoire d’Abélard et Héloïse : La raccolta vient d’un récit de Sapho, évoqué par James Frazer, dans son Rameau d’or (1911-
1915), une étude fondamentale de la mythologie grecque. Ici, la tradition est d’habiller la dernière gerbe de la récolte d’un habit féminin, et elle devient « la mère du blé ». Colori vient
d’un chant des peaux-rouges du Nouveau-Mexique, destiné à se libérer d’un amour malheureux. La chanson suivante raconte l’histoire du château des Baux, en Provence, Il signore
di Baux. Deux dernières chansons terminent le disque, Il gufo e il pavone, le hibou et le paon, et enfin une déchirante Ninna nanna,
Écoute 15 : Ninna nanna (La pulce d’acqua, 1977)
L’histoire de l’enfant confié à la mer est à la fois un symbole de mort et un symbole de résurrection du héros, comme le rappelaient les récits de Moïse et du roi Sargon. C’est la
reprise d’un ballade écossaise du XVIe siècle, chantée par Joan Baez.
Branduardi réalise ensuite de nombreux autres disques, Branduardi (1981), Cercando l’oro (1983) avec la participation d’Alan Stivell, un magnifique recueil de ballades du poète
irlandais John Keats, Branduardi canta Keats (1986), avec des textes traduits par Luisa Zappa, Pane e rose, Il dito e la luna (1988), Il ladro (1990), Si può fare (1992), Domenica e
lunedì (1994), Camminando camminando (disque Live de 1996), Altro e altrove (2003). Mais il fait aussi des musiques de films et des spectacles théâtraux (12). Tout le répertoire de
Branduardi mérite d’être écouté.
2.5 -Eugenio Finardi (1952- )
On voit déjà se dessiner une quantité de cantautori lombards : Milan a toujours été un grand centre d’activité musicale, de production discographique et télévisée. Il y avait aussi dans
toutes les villes de Lombardie une ancienne tradition de chant populaire traditionnel, et il y a encore une production non négligeable de chant dialectal. On ne peut pas les étudier tous
en détail, pour chacun on pourra se reporter aux sites Internet qui leur sont consacrés, écouter leurs chansons ; souvent accompagnées d’une video de concert. Signalons simplement
encore quelques-uns d’entre eux.
Le premier sera Eugenio Finardi (Milan, 1952- ), peu connu en France. Il est né à Milan, fils d’un Italien de Bergame émigré aux USA pour son travail et d’une chanteuse américaine.
Il commence par l’écriture de chansons pour enfants et de chants de Noël en anglais dès l’âge de 9 ans : en 1965, en vacances aux Etats-Unis, il entend les Rolling Stones à la TV, et
se consacre désormais au rock. Revenu en Italie, il crée un groupe avec l’italo-brésilien Alberto Camerini et s’achète une guitare électrique. Il écrit d’abord en anglais, et publie à la
Numero Uno, la maison d’édition de Mogol et Battisti, puis passe à un rock en italien, très politisé et loin de l’influence anglo-américaine qui l’avait marqué jusqu’alors. Il publie son
premier album en 1975 à la Cramps, Non gettate alcun oggetto dai finestrini, dont une chanson reste dans les mémoires, Saluteremo il signor
padrone, reprise rock d’une chanson de mondines :
Saluteremo il signor padrone
Nous saluerons monsieur le patron
Per il male che ci ha fatto
pour le mal qu’il nous a fait,
Che ci ha sempre maltrattato lui qui nous a toujours maltraité
Fino all’ultimo momen’
jusqu’au dernier moment
Saluteremo il signor padrone
Nous saluerons monsieur le patron
Per la sua risera neta
pour sa rizière noire
Pochi soldi in la casseta
peu d’argent dans notre bourse
Ed i debiti a pagar
et les dettes à payer.
En 1976, son second disque, Sugo, contient la chanson Musica ribelle, qui est un manifeste de la musique « rebelle » de l’époque, celle qui appelle à lutter, à manifester, à changer
les choses :
Écoute 16 : Musica ribelle (Sugo, Cramps, 1976)
Le mouvement de 1968-69 est encore proche, et c’est le milieu des « années de plomb » ; la seule chose qui peut redonner courage aux jeunes tristes et rêveurs, c’est d’entrer dans
la lutte, de se révolter, de vouloir changer cette réalité qui les ignore. La musique apparaît comme le langage de communication privilégié ; les paroles, que l’on retrouve sur les tracts
et les affiches, c’est-à-dire les paroles du langage politique, sont secondaires, c’est la musique qui les fait comprendre, c’est la chanson qui permet aux slogans du changement, de la
révolution, de rentrer dans les têtes. Retenons aussi la permanence du mythe de l’Amérique, dans le désir d’aller en Californie, que Finardi avait connue personnellement.
Finardi publie plusieurs disques qui confirment sa notoriété, Diesel en 1977, Blitz en 1978 et Roccando Rollando en 1979, en même temps qu’il fait de nombreux concerts seul ou
avec la Premiata Forneria Marconi et Gianna Nannini. Il est porté par le Mouvement de 1977, un nouveau mouvement étudiant hostile aux partis, aux syndicats et aux autres
mouvements extraparlementaires nés de 1968 : c’est une nouvelle Université qui s’exprime là, devenue plus « de masse » après les décrets de réforme de 1969, plus ouverte aux fils
de prolétaires ; il comportait aussi une forte représentation des nouveaux mouvements féministes et une présence des mouvements homosexuels ; le mouvement est aussi aidé par
l’apparition des radios libres créées en 1976 qui diffusaient cette « contreculture ». Intégrant des anciens de Lotta continua, dissoute en 1976, et les militants de l’Autonomia, le
mouvement était libertaire, hostile à une organisation bureaucratique semblable à celle des anciens partis. Il pratiquait l’occupation de locaux inhabités, l’autoréduction des billets de
cinéma ou des factures de restaurant ou d’électricité, les « expropriations prolétaires ». Ses deux tendances, l’une pacifiste, l’autre prenant partie pour la lutte armée (Autonomia
operaia), rompent avec le PCI, chassant le Secrétaire de la CGIL, Luciano Lama, d’un meeting à l’Université de Rome La Sapienza, en février 1977.
De nombreux conflits avec la police se produisirent alors, dont le premier eut lieu à Bologne en mars 1977, où un étudiant du Mouvement, Francesco Lorusso, fut tué par un
carabinier, ce qui provoqua en France la protestation de 28 intellectuels contre la répression, dont Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault, Roland Barthes, Philippe
Sollers, Gilles Deleuze et Félix Guattari, les auteurs d’un ouvrage de référence pour le mouvement, L’Anti-Œdipe. D’autres conflits eurent lieu à Turin lors d’une manifestation anti-
fasciste, et à Rome, où une étudiante fut tuée.
Le dernier acte important du mouvement fut le Congrès de Bologne en septembre 1977, auquel participèrent entre autres Dario Fo et Franca Rame ; on parla de « porteurs de
peste» ; le Mouvement se divisa entre pacifistes partisans d’une lutte culturelle et ceux qui avaient opté pour l’action militaire, les enlèvements (Moro en 1978) et le terrorisme rouge,;
les autres se dispersèrent dans différentes organisations, ou rejoignirent d’autres partis ou se réfugièrent dans l’inactivité politique.
Finardi est proche du Mouvement dont il rend compte dans plusieurs de ses chansons : La radio, apologie des radios « vraiment libres » (1976), Scuola (1977), Non diventare grande
mai (1977) :
Non diventare grande mai
Ne deviens jamais grand
non serve a niente sai
cela ne sert à rien tu sais
continua a crescere più che puoi
continue à grandir le plus que tu peux
ma non fermarti mai
mais ne t’arrête jamais
ma non fermarti mai
ma non fermarti mai
E continua a giocare a sognare a lottare
Et continue à jouer à rêver à lutter
non t'accontentare di seguire
Ne te contente pas de suivre
le stanche regole del branco
les règles fatiguées du troupeau
ma continua a scegliere in ogni momento
mais continue à choisir à chaque moment
E a ognuno secondo il suo bisogno
Et à chacun selon son besoin
e da ognuno a seconda della sua capacità
et de chacun selon ses capacités
e anche se oggi potrà sembrare un sogno
et même si cela peut te sembler aujourd’hui un rêve
da domani può essere la realtà
à partir de demain cela peut être la réalité
da domani deve essere la realtà
Les 16 principales chansons de cette époque sont reprises dans un disque de 1998, Musica ribelle. Finardi est à la fois un chanteur politique et un chanteur intimiste, humaniste, en ce
sens qu’il appelle toujours au développement de la conscience individuelle, à la réflexion critique sur les choix que l’on fait et sur les problèmes, sur la nécessité de grandir toujours, de
rêver, d’avoir une utopie qui justifie la lutte. Lui-même réfléchit sur ce mouvement qui le motive mais qui doit être aussi réfléchi, comme dans Zerbo où il rappelle avec joie la beauté du
mythe en ces journées de victoire et de conquêtes, avant de reconnaître que le mythe s’est écroulé, que beaucoup sont partis vers l’Inde ou le Brésil et que lui continue à jouer en se
souvenant qu’il a cru à Musica ribelle.
Dans plusieurs chansons, il osera évoquer le problème tabou de la drogue, de dénoncer les hypocrisies sociales, de demander la « légalisation » (Legalizzatela, 1979) : il ne faut pas
confondre celui qui se drogue et le criminel trafiquant de drogue ; celui qui se drogue se fait mal, c’est certain, mais il s’agit de comprendre ce qui l’amène à se droguer. Il avait déjà
parlé de cette question dans Scimmia (1977).
Finardi publiera encore d’autres disques, après deux ans de réflexion entre 1979 et 1981 ; il change de producteur, initie son rapport avec Angelo Carrara et passe à la Fonit Cetra. Il
écrit des chansons moins « politiques », mais toujours avec un rapport concret avec des réalités historiques, Dal blu (1983), Strade (1984), Colpi di fulmine (1985), Dolce Italia (1987),
Il vento di Elora (1989), Millennio (1989). Une chanson caractéristique de 1989 est Favola. C’est une chanson à sa fille qui lui demande de lui raconter une histoire ; il cherche une
histoire « qui parle d’elle », et il se rend compte qu’il ne peut plus raconter des histoires de loups, de magiciens, de fées bleues, de sorcières (maintenant leurs poudres, c’est la
drogue vendue dans les rues), le prince charmant est ingénieur et n’a plus de château. Alors quoi ? mais la petite fille s’est déjà endormie.
Écoute 17 : Favola (Il vento di Elora, Eugenio Finardi, 1989)
« Ton papa sait déjà voler » est une allusion à une ancienne chanson de Finardi, Oggi ho imparato a volare. Occhi (1996) est toujours un appel à être « réveillés » et attentifs à
l’histoire présente, mais on y sent aussi le sentiment de quelqu’un qui est un peu « perdu », qui ne sait plus où aller, et qui se referme sur lui-même, et sur le seul espoir, celui de
n’être plus seul et de connaître l’amour : « E se Dio fosse uno di noi / solo e perso come noi. E se lui fosse qui / seduto in fronte a te, / diresti sempre sì, / o chiederesti : / « perché mai
ci hai messi qui / con tutte queste illusioni / e tentazioni e delusioni ». (Et si Dieu était l’un de nous / seul et perdu comme nous / Et s’il était ici / assis face à toi, / dirais-tu toujours oui, /
ou demanderais-tu : / « Pourquoi donc nous as-tu mis ici / avec toutes ces illusions / et tentations et déceptions »). C’est le reflux des années ’80, l’idée que la révolution désirée ne
sera pas possible, et malgré cela il faut toujours croire qu’un changement est possible ; on continue, même si on sait que l’on ne sait plus quelle histoire raconter à sa petite fille.
Finardi apparaîtra deux fois au Festival de Sanremo, en 1998 avec Amami Lara et en 2012, avec E tu lo chiami Dio, dont le texte est écrit par la cantautrice du Molise Roberta Di
Lorenzo, et qui va en finale.
À propos de ceux qu’il appelle les « cantautori impegnati » (engagés), Gianfranco Baldazzi écrit : « Il y a aussi Roberto Vecchioni, Ernesto Bassignano, Angelo Branduardi, Enzo
Maolucci, Claudio Lolli, Pierangelo Bertoli et Eugenio Finardi. Quelques-uns d’entre eux se perdront sur la route ; d’autres, nous les rencontrerons encore. Cependant la première
chanson d’auteur en sort les os brisés. Face à la variété de sujets (spunti) et de thèmes proposés par les cantautori engagés, la cha Endrigo et des Lauzi semblera définitivement
dépassée. Dans un rapport fécond avec le nouveau milieu musical se mettront au contraire des artistes qui s’étaient déjà creusé un espace d’outsider : le génois Fabrizio De André, le
bolonais Lucio Dalla, l’avocat d’Asti Paolo Conte et l’ex-entertainer de télé Giorgio Gaber » (13). Outre le fait contestable de mettre Angelo Branduardi dans le panier des cantautori «
engagés » avec Eugenio Finardi, Baldazzi réduit le « cantautorato » à la première génération de Gênes, Paoli, Lauzi : c’est peut-être une erreur radicale sur ce qu’est un «
cantautore ». Plutôt que de le ramener à l’expression de ses sentiments personnels, ne faut-il pas le définir en fonction de son rapport à l’histoire, celle de l’Italie, celle du monde ? Le
véritable « cantautore » n’est-il pas plutôt celui qui laisse une trace de cette histoire, dans l’actualité politique, ou dans le temps par des chansons qui sont devenues des documents
historiques, des témoignages d’un temps passé mais qui nous a marqués ? Ne faut-il pas l’opposer à la chanson, dont le Festival de Sanremo est le symbole, qui est « hors du
temps », simple reflet passif d’une époque, qui chante un amour désincarné et une solitude sans contexte socio-politique ? On est là au cœur de la définition des « cantautori » (14).
L’une nous fait rentrer dans l’histoire, tout en étant capable de nous divertir, l’autre nous « distrait », nous tire hors de l’histoire, nous coupe de toute racine historique, et fait donc de
nous des êtres qui ne portent pas de fruits : un choix de vie qui va bien au-delà de la chanson …
Finardi recevra, le 8 août 2018, le « Prix Pascoli pour la musique » (Premio Pascoli per la musica) pour carrière. Le prix vient d’être créé en hommage à Giovanni Pascoli (1855-1912)
pour que les jeunes cantautori n’oublient pas la mémoire du grand poète.
2.6 - Quelques autres cantautori lombards
Il faudrait citer beaucoup d’autres cantautori lombards. Parmi ceux-ci, Alberto Camerini (1951- ), « l’Arlequin du rock italien » qui travailla d’abord avec les Stormy Six, Claudio
Rocchi, Patty Pravo, chantant Bob Dylan et fréquentant Re Nudo et l’extrême gauche de l’époque, puis avec Eugenio Finardi, il publie son premier disque en 1976, puis obtient un
beau succès avec plusieurs autres disques, participe au Festivl de Sanremo en 1984 (avec La bottega del caffè, en hommage à Carlo Goldoni). Il s’oriente ensuite vers un style
marqué par le punk ; son dernier album est de 2005. Il a influencé de plus jeunes chanteurs comme Morgan (Marco Castoldi, Milan, 1972- ) et le groupe qu’il a créé avec Andrea
Fumagalli (Monza, 1971- ), les Blu Vertigo, Alex Baroni, Piero Pelù qui réenregistrent une de ses chansons.
Ricky Gianco (Riccardo Sanna, Lodi,1943- ), appelé parfois le « Pete Seeger » italien, commence par être un « hurleur », et c’est un
des pères du rock italien, d’abord guitariste des Dik Dik. Il publie son premier disque en 1959, et collabore
avec I Ribelli de Demetrios Stratos, puis avec I Quelli (la future Premiata Forneria Marconi). Il participe au
Clan de Celentano avec lequel il rompt très rapidement, puis il collabore avec Gianfranco Manfredi. Il publie
plus d’une quarantaine de disques entre 1959 et 1978. Sa chanson Cavallina Rock (1979) est restée
célèbre pour son refrain « Siamo tutti nella merda » (Nous sommes tous dans la merde) reprise dans le film
de Salvatore Samperi, Liquirizia (1979) (Voir sur Youtube). Il a été invité aussi bien par le festival de
Sanremo que par le Club Tenco. Son activité de créateur de chansons, d’émissions de télévision, de
tournées, de producteur de spectacles continue dans les années 2000 : par exemple en 2003, il participe à
la publication du disque Danni collaterali, pour les disques du Manifesto (journal de l’extrême gauche italienne), une sévère critique de George Bush sur des
vers de Fernanda Pivano. Il reçoit le Prix Ciampi en 2004, et ses disques sont reproduits en CD (Voir le coffret de trois disques publié par EDEL, Ricky
Gianco Collection). Rn 2015, il interprète une chanson de George Brassens, Nonno Riccardo. Ricky Gianco est une des grands de la chanson italienne,
pratiquement inconnu des français. Dommage ! Consultez son site : (15)
Écoute 18 : Compagno sì, compagno no, compagno un caz (Gianco, 1978)
Ivan Cattaneo (Bergame, 1953- ) qui, outre son activité de cantautore, publie des reprises réarrangées des grandes chansons des années ’60 à ’80, il est aussi peintre. Dès l’âge de
12 ans il commence à chanter, et, après un séjour à Londres, il enregistre en 1975 pour Nanni Ricordi, tandis qu’en 1976 il participe au Festival du Jeune Prolétariat du Parc Lambro.
Il lance la jeune Anna Oxa (Bari, 1961- ) au Festival de Sanremo de 1978, et les premiers groupes italiens de punk rock. Son album Urlo de 1980 est un de ses plus grands succès.
En 1981, il reprend et arrange les grands succès des années 1960, qui vendent presque un million de copies, et poursuit sa carrière de cantautore. C’est en 1987 qu’il devient
végétarien et abandonne sa carrière de chanteur pour se consacrer à la peinture. Il revient à la chanson en 1992 avec Il cuore è nudo … e i pesci cantano, manifestant son
rapprochement de la religiosité orientale. L’album suivant, Luna presente, ne sort qu’en 2005. Ses derniers disques son Ivan Cattaneo de 2011 et Playlist de 2016. Il aura contribué à
rapprocher la chanson d’auteur de la musique électronique, suivant le modèle de David Bowie.
N’oublions pas *
Giangilberto Monti (Milan, 1952- ), cantautore, il a travaillé avec Cathy Berberian, Dario Fo et Franca Rame. Passionné de chanson française, il est devenu historien de
la chanson d’auteur, adaptateur de Boris Vian dont il est un spécialiste, Léo Ferré, Serge Gainsbourg (Maledette canzoni, 2006) et Renaud (Canti ribelli, 2017) ; il a écrit en 2012 La
vera storia del cabaret, et en 2017 Il romanzo di fine Millennio sur la vie musicale de la Milan des années 1970 ; il publie en 2018 Le canzoni del Signor Dario Fo distribué par Warner ;
Il a publié plus de 15 albums.
* Biagio Antonacci (Milan, 1963- ), fils d’un immigré des Pouilles, commence très jeune à jouer de la batterie ; après son service militaire chez les carabiniers, il
rencontre le cantautore Ron (Voir plus loin) qui le fait débuter dans un de ses concerts. Après un participation au Festival de Sanremo en 1988 avec Voglio vivere in un attimo), il
publie son premier album en 1989, Sono cose che capitano, suivi en 1990 de Adagio Biagio. Il compose pour plusieurs chanteurs et chanteuses, il arrive enfin au succès avec son
album Liberatemi qui vend plus de 150.000 copies, succès confirmé par ses disques suivants, Convivendo (2004), Vicky Love (2007), Il sole ha una porta sola (2008), Inaspettata
(2010), Sapessi dire di no (2012), L’amore comporta (2014). Il collabore avec Laura Pausini. Son quatorzième album est de 2017, Dediche e manie, et sa dernière chanson de 2018.
* Fabio Concato (Fabio Piccaluga, Milan, 1953- ) est le fils d’une guitariste de jazz ; Il forme son premier groupe de cabaret en 1974 et publie son premier album en
1977 ; son premier succès populaire lui arrive de son album de 1982, Domenica bestiale. Il s’est ensuite intéressé en particulier aux violences sur les enfants dans sa chanson
051/222525, numéro de téléphone de l’époque pour la dénonciation de ces violences. Il participe au Festival de Sanremo en 2004 avec Ciao ninin. Son dernier disque est de 2017,
Gigi.
* Juri (Roberto) Camisasca (Melegnano, près de Milan, 1951- ) est un personnage intéressant : après quelques années d’activité musicale en 1974 avec Franco
Battiato, il se retire dans la vie monastique et se fait bénédictin, avant de revenir sur la scène musicale en 1988, produisant Te Deum et collaborant avec cet autre passionné de
spiritualité qu’est Franco Battiato ; Camisasca est accueilli par le Club Tenco en 1991. Il publie Arcano enigma en 1999, puis Spirituality en 2016, dans un mélange de styles pop,
acoustique et électronique. Il travaille toujours avec Battiato.
* Mario Lavezzi (Milan, 1948- ) travaille d’abord dans plusieurs groupes (I Camaleonti, Flora Fauna Cemento de 1970 à 1978, Il Volo en 1974-1975) et poursuit une
carrière de soliste avec Ornella Vanoni, Loredana Bertè, Anna Oxa, Fausto Leali ; il participe au Festival de Sanremo en 2009 avec Alexia, présentant Biancaneve de Mogol.
* Rosalino Cellamare connu sous le nom de Ron (Dorno, près de Pavie, 1953- ) est aussi le fils d’un immigré des Pouilles, son oncle est pianiste et l’initie à la musique.
Dès 1969, il participe à des manifestations musicales, collaboran t avec Lucio Dalla ; il publie son premier album en 1973, Il bosco degli amanti, joue dans
quelques films et organise le tour de Dalla et De Gregori, Banana Republic. Son premier album sous le nom de Ron sort en 1980, Una città per cantare, suivi
de Calypso en 1983, É l’Italia che va en1986, Il mondo avrà una grande anima en 1988. En 1989 il lance le jeune Biagio Antonacci. Son Attenti al lupo,
interprété par Lucio Dalla, vend plus de un million de copies. Il gagne le Festival de Sanremo de 1996 en chantant avec Tosca Vorrei incontrarti fra cent’anni
et il y retourne en 1998 avec Un porto nel vento. Durant les années 2000, il publie plusieurs albums. En 2010, il chante en duo avec Cesaria Avoria et il
participe encore au Festival de Sanremo en 2006, 2014, 2017 et 2018. Son disque le plus récent est de mars 2018, Lucio, consacré à Lucio Dalla
Écoute 19 : Non abbiamo bisogno di parole (Ron, Ma quando dici amore, 2006)
* Max (Massimo) Pezzali (Pavie, 1967- ), un des participants pour sa voix du groupe « 883 », et un des plus suivis des jeunes créateurs de chansons. Fils de fleuristes, il
se passionne très jeune pour le rock, et il écrit de beaux textes avec Mauro Repetto. Le groupe 883 (référence à une moto Harley-Davidson de 883 cm3, une de ses passions) publie
en 1992 son Hanno ucciso l’Uomo Ragno, suivi de La donna, il sogno & il grande incubo en 1995 et La dura legge del gol en 1997. En 2004, il abandonne le groupe pour commencer
une carrière de soliste, réalisant Il mondo insieme a te, qui obtient 23 diqeus de platine (= plus de 250.000 copies vendues). En 2005, il va pour la seconde fois au Festival de
Sanremo avec Francesca. Son nouvel album sort en 2007, Time out, qui obtient un disque de platine. Dès le début de sa carrière il est actif sur son blog d’Internet, entretenant ainsi
des contacts actifs avec son public. Il publie son premier roman en 2008, Per prendersi una vita (Castaldi) et il fait de nombreux concerts. Au Festival de Sanremo de 2011, il
interprète Il mio secondo tempo, et, à l’occasion 150e anniversaire de l’Unité italienne, Mamma mia dammi cento lire avec Arisa pour parler de l’émigration italienne. Son album
Terraferma sort aussi en 2011, et en 2012 il publie une nouvelle édition de Hanno ucciso l’Uomo Ragno 2012, son 16e album, en style de rap, qui sera l’album le plus vendu de
l’année. Il sort encore Max 20 en 2013-2014, Astronave Max en 2015-2016, Le canzoni alla radio en 2017, et participe de nouveau au Festival de Sanremo de 2018 en chantant
Strada facendo avec Claudio Baglioni, Francesco Renga et Nek. L’« uomo ragno » représentait pour Pezzali la pureté du monde adolescent tué par le monde adulte, avec l’idée qu’il
subsiste quelque part pour cuktiver le rêve et la chimère.
Écoute 20 : 20.1 - La dura legge del Gol (883, 1997)
20.2 - Hanno ucciso l’Uomo Ragno (Max Pezzali et 883, 1992)
* Cristina Donà (Cristina Trombini Sapienza) naît à Rhô dans la province de Milan en 1967. En même temps que s’affirme sa passion pour la
musique, elle fréquente le Lycée artistique et passe un diplôme de scénographie à l’Académie des Beaux-Arts de Brera ; elle travaille comme scénographe, elle
admire Bruce Springsteen, Joni Mitchell, Tom Waits, les Beatles, Lucio Battisti. Elle commence en 1991 sa carrière musicale avec les « Afterhours », dont elle
avait connu des musiciens lors de l’occupation de l’Académie de Brera par le mouvement La Pantera Nera (dont le logo est emprunté aux Black Panthers
américains des années ’60), entre 1983 et 1990, durant lequel se forme un des premiers groupes de rap, « Onda Rossa Posse » de Rome. Ces amis la poussent
à écrire ses propres chansons : elle a une voix inoubliable. Elle publie son premier album, Tregua, en 1995, grâce à l’appui de ses amis qui la font promouvoir
par la Mescal ; l’album obtient la Targa Tenco en 1997, comme meilleur album de début. Sa tournée avec Ginevra Di Marco fait apprécier la qualité poétique et
musicale de ses chansons. Son second album, Nido, est de 1999, en collaboration avec Mauro Pagani et Manuel Agnelli ; le disque est suivi d’une tournée de
plus de 100 concerts. Elle publie en 2000 un ouvrage de poésies et récits, Appena sotto le nuvole (Mondadori). Après Goccia, en 2000, Cristina Donà reçoit la
Targa SIAE du Club Tenco, et fait de nombreux concert avec des artistes étrangers et italiens. Son quatrième album, Dove sei tu, sort
en 2003 et obtient aussitôt un grand succès, et est suivi d’une longue tournée qui se termine en Suisse. Elle participe à de
nombreuses rencontres musicales, en Italie et à l’étranger, seule ou avec d’autres musiciens, dont Ginevra Di Marco.
Elle change de maison d’édition en 2006 et passe à la Capitol/EMI qui réédite tout son catalogue. En 2007, sort un
nouvel album, La quinta stagione, la « cinquième saison » qui, selon la médecine chinoise, est celle où on se prépare
à l’arrivée du froid ; le disque reçoit le Prix de la Critique comme meilleur disque italien de pop rock. En 2007, elle
participe à nouveau au Festival de Sanremo, en compagnie de Nada , avec Luna in piena. En 2008 sort Piccola
faccia, somme de ses meillleures chansons, avec deux covers. Pendant sa grossesse de 2009, elle écrit les
chansons d’un nouvel album, Torno a casa a piedi, qui sort en 2011 ; entre temps, Cristina Donà fait de nombreuses
tournées, toutes ayant toujours un grand public. Elle participe à plusieurs disques d’hommages, dont le dernier est
celui de 2012, Tributo a Ivan Graziani, disparu le 1er janvier 1997, où elle chante Agnese. Son huitième album, Così
vicini, sort en 2014 ; elle obtient la Targa Tenco avec Saverio Lanza pour une des chansons du disque, Il senso delle
cose. Elle reçoit le Prix De André et le Prix Umberto Bindi en 2016 et celèbre ses 20 ans de carrière en 2017 par un
grand tour estival Cristina Donà est et sera sans doute encore une des grandes figures féminines du rock italien. Elle
sait affirmer son propre talent tout en collaborant avec beaucoup d’autres chanteurs et compositeurs, en Italie et à
l’étranger. Site : www.cristinadonà.it.
Mais avant d’en finir avec les « cantautori » lombards, disons encore deux mots de quelques-uns d’entre eux, Gianni Siviero, Gianfranco Manfredi, Claudio Rocchi.
Le premier, Gianni Siviero (Turin, puis Milan, 1938- ) est né à Turin, il va vivre à Milan où il est cantautore de 1965 à 1980. Il publie plusieurs disques, Sono sempre
io la donna (1974), avec musique de Virgilio Savona, interprété par Dania Colombo, Gianni Siviero volume 1, Del carcere (1975), un ensemble de chansons sur la
vie carcérale, Il castello di maggio (1976), ces derniers à la maison de disques créée par Mario De Luigi, la Divergo, dont un des producteurs fut Virgilio Savona, et
qui publia des chanteurs comme Margot, Giorgio Lo Cascio, Riccardo Zappa, Giorgio Laneve, Michele Luciano Straniero, Antonietta Laterza. Mais la maison fait
faillite en 1980, et Siviero interrompt alors sa carrière musicale : les maisons de disques apprécient peu sa chanson militante, même si elle est de qualité (deux de
ses disques ont reçu le Prix de la Critique discographique), et il a été « oublié », même par le Club Tenco dont il fut un des cofondateurs. On peut consulter ses 4
disques sur Wikipedia.
Comme écrit lui-même Gianni Siviero, « Je suis anarcho-communiste, depuis toujours, incompatible avec le système sous tous ses
aspects, et donc aussi incompatible avec les situations qui doivent être obligatoirement accommodantes pour survivre ». Il a chanté
pendant des années la vie populaire, celle des femmes rabaissées, méprisées par les hommes, celle des sous-prolétaires accablés par
la misère. Et il est certain qu’à partir de la fin des années 1970, cela ne permettait pas de faire ce qui intéressait exclusivement les maisons de disques :
du profit. Car le public de jeunes qui s’était levé dans les années 1960 et 1970, avait reflué, s’était découragé ou rangé, et la chanson avait suivi. On peut
lire les textes publiés par le site et en particulier le chapitre « I dimenticati del Club Tenco » (Les oubliés du Club Tenco), et on comprendra mieux la
profondeur de l’évolution commencée au début des années 1980, cet abandon de toute poussée utopiste et révolutionnaire, qui est d’abord le fait de la
société italienne et en conséquence des chanteurs, cantautori compris.
Son disque, Son sempre io la donna, est de 1974, mais plus de quarante ans plus tard, il est toujours aussi actuel, il parle de problèmes de la femme de
façon profonde, et ils n’ont pas disparu malgré toutes les luttes des féministes. Tout y est évoqué, les problèmes de la drague au nom de la liberté de la
femme, les difficultés du couple traditionnel, les questions de la mère et celles de la fille, mais aussi la possibilité d’une autre forme d’amour … : c’est
pour nous un des plus beaux disques de la création italienne. Il faudrait le rééditer ou le réenregistrer :
Écoute 21 : 21.1 - Un giro di danza (Gianni Siviero, Son sempre io la donna, 1974)
21.2 - Stasera no (Ibid.)
21.3 - So già (Ibid.)
21.4 - Ed eravamo lì (Ibid.)
* Gianfranco Manfredi est né à Senogallia (Marches) en 1948, mais il vit à Milan depuis l’âge de 8 ans. Il passe une licence de Philosophie à Milan
en 1973, et il fréquente la rédaction de « Re Nudo », devenant militant du Mouvement (non stalinien, précise-t-il) « Autonomia operaia ». Il est d’abord
cantautore et avec Nanni Ricordi, Enzo Jannacci, Ricky Gianco, il fonde l’étiquette « Ultima spiaggia », Dernière plage, titre significatif. Il publie une série
d’albums de chansons engagées, ironiques satires de l’idéologie dogmatique de la gauche : La crisi en 1972, critique des pratiques de l’extrême-gauche, le
tract, les meetings, etc., Ma non è una malattia en 1976 (Voir la note 15). Il ne reconnaît qu’une valeur vraiment positive, le doute, et il perçoit vite
l’impossibilité de faire la synthèse entre l’amour et la mitraillette, entre le yoga, les gays, le féminisme et les bandes armées d’un « prolétariat juvénile » peu
cultivé, c’étaient deux formes de militantisme incompatibles, le stalinisme rigoureux des uns, qui débouchera dans la désillusion et la soumission à l’héroïne,
l’ironie, le sens de la critique des autres. Ce qui va se perdre aussi, c’est l’union qui avait été tentée entre la musique rock et la lutte politique.
Manfredi travaille beaucoup avec Ricky Gianco, et ils publient ensemble les chansons d’un spectacle qu’ils ont organisé, Zombie di tutto il mondo unitevi
(1977). Il se consacre déjà à l’activité littéraire et publie en 1978 L’amore e gli amori in J.J. Rousseau, tandis qu’il travaille à
L’Institut d’Histoire de la Philosophie avec Mario Dal Pra, mais il publiera encore de 1978 à 1993 plusieurs CD, qui mettent au
jour ses propres contradictions, dont Biberon (1978), Gianfranco Manfredi (1981) et en 2003, il participe à l’album collectif
antimilitariste, Danni collaterali. Il écrit plusieurs volumes, entre autres à la Lato Side, sur les chanteurs italiens (Battisti,
Celentano, Jannacci) et sur les chanteuses des années 1970 (Mina, Ornella Vanoni, Patty Pravon en 1981) et en 1982, La strage
degli innocenti et Piange il grammofono, toujours à la Lato Side ; il se consacre ensuite à l’écriture de romans noirs, chez
Feltrinelli, et il prend part à la réalisation de plusieurs films, et de scénarios de bandes dessinées (Gordon Link, chez Dardo, Adam Wild en 2014)
Il ne faut pas le confondre avec Nino Manfredi (1921-2004), un autre acteur et chanteur qui interprète les chansons de ses films comme dans la Le
avventure di Pinocchio de Comencini, où il joue le personnage de Geppetto ; il reprend aussi une chanson de Petrolini, Tanto pe’ cantà.
Il est intéressant de lire l’interview de Gianfranco Manfredi par Ugo Volli dans le fascicule du n° 7 de L’Italia del rock (1993), pp. 22-27. Manfredi fut au
cœur des luttes des années 1970 et des choix faits entre le travail culturel et le terrorisme de la lutte armée. Il désapprouva la violence, mais il montre
qu’elle fut inévitable : « Il y avait la violence dans la société, il y avait des besoins non satisfaits, et à la fin, cette violence a explosé, elle a tout
bouleversé. Face à une génération qui demandait à participer, à changer, la réponse fut la fermeture la plus totale, l’unité nationale. De cette manière les
Andreotti, les Craxi, les vieux politiques ont résisté quinze ans de plus. S’ils étaient tombés alors … Peut-être que ce n’était pas possible. Mais face à ce
bloc, il était inévitable que les choses finissent comme elles ont fini ». L’assassinat de Moro en 1978 confirma que « le terrorisme a été une queue terrible
(de la contre culture), déjà marquée par la faillite dès le départ » (16).
Écoute 22 : 22.1 - Quarto Oggiaro Story (G. Manfredi, Ma non è una malattia, 1976)
22.2 - Ultimo Mohicano (Zombie di tutto il mondo unitevi, G. Manfredi, 1977)
* Un troisième cantautore fut un musicien important, compositeur de musique souvent psychédélique et mystique inspirée par l’Orient, Claudio Rocchi (1951- 2013).
Bassiste, il réalise un premier disque avec le groupe « Stormy Six » en 1969 (Le idee di oggi per la musica di domani), puis en 1970 son premier disque de
soliste avec Mauro Pagani, Viaggio, qui contient une chanson (La tua prima luna) qui fut considérée comme une des meilleures expressions d’une jeunesse
en recherche d’identité, musique « méditative » dans son style de rock psychédélique et progressif, qui lui vaut le Prix de la Critique discographique. Son
second disque est de 1971, Volo magico n.1, avec le très jeune Alberto Camerini à la guitare. Il publie jusqu’en 2013 des disques qui expriment la séduction
des voyages en Inde et à Amsterdam. Il fait aussi de nombreuses émissions de télévision ; il est un pacifiste actif, dans la ligne des groupes de « Krishna ».
Il a participé aux premières éditions de la Rassegna Tenco des cantautori, dont il sera ensuite un hôte indésirable, mais il obtient en 2012 le Prix Amilcare
Rambaldi pour sa carrière. Écoutons cette chanson de 1970, La tua prima luna :
Écoute 23 : 23.1 - La tua prima luna (Claudio Rocchi, Viaggio, 1970)
23.2 - La realtà non esiste (Claudio Rocchi, Volo magico n.1, 1971)
Claudio Rocchi a collaboré avec Alberto Camerini, Eugenio Finardi, Demetrio Stratos, et il reste fidèle à sa maison de disques la Cramps Records.
Une cantautrice, Giusy Ferreri, est née à Palerme (1979) mais sa famille se transfère à Milan quaand elle est encore une enfant. Elle étudie le chant, la guitare et le piano, et elle
commence à écrire en 1997, publie son premier album, Gaetana, en 2008, de style pop rock, suivi en 2009 de Fotografie. En 2011, elle participe au Festival de Sanremo avec Il mare
immenso, classée dixième. Elle y revient en 2014 avec Ti porto a cena con me et L’amore possiede il bene classée neuvième. En 2017, elle punmie son cinquième album, Girotondo,
qui suit L’attesa de 2014.
Un jeune cantautore et chanteur s‘affirme depuis plusieurs années, c’est Morgan (Marco Castoldi, Milan 1972 - ).
Citons encore Giorgio Laneve (Milan, 1946 - ).
3) - Les groupes de Lombardie
La Lombardie connaît un très grand nombre de groupes musicaux, de rock pour la plupart, mais aussi de musique populaire, comme on l’a vu plus haut. Évoquons les principaux.
3.1 - Les premiers groupes de rock.
Ce sont des groupes qui assurent la diffusion des différents courants de beat et de rock en Lombardie et en Italie, entre la fin des années 1950 et la fin des années 1960.
Un des premiers s’appelle « I Giganti » (les Géants) ; il se substitue au groupe des « Arrabbiati » auquel participa Giorgio Gaber,
et après plusieurs dénominations (« Gli Amici », « The Gengha’s Friends »…) et changements de musiciens, prennent leur nom
définitif en 1964 ; ils jouent dans les locaux milanais comme le Santa Tecla, où on n’accepte que de bons groupes. Eux forment
un groupe de quatre musiciens, tous chanteurs. Leur musique est le « beat » puis le rock, qui sont devenus la musique de la
contestation des jeunes et des étudiants (mouvement étudiant de Berkley, crise cubaine, refus de la guerre du Vietnam, etc. qui
bouleversent la vie des familles italiennes) ; leur premier succès arrive en 1966 avec La bomba atomica, première chanson
antinucléaire et Tema, un des disques qui reste plusieurs semaines en hit-parade. Ils collaborent avec Ghigo Agosti, réalisant une
musique mélodique assez raffinée sur des thèmes de la vie quotidienne ; ils sont alors appelés dans toute l’Italie ; scandalisant
les bien-pensants avec leur chanson Una ragazza in due (Une fille pour deux) qui est censurée par la RAI. C’est la version
italienne de Down Came The Rain de Mitch Murray. Ils passent au Festival de Sanremo en 1967 avec Proposta et Tenco dira
d’eux : « Ils ont des pistolets mais ils ne tirent que des petits chocolats ». Ils deviennent malgré tout une des voix de la
contestation pacifiste « flower power » de Californie) avec ce Proposta dont le refrain dit : Mettete dei fiori nei vostri cannoni
(Mettez des fleurs dans vos canons). Ils retournent à Sanremo en 1968, suscitant toujours les mêmes polémiques (contestation
ou chansons à l’eau de rose ?). En 1969, ils tentent une chanson politique, Io e il presidente, censurée par la RAI qui y voit une
attaque du président de la République, Giovanni Leone (la chanson n’est produite qu’une fois par la radio : les radios libres
n’existaient pas encore). Le groupe se dissout (comme se dissolvent les Beatles), puis se reforme en 1970, publie en 1971 Terra in bocca, un disque contre la mafia, qui se base
courageusement sur des faits réels ; après une longue absence, il reparaît d’abord en 1978, puis à la fin du siècle en 1998.
Parmi les collaborateurs du groupe on a compté Marcello Della Casa, guitariste, Ares Tavolazzi, bassiste, Ellade Bandini, batteur, Vince Tempera, que l’on retrouvera avec de grands
chanteurs. Ils continuent à jouer aujourd’hui, sous la direction de l’un des fondateurs, Sergio Enrico Maria Papes (1941- ), batteur et cantautore. Leur CD le plus récent est de 2006,
une reprise de Mettete dei fiori nei vostri cannoni. Ils reçoivent encore un prix en 2011, le prix Paolo Borsellino pour La terra in bocca.
Écoute 24 : 24.1 - Una ragazza in due (I Giganti, 1965)
24.2 - Proposta (I Giganti, 1964)
24.3 - La bomba atomica (I Giganti,1966)
Un autre groupe s’appelle « I Delfini » (les Dauphins), il se forme à Padoue en 1961, groupe beat parmi les plus connus bien au-delà de l’Italie, loin du
rock dur souvent dominant. Sergio Magri y joue du saxophone, encore peu répandu en Italie. Ils commencent en 1965 par un single chanté un anglais
où ils reprennent une chanson des Beatles, I wanna be your man (Je veux être ton homme), avec une chanson des Rolling Stones au verso, Tell me ;
mais c’est avec leur troisième single que « I Delfini » commencent à avoir du succès, Stasera sono solo ; le disque est repris en 33 T avec deux autres
singles, dont l’un comprenait Una fetta di limone de Jannacci et Gaber. Ce sera un succès du beat italien. Ils sont appelés aux USA, en échange avec
le groupe américain « The Happenings » qui passe au Festival de Sanremo en 1967, puisen Amérique du Sud mais le manque de succès des disques
décourage un peu les producteurs de disques. Le groupe continue aujourd’hui, son dernier disque, réédition de leurs succès, est de 1996.
I Camaleonti (Les Caméléons) naissent en 1963 sous le nom de Beatnicks, avec Riki Maiocchi et Gerry Manzoli, ils font d’abord danser le public sur
des rythmes classiques de valses, tangos, polkas et mazurkas pour les plus âgés, mêlés au twist et au rock pour les plus
jeunes, et ils deviendront un des groupes beat les plus en vue, qui se produit dans le local de pointe de Milan, le Santa Tecla ; ils jouent d’abord des
« cover » (reprise en italien ou en langue originale) des succès du beat anglais et américain (Norvegian Wood des Beatles = Se ritornerai ; Homburg des
Procol Harum = L’ora dell’amore en 1967, qui vend 1.600.000 copies…). Applausi vend plus de 900.000 copies. Ils tentent ainsi de s’adapter à la
nouvelle mode musicale venue des pays anglo-saxons, diffusant par la même occasion des thèmes de pacifisme, de liberté, de réforme des mœurs qui
préludent aux luttes des jeunes de la fin des années 1960. Ils publient Mamma mia (de Mogol et Battisti), qui a un grand succès, et passent au Festival
de Sanremo en 1970 avec Eternità, en double avec Ornella Vanoni, et obtiennent le second prix, puis en 1973 avec Come sei bella, qui est finaliste.
Puis avec l’arrivée des cantautori et le changement de mode, ils poursuivent leurs concerts en produisant de la musique mélodique plus conforme à la
tradition italienne (Perché ti amo, 1973, qui gagne le prix du Disco per l’Estate ; Amicizia e amore et Piccola Venere, 1975 ; Cuore di vetro, Sanremo,
1976 ; Quell’attimo in più, troisième prix à Sanremo 1979). Cuore neroazzurro devient l’hymne officiel de l’Inter, l’équipe de football de Milan en 1984. Ils
retournent à Sanremo en 1993 avec Come passa il tempo. Ils poursuivent encore leur activité, formés en quintette, en publiant des anthologies de leurs anciens succès (40 anni di
musica e applausi en 2004, Storia en 2006-07, Camaleonti Live en 2010, 50 anni di applausi en 2015) et en réalisant de grandes tournées en Italie et à l’étranger. Ils auront vendu
plus de 30 millions de disques.
Écoute 25 : 25.1- Se ritornerai (Beatles, Camaleonti, 1967)
25.2 - L’ora dell’amore (Procol Harum, Camaleonti, 1967)
Cochi e Renato forment un duo de chanteur et guitariste, Aurelio Ponzoni (1938- ) et Renato Pozzetto (1940- ), qui commence à Milan en 1964, collabore avec Enzo Jannacci au
Derby de Milan, et sont très populaires pour leurs spectacles de cabaret qui mettent en scène des histoires de la vie quotidienne. Durant leur jeunesse, inscrits à l’Istituto Cattaneo de
Milan ils s’amusent à écrire et à jouer des chansons decabaret pour se distraire de leurs études, et ils rencontrent Enzo Jannacci dans le local où ils jouent, et avec lui ils forment le
groupe « Gruppo motore » ; il s passent à la TV à partir de 1967, et font jusqu’à aujourd’hui de nombreux spectacles.
Deux autres groupes importants naissent en 1964, I Gufi (Les Hiboux) et I Profeti. Le premier, I Gufi, est composé de Roberto Brivio (1941- )
surnommé le « cantamacabro », Gianni Magni (1944- ) le « cantamimo », Lino Patruno (1939- ) « il cantamusico » et Nanni Svampa (1941- )
le « cantastorie » (Cf. plus haut). Le premier est un acteur diplômé de l’Académie d’Art Dramatique de Milan, auteur entre autres d’une
collection de disques pour enfants tirés de romans de Salgari et de textes de science-fiction ; le second est diplômé en mime ; le troisième est
musicien de jazz, auteur de musiques de films et d’œuvres théâtrales (certaines tirées de Dos Passos) ; pour le quatrième, voir ci-dessus. Le
nom du groupe est dû à leurs vêtements noirs et à leurs spectacles souvent macabres. Ils font de longues tournées dans toute l’Italie et
participent à de nombreuses émissions de télévision ; ils sont considérés alors comme le meilleur groupe de cabaret, qui chante souvent en
dialecte milanais : ils publient plusieurs albums, dont Milano canta (1965), I Gufi cantano due secoli di resistenza (1965). En 1997 paraît à la
EMI un double CD, Il cabaret dei Gufi, et en 2004 une réédition de leurs onze premiers albums, Gufologia. Ils se sont dissous en 1969,
poursuivant chacun leur propre activité. Ils auront introduit dans la chanson italienne un esprit de comique surréaliste, de satire sociale et de
critique des clichés de l’histoire patriotique italienne.
Le second groupe est I Profeti, un ensemble vocal et instrumental qui se constitue en 1964 et publie son premier disque en 1966, Bambina sola, puis des covers des Rolling Stones
(Ruby Tuesday = Rubacuori, texte de Mogol), des Them (Call my name = Sole nero). Ils seront surtout interprètes de covers et de chansons mélodiques à l’italienne, comme Cercati
un’anima, qu’ils présentent à Sanremo en 1976, année de leur dissolution. Ils réapparaissent de temps en temps, en 1989 dans une émission de la RAI, et en 1999 pour la gravure
d’un disque de traductions des Bee Gees.
Beaucoup plus importants furent les Dik Dik (Les Antilopes) qui débutent sous ce nom en 1965, après avoir été les « Dreamers » (Les
rêveurs) puis les « Squali » (Les Squales), en 1962. C’étaient trois camarades d’école d’un quartier de Milan qui confinait encore avec
la campagne, Pietrucio Montalbetti, Erminio Salvaderi, et Giancarlo Sbriziolo ; ils commencèrent à jouer pour des amis, des fêtes
d’étudiants et des rencontres dans de petits locaux de Milan ouverts à la nouvelle musique, grâce à des chanteurs comme Adriano
Celentano, Giorgio Gaber et Enzo Jannacci. Puis, avec Mario Totaro et Sergio Panno, ils accompagnent une chanteuse assez connue,
Myriam Del Mare. Ils furent séduits par les Beatles, reprirent leurs chansons, et, grâce à une recommandation de l’archevêque de
Milan, Monseigneur Montini, chez qui travaillait le frère de Pietruccio, ils furent reçus par la Maison de disques Ricordi qui les convoqua
à une audition et leur signa un contrat. Ils décidèrent alors de devenir musiciens, et publièrent leur premier 45T, 1,2,3, version italienne
d’un morceau de Lenn Barry, puis un deuxième en 1967, Il mondo è con noi, qui fut suivi d’une « cover » de A Whiter Shade of Pale,
du groupe anglais « Procol Harum », sous le titre de Senza luce, qui obtint un énorme succès, et qui leur permit de s’intégrer dans
l’équipe que dirigeait Mogol ; ils obtinrent un premier engagement dans un local à la mode, le « Ciao ciao », rencontrèrent Lucio
Battisti, et Federico Fellini qui voulut leur confier l’écriture de la musique d’une scène de Giulietta degli spiriti, qui fut malheureusement
supprimée par la censure. Mais ils étaient maintenant lancés et purent faire une tournée internationale en Suisse, Allemagne,
Yougoslavie et USA. Ils participèrent à l’émission radiophonique lancée par Renzo Arbore et Gianni Boncompagni, « Bandiera gialla ».
Une de leurs grandes réussites fut la « cover » de California Dreamin’ des Mamas and Papas, sous le titre de Sognando la California, qui arriva au sommet de la Hit-Parade, et qui fut
le titre d’un film de Carlo Vanzina en 1992. Ils reprirent des chansons de Mogol et Battisti et furent alors envoyés au Festival de Saremo en 1969 avec Zucchero qu’ils chantent avec
Rita Pavone et qui est finaliste, puis en 1970 avec Io mi fermo qui, de Riccardi et Albertelli, qu’ils chantent avec Donatello ; ils y retourneront pour la dernière fois en 1971 pour chanter
avec Caterina Caselli Ninna nanna, qui est finaliste. Ils publient plusieurs 45 T de grande diffusion, L’Isola di Wight (1970), Vendo casa (1971), Viaggio di un poeta (1972), Storia di
periferia (1973), Help me (1974). À partir de 1976, quelques musiciens sont remplacés, et le groupe s’oriente vers un rock plus dur ; ils continuent en reprenant leurs succès ; leur plus
récent tour en Italie est d’août 2013, sous le titre « Viaggio di un poeta ». Leur intelligence des nouveautés musicales et leur qualité musicale a fait d’eux ceux qui ont permis au rock «
californien » de pénétrer en Italie.
Écoute 26 : 26.1 - Sognando la California (Dik Dik, 1966)
26.2 - Senza luce (Dik Dik, 1967).
26.3 - L’Isola di Wight (Dik Dik, 1970)
Deux autres groupes contribuèrement efficacement à la diffusion du rock en Italie, les Stormy Six à partir de 1965 et la Premiata Forneria Marconi à
partir de 1969.
Les Stormy Six sont un groupe important des années 1970 et suivantes, dans un répertoire beat, de rhythm’n blues, puis de folk et de rock, fait de
cover (des « Small Faces », des « Credence Clearwater Revival ») et de morceaux de leur composition. Ils se forment en 1965 et jouent jusqu’en
1983. Ils sont parmi les premiers à utiliser la musique psychédélique et country ; ils composeront aussi des chansons politiques, créant la première
synthèse entre chanson politique et rocl progressif.
Leur formation est fondée par Giovanni et Franco Fabbri, Alberto et Giorgio Santagostino, Maurizio Cesana, Mario Geronazzo et Maurizio Masla,
puis Luca Piscicelli et Massimo Villa ; après s’être fait connaître dans de nombreux festivals, étudiants et autres, ils publient leur premier 45T en
1966, dans la maison d’édition créée par Fabrizio De André, la Bluebell. En 1967 ; ils assurent avec d’autres groupes la première partie d’une
concert des Rolling Stones. Leur premier LP date de 1969, Le idee di oggi per la musica di domani, réalisé par Franco Fabbri et Claudio Rocchi, qui
constituent maintenant le groupe avec Luca Piscicelli et Antonio Zanuso.
En 1971, ils participent à des Festivals d’avant-garde, présentant leur première chanson politique, La manifestazione, puis leur album L’Unità,
relecture de l’histoire de l’Unité italienne et du « brigandage » dans le Sud de l’Italie, dont toutes les chansons sont censurées par la RAI. Ils
participent à la campagne électorale du PCI en 1972, puis entrent en contact avec le Mouvement Étudiant de Milan, où ils rencontrent Umberto Fiori,
Tommaso Leddi et Carlo De Martini, avec qui ils forment un nouveau groupe de six musiciens qui des chansons politiques (Guarda giù dalla pianura,
1974, inspiré du style de Woody Guthrie) et de résistance de tous les pays, avant de se rassembler avec d’autres groupes pour former la coopérative
musicale « L’Orchestra » (Rock in opposizione), agence de concerts indépendants, avec qui ils publient Un biglietto del tram (avec des chansons
comme Stalingrado, qui devient un succès auprès du public jeune et militant) qu’ils chanteront dans des festivals, des écoles et des usines occupées
en 1975-6 (17). En 1977, les Stormy Six travaillent pour le théâtre, composant des œuvres comme 1789, Titus Andronicus, le music-hall Pinocchio
Bazaar et le disque L’Apprendista, de rock progressif, véritable suite de Un biglietto del tram.
Ils constituent l’aile la plus militante des 5 maisons d’édition indépendantes de la coopérative, Cramps, Ultima Spiaggia, Divergo, Zoo Records et
L’Orchestra, et ils ont alors une grande activité internationale dans toute l’Europe. Leur septième album sort en 1980, Macchina maccheronica, qui
obtient en Allemagne le prix du meilleur disque rock, suscitant des polémiques avec la musique « officielle » soutenue par le gouvernement
d’Allemagne de l’Est. Ils reprennent les instruments électriques et les rythmes rock ; ils reflètent alors le climat de la fin des années 1970,
politiquement plus désabusé.
Le groupe forme ensuite un quintette qui publie en 1982 Al volo, participe pour la quatrième fois à la Rassegna du Club Tenco en 1983, et ils
décident d’arrêter leur activité musicale commune, chacun rejoignant d’autres groupes. Ils se retrouveront à partir de 1993 pour des publications (Megafono en 1998) et des concerts.
Écoute 27 : Stalingrado-La fabbrica (Stormy Six, 1975)
Une partie du Mouvement Étudiant accusa les Stormy Six d’être des « déviationnistes », simplement parce qu’ils fabriquaient et vendaient des disques, ils n’en sont pas moins les
auteurs d’une des grandes chansons politiques du moment. Elle rappelle la bataille de Stalingrad, qui marqua un tournant de la seconde guerre mondiale. La seconde chanson
évoque la grève du 5 mars 1943 : partie de l’atelier 19 de la FIAT de Mirafiori, elle s’étendit bientôt aux autres usines d’abord de Turin (ville toujours rétive au fascisme et détestée de
Mussolini), puis de Milan, de Venise, de l’Émilie, revendication contre la guerre, contre la faim, contre le régime, marquant le début de la chute du fascisme et du réveil ouvrier, alors
que les partis antifascistes n’étaient encore que des groupes clandestins. Ces grèves continueront jusqu’à la fin de la guerre, malgré les risques courus : les usines étaient militarisées
et la grève pouvait coûter la condamnation aux galères ou à la déportation. La répression fut en effet violente (plus de 2000 arrestations), mais le régime fasciste dut céder à un
certain nombre de revendications, à la demande de Valletta, directeur de la FIAT. La République allait bientôt suivre …
Franco Fabbri (1949- ) et Umberto Fiori (1949- ) figurent par ailleurs parmi les critiques et historiens de la musique et de la chanson italiennes contemporaines. Fabbri est parmi les
fondateurs de la IASPM (International Association for the Study of Popular Music), il enseigne l’histoire de la musique et de la chanson dans plusieurs universités italiennes dont celle
de Turin.
NOTES :
10. On trouvera les textes et commentaires des premiers disques de Branduardi jusqu’à Cogli la prima mela dans Giuseppe Comolli, Angelo Branduardi, Canzoni, Lato Side 16, 1979.
Plusieurs historiens n’ont pas toujours beaucoup apprécié Branduardi : ce n’était qu’un poète qui ne parlait pas de politique, qu’on appelait avec un peu de condescendance le
« ménestrel » ou le « troubadour ». Dans sa Storia della canzone italiana, Laterza 1985, Gianni Borgna ne cite même pas le nom de Branduardi qui a déjà publié plusieurs disques de
succès, ce n’est pas la moindre des faiblesses de Borgna. Il a droit à 24 lignes dans le gros livre de Felice Liperi, Storia della canzone italiana, RAI-ERI, 1999, 542 pages. Par contre,
Gianfranco Baldazzi, Luisella Clarotti et Alessandra Rocco lui consacrent 5 pages dans I nostri cantautori, Thema Editore, 1990.
11. Voir l’article de Franco-Italica, n° 12 (1998), Ruedi Ankli, Radici e continuità : la « funzione medioevo » nelle canzoni di Guccini, De André e Branduardi, pp. 63-82.
12. Voir une discographie essentielle de Branduardi sur : www.sezionemusica.it/discografie/branduardi.htm.
13. Gianfranco Baldazzi, La canzone italiana del Novecento, Newton Compton Editori, 1989, p. 206.
14. Voir sur ce point le très intéressant livre de Stefano Pivato, La storia leggera. L’uso pubblico della storia nella canzone italiana, Il Mulino, Saggi, 2002, 246 pages. Stefano Pivato,
Professeur d’Histoire à l’Université d’Urbino, est un des rares universitaires à s’être intéressés à la chanson.
15. Sur Ricky Gianco, on lit encore avec intérêt Ma non è una malattia, Canzoni e Movimento giovanile (AREA, Finardi, Gianco, Lolli, Manfredi, Sannucci, Stormy Six), a cura di
Romano Madera, Savelli, Roma, 1978, avec des interventions de Paolo Hutter, Giovanna Marini, Gianfranco Manfredi, Stefano Segre.
16. Pour tous les chanteurs et les groupes rock de cette époque, la série publiée par La Repubblica en 1993-1994 est essentielle, L’Italia del rock, 12 CD accompagnés de livrets
très bien faits. On peut consulter aussi une autre série de 20 CD, Il progressive rock italiano, publié par l’Espresso en 2014. le numéro 8 est la reproduction du disque de Claudio
Rocchi de 1971, Volo magico n.1.
17. Un biglietto del tram est réédité dans la série Progressive Rock Italiano N.16 en 2015.
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