De 1870 à la seconde guerre mondiale




Commémoration de la guerre de 1915-18 en Italie… et belles promenades à bicyclette

L’ITALIE DANS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (1915–1918)

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Commémoration de la guerre de 1915-18 en Italie… et belles promenades à bicyclette

On parle peu de l’Italie dans la presse française à propos de la guerre de 1914-18. Mais on en parle beaucoup en Italie, où la conscience est forte que cette guerre a marqué une rupture profonde entre deux époques et qu’elle sera suivie de la prise de pouvoir par le fascisme.

Ainsi, depuis le 24 mai, date de l’entrée en guerre de l’Italie en 1915, on peut consulter tous les journaux de l’époque sur trois sites : www.beniculturali.it, celui de la Bibliothèque Nationale Centrale de Rome, www.bncrm.librari.beniculturali.it, et le site gouvernemental, www.centenario1914-1918.it.

Les journaux consultables sont Il Corriere della Sera, La Stampa, Il Messaggero, Il Mattino, L’Avanti, La Gazzetta del Popolo, la Gazzetta trevisana, Il Gazzettino, Il Giornale d’Italia, L’Idea Nazionale, La Patria del Friuli, Il Popolo d’Italia, La Provincia di Treviso, Il Secolo, La Tribuna.

Sur un autre plan, le Libro Parlato Lions permettra d’écouter chaque jour pendant cinq ans, jusqu’en 2018, les Bulletins de guerre qui font mieux comprendre le déroulement des événements, du moins vus depuis la direction militaire italienne, pour laquelle toute action est « héroïque » et toute retraite est « stratégique » ! C’est La Stampa qui diffusera ces enregistrements que chacun peut écouter dès maintenant, à partir de l’enregistrement de la déclaration de guerre de l’Italie à l’Autriche-Hongrie par la voix du roi, le 24 mai 1915. (Se connecter sur le site La Stampa).

Enfin, plusieurs communes du Nord-Est de l’Italie organisent des sorties sur les lieux de guerre principaux en donnant à des groupes la possibilité de parcourir en bicyclette avec un guide les routes militaires, les forts, les tranchées des Dolomites. En particulier, la guerre contraignit à construire de nombreuses petites routes pour permettre aux soldats d’atteindre des positions souvent inaccessibles. Ainsi dans l’Alta Badia on peut parcourir les sites de huit refuges (en particulier, Rifugio Scotoni et Rifugio Pralonga, plus proches du Front), dans chacun desquels est servi un repas inspiré de l’ancienne cuisine militaire (améliorée par l’intervention des chefs du lieu !).

À San Martino di Castrozza/Passo Rolle, on visitera les fortifications, les tranchées, les galeries sur la crête de Cima Tognola, en longeant des petits lacs bordés de rhododendrons (en août). À Cortina d’Ampezzo, est proposé un itinéraire dans le Tofane, les cinq Tours et le Passo Giau ; avec le funiculaire Freccia nel Cielo, on monte au col Drusciè d’où on descend à bicyclette pour prendre la piste Tofanina et arriver au plus grand Musée à ciel ouvert de la Première Guerre Mondiale. Dans la Val di Fassa, on peut faire la « strada di Ruscì » (réalisée pour les Autrichiens par des prisonniers russes) adans Val San Nicolò, lieu de regroupement des réserves autrichiennes. Le Col di Lana a été rebaptisé « Monte di Sangue », un des lieux des combats les plus tragiques et sanglants : on peut y parcourir 17 kms à bicyclette, avec 870 mètres de dénivelation, promenade intéressante aussi pour les beaux paysages que l’on traverse.

Voilà quelques idées pour se cultiver sur le déroulement de la guerre et pour pratiquer le mountain bike de façon agréable dans cette région très belle du Nord de l’Italie. Profitez-en pour consulter le beau livre d’Alice Cason, 101 cose da fare sulle Dolomiti almeno una volta nella vita, Newton Compton Editori, 2013, 288 pages, 12€.

J.G. 27 mai 2015

L’ITALIE DANS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (1915–1918)

1914 28 juin : Assassinat de l’Archiduc d’Autriche à Sarajevo et éclatement de la première guerre mondiale.

Presque un an de discussions entre interventionnistes et neutralistes.

1914 novembre : Mussolini est expulsé du Parti Socialiste pour son interventionnisme.

1915 24 mai : l’Italie déclare la guerre à l’Autriche.

1916 mai : Offensive autrichienne.

1916 août : L’armée italienne brise le front autrichien et prend Gorizia.

1917 24 octobre : Défaite de l’armée italienne à Caporetto ; elle se retire sur le Piave et y forme sa nouvelle ligne de défense. Éclatement de la Révolution russe qui libère les Autrichiens de ce front.

1917 décembre : les États-Unis déclarent la guerre à l’Autriche.

1918 juin : victoire italienne du Piave.

1918 24 octobre : grande offensive italienne ; victoire italienne de Vittorio Veneto.

1918 4 novembre : armistice avec l’Autriche, signé à Villa Giusti, près de Padoue.



I. -La première guerre mondiale

Les alliances.Quand éclate la première guerre mondiale en 1914, les puissances d’Europe étaient divisées en deux groupes : * La Triple Alliance (Triplice) conclue en 1882 et 1887 Empire allPemand, Empire austro-hongrois, Empire Ottoman, Italie + association secrète de la Roumanie) : hostilité de l’Autriche et de la Russie sur les Balkans (Bulgarie, Serbie) ; ’Italie veut consacrer sa conquête de l’Érythrée et signe une première alliance avec l’Autriche et l’Allemagne pour contrer les Français qui ont pris pied en Tunisie (appui de l’Allemagne à l’Italie si elle était attaquée par la France en Afrique du Nord). En Italie, le président du Conseil, Francesco Crispi (1819-1901), était très hostile à la France, dont il craignait qu’elle étende ses colonies en Afrique du Nord ; l’Autriche restait réticente vis-à-vis de l’Italie, par peur qu’elle ne veuille conquérir la Lybie qui appartenait à l’Empire Ottoman. La Triplice fut renouvelée et modifiée en 1891 et 1896, mais Antonio di Rudini (1839-1908), qui avait remplacé Crispi à la présidence du conseil, du 6 février 1891 au 15 mai 1892, voulait développer son amitié avec l’Angleterre, qu’il considérait comme concurrente de la France dans les conquêtes coloniales. Entre 1890 et 1914, la Triplice tente d’isoler la France dans son expansion coloniale, ce qui pousse la France à s’allier avec la Russie, et conduit à la signature de la Triple Entente en 1907, et bientôt à la première guerre mondiale. Cependant en 1914 le gouvernement italien d’Antonio Salandra décide d’abord de rester neutre, puisque la Triplice n’était qu’un pacte défensif. L’Autriche tenait surtout à l’alliance avec l’Allemagne et acceptait très bien la neutralité italienne. En 1915, le Royaume de Bulgarie rejoint la Triplice. Mais dès 1902, l’Italie avait signé un accord secret de neutralité avec la France. * La Triple-Entente (France, Russie, Angleterre) : Convention militaire entre la France et la Russie (17 août 1892, puis alliance franco-russe du 27 décembre 1893 ; Entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni du 8 avril 1904 (Définition des zones d’influence concernant colonies) ; Convention anglo russe du 31 août 1907 (définition des zones d’influence en Afghanistan, Perse et Tibet). Le 14 septembre 1914, l’Italie quitte la Triplice, sur la foi des Alliés qui lui promettent des territoires qu’elle revendique (Trentin-Haut-Adige, côte adriatique orientale et Turquie). En avril 1915, Rome adhère à la Triple-Entente et le 24 mai l’Italie déclare la guerre à l’Allemagne. Plus tard, se joignirent à la Triple-Entente le Japon (août 1914), la Belgique (envahie par l’Allemagne), le Portugal (mars 1916), les Etats-Unis (avril 1917). Les alliances pendant la guerre à partir de 1915.Le déclenchement de la guerre est provoqué le 28 juin par l’assassinat à Sarajevo de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire austro hongrois et de son épouse la duchesse de Hohenberg par un nationaliste serbe, Gavrilo Princip, du groupe anarchiste Jeune Bosnie, qui voulait réaliser une « Grande Serbie » indépendante de l’Autriche. Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne déclarent la guerre à la Serbie. Mais la guerre était préparée de longue date : a) d’abord par les oppositions entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie sur les conquêtes coloniales ; b) par les oppositions entre la Russie et l’Allemagne sur l’expansion dans les Balkans et l’empire ottoman ; c) par l’opposition entre la France et l’Allemagne sur les problèmes économiques, et la volonté française de récupérer l’Alsace et la Lorraine, que les historiens considèrent généralement comme peu importante ; d) par « l’irrédentisme » italien (de « irredento » = non délivré, non libéré) (« redensi..redento » = racheter, libérer) qui veut récupérer des terres considérées comme italiennes et de langue italienne : le Trentin et le Tyrol du Sud, la Venezia Giulia, Trieste Fiume, et les anciens États de l’est de l’Adriatique (Istrie, Dalmatie, etc.) ayant appartenu à la République de Venise (auxquels le fascisme ajoutera Malte, la Corse, Nice, la Savoie et quelques îles de Grèce et de Slovénie) ; e) la course armements et aux fortifications que pratiquent depuis plusieurs années la France et l’Allemagne. Après tous les mouvements du XIXe siècle, il s’agit maintenant de se partager le monde ! L’irrédentisme italien s’inspirait surtout de la tradition du Risorgimento rattachée à Giuseppe Mazzini, d’orientation républicaine et anti impérialiste, renforcée par l’existence de « martyrs du Trentin », Guglielmo Oberdan, autonomiste triestin condamné à mort en 1882 par les Autrichiens, Cesare Battisti, socialiste jrrédentiste de Trento (qui dépendait alors de l’Autriche) pendu le 12 juilet 1916 pour trahison parce qu’il avait combattu dans les rangs de l’armée italienne, Fabio Filzi, pendu avec Battisti, Damiano Chiesa, de Rovereto, fusillé le 19 mai 1916, Nazario Sauro pendu le 10 août 1916. C’était donc un mouvement qui se battait pour l’achèvement de l’Unité italienne de 1860, un mélange complexe de nationalisme, d’impérialisme, de revendications républicaines mazziniennes et garibaldiennes, d’hostilité à l’Autriche, de sympathie pour la France républicaine et anti cléricale, d’idéologies modernistes et guerrières (les « Futuristes »).



II.- Le déclenchement de la guerre et les hésitations italiennes

– Après l’attentat de Sarajevo, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914 ; la Russie mobilise en faveur de la Serbie, et le 1er août l’Allemagne déclare la guerre à la Russie ; – En France, Jean Jaurès est assassiné le 31juillet par Raoul Villain ; après l’invasion de la Belgique et du Luxembourg, pays neutres, l’Allemagne déclare la guerre à la France, et le Royaume Uni déclare la guerre à l’Allemagne ; le 11 août, la France déclare la guerre à l’Autriche, l’Angleterre fait de même le 13 août ; du coup les colonies anglaises (Canada , Australie, Inde, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud) et les colonies françaises et belges déclarent aussi la guerre à l’Allemagne ; le 23 août, le Japon donne son appui à l’Angleterre et à la France ; le 1er novembre, l’empire ottoman se joint à l’Allemagne ; le 6 août , l’Autriche..Hongrie déclare la guerre à la Russie. Ainsi, le conflit devient pratiquement mondial, même si la guerre se jouera surtout en Europe. L’Italie décide de rester neutre ; elle ne se ralliera à la Triple-Entente qu’en 1915. Pourquoi hésite-t-elle ainsi pendant presque un an ?a) Membre de la Triple Alliance, l’Italie se rend compte qu’elle n’obtiendra pas les extensions territoriales qu’elle souhaite en Italie (« le terre irredente»). Elle déclare donc sa neutralité ; elle y est incitée par la prise de position du Vatican qui craint une guerre entre deux nations catholiques comme l’Italie et l’Autriche, et qui se prononce pour la paix : l’Autriche est la plus grande nation catholique, et il ne s’agit pas de la combattre, et l’Église catholique n’est pas favorable à la France républicaine anticléricale. En avril 1915, le ministre des Affaires Étrangères signe avec la France, sans vote du Parlement italien, le Pacte de Londres par lequel la Triple-Entente promet ces territoires à l’Italie en cas de victoire. La décision d’entrer en guerre fut prise en réalité par trois hommes, le roi, le président du Conseil Antonio Salandra et le ministre des Affaires Étrangères Sidney Sonnino, pris par son double jeu entre la France et la Prusse ; par ailleurs l’Italie est en situation de crise économique et d’agitation sociale parfois violente, que la guerre (que l’on prévoit courte) va peut-être permettre d’éviter. Ce qui est clair c’est que le gouvernement italien ne pense, comme les autres pays européens, qu’en termes impérialistes d’extension du territoire, plus que de satisfaction des désirs et des besoins du peuple italien. Cette hésitation est plutôt favorable à la France qui peut ainsi libérer ses armées du front italien et les reporter sur le front allemand. b) Car les Italiens sont divisés entre nationalistes interventionnistes et neutralistes, mais la grande majorité du peuple et des élus politiques est neutraliste, hostile à la guerre : * Neutralistes : L’Italie est plutôt soulagée par l’assassinat de François-Joseph qui lui était hostile. Elle constate alors que Vienne viole le pacte de la Triplice en envoyant un ultimatum à la Servie sans consulter l’Italie, contrairement au texte du pacte qui prévoyait une consultation avant toute intervention, et l’Italie s’était déjà opposée deux fois à des actions contre la Serbie. Mais l’Autriche veut en profiter pour régler le problème serbe et s’étendre dans les Balkans ; l’Italie n’a donc aucune raison de s’engager à ses côtés. Par ailleurs l’Italie dépend économiquement des nations de la Triple-Entente : par exemple 90% de son charbon est importé d’Angleterre. Le risque est grand : en cas de neutralité et de victoire allemande, l’Autriche aurait conservé Trente et Trieste et son hégémonie sur les Balkans. Trois courants sont opposés à la guerre : le Parti Socialiste italien, aligné sur les positions de la gauche européenne (sauf les socialistes allemands qui votent à l’unanimité les crédits militaires), les catholiques qui suivent la ligne du Vatican, et la majorité de la bourgeoisie libérale, sous l’influence de Giovanni Giolitti (1842-1928). C’était donc une coalition disparate, plus sensible 1) aux échecs de la politique coloniale de l’Italie en Tripolitaine et à ce que cela avait coûté à l’Italie, 2) au malaise social aggravé par les trafics des « requins » (« i pescecani ») de la finance dans les précédents conflits internationaux. * Interventionnistes : ils étaient largement minoritaires, mais très combatifs et souvent agressifs et violents. Ce furent d’abord les irrédentistes, fortement influencés par la droite nationaliste et par des intérêts économiques qui voyaient dans la guerre une belle source de profits et d’expansion vers les Balkans. Un certain nombre d’intellectuels nationalistes jouèrent un rôle important ; à leur têe, le poète Gabriele d’Annunzio (1863-1938), des poètes futuristes comme Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), des écrivains triestins comme Scipio Slataper (1888-1915), Carlo et Giani Stuparich (1891-1961), le toscan Enrico Corradini (1865-1931) : pour Corradini, les « nations prolétaires» doivent se libérer de la domination des « ploutocraties» anglaise et française, et le nationalisme est la lutte de classe menée au niveau international ; il est favorable à une politique extérieure impérialiste, colonialiste et expansionniste, et un des fondateurs de l’INI (Association Nationale Italienne) en 1910, qui se ralliera ensuite au fascisme. Le seul idéal de Corradini est la « grandeur » de l’Italie. Un des moments forts de l’interventionnisme fut le discours de D’Annunzio à Quarto près de Gênes le 5 mai 1915. (Sur l’histoire de l’irrédentisme, voir le site www.Treccani.it/enciclopedia/irredentismo). (Voir plus loin : documents). Une partie de la gauche du Parti Socialiste, soutenue par la franc-maçonnerie, rejoignit le mouvement interventionniste sur d’autres bases et avec d’autres perspectives, à commencer par Benito Mussolini (1883-1945), alors directeur du quotidien socialiste « l’Avanti », et qui fut exclu pour cela du PSI le 24 novembre 1914. Il était financé par des « avances publicitaires » fournies par l’état-major français et par un grand patron de la presse, Filippo Naldi (1886-1972), fondateur en 1914 de Il Popolo d’Italia, quotidien interventionniste dirigé par Mussolini et soutenu par les grands industriels italiens (Agnelli, les frères Perrone propriétaires de l’Ansaldo …), et par des hommes politiques et des financiers russes, anglais et français (Joseph Caillaux, Jules Guesde, Marcel Cachin …). Mussolini est aussi fondateur des « Faisceaux autonomes d’action révolutionnaire » ; très opportuniste, il sent qu’il peut faire là une nouvelle carrière, et lui qui était partisan de la neutralité change de position et défend l’interventionnisme (Voir son dernier article sur « l’Avanti » du 18 octobre 1914). Même Antonio Gramsci fut un temps hésitant entre la « neutralité absolue » prônée par le PSI et la position de Mussolini (voir son article du Grido del Popolo du 31 octobre 1914 : « Neutralité active et agissante », où il manifeste son désaccord avec l’article d’Angelo Tasca qui critiquait Mussolini). Enfin, se joignirent aux interventionnistes quelques démocrates-chrétiens en désaccord avec la majorité catholique, quelques modérés lombards (le Corriere della Sera). Les partisans de Garibaldi, dont deux petits-fils mourront pour la France à la bataille de l’Argonne, étaient aussi favorables au ralliement à l’Entente. Le gouvernement italien négocia d’abord avec l’Autriche et l’Allemagne, et Sonnino demanda l’annexion du Trentin et des îles dalmates, le report de la frontière à l’Isonzo et au-delà de Gorizia, la constitution d’un « État libre de Trieste » et la reconnaissance du droit de l’Italie sur l’Albanie. L’Allemagne aurait été favorable à ces demandes, mais l’Autriche s’y opposa. Les Italiens négocièrent donc parallèlement avec l’Entente, malgré les réticences russes, qui se battaient pour le droit des nationalités « yougoslaves ». Un Traité fut néanmoins signé le 26 avril 1915 à Londres : l’Italie déclarerait la guerre à l’Autriche et à ses alliés moyennant la promesse du Trentin, de l'Istrie, y compris Trieste, de la plus grande partie de la Dalmatie, de droits sur l’Albanie, et de possible extension des frontières coloniales en Érythrée, en Somalie et en Libye ; l’accord se fit aussi sur la non-admission des représentants du Pape aux négociations de paix. On se partageait le monde sur le papier … Sonnino laisse donc libre cours au déchaînement des manifestations interventionnistes. Le 3 mai 1915, il dénonce le Traité de la Triple Alliance. Vienne fait des concessions et les neutralistes giolittiens se manifestent vigoureusement dans la presse, mais une manœuvre parlementaire (fausse démission de Salandra) permet de faire voter par le Parlement les pleins pouvoirs au roi et au gouvernement qui déclare l’état de guerre avec l’Autriche le 24 mai et avec l’Allemagne le 28 mai.



III. - Le déroulement de la guerre

Désastres et victoires.L’Italie est très mal préparée à cette guerre impromptue : elle est faible économiquement et militairement, et la peuple italien a d’autres aspirations que de faire la guerre, même si la propagande des interventionnistes a ébranlé l’opinion. Et la guerre va durer trois ans et demi. Elle va cependant mobiliser plus de deux millions de soldats. La révolution industrielle mise en œuvre par Giolitti est encore récente, et la métallurgie n’a pas les bases nécessaires pour fabriquer rapidement un armement moderne. Il faudra attendre 1917 pour que des entreprises comme la Fiat augmentent suffisamment leur production. L’Allemagne était un fournisseur important de l’Italie, qui va bientôt manquer et de céréales et de matières premières. Cela va créer un climat social d’opposition très tendu : les prix montent, le pouvoir d’achat baisse (la croissance de la production n’est pas suivie par l’augmentation des salaires),le pain se fait rare (queues dans les boulangeries, etc.) ce qui provoque manifestations et grèves (émeute, barricades et grèves de Turin en août 1917, réprimées par la police et l’armée : une cinquantaine de morts, 200 blessés et 822 arrestations) ; les rapports sociaux sont parfois bouleversés, par exemple par l’entrée massive des femmes dans les usines, pour remplacer les hommes appelés au service militaire, ou par l’opposition de la classe moyenne interventionniste, écrasée entre la grande bourgeoisie que la guerre enrichit et les travailleurs accusés de se planquer dans les usines pour échapper au front militaire, et qui se bat contre toute augmentation des salaires ouvriers. Les nouvelles de la Révolution russe de 1917 augmenteront les troubles sociaux et l’opposition socialiste. Sur le plan militaire, l’Italie reste inférieure à l’Autriche : les équipements sont anciens (les pinces mises à disposition sont trop faibles pour couper les barbelés, et les soldats italiens se font tuer sur place faute de pouvoir avancer), l’artillerie lourde est très faible (les batteries de moyen calibre disposent de 36 coups par pièce), l’armée ne dispose que de quelques centaines de mitrailleuses ; la seule supériorité de l’Italie est le nombre de soldats, mais recrutés surtout dans la classe pauvre des paysans qui sont peu préparés à l’action militaire, peu instruits et peu entraînés (on les instruit dans le fonctionnement des bombes à main avec des jets de pierre). Par ailleurs, les cadres et le haut commandement sont insuffisants et médiocres, sous la direction du général Cadorna, peu favorable à l’entrée en guerre au côté de la France et très mauvais stratège, mais doté d’un pouvoir total dans cette caste militaire fermée et traditionaliste : on continue à s’intéresser à la taille des officiers et à l’affilage des lames de sabres et des pointes de lances ! Le front contre l’Autriche est enfin dans une région difficile de montagne (presque 700 kms de front montagneux), où la guerre de tranchées, dans la neige et le vent, sera très dure. Maurice Vaussard écrit dans son Histoire de l’Italie contemporaine (Hachette 1951, p. 126) : « Aucun des principaux États belligérants ne partait d’un niveau aussi bas de préparation militaire ; aucun n’avait à triompher sur le front de combat d’aussi graves difficultés naturelles, ajoutées aux problèmes techniques qui se posaient à tous ; aucun n’avait un potentiel aussi faible : trois ordres de faits que l’Italie finit par dominer ». Au départ, l’entrée en guerre des Italiens déconcerte les Autrichiens qui ne s’y attendaient pas et avaient peu de troupes sur la frontière italienne. Cadorna aurait pu atteindre Lubiana, la capitale actuelle de la Slovénie, en trois jours de marche forcée, mais il hésita ; les Autrichiens mobilisèrent alors dans leurs rangs les hommes de la région de Trieste, qui se battirent vigoureusement contre l’armée italienne en attendant les renforts de l’armée autrichienne. Les Triestins sont massacrés, mais ils résistent, et ne seront ensuite pas reconnus par l’Italie, ignorés et méprisés : des Italiens (et dalmates et istriens) avaient dû combattre d’autres italiens : le fascisme interdit qu’on parle de ce « 97e régiment » qui a pourtant marqué » la mémoire des Triestins.Cadorna lance 11 offensives entre 1915 et 1916, mais il arrive avec peine à reprendre Gorizia, qui n’avait aucun intérêt stratégique, et en mai le général autrichien reprend l’offensive et enfonce le front italien ; en août 1916, Cadorna réussit à reprendre Gorizia, au prix de pertes énormes : la bataille du 4 au 17 août se traduit par 49.475 soldats et 1759 officiers italiens tués et 39.285 soldats et 862 officiers autrichiens, et ne déplace la ligne de front que de quelques centaines de mètres. Cela fut à l’origine d’un roman célèbre d’Emilio Lussu, Un anno sull’altipiano (Traduction française : Les hommes contre, Denoël, 2005) et d’une chanson populaire anonyme, que les soldats avaient interdiction de chanter, mais qui devint un succès international (O Gorizia)




Paroles des chansons

Italien – O Gorizia

La mattina del cinque di agosto
si muovevano le truppe italiane
per Gorizia, le terre lontane,
e dolente ognun si partì.

Sotto l’acque che cadeva a rovescio
sgrandinavano le palle nemiche;
su quei monti, colline e gran valli
si moriva dicendo così:

« O Gorizia tu sei maledetta
per ogni cuore che sente conscienza! »
Dolorosa ci fu la partenza
e il ritorno per molti non fu.

O vigliacchi che voi ve ne state
con le mogli sui letti di lana,
scherinitori di noi carne umana,
questa guerra ci insegna a punir.

Voi chiamate il campo d’onore
questa terra di là dei confini;
qui si muore gridando « Assassini! »
Maledetti sarete un dì.

Cara moglie, che tu non mi senti,
raccomando ai compagni vicini
di tenermi da conto i bambini
che io muoio col suo nome nel cuor.

O Gorizia tu sei maledetta
per ogni cuore che sente conscienza!

Français – Ô Gorizia

Le matin du cinq août
se mettaient en marche les troupes italiennes
vers Gorizia, les terres lointaines,
et chacun partit en souffrant.

Sous les eaux qui tombaient à verse
tombaient en grêle les balles ennemies ;
sur ces monts, ces collines et ces grandes vallées
on mourait en disant :

« Oh Gorizia tu es maudite
pour tous les cœurs qui ont une conscience ! »
Le départ fut douloureux
et pour beaucoup il n’y eut pas de retour.

Oh lâches, vous qui restez
avec vos femmes sur vos lits de laine,
qui vous moquez de nous, la chair humaine,
cette guerre nous apprend à punir.

Vous appelez « champ d’honneur »
cette terre au-delà des frontières ;
ici l’on meurt en criant « Assassins ! »
Un jour vous serez maudits !

Chère femme, toi qui ne m’entends pas,
je recommande à mes camarades proches
de s’occuper de mes enfants
car je meurs avec leur nom dans le cœur.

Ô Gorizia tu es maudite
pour tous les cœurs qui ont une conscience !




(Voir l’ouvrage de Virgilio Savona et Michele Straniero, Canti della Grande Guerra, Garzanti, 1981, 2 vol.)




Le 18 juin 1916, Salandra est renversé et remplacé par un ministère d’union nationale (comprenant même 2 socialistes réformistes, Ivanoe Bonomi et Leonida Bissolati, et un catholique, Filippo Meda) de Paolo Boselli (1838-1932) qui dura jusqu’au 30 octobre 1917, et qui continua à faire confiance à Cadorna. À l’automne, de nouvelles offensives italiennes sont bloquées par les Autrichiens sur l’Isonzo, provoquant des dizaines de milliers de morts. L’année 1917 connaît une grande crise morale, une forte poussée pacifiste, accentuée par la note du pape Benoît XV « pour une paix juste et durable » du 1er août 1917. Les insuccès militaires confortent l’opposition à une guerre impopulaire : les troupes austro-allemandes enfoncent le front italien, et Cadorna doit se retirer sur le Piave après sa défaite sur l’Isonzo à Caporetto dans la bataille du 24 octobre au 9 novembre 1917. Les Austro Allemands d’Otto von Bellow attaquent par de forts tirs d’artillerie, l’usage de gaz toxiques, de grenades et de lance-flammes ; les Italiens laissent près de 200.000 morts, 265.000 prisonniers, 3200 canons (la moitié de leur artillerie), 3000 mitrailleuses, 300.000 fusils, 73.000 animaux de bât et d’importants stocks de vivres. Cependant les troupes italiennes se défendent avec courage, et parviennent à constituer une nouvelle ligne de front et à résister sur le Monte Grappa (L’ossuaire militaire du Monte Grappa regroupe les restes de 22.910 soldats italiens et autrichiens, souvent anonymes). Cadorna avait attribué la défaite de Caporetto à la lâcheté et au « défaitisme » des soldats ; la cause de la défaite est ailleurs, dans l’anéantissement d’un régiment par les gaz autrichiens et dans le manque d’intervention du haut commandement qui laissa les troupes sans ordres précis (incapacité de Cadorna qui se contentait de faire la comptabilité des soldats vivants, morts et blessés). Les forces franco-anglo-américaines (les États-Unis interviennent dans la guerre à partir de mars 1917 et de mai 1918) viennent renforcer l’armée italienne, et la défaite provoque un sursaut étonnant dans la population. Curzio Malaparte évoque cette période dans Viva Caporetto republié sous le titre de La révolte des saints maudits (1921, traduction française aux Belles Lettres, 2012) ; Ernest Hemingway a décrit cette bataille dans l’Adieu aux Armes (1929), et Alessandro Baricco dans Cette histoire-là (2005, traduction chez Gallimard).Le gouvernement Boselli tombe le 25 octobre 1917 ; il est remplacé par Vittorio Emanuele Orlando (1860. 1952) jusqu’au 23 juin 1919. Le 8 novembre 1917, Orlando remplace Cadorna par le général Armando Diaz (1861-1928), qui organisa la résistance sur le Piave et le Monte Grappa, réorganisa l’armée italienne, évitant les répressions et les brutalités inhumaines de Cadorna.Le Piave devint la ligne de résistance et reste un mythe dans l’histoire italienne. Tellement que, en 1918, Gabriele D’Annunzio proposa que l’on transforme son nom : il s’appelait « LA Piave », mais un lieu de combat devait avoir un nom masculin et on l’appela « IL » Piave (comme La Brenta devient Il Brenta, etc. Honneur aux hommes !!). E. A. Mario (1884-1961) écrivit aussitôt une chanson qui contribua à entretenir le moral des troupes et de la nation, qui devint un classique et fut même l’hymne officiel de la République italienne entre 1943 et 1946, remplacé ensuite par l’hymne de Mameli, qui ne devint hymne définitif que le 17 novembre 2005 par le vote du Sénat : (titre de la chanson 2) La leggenda del Piave (1918)

Italien – La leggenda del Piave

Il Piave mormorava calmo e placido al passaggio
dei primi fanti il ventiquattro maggio ;
l'esercito marciava per raggiunger la frontiera
per far contro il nemico una barriera !

Muti passaron quella notte i fanti,
tacere bisognava e andare avanti.
S'udiva intanto dalle amate sponde
sommesso e lieve il tripudiar de l'onde.

Era un presagio dolce e lusinghiero.
Il Piave mormorò: "Non passa lo straniero!"

Ma in una notte triste si parlò di un fosco evento
e il Piave udiva l'ira e lo sgomento.
Ahi, quanta gente ha visto venir giù, lasciare il tetto,
poiché il nemico irruppe a Caporetto.

Profughi ovunque dai lontani monti,
venivano a gremir tutti i suoi ponti.
S'udiva allor dalle violate sponde
sommesso e triste il mormorio de l'onde.

Come un singhiozzo in quell'autunno nero
il Piave mormorò: "Ritorna lo straniero!"

E ritornò il nemico per l'orgoglio e per la fame
volea sfogare tutte le sue brame,
vedeva il piano aprico di lassù: voleva ancora
sfamarsi e tripudiare come allora!

No, disse il Piave, no, dissero i fanti,
mai più il nemico faccia un passo avanti!

Si vide il Piave rigonfiar le sponde
e come i fanti combattevan l'onde.
Rosso del sangue del nemico altero,
il Piave comandò: "Indietro va', o straniero!"

Indietreggiò il nemico fino a Trieste fino a Trento
e la Vittoria sciolse l'ali al vento!

Fu sacro il patto antico, tra le schiere furon visti
risorgere Oberdan, Sauro e Battisti!

Infranse alfin l'italico valore
le forche e l'armi dell'Impiccatore!

Sicure l'Alpi, libere le sponde,
e tacque il Piave, si placaron l'onde.

Sul patrio suolo vinti i torvi Imperi,
la Pace non trovò né oppressi, né stranieri!

Français – La légende du Piave

Le Piave murmurait calme et paisible au passage
des premiers fantassins le vingt-quatre mai ;
l’armée marchait pour rejoindre la frontière
pour faire une barrière contre l’ennemi !

C’est en silence que les fantassins passèrent cette nuit,
car il fallait se taire et aller de l’avant.
On entendait de temps en temps depuis les rives aimées
tout bas et léger l’exultation des eaux.

C’était un présage doux et flatteur.
Le Piave murmura : « L’étranger ne passe pas ! »

Mais une nuit triste on parla d’un sombre événement
et le Piave entendait la colère et l’effroi.
Ah, que de gens il a vu descendre, quitter leur toit,
parce que l’ennemi fit irruption à Caporetto.

Partout des réfugiés depuis les monts lointains,
venaient remplir tous ses ponts.
On entendait alors depuis les rives violées
bas et triste le murmure des eaux.

Comme un sanglot dans cet automne noir
le Piave murmura : « Il revient l’étranger »

Et l’ennemi revint par orgueil et par faim
il voulait se passer toutes ses convoitises,
il voyait la plaine ensoleillée de là-haut : il voulait encore
se rassasier et exulter comme alors !

Non, dit le Piave, non, dirent les fantassins,
que jamais plus l’ennemi ne fasse un pas de plus !

On vit le Piave faire gonfler ses rives,
et comme les fantassins les eaux combattaient.
Rouge du sang de l’ennemi hautain,
le Piave commanda : « Recule, oh étranger ! »

L’étranger recula jusqu’à Trieste, jusqu’à Trente
et la Victoire délia ses ailes au vent !

Il fut sacré le pacte ancien, et dans les troupes on vit
revenir Oberdan, Sauro et Battisti !

La valeur italique brisa enfin
les fourches et les armes du Bourreau !

Sûres furent les Alpes, libres les rives
et le Piave se tut, ses eaux s’apaisèrent.

Sur le sol de la Patrie, les torves empires vaincus,
la Paix ne trouva ni opprimés ni étrangers !

La première version de E.A. Mario comportait des vers différents de la seconde strophe : « Ma in una notte trista si parlò di tradimento …/ … Per l’onta consumata a Caporetto » : c’était l’idée alors répandue par les autorités qu’il y avait eu « trahison » et que c’était une « honte », débandade des soldats, trahison du haut commandement (ou des soldats eux-mêmes ?), et cela provoqua de violentes critiques des anciens combattants que le fascisme partagea, modifiant le texte comme ci-dessus, en 1929.En juin 1918, les Autrichiens décident d’en finir avec le front italien et mènent une offensive dans la région d’Asiago. Mais Diaz, qui a su attendre l’arrivée de troupes américaines et l’aide française (Voir la bibliographie), les bloque, prend l’offensive avec 58 divisions contre 73 autrichiennes, et prend Vittorio Veneto le 29 juin. La Bataille dite « du Solstice », du 13 au 22 juin, coûta 84.600 morts aux Italiens et 149.000 aux Autrichiens. C’est le début du reflux des Autrichiens : les Italiens arrivent à Trento le 3 novembre, et l’Autriche capitule le 4 novembre à la Villa Giusti, résidence de Victor-Emmanuel III. À la fin de la guerre Diaz fut élu sénateur, et reçut le tire de « Duca della Vittoria ». Les soldats italiens se sont bien battus, maintenant qu’ils étaient encadrés plus solidement. Il faut signaler aussi les interventions de l’aviation qui contribua à démoraliser l’armée autrichienne en jetant des tracts jusqu’à Vienne (entreprises de D’Annunzio, pilote de guerre efficace).



IV.- Conséquences de la guerre : crise, développement du nationalisme, fascisme au pouvoir

Les Italiens ont eu environ 750.000 morts entre civils et militaires (la Russie 1.700.000, la France 1.357.800, l’Empire Britannique 908.371, la Roumanie 325.706, les USA 126.000, la Serbie 45.000, la Belgique 13.715, le Japon 300 ; l’Allemagne 1.773.700, l’Autriche-Hongrie 1.200.000, la Turquie 325.000 et la Bulgarie 87.500. Le total = 8.638.315 morts). Il faut y ajouter près d’un million de blessés, dont 220.000 mutilés, et des millions de personnes marquées par les horreurs des tranchées, des bombardements, des deuils, sans qu’il soit évident pour tous que cela était nécessaire pour la « patrie » que rien ne menaçait, et alors que la guerre avait enrichi une poignée d’impérialistes interventionnistes : en deux ans le capital de l’ILVA (sidérurgie) est passé de 30 à 300 millions, ainsi que celui de sa rivale, l’Ansaldo (8000 ouvriers en 1914, 56.000 en 1918) ; la Fiat, qui a assuré 50% de l’équipement de l’armée italienne (véhicules, moteurs d’avion et de sous-marins, etc.) passe de 3251 véhicules en 1913 à 16.552 en 1918 (176 véhicules par jour), puis 24.000 en 1924, de 4300 ouvriers en 1913 à 36.000 en 1918, et Agnelli devient le « Napoléon de l’industrie automobile européenne ». Les industries chimiques (Montecatini), les fabriques de pneus (Pirelli), les fabriques de vêtements et de chaussures pour l’armée prospèrent. Mais cette croissance est fragile, car son maintien aurait supposé le développement d’un grand marché intérieur (automobiles, textiles, etc.) ; or l’économie intérieure est en ruines : l’agriculture a diminué (les paysans étaient au front), la production de blé passe de 5,6 millions de tonnes en 1913 à 3,7 millions en 1917, d’où la nécessité d’importer et un plus grand déficit de la balance commerciale (2 milliards de lires en 1915, 5,6 milliards en 1916, 10,683 en 1917 et 12, 694 milliards en 1918) ; les impôts ont augmenté pour financer la production de guerre payée par l’État, les emprunts ont fait monter l’inflation de façon vertigineuse, les prix grimpent. Qui paie ? La paysannerie qui a fourni la majorité des soldats, ce qui a ruiné l’agriculture et accru la différence entre le nord industriel et le sud agricole, et la petite bourgeoisie, qui s’est appauvrie au profit des « requins » de la grande industrie, et qui critique les ouvriers « planqués » dans les usines d’industries de guerre, alors que c’est de cette classe que sont sortis la plupart des sous officiers et officiers qui sont maintenant méprisés et insultés par la population, souvent avec l’approbation des ex-neutralistes (socialistes), et le fascisme en profitera et trouvera dans cette classe sociale une partie importante de ses militants ; en tout cas le mécontentement populaire est grand. Plusieurs des promesses faites au début de la guerre ne furent pas tenues. Sonnino avait déjà négocié les application de l’accord de Londres pour l’Italie lors de la conférence de Saint-Jean-de-Maurienne les 19 et 20 avril 1917, en l’absence de la Russie prise par ses problèmes intérieurs. Mais la défaite de Caporetto, l’entrée en guerre des Etats-Unis et la révolution en Russie ont changé la donne, et on arrive à l’idée dominante de détruire l’empire austro-hongrois, donc à donner satisfaction à toutes les minorités, y compris les minorités slaves, ce qui allait à l’encontre des revendications italiennes. Comme dit René Bondois (Cahiers d’histoire, N° 38, Juillet 1964, p. 130), « La monarchie italienne a donc confirmé le choix déjà fait avant 1914, celui de proposer comme but final à la nation un impérialisme agressif, destiné à assurer des succès de prestige, – et cela malgré les échecs déjà subis, les dangers qu’une telle politique représentait, et les difficultés qu’il y avait à la mener ». Mais cette politique d’expansion reposait sur des rapports de forces, et l’Italie n’avait sans doute pas les moyens nécessaires pour s’imposer (difficultés économiques et problèmes sociaux graves : misère, chômage, sous-emploi, déséquilibre politique aggravé par l’octroi du suffrage universel masculin en 1912 et par la poussée des forces nationalistes aventuristes). Une partie de la coalition, Etats-Unis en tête, limitèrent donc les revendications italiennes. L’armistice de 1918 ordonne l’évacuation de tous les territoires accordées à l’Italie dans les accords de Londres : les revendications « irrédentistes » étaient satisfaites, même si cette conquête de Trente et de Trieste avait coûté plus à l’Italie que toutes les guerres d’indépendance de 1859-1860. L’Italie n’avait réussi que dans la réalisation d’une politique de puissance égale à celle des autres États européens, mais pas dans la réalisation d’une meilleure démocratie.La conférence de Paris du 19 janvier 1919, d’où étaient exclues les puissances vaincues, donna lieu au traité de Saint-Germain qui démembra l’Empire des Habsbourg et accorda à l’Italie le Trentin et le Haut Adige, Trieste et l’Istrie, mais ni Fiume ni la Dalmatie, à cause de l’opposition du Président Wilson, ni l’octroi d’avantages africains et moyen-orientaux. Cela provoqua l’échec d’Orlando qui fut renversé par la Chambre le 19 juin 1919 et remplacé par Francesco Saverio Nitti (1858-1963) jusqu’au 21 mai 1920, suivi de Giovanni Giolitti du 15 juin 1920 au 4 juillet 1921, de Ivanoe Bonomi du 4 juillet 1921 au 26 février 1922, et de Luigi Facta du 26 février au 31 octobre 1922, qui laissera la place à Benito Mussolini jusqu’au 25 juillet 1943 : l’instabilité politique va donc suivre, et le fascisme. Par ailleurs les promesses faites aux paysans soldats (don de terres promis après Caporetto et prime de 5000 lires) furent oubliées. Enfin la tentative d’occupation des terres par les « braccianti » et de révolution ouvrière dans les usines fut un échec (voir notre dossier de 2012 sur Antonio Gramsci), et les grands propriétaires fonciers alliés au grand patronat commencent à financer les groupes paramilitaires du fascisme.Cela développe le thème de la « victoire mutilée » et de l’Italie « nation prolétaire » brimée par « l’impérialisme bancaire étranger », malgré tous les sacrifices acceptés par les Italiens ; les nationalistes et les interventionnistes de gauche appuyèrent donc l’initiative de Gabriele D’Annunzio, grand poète et héros militaire, de reconquérir Fiume qu’il occupe avec une troupe de volontaires en septembre 1919 jusqu’en décembre 1920, date à laquelle il est délogé par l’armée italienne. Mussolini commence alors à structurer son parti. Le fascisme est proche.La Société des Nations fut fondée le 28 avril 1919.



DOCUMENTS :

1) Discours de Gabriele D’Annunzio du 13 mai 1915 : « Compagnons, ce n’est plus le temps de parler mais de faire, ce n’est plus le temps des discours mais des actions et des actions romaines. S’il est considéré comme un crime d’inciter les citoyens à la violence, je me vanterai de ce crime, je le prendrai sur moi seul. Si au lieu d’alarmes je pouvais jeter des armes aux hommes résolus, je n’hésiterais pas ; et il ne me semble pas que j’en aurais des remords.Tout excès de force est permis, s’il sert à empêcher que la Patrie se perde. Vous devez empêcher qu’une poignée de lèche-culs et de fraudeurs parvienne à souiller et à perdre l’Italie. La loi de Rome absout toutes les actions nécessaires. Écoutez-moi. Comprenez-moi. La trahison est aujourd’hui manifeste. Nous n’en respirons que l’horrible odeur, mais nous en sentons déjà tout le poids honteux. La trahison s’accomplit à Rome, dans la ville de l’âme, dans la ville de la vie ! Dans votre Rome on tente d’étrangler la patrie avec un licou prussien manié par ce vieux bourreau aux grosse lèvres(1) dont les talons de fuyard connaissent la route de Berlin. C’est à Rome que s’accomplit l’assassinat. Et si je suis le premier à le crier, et si je suis le seul, de ce courage vous me tiendrez compte demain.([1) Le « vieux bourreau » est Giovanni Giolitti qui avait une grosse lèvre inférieure. Il est ici accusé de s‘être accordé avec les Allemands. La « fuite à Berlin » fait allusion au scandale de la Banque de Rome, où Giolitti fut accusé de ne pas avoir déféré à la justice l’administration de la banque après la découverte des fraudes. Il dut démissionner le 23 novembre 1893 et aller à l’étranger. Son innocence fut ensuite reconnue. Mais qu’importe … Votre sang crie. Votre révolte rugit. Finalement vous vous souvenez de votre origine !Votre histoire s’est-elle faite dans les boutiques des fripiers et des chiffonniers ? Les balances de votre justice croulaient-elles peut-être de l’étalage où était posé un quignon à écraser , un os à ronger ? Votre Capitole était-il un banc de tricheurs et de trompeurs ? La gloire s’y montrait- elle et y babillait- elle comme une marchande ambulante ? Pas d’os, pas de quignons, pas de haillons, pas de concussions, pas d’escroqueries. Cela suffit ! Renversez les bancs ! Brisez les fausses balances ! Cette nuit pèse sur nous le destin romain ; cette nuit pèse sur nous la loi romaine. Notre sort ne se mesure pas à l’aune du mercier, mais avec une longue épée.C’est pourtant avec le bâton et avec la claque, avec le coup de pied et le coup de poing que se mesurent les complices et les entremetteurs, les pique-assiettes et les lèche pattes de l’ex-chancelier allemand … Cette valetaille de basse main craint les coups, elle a peur des frappes, elle est épouvantée par le châtiment corporel. Je vous les recommande. Je voudrais pouvoir dire : je vous les remets. Les plus batailleurs d’entre vous auront les remerciements de la ville et de la santé publique. »

2) La guerre comme « fatalité » et comme loi humaine. Pour D’Annunzio, la guerre était « fatalité et loi de l’histoire romaine ». On peut rappeler aussi la théorie des poètes futuristes, dès le Manifeste de Marinetti en 1909 : «1. Nous voulons chanter l’amour du danger, l’habitude de l’énergie et de la témérité. ..3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fièvreuse, le pas de gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing. … 7. Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d’œuvre sans caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l’homme. … 9. Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme ».

3) Le neutralisme de Giovanni Giolitti. « J’avais la conviction que la guerre serait longue, et je manifestais librement cette conviction à tous mes collèges de la Chambre. À qui me parlait d’une guerre de trois mois, je répondais qu’elle durerait au moins trois ans, parce qu’il s’agissait de vaincre les deux Empires militairement les plus organisés du monde, qui depuis plus de quarante ans se préparaient à la guerre, qui avaient une population de plus de cent vingt millions et qui pouvaient appeler sous les armes jusqu’à vingt millions d’hommes ; que l’armée de l’Angleterre, de formation nouvelle, ne serait efficace, comme déclarait le gouvernement anglais lui-même, qu’en 1917 ; que notre front, tant vers le Carso que vers le Trentin, présentait des difficultés formidables. J’observais d’autre part que, étant donné l’énorme intérêt de l’Autriche d’éviter la guerre avec l’Italie, et la petite partie que représentaient les Italiens « irredenti » dans un Empire de cinquante-deux millions d’habitants, il y avait les plus grandes probabilités que des tractations bien menées finissent par conduire à un accord. De plus, je considérais que l’Empire austro-hongrois, à cause des rivalités entre l’Autriche et la Hongrie, et surtout parce qu’il était miné par la rébellion des nationalités opprimées, slaves du sud et du nord, polonais, tchèques, slovènes, roumains, croates et italiens, qui en formaient la majorité, était fatalement destiné à se dissoudre, auquel cas la partie italienne s’unirait pacifiquement à l’Italie. En outre, il me paraissait douteux que cet empire puisse résister à une guerre de plusieurs années. À l’intervention des Etats-Unis, qui fut la vraie cause déterminante d’une victoire rapide, personne ne pensait alors et ne pouvait y penser … Je considérais encore que la guerre prenait déjà alors le caractère d’une lutte pour l’hégémonie du monde entre les deux plus grandes puissances belligérantes, tandis qu’il était de l’intérêt de l’Italie de maintenir l’équilibre européen, ce à quoi elle pouvait concourir seulement en conservant ses forces intactes » (Mémoires de ma vie, 1922). BIBLIOGRAPHIE : * Vous pouvez écouter l’émission du 14 janvier 2013 sur sur ce sujet, très sommaire (28’) et malheureusement ponctuée de « euh euh » à toutes les phrases, et marquée par une belle ignorance de la prononciation italienne ! Consultez plutôt le site italien www.arsbellica.it/pagine/contemporanea/Piave.hmtl sur les batailles du Piave, avec de nombreuses cartes. Voyez aussi le site : demémoire.gouv.fr/les français en Italie. Évocation des Français qui ont combattu en Italie en 1917-1918. Ou sur Wikipedia.org le site : « catégorie : histoire militaire de l’Italie ».

[MàJ du 22/07/2017 Carlo Salsa, Tranchées. Confidences d’un soldat d’infanterie (Trincee. Confidenze di un fante), Les Belles Lettres, Mémoires de guerre, 310 pages, 23€, 2017, à partir du 14 septembre. C’est un grand texte sur la guerre de 1914-18, publié en 1924, interdit en 1932 par le fascisme, republié dans les années 1980 ; il dit ce qu’a vraiment été la guerre pour les soldats, une absurdité, une horreur accrue par l’incompétence ou l’indifférence de beaucoup d’officiers (lui-même - 1893-1962 - était lieutenant et près de ses hommes, comme Emilio Lussu) ; il parle surtout des difficutés de la guerre en montagne, la principale pour les Italiens.]

* Lisez : L’histoire de l’Italie des origines à nos jours, de Pierre Milza (Collection « Pluriel », Arthème Fayard, 2013, 1098 pages, 15€), plutôt bien faite.L’Italie en guerre - 1915-1918 de Jean-Pierre Verney, Enzo Berrafato et Laurent Berrafato (Soteca, 2013, 18,99€)*Lisez surtout les romans indiqués dans le texte ci-dessus, Hemingway, Malaparte, Baricco, Emilio Lussu, qui vous diront le déroulement concret de la guerre pour les soldats.

→ Accéder au PDF du colloque