Depuis la seconde guerre mondiale




De 1945 à 1992

Licio Gelli, au centre des actes fascistes depuis 1942

L’Italie de 1945 à 1992 - Histoire d’un « compromis historique »

I. -1943-45 : Écroulement du fascisme et fin de la guerre

II. - 1945-1948 : Comment reconstruire l’Italie ? Instauration de la République

III. - 1948-1974 : Le triomphe de la DC et de l’économie libérale dans la reconstruction de l’Italie. Le « miracle économique » et la création d’une « bourgeoisie d’État ».


L’Italie de 1992 à aujourd’hui Où va l’Italie ?

Début

Suite

Fin



Licio Gelli, au centre des actes fascistes depuis 1942


Le 15 décembre au soir, Licio Gelli est mort à 96 ans dans sa maison d’Arezzo. Il était lié à toute l’histoire de l’Italie républicaine et au mystère de tous les scandales politiques en rapport avec les crimes fascistes.Il était né à Pistoia en 1919, fils d’un propriétaire foncier de Montale. Dès 1937, il s’engage dans les troupes fascistes qui vont combattre contre les Républicains espagnols avec Franco ; revenu en Italie en 1939, il raconte ses aventures de guerre dans l’hebdomadaire fasciste de Pistoia et dans un premier livre, Fuoco. Bien que n’ayant que son certificat d’études, il devient employé des GUF (Jeunesses universitaires fascistes).En juillet 1942, il est Inspecteur du PNF (Parti National Fasciste), et il est chargé de transporter en Allemagne le trésor du roi de Yougoslavie, 60 tonnes d’or, monnaies précieuses, etc. En 1947, quand l’Allemagne restitue ce trésor, on s’aperçoit qu’il en manque 20 tonnes : Gelli se les est-il appropriées ? On en retrouve en tout cas une partie dans sa villa… Il adhère à la République de Salò en 1943, mais il devient partisan antifasciste quand il voit que la guerre tourne au désastre du fascisme, et joue le double jeu de distribuer aux partisans des laissez-passer qu’il obtient de ses anciens amis nazis. Il se marie à Pistoia en 1944.Après la guerre, il semble avoir été enrôlé par la CIA sur recommandation des services secrets italiens. En 1956, il est directeur d’une entreprise de Frosinone, centre de réunion de ministres, hommes politiques, généraux, et de 1948 à 1958, il est assistant parlementaire d’un député démocrate-chrétien.Il devient franc-maçon en 1963, et il est très vite « Maître Vénérable » de la loge Propaganda 2 (P2) où s’engagent environ un millier de personnalités politiques, militaires, judiciaires, policières, etc. qui ont le même projet de « renaissance démocratique » par l’arrestation et l’élimination de toutes les personnalités de gauche, dont le Président de la République Giuseppe Saragat : ce fut le coup d’État manqué, le « Golpe Borghese ». Gelli est aussi accusé d’être un des responsables du plan « Gladio » fomenté par la CIA pour éliminer les communistes de la sphère politique italienne et européenne.En 1980, il est nommé comte par l’ex-roi Humbert II. On ne découvrit la liste des membres de la P2 qu’en 1981, durant les perquisitions effectuées dans sa villa et dans son entreprise sur ordre des juges Colombo et Turone ; on s’aperçoit alors que parmi les membres il y avait tous les responsables des services secrets italiens, et des personnages comme Silvio Berlusconi et Victor Emmanuel de Savoie. Le GOI (Grand-Orient d’Italie) expulse Gelli de l’ordre maçonnique. Gelli prend la fuite, est arrêté à Genève et réussit à s’évader de sa prison pour se réfugier en Amérique du Sud ; il ne se rend qu’en 1987. La P2 fut un scandale national quand on s’aperçut que les plus hautes charges de la République étaient occupées par des membres de la P2.Gelli est aussi impliqué dans tous les grands scandales qui marquent l’histoire de la République, le massacre de Bologne en 1980 exécuté par des fascistes mais dont il a été souvent considéré comme le mandataire, l’affaire du Banco Ambrosiano de 1982 à propos duquel il est condamné à 12 ans de prison en 1994 (la Banque était liée à l’IOR, L’institut pour les Œuvres de Religion, la banque du Vatican) ; on a retrouvé dans la villa de Gelli deux millions de dollars en lingots d’or ; il était compromis avec le banquier frauduleux Michele Sindona, avec le Président d’Argentine au moment de la dictature, avec Silvio Berlusconi, etc. Il était un des 126 inculpés du procès de Palmi de 1995 pour compromission avec la mafia.Depuis 2001 il était aux arrêts dans sa villa Wanda d’Arezzo, où il est mort, après avoir encore été condamné à une amende pour une fraude fiscale de 17 millions d’euros. Ce beau personnage était cependant titulaire d’une quantité de médailles et de titres de la République italienne !Il disait encore en 2009 : « Dans ce pays, il n’y a qu’un personnage charismatique qui puisse vraiment le guider : Silvio Berlusconi ». Ce personnage était adhérent de la Loge P2 depuis 1974, l’année de naissance de la Fininvest, l’off shore de Berlusconi financé par le Banco Ambrosiano de Roberto Calvi ! J.G. 24 décembre 2015



L’Italie de 1945 à 1992Histoire d’un « compromis historique»


I. -1943-45 : Écroulement du fascisme et fin de la guerre

1) 10 juillet 1943 : débarquement des Alliés en Sicile. de Rome le 19/07.

Crise interne : Grèves lancées par les militants du PCI contre l’alliance avec l’Allemagne nazie (le Pacte d’Acier avait été signé le 22 mai contre la défaite militaire (Grèce, etc.) et contre la crise économique qui en est la conséquence.

Crise politique : Pietro d’Acquarone, Conseiller politique du Roi, et les militaires, qui étaient fidèles au Roi, conseillent d’éliminer le régime fasciste.

25 juillet 1943 : le Grand Conseil fasciste décide de la démission et de l’arrestation de Mussolini, et de la nomination du Maréchal Badoglio comme Premier Ministre. C’est la fin du fascisme, marqué par une grande joie populaire. La milice fasciste est aussitôt intégrée dans l’armée italienne.


2)* Le premier gouvernement Badoglio

(25/07/1943-22/04/1944)

Le premier gouvernement Badoglio est un gouvernement de techniciens (2 préfets, 6 fonctionnaires et 2 conseillers d’État) et de militaires (6 généraux), soutenu par les Alliés, dans le but : 1. de maintenir la monarchie, et de sauver l’Italie d’une éventuelle révolution bolchevique (retentissante interview de Churchill, qui montre que le fascisme a sauvé l’Italie de la révolution en 1922) ; 2. de sortir du conflit : l’Italie se détache de l’alliance avec l’Allemagne et signe secrètement avec les Alliés l’armistice du 8 septembre 1943. Cela a deux conséquences : a) L’Italie est coupée en deux, le Nord et le Centre occupés par l’armée allemande, le Sud occupé par les Alliés ; b) l’armistice est resté secret, l’armée n’a pas été informée tout de suite, et le Roi a fui au Sud. Certains régiments résistent à l’armée allemande et sont massacrés, d’autres (640.000) sont faits prisonniers.

* Le 12 septembre 1943, Mussolini, emprisonné dans les Abruzzes, est libéré par un commando de SS allemands, et part dans le Nord pour fonder la R.S.I. (République Sociale Italienne, de Salò, sur le bord ouest du lac de Garde). On appelle ses partisans les « repubblichini » (diminutif !). La Résistance militaire s’organise, c’est la guerre civile, d’une violence et d’une cruauté extrêmes (les résistants sont considérés comme « terroristes » et pendus ou fusillés sans jugement dès qu’ils sont faits prisonniers).

* La Résistance est dirigée par six partis : a) les modérés promonarchistes : Démocratie Chrétienne (DC), fondée en 1942 avec des chrétiens plus progressistes (Alcide De Gasperi, Dossetti) et des conservateurs (Luigi Gedda, militant de l’Action Catholique) ; Parti Libéral Italien (PLI), fondé en 1943 par Benedetto Croce. b) Les Républicains laïques hérités de Mazzini et Garibaldi, le Parti Républicain Italien (PRI), dirigés par Randolfo Pacciardi, les frères Rosselli, Pietro Gobetti. c) Les antifascistes révolutionnaires et républicains, le Parti Communiste Italien (PCI), dirigé par Palmiro Togliatti, et Luigi Longo, allié au Parti Socialiste italien d’Unité Prolétarienne (PSIUP), dirigé par Pietro Nenni, Lelio Basso et Giuseppe Saragat, le Parti d’Action, ressuscité en 1942 du groupe de Résistance « Giustizia e Libertà », après la brève existence du parti de Mazzini, républicain et socialiste, dirigé par Ferruccio Parri, Vittorio Foà, Emilio Lussu.

Ces partis formèrent des groupes de résistants très divisés et souvent opposés (voir le roman de Fenoglio, Il partigiano Johnny) ; ils étaient réunis dans le Comité de Libération Nationale (C.L.N. ) à partir du 9 septembre 1943, et dans le Nord dans le Comité de Libération Nationale Haute Italie (C.L.N.A.I).


3) * Le tournant de Salerne (« la svolta di Salerno »)

Togliatti, qui est resté en Urss depuis son exil par le fascisme, après des entretiens avec Staline, est autorisé à rentrer en Italie, où il lance la proposition d’un gouvernement d’union nationale qui reporterait à plus tard le choix institutionnel, et il rentre dans le second gouvernement Badoglio (22 avril 1944-8 juin 1944), avec la participation des 6 partis du C.N.L., communistes compris. Ce gouvernement est reconnu par Moscou. Parallèlement le roi Victor Emmanuel III remet à son fils Humbert II toutes ses fonctions, et le nomme « Luogotenente Generale del Regno ». 4 communistes participent au gouvernement, dont Togliatti est vice-président.



C’est le premier temps du compromis qui sera l’axe de la politique communiste pendant une grande partie de l’histoire de la République.


* Rome est libérée le 5 juin 1944, la guerre civile continue dans le Nord, tandis que les Alliés avancent lentement vers le Centre et le Nord. Le 25 avril 1945 (devenu fête nationale, équivalent de notre 8 mai), les partisans entrent dans les grandes villes du Nord révoltées contre l’occupation nazie. Le 26 avril 1945, Mussolini est arrêté par la Résistance tandis qu’il tente de fuir en Allemagne ; il est exécuté avec sa maîtresse Clara Petacci, qui n’a pas voulu le quitter, et 15 hiérarques fascistes, le 28 avril. Leurs corps seront pendus par les pieds devant la façade d’un garage de la place Loreto à Milan. C’est la fin définitive du régime fasciste ; la fin de la guerre est signée le 8 mai 1945.


Situation de l’Italie en 1945 :

* C’est encore un pays où la paysannerie est majoritaire ; l’agriculture est l’activité dominante jusqu’en 1960 ; même dans le Nord : la Vénétie, aujourd’hui industrialisée, est surtout agricole. C’est aussi un pays de villes moyennes, donc de petite et moyenne bourgeoisie.

* L’analphabétisme reste important, faible dans le Nord (3% en Piémont) et grandissant à mesure que l’on descend (11% en Toscane, 23% en Campanie, 32% en Calabre), selon les chiffres du recensement de 1951. Mais Tullio De Mauro estime à 50% l’analphabétisme réel. La connaissance de la langue italienne est largement concur- rencée par les dialectes qui restent très vivants, même dans des régions de Nord comme la Vénétie.

* La mortalité infantile est énorme (55%), surtout dans le Sud.

* L’Italie est ruinée par la guerre et par les bombardements : 6 millions de maisons et appartements sont détruits (énorme problème de logement et nécessité de reconstruction), l’inflation atteint des taux record, donc le coût de la vie augmente (manque de pain) ; cela veut dire misère, faim, prostitution (les soldats américains fournissent les clients …), 2 à 3000 suicides par an, etc. Le chômage est très important. Les routes sont détruites et les communications paralysées. Il y 2 voitures pour 1000 habitants.

* Le patronat veut retrouver son pouvoir dans les entreprises : conflits très durs avec la CGIL, demande de dissolution des « Conseils de gestion » mis en place avec les syndicats.

* Mais il y a beaucoup d’éléments positifs : en particulier une grande volonté de changement et de transformation de la société, héritée de la Résistance politique et militaire au fascisme, une foi dans la possibilité de révolution, un grand dynamisme en particulier culturel (quantité de journaux, livres économiques, théâtre, cinéma : on relance le Festival de Venise, et c’est l’époque du néoréalisme ; grande créativité littéraire : Elio Vittorini, Cesare Pavese, Carlo Cassola, Primo Levi, il Politecnico …) et économique.

II. - 1945-1948 : Comment reconstruire l’Italie ? Instauration de la République

1) Communistes et Catholiques face à face sous le contrôle américain.

Cette coalition d’union nationale est dirigée par un ex-socialiste, Ivanoe Bonomi, de juin 1944 au 19 juin 1945. La même unité se manifeste sur le plan syndical : en juillet 1944 se tient à Rome le 1er congrès du syndicat unifié, la Confédération Générale Italienne du Travail (CGIL), qui rassemble les 3 grands courants syndicaux, catholique, socialiste et communiste et qui intervient aussitôt pour une augmentation des rations de pain et pour des augmentations de salaires, que la confédération patronale (« Confindustria ») doit accepter ; le 19 janvier 1946 est signé un accord entre la CGIL et la Confindustria pour un blocage partiel des licenciements.

Un équilibre relatif s’établit donc entre les forces conservatrices ou réactionnaires et les forces révolutionnaires ou progressistes, dans cette période où il faut reconstruire l’Italie et déterminer quelle sera sa future organisation : République ou Monarchie, Révolution ou simple retour à la situation antérieure au fascisme (qui n’aurait alors été qu’une « parenthèse »), épuration des cadres fascistes ou continuité politique et bureaucratique… On ne saurait oublier l’influence qu’eut sur Togliatti la présence de Franco Rodano (1920-1983), homme politique et philosophe, un des animateurs du Mouvement des Catholiques Communistes (1943) et de la Gauche Chrétienne (1944-45). C’est lui qui mit Togliatti en contact avec des représentants catholiques, et durant toute sa vie, ses articles et ses essais furent très écoutés par les dirigeants du PCI dont il était membre.

Les forces de l’un et l’autre camp sont face à face, doivent travailler ensemble, sous une grande pression internationale : les conférences de Yalta et Potsdam (février-août 1945) ont réuni les États-Unis, l’Angleterre et l’Union Soviétique pour une réorganisation de l’Europe et du monde ; en février 1945, les 2 bombes atomiques ont été jetées sur Hiroshima et Nagasaki. Les Etats-Unis ne veulent pas que l’Italie devienne un pays communiste, et agiront dès qu’ils pourront pour limiter la présence du PCI ; ils veulent que l’Italie soit un très grand marché potentiel pour les produits américains (ils tentent de détruire Cinecittà pour laisser place libre aux films américains, sous prétexte que c’était une création fasciste !). Le PCI en est conscient, et cela explique en partie le « tournant » effectué par Togliatti. Et dans l’immédiat on a peur d’une intervention militaire américaine si le pays évoluait vers un régime communiste.

Les Etats-Unis veulent garder un contrôle économique et politique sur l’Italie, où ils ont de nombreuses bases militaires, et même la Central Intelligence Agency (CIA), créée le 15 septembre 1947, élabore un plan pour faire de la Sicile un État américain, plus ou moins en rapport avec le « bandit » Salvatore Giuliano, qui a créé en 1945 « l’Armée Volontaire pour l’Indépendance de la Sicile » (EVIS), qui, en 1947, assassinera des paysans en lutte pour la terre (le 1er mai à Portella della Ginestra) et incendiera des sièges du PCI.

La présence du Vatican et de l’Église italienne pour qui l’objectif principal est d’empêcher une victoire communiste, considérée comme source de problèmes pour l’institution religieuse ; ils interviendront donc avec force, par le biais des paroisses et de la Démocratie Chrétienne, appelant éventuellement à ne pas voter communiste ou socialiste. En juin 1945, c’est au Vatican qu’est déposé le fonds de lutte contre le communisme « par tous les moyens » (120 millions de lires) créé par un groupe de patrons (Falck, Valletta de la Fiat, Costa, Piaggio, Pirelli…) ; le 1er juin 1946, le pape Pie XII lance un appel électoral contre le « matérialisme athée » ; le 7 juin 1947, la « Civiltà Cattolica », organe des Jésuites, publie un article du R.P. Lombardi (surnommé « le microphone de Dieu » !) appelant à une mobilisation générale contre le communisme. L’Année Sainte de 1950 voit la proclamation du Dogme de l’Assomption corporelle de Marie au ciel.

Le 5 mars 1946, dans son discours de Fulton, Churchill lance l’idée qu’il y a une « guerre froide » entre l’Est et l’Ouest.

2) L’Assemblée constituante et le référendum.

Le 2 février 1945, le gouvernement Bonomi publie un décret créant le suffrage universel pour tous les hommes et femmes de plus de 21 ans. C’était la première fois que les femmes obtenaient ce droit de vote revendiqué depuis 1881 et soutenu par Maria Montessori, la première Italienne ayant obtenu un diplôme de médecin. Le 21 juin 1945, Ferruccio Parri est nommé Premier Ministre d’un gouvernement comprenant les 6 partis de la Résistance. Il dure jusqu’au 10 décembre, date à laquelle il démissionne, et est remplacé par le premier Gouvernement De Gasperi, avec tous les partis antifascistes : ce sera le premier gouvernement à direction démocrate-chrétienne, sans interruption jusqu’en 1981. Le 2 juin 1946 est organisé un référendum institutionnel, en même temps qu’est élue l’Assemblée constituante. Le référendum appelle les électeurs à choisir entre la République et la Monarchie ; il y eut 24.947.187 votants (89% des inscrits de plus de 21 ans, qui étaient au nombre de 28.005.449) ; au Nord la République l’emporte par 66,2%, tandis qu’au Sud, c’est la Monarchie par 63,8%. Dans l’ensemble du territoire, la République obtient 12.718.641 voix (54,3%) et la Monarchie 10.718.502 (45,7%). Il y eut 1.498.136 votes nuls. La République l’avait emporté. Les monarchistes et Humbert II contestèrent la légalité des résultats, et il y eut de violentes manifestations monarchistes, par exemple à Naples, pour contester la victoire de la République ; finalement Humbert II ne reconnut pas la validité du référendum et quitta aussitôt l’Italie pour le Portugal, sans jamais abdiquer.

L’Assemblée constituante comprend 204 DC (37,2%), 219 PSIUP et PCI unis (115 PSIUP = 20,7%, 104 PCI =18,7%), 41 UDN (Union Démocratique Nationale, 7,4%), 30 UQ (Uomo Qualunque, 5,4%), 23 PRI (4,1%), 16 BNL (Bloc National de la Liberté, 2,9%), 7 PdA (1,3%), 13 divers (2,3%). Il y a donc une majorité de partisans de la République. Le 28 juin 1946, cette assemblée élit Président provisoire de la République Enrico De Nicola, par 396 voix sur 501, au premier tour de scrutin. L’UDN était essentiellement la représentation du Parti Libéral Italien, comprenant des personnalités comme Luigi Einaudi, Benedetto Croce, Ivanoe Bonomi, Francesco Saverio Nitti. Le BNL était la représentation des monarchistes avec quelques libéraux. L’élément de droite le plus nouveau fut l’UQ (L’Homme quelconque), journal et parti fondés par Guglielmo Giannini en décembre 1944 à Rome ; le tirage de la publication atteignit 850.000 exemplaires en mai 1945. Son slogan est « À bas tout le monde », et sa méthode les calembours sur les hommes politiques : Calamandrei devient Caccamandrei, etc. Il est à la fois hostile au fascisme, trop centralisateur, et aux antifascistes, hostile au communisme et au capitalisme, hostile à l’État démocratique et aux impôts, soutien de l’homme de la rue et du petit-bourgeois individualiste. Il disparut en 1948, laissant dans le vocabulaire le mot « qualunquismo » (= je-m’en-fichisme). La mentalité n’a disparu … ni en Italie ni en France !

3) La constitution républicaine, un compromis … historique.

Une des grandes tâches de l’Assemblée constituante fut de rédiger la nouvelle constitution de la République. Ce fut l’objet de nombreuses discussions, et finalement l’obtention d’un compromis proposé par le PCI. On ne parle pas encore de « compromis historique », mais c’en est une nouvelle manifestation. Une commission de 75 membres est élue et commence son travail le 20 juillet. Elle élit son Président, Meuccio Ruini (1877-1970), un juriste éliminé de la fonction publique par le fascisme, qui participa au C.L.N., ami de Bonomi aux gouvernements duquel il participa ; il eut un rôle important comme Président de la Commission. Plus tard, il fut Président du Sénat, en 1953, puis Président du Conseil National de l’Économie et du Travail en 1957. La commission se divisa ensuite en 3 sous-commissions : Droits et devoirs des citoyens, Organisation constitutionnelle de la République, Droits et devoirs économiques et sociaux. Le projet de constitution fut présenté à l’Assemblée Constituante le 31 janvier 1947, composé de 131 articles et de IX dispositions transitoires et finales. Ce projet fut discuté par l’Assemblée du 4 mars au 22 décembre 1947, votée le 22 décembre et promulguée par le Président De Nicola pour entrer en vigueur le 1er janvier 1948.

La surprise arrive le 25 mars 1947 : on discutait de l’article 7, fallait-il conserver le concordat signé entre l’État fasciste et l’Église catholique le 11 février 1929, fallait-il l’intégrer dans la constitution républicaine ? Le 20 mars, Giancarlo Pajetta, au nom du PCI, avait fait une vive critique très applaudie du concordat, proposant de revenir à la formule de Cavour en 1860, « Une Église libre dans un État libre ». C’était aussi la position des Socialistes, des Républicains, des Libéraux, et du Parti d’Action, et seuls la DC et les Monarchistes défendaient le Concordat. Or, Togliatti, après une rencontre avec Pietro Nenni et Umberto Tupini de la DC « afin de trouver un compromis », dans la séance du 25 mars, fit un discours très attendu ; il repoussa l’idée que les communistes étaient hostiles aux sentiments religieux, et, au nom de Gramsci, il défendit l’idée que l’Église et l’État étaient chacun libre et indépendant dans son domaine et que le concordat ne pouvait être abrogé qu’avec l’accord des 2 parties ; le PCI approuvera donc l’intégration du concordat dans la constitution, afin de garantir l’unité des travailleurs catholiques et des travailleurs communistes et socialistes. Au nom du PSIUP, Umberto Calosso protesta, déclarant que Togliatti avait donné le spectacle d’un « jésuitisme » affligeant. L’article fut approuvé par les voix communistes et DC : « 7. L’État et l’Église catholique sont, chacun dans son ordre propre, indépendants et souverains. Leurs rapports sont réglés par les Pactes du Latran. Les modifications des Pactes, acceptées par les deux parties, ne requièrent aucune procédure de révision constitutionnelle ».

Voilà un troisième exemple de pratique du « compromis historique ». En réalité, Togliatti espérait que, en échange de ce cadeau, De Gasperi n’exclurait pas les communistes et les socialistes du gouvernement. Il se trompait : nous allons voir que cela arriva 2 mois après ! Toute la constitution fut rédigée de façon à pouvoir être acceptée par les communistes et par les démocrates-chrétiens. Ne prenons qu’un exemple, l’article 1 des Principes fondamentaux : « 1. L’Italie est une République démocratique fondée sur le travail. La souveraineté appartient au peuple, qui l’exerce dans les formes et les limites de la constitution ». Que lisaient les communistes ? Le « travail » était pour eux « les travailleurs », le prolétariat ouvrier et paysan, détenteur de la souveraineté. Que lisaient les DC ? Le « travail » était pour eux celui que définissait la morale chrétienne, jusqu’au corporatisme (négation de la lutte des classes : patrons et ouvriers adhérent ensemble aux corporations) qui ne déplaisait pas aux néo-fascistes. Tout le monde était content ! Sur un autre plan, le 22 juin 1946, Togliatti, alors Ministre de la Justice, signe le décret d’amnistie pour les délits politiques et militaires, dont les fascistes seront les principaux bénéficiaires : il n’y aura pas de réelle épuration des cadres fascistes.

4) Le Plan Marshall, la « Doctrine Truman » et l’exclusion de la gauche du Gouvernement. La rupture Est-Ouest, le début de la guerre froide.
* Le Plan Marshall pour l’Europe.

Le 5 janvier 1946, De Gasperi part aux USA pour négocier un plan d’aide économique en échange d’une exclusion des communistes du gouvernement. Le 12 mars, le Président Truman fait un discours expliquant que les USA aideront politiquement et économiquement les pays menacés par le communisme. C’est après ce discours que Togliatti approuvera l’intégration du Concordat dans la Constitution pour montrer que le communisme n’est pas une menace. Parallèlement, se déroulent en Italie de nombreux « miracles » de statues de la Vierge qui pleurent face à la menace communiste, et la « Peregrinatio Mariae » qui s’achève à Naples dans une grande manifestation de foules que l’on appelle à la lutte contre le communisme. En avril, Allen Dulles, futur directeur de la CIA, appelle les USA à prendre l’initiative de la lutte contre les communistes sans y être invités par les gouvernements. En mai, De Gasperi déclare que l’on ne peut pas gouverner sans tenir compte du « quatrième parti », la Confindustria et le capital bancaire, et le 31 mai il forme son quatrième gouvernement dont il a éliminé le PCI et le PSIUP, avec l’appui extérieur de l’Uomo Qualunque. Le 5 juin, on annonce la mise en place du Plan Marshall, qui sera refusé par l’URSS et par les pays d’Europe centrale qui vont devenir communistes (coup d’État du Parti communiste tchécoslovaque qui s’empare du pouvoir). Churchill invente l’expression du « rideau de fer » mis par les Soviétiques sur l’Europe de l’Est.

* Les deux « camps » s’organisent.

D’un côté, les partis communistes se coordonnent dans le Kominform créé le 5 octobre 1947, en remplacement de l’Internationale Communiste dissoute en 1943 ; en Italie, le PCI et le PSI s’unissent dans un Front Populaire, la scission de la droite du PSI s’est réalisée en janvier 1947 (« La Critica Sociale » de Giuseppe Saragat, et « Iniziativa socialista » de Matteo Matteotti, fils de Giacomo Matteotti, forment le Parti Socialiste Démocratique Italien, PSDI). Une scission identique intervient dans l’Association nationale de Partisans d’Italie : le courant catholique, dirigé par Enrico Mattei la quitte pour former la Fédération des Volontaires de la Liberté. Bientôt la CGIL connaîtra une double scission, celle des catholiques qui créent la CISL (Confédération Italienne des Syndicats de Travailleurs), puis les sociaux-démocrates et républicains qui créent la FIL (aujourd’hui UIL, Union Italienne du Travail). Les partis de gauche se prononcent pour la neutralité internationale de l’Italie. Le PCI a environ 2 millions d’adhérents, le PSI 700.000.

* La droite catholique s’organise de son côté, fortement appuyée par le Vatican

(appel de Pie XII le 28 mars 1948) et par les évêques italiens, encouragés par l’assassinat de quelques prêtres réalisé par des militants communistes ex-partisans. En février 1948 se forment au nombre de 18.000 les « Comités Civiques » promus par l’Action Catholique de Luigi Gedda en vue de combattre les communistes lors de la prochaine campagne électorale. C’est une véritable croisade anticommuniste qui est lancée par l’Église. La DC a environ 2 millions d’adhérents. L’armée fiche les éléments « dangereux » de gauche et le Ministre de la Défense, le républicain Randolfo Pacciardi déclare en octobre 1947 qu’il faudra « arrêter 300 communistes et socialistes pour neutraliser la gauche ».

* Le 14 juillet 1948, Togliatti est gravement blessé dans un attentat

commis par un extrémiste de droite, Antonio Pallante ; une révolte populaire gronde, une grève générale est déclarée spontanément, les ex-partisans sortent les armes dissimulées après la Libération et la base est prête à une action révolutionnaire, les affrontements avec la police se produisent parfois, mais De Gasperi a donné des ordres de modération. La direction du PCI ne se décide pas à appeler à une insurrection, dont il pense qu’elle aurait été balayée. La victoire de Gino Bartali au Tour de France cycliste aidera De Gasperi à ramener le calme. Le 16 juillet, Mario Scelba, Ministre de l’Intérieur DC, accuse les communistes de tentative d’insurrection.

* Et puis, il y a l’action directe de l’administration américaine

qui a envoyé 400 navires de commerce et de guerre dans les ports italiens, et qui met en œuvre sa supériorité technique dans la communication de masse, pour convaincre les Italiens qu’une victoire électorale du Front Populaire serait une catastrophe économique. C’est alors que se réalise l’alliance de l’armée américaine avec la mafia sicilienne, par le biais des deux boss Lucky Luciano, libéré de prison, et Meyer Lansky ; la plupart des maires mis en place par l’armée américaine sont des mafieux libérés de prison : c’est le début d’une longue histoire de compromission de l’État italien avec les organisations mafieuses. C’est Allen Dulles, alors chef des services secrets américains en Italie, qui couvre cette opération, en même temps qu’il coordonne tous les organes de lutte anticommuniste, la franc-maçonnerie, le Vatican, les anciennes structures fascistes et nazies, le bandit Salvatore Giuliano en Sicile. Sont publiés des rapports alarmistes laissant croire que les communistes et les socialistes préparent la révolution. On prépare une clandestinité militaire qui interviendrait au cas où la gauche gagnerait les élections ; même le Vatican, où agit un prêtre américain membre de la franc-maçonnerie et ex-agent de l’OSS, Franck Gigliotti, met en place des organisations comme le « Macri » (Mouvement Anticommuniste Catholique pour la Reconstruction Italienne), structure paramilitaire financée par l’Intelligence Service américaine. On installe des hommes de la mafia qui seront plus tard au cœur de la vie politique, Michele Sindona, Licio Gelli, Mino Pecorelli, etc. Il faut insister sur ce fait que les Américains et les gouvernements de droite organisent dès le lendemain de la guerre des réseaux paramilitaires clandestins destinés à combattre une éventuelle invasion soviétique, qui influenceront la vie politique européenne et qui resteront secrets, en liaison avec les services d’espionnage nationaux. En Italie, le réseau « Gladio » (le glaive) ne fut révélé qu’en 1990 par Giulio Andreotti ; il agissait avec la loge paramaçonnique néofasciste « P2 » (Propaganda 2, dont Silvio Berlusconi était membre), dirigée par Licio Gelli, et aura sans doute des responsabilités dans les attentats commis à partir de 1969 et dans la pratique de la « stratégie de la tension », dont nous parlerons plus loin. Mais le 18 avril 1948, la gauche perd les élections : la DC obtient 48,5% des voix, le Front Populaire 31%.

On entre dans une longue période de conflit, qui repousse de quelques années la politique de « compromis historique » entre les communistes et la DC. Au fond la DC n’a accepté le principe du « compromis » que lorsqu’elle y a été obligée par un rapport de forces équilibré. Mais bientôt la pression américaine et l’appui du Vatican la conduisent à jouer la carte de sa domination sur les forces de gauche. Elle y parviendra pour un temps, au prix de compromissions (mafia, organismes de lutte clandestins…) qui causeront à terme sa perte.

III. - 1948-1974 : Le triomphe de la DC et de l’économie libérale dans la reconstruction de l’Italie. Le « miracle économique » et la création d’une « bourgeoisie d’État ».

1) 1948-1953 : La DC construit son pouvoir
a) Alcide De Gasperi veut assurer la domination de la DC et d’un régime anticommuniste

Qui redonne à l’Église catholique sa suprématie sur la société italienne, mais il est conscient qu’il n’est possible de le faire qu’en réalisant une alliance avec des petits partis laïcs, qui permettrait de briser et d’affaiblir le bloc socialo-communiste, car il sait qu’il y a une forte présence des laïcs dans le peuple, chez les scientifiques et même dans certaines forces de droite (industriels, banquiers, organismes économiques) (Cf. sa lettre à Pie XII du 10 février 1949). Il y a donc besoin d’alliances. Mais il compte aussi pour cela sur les organisations laïques liées à la hiérarchie catholique, Comités Civiques, Action Catholique, Centre Italien Féminin créé par la DC en 1945, la Gioventù Operaia Italiana Cattolica, les ACLI (Associations chrétiennes de travailleurs italiens), les organisations paysannes, le Centre Sportif Italien reconstitué en 1944, etc. Comme les communistes, le mouvement catholique avait appris du fascisme que les organisations de masse étaient essentielles à la conservation du pouvoir et à l’obtention du consensus populaire. Cela permettait aussi à la DC de garder une plus grande autonomie par rapport à la hiérarchie ecclésiastique. Mais l’hégémonie de la DC fut surtout obtenue par le contrôle de l’appareil d’État hérité du fascisme et jamais affaibli par l’épuration : cela lui donnait un énorme pouvoir sur une économie en bonne partie contrôlée par l’État. Ainsi la DC plaça ses hommes aussi bien dans la Federazione dei Consorzi agrari (La Federconsorzi, à laquelle s’allia bientôt la Confagricoltura) que dans l’industrie chimique, dans l’industrie mécanique et métallurgique, et dans la gestion des crédits du Plan Marshall. Mario Scelba avait déclaré que « les Italiens devaient s’habituer à voir des démocrates-chrétiens à la tête des grandes organisations financières et industrielles ». Dans un premier temps, cela donnait un pouvoir énorme, mais cela développa aussi chez ces dirigeants un appétit de pouvoir qui les conduisit à la pratique de toutes les formes de corruption, une des causes de la fin de la DC 45 ans plus tard. On les appela les « forchettoni » (les hommes de la fourchette). De même, la DC avait pris la suite de l’appareil policier du fascisme, en créant la « Celere » (la rapide), dirigée par le DC Mario Scelba, recrutée souvent parmi d’anciens policiers fascistes, et qui intervint durement contre toute manifestation et toute grève paysanne ou ouvrière : elle fit plusieurs morts, arrêtait et enchaînait les grévistes, et les traduisait en justice : de 1949 à 1953, les tribunaux infligèrent plus d’années de galère à des grévistes arrêtés que n’en avaient jamais infligé les tribunaux spéciaux du fascisme. La « Celere » sera bientôt équipée d’autos blindées, de mortiers et de mitrailleuses. Le Vatican, pour des raisons qui lui sont propres, entra dans le même jeu : le communisme devenait un péché mortel (le 13 juillet 1949, le Saint-Office décrète l’excommunication de ceux qui adhérent au PCI ou qui l’aident dans son action), et sur les confessionnaux, une affichette rappelait cette condamnation. La guerre froide était entrée aussi dans les églises.

b) Sur le plan politique, c’est le triomphe de la DC

Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le Ve Gouvernement De Gasperi est constitué quadripartite (DC, PLI, PSDI, PRI), suivi du VIe De Gasperi (27 janvier 1950) qui n’a plus que 3 partis (DC, PSDI, PLI). Elle commence pourtant à perdre du terrain : elle recule fortement aux élections administratives du 27 mai 1951, et le VIIe gouvernement De Gasperi (28 juillet 1951) n’a plus que 2 partis (DC et PRI). Ses contradictions internes entre modérés et conservateurs s’accentuent : un courant de gauche (« Iniziativa democratica ») se constitue avec Giorgio La Pira, Aldo Moro, Amintore Fanfani, Taviani, Rumor, etc.) dans la ligne du réformiste Giuseppe Dossetti, qui quitte la direction de la DC le 38 juillet 1951 ; un autre courant de gauche (« Base ») se forme le 27 septembre 1953 avec Enrico Mattei, Giovanni Marcora (1922-1983), auteur de la loi permettant l’objection de conscience en 1972, et Giovanni Galloni (1927- ) ; en novembre 1953, un groupe de syndicalistes donne naissance à un autre courant de gauche, « Forze nuove », avec Giulio Pastore (1902-1969), un des fondateurs de la CISL et Carlo Donat Cattin (1919-1991), un des promoteurs du « Statut des Travailleurs » en 1970. L’ancienne DC avait été le parti des propriétaires terriens ; elle est remplacée par un parti dominé par de grands managers industriels (comme Mattei) et des patrons de moyennes entreprises ; l’Université Catholique de Milan forme cette nouvelle « bourgeoisie d’État ».

c) Sur le plan économique, le secteur d’État se développe

Donnant naissance à ce qu’on appellera la « bourgeoisie d’État ». D’une part, l’Institut pour la Reconstruction Industrielle (IRI), créé par le fascisme en 1933 (rachat par l’État de 3 grandes banques en faillite après la crise de 1929), est maintenu : il contrôle les 2/3 de la production d’acier (Italsider et Dalmine + Terni), la mécanique (Finmeccanica qui contrôle l’Alfa Romeo, l’Ansaldo et la Selenia), les chantiers navals (Fincantieri), les transports maritimes (Finmare) et aériens (Alitalia), les autoroutes (Autostrade), les grandes banques, les télécommunications, la RAI et la RAI-TV à partir de 1954. Cela représentait 556.000 salariés en 1980. L’IRI sera privatisée à partir de 1993 par le Centre-gauche et supprimée en 2000. Deuxièmement, la Société Nationale des Hydrocarbures (ENI) est créée en 1953 par Enrico Mattei, intégrant l’AGIP (Agence Générale Italienne des Pétroles) créée en 1926 par le fascisme. L’ENI gère la recherche, l’exploitation et la distribution du gaz et du pétrole. Mattei découvre l’existence de gaz méthane dans la plaine du Pô ; il signe avec les pays producteurs de pétrole (d’abord Tunisie, Maroc, Égypte et Iran) des accords « fifty-fifty » qui accordent 50% des revenus de l’exploitation aux pays au lieu de 25% ; cela lui attire la haine des « 7 sœurs », les grandes compagnies pétrolifères, et il meurt dans un sabotage de son avion en 1962 (Voir le film de Francesco Rosi, L’Affaire Mattei, de 1972). L’ENI a été l’un des facteurs du « miracle économique » des années suivantes ; il est soutenu par la gauche contre les industriels et les conservateurs. L’ENI comporte plus de 700.000 salariés. Il finance à partir de 1956 le quotidien de centre gauche « Il Giorno ». Enfin, l’ENEL (Société Nationale pour l’Énergie Électrique) apparaît en 1962 après la nationalisation de tous les petits producteurs d’électricité d’Italie ; L’État leur paie des indemnités qui renforcent la concentration du secteur de la chimie et du pétrole (Exemple : Montedison). L’ENEL est privatisée en 1999 et constitue un des géants mondiaux de l’électricité, présent dans le monde entier, en particulier en France. C’est la période du « miracle économique » : la conjoncture internationale (la guerre de Corée créa par exemple une grosse demande de production d’acier) et l’aide américaine (plus de 1200 millions de dollars) aident le miracle ; le taux de croissance dépasse 6% par an ; entre 1958 et 1960, la production augmenta de plus de 30%, mais dans l’automobile, elle augmenta de 89%, dans la mécanique de précision de 83%, dans les fibres textiles de 66%. mais une des causes du miracle fut aussi le faible coût du travail : les salaires restent bas malgré la combativité des syndicats. En 1956 est créé le Ministère des Participations d’État, qui détache les industries d’État de la Confindustria. L’ouverture du marché européen par le Traité de Rome donne à la moyenne industrie italienne de grands débouchés (par exemple dans des produits comme les frigos, les lave-vaisselle, les aspirateurs, les produits en plastique etc.). L’industrie réintègre alors 2 millions de chômeurs. Mais le miracle touche surtout les industries du Nord, qui a besoin de main-d’œuvre, et cela provoque une émigration interne du Sud au Nord de plus de 9 millions de travailleurs de 1955 à 1971 et crée une nouvelle catégorie d’ « ouvrier de masse » sans qualification et sans tradition syndicale, d’où l’explosion violente des années ‘60 ; cela poussa la DC à adopter des Plans de développement économique, élaborés par Ezio Vanoni (DC, 1903-1956), puis Antonio Giolitti (PSI, 1915-2010), mais ceux-ci créent aussi de forts déséquilibres sociaux, car ils portent sur l’industrie dont ils sous-estiment le progrès technologique, et ils poussent au développement des biens de consommation individuels, négligeant les biens collectifs comme l’école, les hôpitaux, les transports, les logements. Ainsi se renforce une mentalité individualiste centrée sur la famille, et portée à la consommation et à l’apolitisme (la quantité de votants va maintenant diminuer presque régulièrement). Par ailleurs, la tentative de réforme agraire des années ’50 (Loi pour la Sila du 12 mai 1950, la loi « stralcio » (= provisoire) du 21 octobre 1950 et la loi pour la Sicile du 27 décembre 1950) fut un échec du fait de son caractère limité, de l’hostilité des grands propriétaires aidés par la mafia, qui assassine les syndicalistes paysans. Cette réforme libérale ne règle pas le problème du déséquilibre Nord/Sud et ville/campagne, et contribue au progrès du PCI et de l’extrême gauche. De même la création de la Caisse pour le Sud (Cassa per il Mezzogiorno), le 10 mars 1950, qui fournit 1280 milliards de lires en 12 ans ne règle pas la « question méridionale », et augmente donc à la fois le mécontentement populaire et le progrès du MSI néofasciste dans le Sud (petite bourgeoisie, propriétaires terriens, petits commerçants, étudiants…).

2) 1954-1963 : vers le Centre gauche

* La DC poursuit sa lutte contre le PCI et la CGIL, dans la vie sociale, dans les entreprises, dans les administrations, appuyée par les USA (qui décident par exemple en février 1955 de ne plus acheter d’armes aux entreprises italiennes où la CGIL serait majoritaire dans la Commission Interne). En mars 1955, la CGIL perd la majorité dans la Commission Interne de la FIAT, et un groupe d’ouvriers crée le SIDA, syndicat « jaune » qui remporte les élections en 1958. Le Ministre de l’Intérieur, Fernando Tambroni, avec l’aide du Général De Lorenzo, patron des Services secrets (SIFAR = Service d’Information des Forces Armées) se livre à un travail de fichage policier des citoyens liés à la gauche (157.000 fiches dont la copie est adressée à la CIA américaine, et qui seront déclarées illégitimes en avril 1967 par la commission Beolchini), pour « limiter le pouvoir des communistes ». Le mur de Berlin est édifié du 12 au 13 août 1961. Les moyens d’intégrer idéologiquement la classe ouvrière dans le régime DC se développent : première émission de télévision le 3 décembre 1953, développement du Festival de Sanremo à partir de 1951, tout cela crée une nouvelle forme de la culture dominante. La mentalité des Italiens évolue : on s’habitue à la télévision (arme essentielle de la DC et de l’Église), à la consommation, à la mobilité (voitures en augmentation), à la sécurité, aux vêtements élégants, à la bonne nourriture (la viande rouge et la tranche de veau remplacent les viandes blanches de poulet et lapin) ; les mœurs sexuelles évoluent ; l’Italie devient plus une société d’employés du tertiaire, où on s’éloigne du travail manuel. Cela aggrave les contradictions entre le Nord et le Sud qui reste plus agricole et moins développé ; les conflits augmentent, le mal-être s’installe dès qu’il y a un temps d’arrêt dans la croissance ou une crise internationale, c’est visible dans le cinéma (Fellini, Antonioni, Pasolini, Rosi, Visconti, Risi …) ; et surtout, le « progrès » crée des besoins qui ne peuvent pas être totalement satisfaits, on va donc entrer dans une période de grandes actions collectives, accentuées par la révolution culturelle en Chine (1966-7), Che Guevara à Cuba et en Amérique latine, les théories de Marcuse, les mouvements des étudiants américains, etc. Par ailleurs se confirme la tendance à développer une économie « souterraine » qui représente environ 20% du revenu économique ; plus de 1.500.000 personnes travaillent à domicile, dont 80% ne sont pas déclarées et sont sans couverture sociale : on a une société à double face.

* Une tendance politique d’ouverture se dessine en Sicile

Où DC et PSI s’allient dans le gouvernement régional, ce qui suscite la protestation de l’archevêque de Palerme, tandis que le 18 mars 1957, l’Osservatore Romano, quotidien du Vatican, rappelle que l’excommunication vaut pour les catholiques qui collaborent avec le PSI. Mais le PSI a rompu avec le PCI en février 1957, après l’invasion soviétique de Budapest en 1956, approuvée par tous les partis communistes, y-compris le PCI, qui déclare que les faits de Hongrie et de Pologne en juin 1956 sont une « contre-révolution », ce qui lui fait perdre 300.000 adhérents et une bonne partie de ses intellectuels. En février 1956, au XXe Congrès du PCUS, le Président Krouchtchev dénonce les crimes de Staline, et la déstalinisation commence, mal acceptée par une partie du mouvement communiste et par quelques partis, dont le PCF. Le 15 juin, Togliatti publie une interview où il définit la possibilité du polycentrisme communiste et d’une « voie italienne au socialisme ». C’est le début d’un détachement de la politique du PCI de celle de Moscou, et la confirmation du « tournant de Salerne » en 1944.

* Les élections du 25 mai 1958

Sont marquées par une légère avancée de la DC (42,4%), du PSI (14,2%), du PCI (22,7%), du PSDI (4,6%), tandis que le MSI (Mouvement Social Italien, néofasciste, 4,8%) et les Monarchistes (4,9%) régressent. *** La situation évolue lentement***. Le pape Pie XII meurt le 9 octobre 1958, et Jean XXIII-Roncalli est élu pape le 28 octobre, il ouvre le Concile Vatican II le 11 octobre 1962, et celui-ci exprime la possibilité pour les catholiques de collaborer avec la gauche ; Kennedy est élu Président des USA le 8 novembre 1960, mais assassiné le 22 novembre 1963. Quelques responsables du PSDI quittent leur parti pour adhérer au PSI, qui envisage une fusion avec le PSDI (rencontre entre Nenni et Saragat à Pralognan dès le 25 août 1956). Un nouveau courant de gauche apparaît dans la DC en mars 1959, les « Dorotei » (le courant est né au couvent de Ste Dorothée à Rome), avec Paolo Emilio Taviani (1912.2001), Emilio Colombo (1920- ), Mariano Rumor (1915-1990), Aldo Moro et Luigi Gui (1914-2010), avec l’appui d’Antonio Segni (1891-1972) qui est alors Président du Conseil et qui sera élu Président de la République de 1962 à 1964. Le 29 avril 1955, Giovanni Gronchi avait été élu Président de la République avec les voix de la gauche.

* La droite multiplie ses initiatives pour combattre l’évolution de la DC vers une alliance avec les Socialistes

En mars 1963, le SIFAR et la CIA prévoient même d’attaquer les sièges de la DC en en rendant responsables les Socialistes. Mais aux élections politiques du 28 avril 1963, la DC est battue (38,3%, elle perd 4,1%), le PLI hostile au Centre gauche progresse (7%), le PSI régresse légèrement (13,8%, - 0,4%), le PCI progresse (25,3%, + 2,6%). Le 4 décembre 1963 est formé le 1er gouvernement Aldo Moro de centre gauche (DC, PSI, PSDI, PRI) ; la gauche du PSI (Tullio Vecchietti, Dario Valori, Lelio Basso) ne vote pas la confiance et est suspendue du PSI : elle donne naissance au Parti Socialiste d’Unité Prolétarienne (PSIUP) en janvier 1964. Le centre gauche est une nouvelle forme du traditionnel « transformisme » italien (diviser et intégrer l’adversaire, par morceaux).

3) 1964-1973 : vers une nouvelle proposition de « compromis historique » par le PCI

*** La situation internationale et intérieure se tend à nouveau** : le 7 mars 1964, les premiers soldats américains arrivent au Vietnam, où les bombardements vont commencer ; le 14 octobre, Krouchtchev est destitué et remplacé par Léonid Brejnev comme Secrétaire du PCUS. Palmiro Togliatti meurt d’un accident cérébral à Yalta le 21 août 1964 ; à son enterrement à Rome assistent un million de personnes ; il est remplacé par Luigi Longo comme secrétaire du PCI. En remplacement d’Antonio Segni, Giuseppe Saragat est élu Président de la République sans les voix communistes, le 28 décembre 1964. Les mouvements de protestation contre cette situation se développent dans le monde entier. Aux USA, apparaissent les premières manifestations contre la guerre du Vietnam, et les Noirs se révoltent. En septembre 1965, un coup d’État anticommuniste en Indonésie fait environ 600.000 morts. En Italie, le gouvernement Moro a dû démissionner le 28 juin 1964 : les réactions du monde des affaires sont négatives vis-à-vis du centre gauche. Suite à des concessions des Socialistes, un second gouvernement Moro se constitue le 22 juillet 1964, puis un troisième en février 1966, après un nouveau recul des Socialistes sur les réformes à réaliser : on va vers un centre gauche « propre » (c’est-à-dire qui ne fait pas de réformes anticapitalistes), dira l’opposition. Un coup d’État militaire du SIFAR est envisagé par De Lorenzo en juillet 1964, et en novembre 1965, le SIFAR est dissous et remplacé par le SID (Servizio Informazioni Difesa) jusqu’en 1977, date à laquelle il est dissous et remplacé par 2 structures, civile et militaire, le SISDE (Service pour les Informations et la Sécurité démocratique) et le SISMI (Service pour les Informations et la Sécurité Militaire).

* Les conflits deviennent publics à l’intérieur du PCI

Entre prosoviétiques et prochinois, réformistes et révolutionnaires : sont créés le Parti Communiste d’Italie marxiste léniniste, puis à Pise en février 1967, le groupe « Potere operaio » (Pouvoir Ouvrier). En 1969, Aldo Natoli, Luigi Pintor et Rossana Rossanda publient le Manifesto, d’abord mensuel puis quotidien ; ils sont exclus du PCI. D’autres revues communistes vivent en-dehors du PCI : Quaderni Rossi, Quaderni Piacentini… Le PSI s’unifie avec le PSDI pour former le PSU, Parti Socialiste unifié ; une partie de la gauche du PSI fait scission et va former la Gauche Indépendante. Une stratégie contradictoire : la lutte extraparlementaire, puis la lutte armée *** C’est le moment où apparaît une nouvelle stratégie d’une partie de la gauche, dite « extraparlementaire »,** qui conteste la validité des alliances parlementaires telles que les propose le PCI (le « compromis historique », l’entrée dans la « stanza dei bottoni », la pièce des boutons, les lieux de contrôle du pouvoir d’État), entre dirigeants de partis politiques (la DC, le PSI, le PCI), au profit d’actions de masse tendant à l’unité des classes exploitées. Ils sont encouragés par le développement du Mouvement étudiant, des luttes féministes, et du renouveau des conflits dans l’entreprise. Les Universités commencent à être occupées, le Mouvement est influencé par le Mouvement américain (Berkeley) ; des groupes catholiques de plus en plus nombreux manifestent leur désaccord avec la politique réactionnaire de l’Église : les ACLI appuient les projets d’unification syndicale. Jean XXIII est mort le 3 juin 1963 et a été remplacé par le pape Paul VI-Montini, moins ouvert aux réalités nouvelles. La droite appelle « petits communistes de sacristie » (comunistelli di sagrestia) les catholiques prêts à collaborer avec la gauche. La censure catholique, les interdictions de films, etc. se sont faites très fréquentes et dures dans toutes les années ‘60.

* La « stratégie de la tension »

Est la politique de la droite : les attentats d’origine néofasciste mais encouragés (aidés par « Gladio » ?) par les Services secrets se multiplient. Ils commencent par celui de Piazza Fontana à Milan, le 12 décembre 1969 (17 morts et 80 blessés), continuent par le massacre de la place de Brescia le 28 mai 1974 (8 morts et 102 blessés), la bombe du train Italicus le 4 août 1974, l’attentat de la gare de Bologne, le 2 août 1980, et beaucoup d’autres. *****Les « Brigate rosse » (BR) se considèrent comme l’avant-garde armée destinée à montrer la voie de la révolution et de la dictature du Prolétariat, et d’entraîner le Prolétariat au combat contre une nouvelle forme de fascisme, celle du SIM (Système Impérialiste des Multinationales) : c’est une nouvelle forme de Résistance Antifasciste. Les BR commencent leur activité par des enlèvements de personnalités de droite, elles les interrogent, les font parler, puis les relâchent ; dans un second temps, elles tirent sur des personnalités favorables au « compromis historique », les blessent aux jambes, puis « haussent le tir », les frappent à la tête et les tuent. Les premiers responsables seront Renato Curcio, Alberto Franceschini et Margherita Cagol. Ils s’en prenaient à des individus considérés comme importants dans la stratégie de compromis entre les Communistes et la DC ; ils incendièrent d’abord des voitures de dirigeants d’entreprises ou de syndicalistes ; puis ils enlevèrent des personnalités, la première fut le juge Mario Sossi le 18 avril 1974 ; l’enlèvement d’Aldo Moro le 16 mars 1978 fut le sommet de leur action (Voir pour le détail le site de Wikipedia « brigate rosse », et le livre de Leonardo Sciascia, L’Affaire Moro, 1979). Ce seront les « années de plomb » très violentes, qui font des centaines de morts et de blessés dans les conflits entre militants néofascistes et militants de gauche, et les conflits avec la police. Pendant le même temps, le PCI gagne régulièrement des voix aux élections (il aura jusqu’à plus de 30% des voix, 34,4 en 1976, puis il dépassera la DC en 1982 avec 33,3 % des voix), tandis que la DC stagne ou perd du terrain. Après la chute d’Allende au Chili le 11 septembre 1973, Enrico Berlinguer, nouveau secrétaire du PCI depuis 1972, formule à nouveau la proposition d’un « compromis historique » lié à une déclaration d’indépendance vis-à-vis de l’URSS (« eurocommunisme », condamnation de l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie de 1968, en accord avec le Parti Communiste espagnol). Le Centre gauche ne dure que jusqu’en 1976. Des réformes ont été réalisées : loi sur le divorce (loi du 18/12/1970), confirmée par le referendum d’annulation proposé par la DC et par l’Église, mais qui donne une majorité de 59,1% aux partisans de la loi, grave échec pour la droite ; la loi sur la famille est réformée en 1975 (sur le modèle de la loi française de S. Weil), la loi autorisant l’avortement est votée en 1978 (idem).

L’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, principal partisan du compromis dans la DC et président de la DC, en mai 1978, mirent fin au projet de gouvernement de « compromis » avec le PCI et la DC. Ce fut l’occasion pour l’État d’écraser le mouvement autonome : environ 2000 militants d’extrême gauche furent arrêtés, plus de 300 s’exilèrent en France et 200 en Amérique latine. Berlinguer mourut d’une attaque cardiaque le 11 juin 1984. Qu’aurait été l’histoire d’Italie si Moro et Berlinguer avaient vécu ? Certainement différente. Les années ’80 sont en continuité : le XIVe Congrès de la DC ferme la route à toute collaboration avec le PCI, et le 28 novembre 1980, Berlinguer annonce l’abandon de la politique de « compromis historique » au profit d’une politique « d’alternative de gauche » ; mais le PSI, où Bettino Craxi vient de l’emporter, n’est plus disponible pour cette politique. Le PSI s’identifie désormais à son nouveau leader, qui dirigera le gouvernement du 4 août 1983 au 17 avril 1987. En 1987, le gouvernement revient à la DC qui perd des voix aux élections. Les attentats et les scandales se multiplient. les 9 et 10 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. On parle de « lottizzazione » (partage du pouvoir d’État en « lots » entre les partis). En 1992, ce sera la fin de la DC et du PSI dans l’opération « Mani pulite » (Mains propres), la transformation progressive du PCI en Parti Démocratique de Gauche (PDS, 10 octobre 1990), puis en Parti Démocrate d’aujourd’hui (PD, en 2007). Mais c’est le début d’une autre période d’histoire de l’Italie, qui prend fin en 2012, avec la condamnation judiciaire de Silvio Berlusconi et sa mort politique, et le début de la domination de Mario Monti que nous commençons à expérimenter.

L’Italie de 1992 à aujourd’hui

1) Les gouvernements italiens depuis la Xe législature

a) Xe législature (2 juillet 1987 - 2 février 1992)

Élections politiques : 14-06-1987.

1) Gouvernement Goria (28-07-1987 - 13-04-1988)

Coalition DC + PSI + PSDI + PRI + PLI. Giulio Andreotti est aux Affaires Étrangères.

2) Gouvernement Cesare De Mita (13-04-1988 - 22-07-1989)

Coalition idem. Giulio Andreotti est aux Affaires Étrangères.

3) Gouvernement Giulio Andreotti VI (22-07-1989 - 12-04-1991)

Coalition idem. Gianni De Michelis est aux Affaires Étrangères.

4) Gouvernement Giulio Andreotti VII (12-04-1991 - 24-04-1992)

Coalition idem.

b) XIe législature (23-04-1992 - 16-01-1994)

Élections politiques : 04-04-1992.

1) Gouvernement Giuliano Amato (28-06-1992 - 28-04-1993)

Coalition DC + PSI + PSDI + PLI.

2) Gouvernement Carlo Azeglio Ciampi (28-04-1993 - 10-05-1994)

Coalition idem.

c) XIIe législature (15-04-1994 - 16-02-1996)

Élections politiques : 27-03-1994.

1) Gouvernement Berlusconi (10-05-1994 - 17-01-1995)

Coalition FI + LN + AN + CCD + UDC.

2) Gouvernement Lamberto Dini (17-01-1995 - 17-05-1996)

Coalition de politiques indépendants. Susanna Agnelli est aux Affaires Étrangères.

d) XIIIe législature (09-05-1996 - 09-03-2001)

Élections politiques : 21-04-1996.

1) Gouvernement Romano Prodi (17-05-1996 - 21-10-1998)

Coalition Ulivo + Indipendenti.

2) Gouvernement Massimo D’Alema (21-10-1998 - 22-12-1999)

Coalition Ulivo + PDCI + UDR + Indipendenti.

3) Gouvernement D’Alema II (22-12-1999 - 25-04-2000)

Coalition idem.

4) Gouvernement Giuliano Amato II (25-04-2000 - 11-06-2001)

Coalition Ulivo + PDCI + UDEUR + Ind.

e) XIVe législature (30-05-2001 - 27-04-2006)

Élections politiques : 13-05-2001.

1) Gouvernement Berlusconi II (11-06-2001 - 23-04-2005)

Coalition FI + LN + AN + Ind. avec de nombreux changements de ministres.

2) Gouvernement Berlusconi III (23-04-2005 - 17-05-2006)

Coalition idem. mais stabilité des ministres.

f) XVe législature (28-04-2006 - 06-02-2008)

Élections politiques : 09 et 10 avril.

1) Gouvernement Romano Prodi (mêmes dates)

Coalition DS + Ulivo + Ind.

g) XVIe législature (29-04-2008 - 2013)

Élections politiques : 13 et 14-04-2008.

1) Gouvernement Berlusconi IV (08-05-2008 - 16-11-2011)

Coalition PDL + LN + MPA.

2) Gouvernement Mario Monti (16-11-2011 - 2013)

Coalition de techniciens non-élus.

Le Centre-gauche a donc gouverné pendant la XIIIe et la XVe législatures, Berlusconi pendant la XIVe et la XVIe législatures. Rappelons que jusqu’en 1981, les présidents du Conseil ont toujours appartenu à la DC ; à partir de 1981, alternent des gouvernements laïques (Giovanni Spadolini, du 28-06-1981 au 01-12-1982, puis Bettino Craxi du 04-08-1983 au 17-04-1987) et à nouveau des gouvernements DC (Fanfani, Goria, De Mita, Andreotti jusqu’au 02-02-1992).

2) Les Présidents de la République

Enrico De Nicola (01-07-1946 - 12-05-1948) = Partito Liberale Italiano

Luigi Einaudi (12-05-1948 - 11-05-1955) = Partito Liberale Italiano

Giovanni Gronchi (11-05-1955 - 11-05-1962) = Démocratie Chrétienne

Antonio Segni (11-05-1962 - 06-12-1964) = Démocratie Chrétienne – Démission pour maladie

Giuseppe Saragat (29-12-1964 - 29-12-1971) = Parti Socialiste Démocratique Italien

Giovanni Leone (29-12-1971 - 15-06-1978) = Démocratie Chrétienne - Démission pour procès

Sandro Pertini (09-07-1978 - 29-06-1985) = Parti Socialiste italien

Francesco Cossiga (03-07-1985 - 28-04-1992) = Démocratie Chrétienne – Démission « politique »

Oscar Luigi Scalfaro (28-05-1992 - 15-05-1999) = Démocratie Chrétienne

Carlo Azeglio Ciampi (18-05-1999 - 15-05-2006) = Indépendant

Giorgio Napolitano (15-05-2006 - 05-2013) = Démocrate de Gauche (DS = ex-PCI)

3) La cassure de la République ? : « Tangentopoli » en 1992

« Tangentopoli » (la ville des dessous-de-table) est le nom donné à toute l’affaire de corruption politique qui démarre le 17 février 1992 à Milan, s’étend bientôt à toute l’Italie, et décime toute la classe politique, faisant disparaître en premier lieu le PSI (Parti Socialiste Italien) de Bettino Craxi et la DC (Démocratie Chrétienne) de Arnaldo Forlani et Giulio Andreotti (le « CAF »). Les magistrats qui menèrent l’enquête furent le Procureur Francesco Saverio Borrelli, Antonio Di Pietro, Ilda Bocassini, la seule du pool qui reste en activité (et qui est procureur adjoint au Tribunal de Milan dans les procès Berlusconi), Piercamillo Davigo, Tiziana « Titti » Parenti et Gherardo Colombo : C’est le pool dit de « mani pulite » (mains propres).

Le 17 mars 1992, est arrêté à Milan Mario Chiesa, responsable important du PSI, éventuel futur maire de Milan et gestionnaire d’un Institut d’État, le Pio Albergo Trivulzio (appelé « la baggina »), destiné à recueillir des indigents âgés. Son inculpation fait suite à une dénonciation d’un entrepreneur de Monza, Luca Magni, écrasé par les « tangenti » (il devait payer une « bustarella » de 14 millions de lires (10% du montant de l’opération) pour s’assurer la victoire dans l’adjudication du nettoyage de l’hospice). Chiesa fut arrêté en flagrant délit alors que Magni lui remettait une valise contenant 7 millions de lires (qu’il tenta de la faire disparaître dans la cuvette des WC !) ; après un mois de réclusion, il se décida à parler et raconta comment fonctionnait en Italie le système des dessous-de-table, ce fut le début de l’affaire. Craxi le condamne déclarant que ce n’est qu’un « filou isolé » et que le PSI est un parti intègre. Chiesa est arrêté à nouveau en 2009 pour collecte des « tangenti » dans la gestion des déchets de Lombardie.

L’enquête « Mani pulite » aurait pu commencer en 1985 lorsque fut arrêté et condamné Antonio Natoli, Président du Métro de Milan et « entonnoir des tangenti pour les partis au pouvoir et dans l’opposition » (Goffredo Buccini, Corriere della Sera, 16-02-2012). Craxi le défendit et le fit élire sénateur ; le Sénat refusa de lever son immunité parlementaire : les partis étaient aux commandes et considéraient que ce rapport avec les entrepreneurs était normal. Milan était gouvernée depuis la guerre par des socialistes, à l’origine résistants et honnêtes, et le PSI y était resté tout-puissant, sous la direction de Bettino Craxi et de Paolo Pillitteri, son beau-frère, maire de la ville, qui se faisait annoncer par un porte-voix quand il se rendait au bar ... Avant les vacances de Noël 1991, il y eut à Milan une rencontre entre une centaine d’entrepreneurs et les secrétaires administratifs des partis pour se partager les « buste » (les enveloppes) : 25% à la DC, 25% au PSI, 25% aux petits partis de la majorité, 25% au PCI-PDS.

Le maire de Milan, Paolo Pillitteri, est condamné à 4 ans et 6 mois, en même temps qu’un autre ancien maire de Milan de 1976 à 1986 et ancien ministre, Carlo Tognoli. Paolo Cirino Pomicino est condamné à un an et 8 mois de réclusion pour financement illicite (affaire Enimont) ; il a été ensuite député de l’UDC. Claudio Martelli, qui avait remplacé Craxi à la tête du PSI, doit abandonner toute activité politique après sa condamnation pour avoir concouru à la banqueroute frauduleuse du Banco Ambrosiano. De nombreux autres dirigeants socialistes sont inculpés ou objet d’un mandat d’arrêt (dont, avec Claudio Martelli, Gianni De Michelis, ancien ministre). Les principaux dirigeants de la DC (De Mita, Forlani), du PLI, de la Lega, sont aussi compromis, et va bientôt s’ouvrir le maxi-procès de Giulio Andreotti pour collaboration avec la mafia. La Fininvest de Berlusconi est aussi inculpée. Même Primo Greganti, ex-trésorier du PCI est l’objet d’une enquête, il nie toujours et n’est pas inculpé. Quelques représentants du PDS sont inculpés.

Le 7 février 1993, Silvano Larini, ami de Craxi et détenteur de ses secrets de financement, se constitue prisonnier ; Giovanni Manzi (1), un autre collecteur de tangenti, est aussi arrêté(. Craxi est condamné, s’exile en Tunisie pour échapper à la prison et y meurt le 19 janvier 2000. Plusieurs inculpés (43, dit-on) se suicident, dont Sergio Moroni, un jeune député socialiste, Gabriele Vagliari, ex-président de l’ENI (son épouse restitua à l’État 6 milliards de lires de fonds illégaux), et Raul Gardini, président de Enimont (résultat d’une fusion entre l’ENI publique et la Montedison, propriété privée de Gardini), du groupe Ferruzzi.(1) On lira avec intérêt le livre publié le 17 février 2012 par le Corriere della Sera sur Mani pulite ; le récit de Goffredo Buccini est consultable sur www.100news.it : Vent’anni fa cominciava Mani pulite.

En même temps les élections politiques du 4 avril 1992 interviennent après la démission de Francesco Cossiga (1928-2010) de la Présidence de la République, pour protester contre certains aspects de la vie politique italienne et souhaitant un régime présidentiel. Les partis au pouvoir perdent de nombreuses voix, la DC tombe à 29,65%, le PSI à 13,62%, le PSDI à 2,72%, le PRI à 4,30%, le PLI à 2,86%. Même le PDS tombe à 16,10%. Les élections administratives du 6 juin 1993 confirment cet échec du « pentaparti » (DC = 18,8%, PSI = 5,6%, PSDI = 1,4%, PRI = 1,2%, PLI = 0,3%). Craxi se proposait de redevenir Président du Conseil, mais les soupçons de « tangenti » (pour le parti et pour lui-même ou pour ses maîtresses) le lui interdisent, et c‘est Giuliano Amato (PSI) qui est choisi, il était le seul libre de toute enquête et de tout soupçon. Marco Pannella propose la candidature de Oscar Luigi Scalfaro (DC) à la présidence de la République, il est élu au 16e tour de scrutin. C’est un « moralisateur » qui refuse toute concession à la corruption.

Des référendums modifient l’ordre institutionnel : l’un d’eux supprime 3 ministères (Tourisme et spectacles, Agriculture, Participations d’État), un autre modifie la loi électorale (la proportionnelle intégrale qui dure depuis l’origine de la République est remplacée par un système mixte : 75% de système majoritaire à un tour et 25% de proportionnelle) ; un 3e référendum abolit le financement public des partis politiques. L’opinion manifeste sa colère contre la corruption du système politique, et son soutien aux magistrats milanais que les politiques et la police tentent de déconsidérer ; parmi ces opposants aux magistrats, Silvio Berlusconi qui, après l’inculpation d’un cadre de la Fininvest, demande au Giornale, dont il est propriétaire, de « tirer à boulets rouges » sur le pool milanais ; le directeur du journal, Indro Montanelli, refuse.

Amato tente de dépénaliser le financement illicite des partis, malgré le refus des juges, mais Scalfaro refuse la dépénalisation, et le gouvernement doit démissionner pour laisser la place au gouvernement « technique » de Carlo Azeglio Ciampi, Gouverneur de la Banque d’Italie; 3 ministres du PCI (PDS) font partie du gouvernement, mais en démissionnent lorsque le Parlement refuse de supprimer l’immunité parlementaire de Craxi. Par ailleurs la mafia profite de la crise politique pour entreprendre une politique violente d’assassinats de ses juges et d’attentats contre des lieux artistiques italiens (à Florence, Rome, etc.) : le 23 mai 1992, Giovanni Falcone est assassiné à Capaci avec sa femme et ses gardes du corps ; c’est le tour de Paolo Borsellino, le 19 juillet 1992 à Palerme, assassinats ordonnés par le boss de la mafia Salvatore Riina, arrêté le 15 janvier 1993 et condamné à la prison à perpétuité pour une centaine de meurtres, dont celui des 2 juges en 1992, et celui du général Dalla Chiesa en 1982. On a soupçonné Silvio Berlusconi et Marcello Dell’Utri d’avoir commandité les attentats, pour déstabiliser le pays et accentuer le vide politique.

Enfin cela laisse la place à la Lega au nord et au Movimento Sociale Italiano (MSI, ex fascistes). La Ligue conquiert Milan, Marco Formentini en est élu maire. La DC disparaît en 1994, remplacée par le PPI (Parti Populaire italien) qui éclate en de nombreuses formations. Le PSI disparaît aussi en 1994, et se scinde en plusieurs formations dont certaines s’allieront à Silvio Berlusconi. Celui-ci « descend sur le terrain » en 1994. Il crée un nouveau parti, Forza Italia, il gagne les élections politiques d’avril 1994 et devient chef du gouvernement ; sous sa pression, Di Pietro démissionne le 6 décembre 1994 de la magistrature, et donc du pool de « Mani pulite » ; il fonde bientôt son parti L’Italie des valeurs (IDV).

4) Qui est Silvio Berlusconi ?

Silvio Berlusconi vient d’un milieu relativement modeste : sa mère est femme au foyer, son père employé d’une banque, dont il deviendra un des directeurs, puis le directeur, titulaire de la signature. Quelle banque ? Celle du comte Carlo Rasini, nom peu connu en France, mais qui va jouer un rôle central dans la vie et la carrière de Silvio Berlusconi. Il était entre autres l’ami du mari de la nièce préférée de Tommaso Buscetta, le grand boss mafieux repenti.

Après avoir fait ses études secondaires chez les pères Salésiens de Milan, Berlusconi a entrepris des études de droit à Milan, et parallèlement, il exerce divers petits métiers (représentant d’aspirateurs) pour avoir un peu d’argent ; en particulier, il chante dans les bars, les restaurants, les croisières, avec un petit groupe d’amis, dont Fedele Confalonieri. En mars 1965, il se marie avec Carla Elvira dall’Oglio, dont il aura 2 enfants, Maria Elvira appelée Marina (1966) et Pier Silvio (1969). Il fonde avec un autre client de la banque Rasini la Cantieri Riuniti Milanesi srl, et acquiert un premier terrain pour 190 millions (Via Alciati). Mais ce qui va compter, c’est moins la personne de Berlusconi que le système qu’il met en place et dont il est le représentant et l’image.

Et puis, d’un coup, alors qu’il n’a aucune fortune personnelle ou familiale, il devient industriel, fonde des entreprises (la Edilnord Sas en 1962, liquidée en 1968 et remplacée par la Edilnord Centri Residenziali, gérée par une cousine de Berlusconi et un groupe financier suisse inconnu qui fournit les capitaux pour Milan 2, et devient le constructeur de tout un quartier nouveau de Milan, Milano 2 (sur un terrain acheté par la Edilnord C.R. en 1968 à Segrate, périphérie Est de Milan, sur le modèle des ensembles résidentiels hollandais) avant de se lancer dans les investissements audiovisuels, de créer la Fininvest, et de devenir une des plus grandes fortunes d’Italie (Voir le bilan de sa fortune personnelle, estimée à 6 milliards d’euros sur Il Sole 24 Ore du 03 mai 2009). Alors, « où a-t-il pris l’argent ? », se demandent Elio Veltri et Marco Travaglio au début de leur livre, publié en 2001 aux Editori Riuniti, L’odore dei soldi (L’odeur des sous). Quelle est l’origine de la fortune de Berlusconi ?

Lorsqu’il va arriver aux affaires, le père de Silvio, Luigi Berlusconi, d’abord employé, est devenu directeur de la banque Rasini. C’est une petite banque milanaise qui a un guichet unique à Milan, créée au début des années ’50 par le comte Carlo Rasini, une riche famille noble de Milan, et le palermitain Giuseppe Azzaretto (mari de la nièce du Pape Pie XII, 1876-1958), qui est l’homme de confiance de Giulio Andreotti en Sicile : capitaux milanais et siciliens d’une valeur de 100 millions de lires. En 1970, la banque acquiert une part de la Brittener Anstalt, société de Nassau, dans le conseil d’administration de laquelle figurent des noms qui deviendront connus, Roberto Calvi, Licio Gelli, Michele Sindona, Mgr Marcinkus. En 1973, la banque devient une S.p.a., et son contrôle passe aux Azzaretto, avec la participation de l’avocat Mario Ungaro, ami de Sindona et d’Andreotti (la baronne Maria Cordopatri, cliente de la banque, révéla que Giulio Andreotti était le véritable patron de la banque, sous le couvert de Azzaretto...). Andreotti était un grand ami des Azzaretto, chez qui il passait une partie de ses vacances, dans leur villa de la Côte d’Azur ; Giuseppe Azzaretto était Commandeur du Saint Sépulcre et Chevalier de l’Ordre de Malte.

Probablement par méfiance envers les Azzaretto, Carlo Rasini quitte totalement la banque, malgré son excellente situation financière. Sous la direction générale d’Antonio Secchione, la banque multiplie sa richesse, passant de un milliard de lires en 1974 à 40 milliards en 1984 (Sur les rapports de la banque Rasini avec Berlusconi, voir le site : altriabusi.wordpress.com/2009/10/02 : le nostre 7 domande al clown mascherato). Mais ce qui a fait remarquer cette “petite” banque, c’est que les investigations, confirmées par les déclarations de Michele Sindona (2) en 1985, ont pu découvrir qu’elle était le lieu de recyclage à Milan de l’argent sale de la mafia sicilienne. Il se trouve que parmi ses clients, la banque a en effet quelques grands chefs de la mafia, Antonio Virgilio, Robertino Enea, Luigi Monti, liés à Vittorio Mangano, Pippo Calò, Salvatore Riina, Bernardo Provenzano, en même temps que l’entrepreneur Silvio Berlusconi, dont la banque Rasini fut la première source de financement. Silvio et son frère Paolo avaient un compte à la banque Rasini, ainsi que de nombreuses sociétés suisses qui possédaient une partie de l’Edilnord SAS, la première société immobilière de Berlusconi, fondée en 1962, avec l’aide d’une banque suisse mystérieuse dont on n’a jamais connu les propriétaires. (2) Michele Sindona, né près de Messine en 1920, après avoir passé une licence de Droit, ouvre une étude de consultation fiscale à Milan, et il devient vite un avocat recherché dans les milieux d’affaires italiens et internationaux (il reçoit le titre de “l’homme de l’année 1973” des mains de John Volpe, (ambassadeur des USA en Italie). En 1970, la banque Rasini reçoit du capital d’une société financière des Bahamas, qui a, entre autres administrateurs, Michele Sindona, Licio Gelli, Roberto Calvi et Mgr Marcinkus, gestionnaire de la Banque du Vatican, l’IOR (Institut des Oeuvres de Religion) ; ils disposeraient d’une liste de 500 exportateurs clandestins de devises (que l’on ne connaîtra jamais !) et de la liste des 962 membres de la Loge P2 (dont Silvio Berlusconi était membre depuis 1978, après avoir payé une cotisation de 100.000 lires). En 1974, Sindona est l’objet d’un mandat d’arrêt pour faux en comptabilité, puis faillite frauduleuse, il s’enfuit aux USA, où il est arrêté, puis libéré contre une caution d’un demi milliard de lires. Il est extradé des USA en septembre 1984, condamné pour l’assassinat de Giorgio Ambrosoli en mars 1986, et meurt empoisonné au cyanure 2 jours après : officiellement, suicide. Suicide ou homicide ? Sindona savait trop de choses ! En 1974, est fondée la société “Immobiliare San Martino”, administrée par Marcello Dell’Utri, ainsi que de nombreuses holdings, gérées par des prête-noms et qui constituent en réalité la Fininvest de Berlusconi. C’est aussi la banque Rasini qui géra une partie du passage de près de 300 millions d’euros à la Fininvest, le groupe financier de télévision de Berlusconi, entre 1978 et 1983. The Economist, dans son numéro du 26 avril 2001 (consultable sur Internet), a montré que Berlusconi avait fait, par l’intermédiaire de la même banque, nombre de transactions illégales : il a enregistré à la banque 23 holdings comme magasins de coiffeur et d’esthéticien. C’est pourquoi les archives de la banque avaient été saisies par la Justice en 1998. La banque fut donc un des lieux de recyclage de l’argent sale de la mafia, mais aussi le premier financier de Berlusconi, client de la banque. Lorsque, en 1983, la police lance l’“Opération San Valentino” contre les représentants de la mafia à Milan, de nombreux clients de la banque Rasini sont arrêtés, avec le directeur Antonio Vecchione. La banque fut alors cédée à Nino Rovelli, un industriel de la chimie, qui ne fut apparemment que la couverture officielle d’autres propriétaires restés inconnus : ce fut l’homme qui versa 2 milliards de lires à Andreotti, selon le journaliste Mino Pecorelli, dans un article, “Les chèques du Président”, jamais publié car Mino Pecorelli fut mystérieusement assassiné 2 jours après l’avoir écrit... Or c’est le moment où les grands boss de la mafia ont décidé de transférer leurs finances de la Sicile à Milan, et des activités illégales aux investissements immobiliers. Les grandes rues de Milan étaient plus sûres pour eux et plus rentables que les sentiers de la campagne sicilienne. C’était aussi le moment où on commence à parler de télévisions libres, en particulier en Sicile, où Berlusconi en possède déjà 2, et à Milan où il en possède déjà une. Mais la question est toujours la même : où Berlusconi a-t-il trouvé l’argent ? On sait qu’il a trempé dans toutes les opérations les plus louches de l’époque, croisé la loge P2, des personnalités comme Licio Gelli, Michele Sindona, les hommes de la DC compromis dans les affaires de dessous de table (Flaminio Piccoli dès les années ’70 : la DC aurait reçu 2 milliards de lires de Sindona en 1974, au moment du référendum sur le divorce) ; mais surtout il est probable (mais non prouvé juridiquement) que ses premiers financements viennent de l’argent de la mafia placé dans la banque Rasini. Il a toujours refusé de s’expliquer sur ce point. C’est à Carlo Rasini qu’il doit d’avoir pu acheter son premier terrain à Milan ; c’est encore Carlo Rasini qui est investisseur dans la société Edilnord, avec un comptable venu d’une mystérieuse société suisse : c’est cette société qui achète le terrain sur lequel il construit ensuite Milan 2. Un autre ami, Cesare Previti, lui permet d’acheter à un prix de faveur (500 millions de lires) son immense propriété de la villa Casati Stampa à Arcore, avec ses intérieurs du XVIe siècle, ses tableaux de maîtres, son parc d’un million de m2, ses terrains de tennis, son manège d’équitation, ses écuries, ses piscines. Annamaria Casati Stampa est l’héritière mineure et orpheline d’une grande famille noble milanaise, dont le tuteur est l’avocat Cesare Previti, ami de Berlusconi, et fils d’un des prête-noms des sociétés de la Fininvest. La jeune fille est payée en actions de sociétés immobilières que Berlusconi et Previti lui rachètent pour la moitié du montant initialement convenu, affaire embarrassante...

En 1975, est créée la société Fininvest, après l’ouverture en 1974 d’une télévision par câble, qui deviendra Canale 5. La Fininvest deviendra le second groupe privé italien, avec un personnel de plus de 40.000 employés. Berlusconi est nommé “Cavaliere del Lavoro” en 1977 (sur proposition de qui ?), et rachète une participation dans le quotidien Il Giornale, fondé en 1974 par le journaliste Indro Montanelli, et dont il rembourse le déficit. Entre 1978 et 1983, il reçoit d’une provenance inconnue la somme de 500 milliards de lires dont 15 milliards serviront à capitaliser les 24 puis 37 holdings qui constituent Fininvest. Parallèlement et en contact étroit avec lui, c’est le moment où Bettino Craxi accroît son pouvoir dans le PSI. La société publicitaire Publitalia est fondée en 1983 avec Marcello Dell’Utri. Entre 1979 et 1990, Berlusconi réalise à Basiglio un autre ensemble résidentiel, Milano 3, un centre commercial, Il Girasole à Lacchiarella (province de Milan) et un village résidentiel, Costa turchese, au sud d’Olbia en Sardaigne.

Par ailleurs il aura depuis le début le soutien de l’Église catholique, du Vatican (Voir le livre-enquête de Ferruccio Pinotti et Udo Gümpel, L’unto del Signore, BUR, juin 2011, 12,50€). Berlusconi rencontre le pape un mois après son investiture de 2008, avec Mgr Tarcisio Bertone, Secrétaire d’État du Vatican, et Gianni Letta, principal ami politique et conseiller de Berlusconi et Gentilhomme de Sa Sainteté nommé par Benoît XVI en 2008, dont on a dit qu’il était le seul capable de parler avec les 3 principales forces du pays, la franc-maçonnerie au Nord, le Vatican au Centre et la mafia au Sud (Cf. Les Échos du 25 mars 2010). Lors de cette rencontre il semble qu’ait été passé un “nouveau concordat” entre l’État et l’Église, dont chacun bénéficiera : le cardinal Silvio Oddi, Préfet de la Congrégation pour le Clergé a absous Berlusconi du péché de son premier divorce, avec l’accord du cardinal Ruini; le clergé bénéficie de clauses particulières pour l’autorisation d’interceptions téléphoniques : par décret du 30 juin 2008, un prêtre ne peut pas être intercepté sans que son évêque soit prévenu, un évêque ne peut pas être intercepté sans que soit informé le secrétaire d’État du Vatican (Cf. La Repubblica, 3 octobre 2011). Il faudra que les frasques morales de Berlusconi fassent trop de scandale et qu’il soit poursuivi pour encouragement à la prostitution de mineures, pour que le Vatican prenne ses distances avec lui.

Il rencontre en 1980 la jeune actrice Miriam Bartolini (Veronica Lario de son nom d’actrice). Il en a une première fille en 1984, Barbara, dont le parrain est Bettino Craxi. Il aura de Veronica 2 autres enfants, Eleonora en 1986 et Luigi en 1988. Il divorce de Carla Dall’Oglio en 1985, épouse Veronica en 1990 ; le mariage est célébré par Paolo Pillitteri, maire de Milan, et ses témoins sont Bettino Craxi et sa femme Anna, avec Fedele Confalonieri et Gianni Letta. Suite aux frasques sexuelles de Berlusconi, Veronica demande le divorce ; il est prononcé en décembre 2012, et le Tribunal attribue à Veronica une pension de 100.000 (cent mille) euros par jour, en plus de quelques immeubles, le partage de la Fininvest restant à régler ! Lorsque est découverte la liste de la P2, qui fait un scandale en Italie, étant donné la quantité de personnalités politiques, économiques, militaires, etc. qui y figurent, on ne sait pas pourquoi Berlusconi n’est pas inquiété, bien que le rapport de la commission d’enquêtes remarque “que lui et d’autres opérateurs y trouvent des appuis et des financements au-delà de toute crédibilité financière”.

En 1982 et 1984, il rachète 2 chaînes de télévision, Italia 1 et Rete 4, et diffuse illégalement sur ses 3 chaînes, à Turin, Pescara et Rome, les mêmes programmes sur tout le territoire national, ce qu’interdit la loi sur les télévisions privées. Les juges interviennent, mais Craxi, alors Président du Conseil, fait voter un décret pour légaliser cette situation, il est adopté en 1985.

Banco ambrosiano : banque catholique créée en 1896 par Mgr Tovini, en référence à St Ambroise. Roberto Calvi en devint secrétaire général en 1975. Elle contrôlait la Banca Cattolica del Veneto. Elle finança aussi bien le PCI de Berlinguer que le PSI de Craxi, le dictateur Somoza au Nicaragua que Solidarnosc. Elle était liée à la mafia et à la Banque du Vatican (qui était l’actionnaire majoritaire), l’IOR, ainsi qu’à Michele Sindona. Une faillite retentissante provoqua une enquête et un procès retentissant où apparurent la Loge P2. Le juge Emilio Ambrosoli fut assassiné. L’affaire Clearstream serait liée à la banque, ainsi que la mort du pape Jean-Paul Ier, qui était le président de la Banca Cattolica del Veneto, que Marcinkus avait cherché à intégrer dans l’IOR sans en avertir les responsables de la banque. Roberto Calvi (1920-1982) : Homme d’affaires responsable du Banco Abrosiano, qui laissa un déficit de 1,4 milliards de dollars dans la caisse. Retrouvé pendu sous un pont de Londres (assassiné par la mafia ?). Paolo Casimir Marcinkus (1922-2006) : prélat américain, ami de Paul VI puis de Jean-Paul II, consacré archevêque en 1969. Devient président de l’IOR, et a une grande responsabilité dans la faillite du Banco Ambrosiano et dans la mort de Jean-Paul I. “On ne gouverne pas l’Église avec des Ave Maria”, disait-il. Licio Gelli (1919- ) : ancien militant fasciste, arrêté et condamné en 1945. Adhère à la Loge du Grand Orient en 1965 et devient le chef de la Loge Propaganda 2. Il fut un des meilleurs soutiens de Berlusconi, et reste lié à tous les grands scandales de la vie italienne. Condamné en 1990.

Berlusconi achète et devient président du Milan AC en 1986. Il achète la Standa en 1988. En 1990 est adoptée définitivement la loi Mammì proposée par le gouvernement De Mita qui fige le duopole RAI / Fininvest sans imposer aucune règle précise à Berlusconi, qui peut donc garder tranquillement toutes ses chaînes, en même temps que la société Mondadori arrachée à De Benedetti dans un grand procès qui se conclut en sa faveur, grâce aux “tangenti” (400 millions de lires) versées au juge Vittorio Metta par son avocat, Cesare Previti, et s’empare ainsi de plusieurs grands journaux et hebdomadaires, La Repubblica, L’Espresso, Panorama, Epoca et 13 journaux locaux. Une médiation politique obligera Berlusconi à restituer à De Benedetti La Repubblica et L’Espresso. Previti et le juge sont condamnés, et le 9 juillet 2011, la seconde section civile de la Cour d’Appel de Milan condamne la Fininvest à verser 560 millions d’euros à De Benedetti pour les pertes subies dans le procès précédent.

En 1990, Berlusconi crée, sous des prête-noms, 3 chaînes payantes, Télé 1, Télé+2, et Télé+3, et il passe Il Giornale sous le nom de son frère Paolo. Berlusconi décide de “descendre sur le terrain” politique en 1994, en créant un nouveau parti “Forza Italia” (en Sicile “Forza Sicilia”, qui comprend les anciens autonomistes et les représentants de la mafia), et il devient Président du Conseil, allié à Alleanza Nazionale (ex-fascistes) et à La Ligue du Nord. Celle-ci l’abandonne au bout de 8 mois et il doit démissionner. Il est mis en examen pour corruption de juge, liens avec la mafia, fraude fiscale, faux en bilan... Plusieurs fois condamné, il est finalement absous soit en appel, soit par prescription. En 1996, le centre–gauche de Romano Prodi gagne les élections, mais le communiste Massimo D’Alema constitue avec Berlusconi une Commission des deux chambres, où il l’intronise comme “padre costituente” ! (Voir la dénonciation de la collaboration entre centre-droit et centre-gauche, l’appui donné par la gauche aux télévisions de Berlusconi, etc. dans le livre L’inciucio (contrat clandestin peu clair), de Marco Travaglio et Peter Gomez, B.U.R., 2006). Cela l’aidera à gagner à nouveau les élections en 2001, avec son parti nommé maintenant “Casa della libertà” et il redevient Président du Conseil.

Pourquoi décide-t-il de “descendre sur le terrain politique” ?

1) Parce qu’il y a un vide politique créé par “Tangentopoli”, Craxi est éliminé, le PSI et la DC disparaissent ; il faut combler le vide et en profiter ; d’autre part, il faut éviter que les “communistes” arrivent au pouvoir à cette occasion, et puissent lui créer des difficultés en jugeant son histoire passée ; 2) Il y est poussé par la mafia, qui n’a plus de soutien au Parlement, après la disparition du PSI (et d’abord de Craxi) et de la DC ; les attentats et assassinats mafieux de 1993 sont probablement l’expression de cette pression (à moins que Berlusconi lui-même les ait suscités pour aggraver la tension existante ?) ; 3) Le pouvoir politique sera une carte de plus dans ses affaires, et lui permettra d’avoir une couverture politique sous la forme d’une immunité parlementaire, mais aussi d’avoir la main sur tous les médias, ceux de Mediaset (privés) et ceux de l’État, la RAI ; ce pouvoir satisfait par ailleurs son orgueil personnel.

Ses intermédiaires avec la mafia(3) sont surtout deux personnages, Vittorio Mangano et Marcello Dell’Utri. Le premier, Vittorio Mangano (1940-2000), criminel sicilien défini par le juge Paolo Borsellino “une des têtes de pont de l’organisation mafieuse dans le nord de l’Italie”. Arrêté et emprisonné plusieurs fois (chèques sans provision, escroquerie, recel ; extorsion, ; coups et blessures ...), il est connu de Dell’Utri qui le fait embaucher en 1973 dans la villa d’Arcore de Silvio Berlusconi, comme “palefrenier” (il sera toujours présenté par la suite comme “le palefrenier d’Arcore”). Il quitta la villa en 1975 pour des raisons mal définies. Il a eu avec Berlusconi des rapports ambigus : aurait-il été celui qui a tenté d’enlever son fils ? Aurait-il été le “protecteur” mafieux de Berlusconi ? Des repentis ont témoigné que, par son intermédiaire, Berlusconi aurait versé 200 millions de lires (environ 100.000 euros) par an à la mafia. (3) Pour les rapports de Berlusconi avec la mafia, voir : Fabrice Rizzoli, Petit Dictionnaire énervé de la mafia, L’opportun Eds, 10/02/2012 ; Marco Travaglio et Peter Gomez, plusieurs ouvrages importants (sur le site : www.mafias.fr et Peter Gomez.it) ; Vincenzo Pilato, La mafia, La Chiesa, lo Stato, Effat・Editrice, 2009, 320 pages. Mangano a été condamné à la prison à vie pour 2 assassinats, et il est mort de cancer quelques jours après sa condamnation. En 2008, Dell’Utri, approuvé par Berlusconi, déclara que Mangano avait été “un héros”, parce que, pour avoir une peine moins lourde, il aurait pu témoigner contre lui et contre Berlusconi, et qu’il ne l’avait pas fait ! Mais l’intermédiaire principal entre Berlusconi et la mafia a été Marcello Dell’Utri (1941- ), d’abord employé de banque avant de rentrer à la Fininvest, et de devenir sénateur et député européen de Forza Italia, jusqu’à sa condamnation. Il a été l’ami de Berlusconi depuis leur rencontre à l’Université de Milan, et il devient son secrétaire dès 1963, puis son assistant dans la société Edilnord, puis administrateur de la société Publitalia, et de Fininvest en 1984. Il est un des fondateurs de Forza Italia en 1994. Dell’Utri a été poursuivi pour complicité d’association mafieuse; c’est lui qui aurait concouru aux investissements de la mafia dans la Fininvest, et qui aurait été “l’ambassadeur de la mafia à Milan”. En 2004 il est condamné à 9 ans de prison et interdiction à vie d’exercer une charge publique, par le tribunal de Palerme, condamnation réduite à 7 ans en appel. En 2012, la Cour de Cassation annule le jugement pour insuffisance de preuves, et demande un nouveau procès, tout en confirmant que Dell’Utri a bien été l’intermédiaire entre Berlusconi et la mafia. Le 30 décembre 2012, Dell’Utri, installé à Saint-Domingue, déclare à Il Fatto quotidiano, que sa candidature aux élections de 2013 serait un acte de “légitime défense”, raison pour laquelle il était déjà entré dans la lutte politique en 1994... comme Berlusconi...

Que conclure ?

1) Berlusconi n’est donc qu’un homme d’affaires, pas un homme politique ; ce qui compte, c’est le développement de ses affaires, dont l’État n’est qu’un élément ; le politique est pour lui le meilleur moyen de se protéger des poursuites judiciaires et de gagner de l’argent. Il est la suite des politiques socialistes et démocrates-chrétiens éliminés par les procès de 1992 ; et l’incarnation de tout ce qui a détruit ou gâté le meilleur de l’Italie. Le 5 janvier 2013, il déclare encore : “Je me sentirai pour toujours un entrepreneur qui s’est mis à disposition de la politique” (La Repubblica, 05/01/2013)... ou : qui a mis la politique à sa disposition !

2) Berlusconi est un homme d’affaires mafieux puissant, qui avait de nombreuses protections dans tout l’appareil politique, judiciaire, policier, maçonnique, ce qui lui a toujours permis jusqu’à maintenant d’échapper à la justice et à la prison. Il a cru que cela lui permettait n’importe quel comportement politique, sexuel et moral. Prenons quelques exemples :

a) La protection de la Loge P2 : Il obtient du Monte dei Paschi de Sienne (dont le “provveditore” est membre de la Loge) des financements dont la légalité est douteuse. Il s’assure une collaboration avec le Corriere della Sera, alors dirigé par un membre de la Loge et qui est alors possédé par la société Rizzoli, appartenant à Angelo Rizzoli et Bruno Tassan Din, membres de la Loge. b) La protection de certains officiers de la Guardia di Finanza : le 24 octobre 1979, 3 officiers de la Guardia viennent enquêter au siège de l’Edilnord Cantieri residenziali ; Berlusconi (seul propriétaire de la société) les reçoit, déclare qu’il n’est qu’un conseiller extérieur pour la construction de Milan 2. Les officiers ne posent pas de questions et concluent leur enquête, malgré toutes les anomalies existantes ; ils seront tous brillamment promus ; l’un d’eux quittera l’armée pour venir travailler à la Fininvest comme avocat d’affaires (Massimo Maria Berruti), avant d’être plus tard arrêté et de devenir député de Forza Italia. On s’apercevra qu’un autre officier était membre de la Loge P2. c) La protection de juges : le 30 mai 1983, la Guardia di Finanza de Milan procède à des écoutes téléphoniques de Berlusconi, dans le cadre d’une enquête sur le trafic de drogue, et son rapport dit : “Il est à signaler que le bien connu Silvio Berlusconi financerait un intense trafic de stupéfiants en provenance de la Sicile et destiné tant à la France qu’à d’autres régions d’Italie (Lombardie et Latium). Le susdit serait au centre d’une importante opération spéculative sur la Côte Esmaralda en utilisant des sociétés-écrans ayant, dans la plupart des cas, leur siège à Vaduz (Lieechtenstein) et toujours à l’étranger. Du point de vue opérationnel, les sociétés en question laissaient une grande marge de manœuvre aux professionnels locaux”. L’enquête traîne 8 ans sous la direction d’un procureur accusé depuis de corruption, puis est oubliée et classée par le doyen des juges d’instruction de Milan, Anna Capelli. d) La protection de Craxi et du CAF (Craxi-Andreotti-Forlani), comme on l’a vu à propos de la loi Mammì sur les télévisions privées. En échange, Berlusconi fut accusé de financement illicite de parti politique pour un versement de 21 milliards de lires à Bettino Craxi, condamné à 2 ans et 4 mois de prison, jugement cassé par prescription. e) La protection de Berlusconi lui-même : devenu Président du Conseil, il consacre une partie importante de son temps et des lois qu’il fit adopter pour se protéger de possibles jugements à son égard et pour éviter les condamnations ou les faire annuler par prescription, en payant de nombreux avocats pour faire traîner suffisamment les procès. Citons quelques-unes de ces lois :

* Loi sur les commissions rogatoires (367/2001) qui annule l’utilisation des commissions suisses;

* Dépénalisation du “falso in bilancio” (loi 61/2002) ;

* Loi “Cirami” (248/2002) sur le soupçon légitime, qui permet de refuser un juge et d’arrêter ainsi un procès;

* Le “Lodo Schifani” (140/2003), qui permet aux 5 premières personnalités de l’État de ne pas se présenter à leurs procès, parce que déjà engagés par leurs responsabilités politiques (déclaré par la suite inconstitutionnel) ;

* L’extension du “condono” (remise de peine pour les délinquants) sur les zones protégées (loi 308/2004), qui libère la villa de Berlusconi “La Certosa”);

* Le recours du gouvernement contre une loi de la Sardaigne interdisant de construire à moins de 2 kms de la côte, qui aurait bloqué la construction de la “Costa turchese” (250.000 m3) (recours 15/2005) ;

* Loi “ex-Cirielli” (251/2005) qui réduit les temps de prescription, qui permet d’effacer beaucoup de faits dans le procès de Berlusconi sur les TV ; la loi permet aux personnes âgées de plus de 70 ans de purger leur peine chez eux (Berlusconi en a 76 !) ;

* Mars 2010, loi “d’empêchement légitime” qui autorise le président du conseil et ses ministres à ne pas répondre à une convocation du tribunal pendant 18 mois.

* Dans un autre domaine, la Ligue du Nord et Forza Italia ont tenté en octobre 2007 de transférer les fonds de recherche attribués à Rita Levi-Montalcini (1909-30 décembre 2012, prix Nobel en 1986 et sénatrice à vie) à la société San Raffaele de Milan, une société contrôlée par Fininvest et qui était au centre d’une enquête pénale pour banqueroute et fausses factures (Cf Il Fatto Quotidiano du 1er octobre 2011). On pourrait multiplier les exemples.

3) Son ultralibéralisme a donné satisfaction à une partie importante de la droite italienne et du patronat, jusqu’à ce qu’il les inquiète par ses échecs et son goût exclusif de sa réussite personnelle. Lorsqu’il pense à créer son parti, en 1992, il travaille avec les représentants du patronat et des partisans de la “libre entreprise”, inquiets d’une possible prise de pouvoir des “communistes”, avec les représentants de la presse de droite, avec Craxi (Voir l’article de Giovanni D’Avanzo, dans la Repubblica du 1er décembre 2009). Et il n’hésite pas à appeler le peuple à “travailler au noir” s’il est au chômage, à ne pas payer ses impôts, etc. = modèle désastreux à la tête de l’État ! Son sens du comique, ses capacités de clown de la commedia dell’arte (voir ses plaisanteries sur ses adversaires, ses amis, ses partenaires, sur Obama “bronzé”, sur les femmes, sur les communistes, etc) ont séduit pendant un temps l’opinion populaire ; sa capacité à réussir alors qu’il est parti de rien peut laisser penser que “moi aussi ...”. Il apparaît comme un gagnant, un “homme d’acier” (dit-il de lui-même). Il est la fin d’une certaine Italie, dont la chute a commencé en 1992, et qu’il a prolongée pendant 20 ans. Les Italiens s’apercevront peut-être en 2013 que le crime était “presque” parfait... Dino Risi disait : “Quelques personnages ont déjà une forme de spectacle : Andreotti c’est le drame, Berlusconi est la comédie, Bossi est la farce”.

5) Les réformes de Mario Monti

Rappelons d’abord qui est Mario Monti. Il est né en 1943, à Varese, il a fait ses études à l’Université Bocconi de Milan et à l’Université Yale des USA. Il a enseigné à l’Université de Turin de 1970 à 1985, puis a été nommé recteur de l’Université Bocconi de Milan. Il n’a jamais appartenu à aucun parti politique. Il a été commissaire européen au Marché intérieur en 1995, puis à la Concurrence de 1999 à 2004, nommé d’abord par Berlusconi puis reconduit par Massimo D’Alema, mais Berlusconi ne le confirma pas en 2004. On l’a surnommé “Super Mario”, comme Mario Draghi. Il est l’auteur de nombreux ouvrages d’économie. Mario Monti, Gianni Letta et Mario Draghi sont ou ont été conseillers (“International Advisor”) de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs. Monti est par ailleurs membre de 2 think tank (laboratoires d’idées) européens ; il souhaite un renouvellement de l’Europe, dans un sens plus social. Depuis 2010 il est président du groupe européen de la Commission Trilatérale, un groupe d’intérêt néolibéral fondé en 1973 par David Rockfeller et le Groupe Bilderberg. Il a été nommé sénateur à vie par le Président de la République en 2011, puis Président du Conseil le 13 novembre 2011 ; son gouvernement ne comportait aucun politique mais des “techniciens”, un banquier (Corrado Passera), une préfète (Anna Maria Cancellieri), un magistrat (Filippo Patroni Griffi), un ambassadeur (Giulio Terzi di Sant’Agata), un amiral (Giampaolo Di Paola), des avocats (Paola Severino, Enzo Moavero Milanesi), des dirigeants d’entreprise (Pietro Gnudi), des universitaires (Elsa Fornero, Francesco Profumo, Lorenzo Ornaghi), un médecin (Corrado Clini), des économistes (Fabrizio Barca, Piero Giarda), le fondateur de la Communauté Sant’Egidio (Andrea Riccardi), etc... Il eut au départ l’appui de toute la Chambre des Députés, à l’exception de la Ligue du Nord (59 députés) et de 2 députés Pdl ex-fascistes.

Qu’a réalisé Mario Monti ? L’effet positif reconnu de sa présidence du Conseil a été de modifier l’image de l’Italie, dans un sens positif, de lui redonner la confiance des marchés. Monti était connu comme un homme honnête, un bon technicien des questions économiques, mais qui n’était pas pour autant un possédant, un homme d’affaires, et qui n’ambitionnait pas une fonction politique pour augmenter sa fortune. Il avait dit dès le début de son mandat qu’il souhaitait, pour la transparence des membres de son gouvernement, qu’ils déclarent leur patrimoine. Il apparaît que Monti n’est même pas le plus riche de tous les ministres : il n’a déclaré en 2010 qu’un revenu d’un million 515.000€, le salaire d’un sénateur à vie étant de 211.502€ par an ; il a versé au fisc 660.000€ d’impôt. Il lui reste donc un revenu d’un peu plus de 900.000€ par an, soit environ 7500€ par mois. Il ne possède ni avion privé ni yacht ; il a trois voitures en commun avec sa femme, avec qui il possède des appartements à Varese, Milan et Bruxelles et un patrimoine en banque d’environ 11 millions d’euros. Son ministre de la Justice, Paola Severino déclare 7 millions d’euros et son ministre du développement économique, Corrado Passera, 3,5 millions d’euros. Mario Monti est donc un homme riche, mais sa fortune est sans comparaison avec celle d’un Berlusconi, et il la doit à ses salaires d’universitaire et de technicien bancaire. Ce fait positif a un peu fait oublier que Monti était aussi l’homme du Marché, nommé sous la pression de l’Europe pour calmer les banques et le Marché sur la situation critique de l’Italie. Par contre, au bout de 13 mois de gouvernement, les observateurs s’accordent à dire qu’il n’a guère changé la situation de l’Italie : il était dépendant d’une majorité parlementaire ambiguë, comportant tous les élus du PDL berlusconien (qui l’ont finalement lâché) et les élus de gauche minoritaires. Ses premières manœuvres financières tendant à un budget équilibré ont en effet rassuré les marchés, sa réforme des retraites a rétabli un équilibre; son projet de réforme territoriale était positif mais a été refusé par la cour constitutionnelle ; il a réformé timidement les professions libérales, mais n’a pas touché aux monopoles des chaînes de radio et télévision ; il n’est pratiquement pas intervenu sur les problèmes d’évasion fiscale et de fraude fiscale, dont il reconnaissait pourtant que c’était un des plus gros problèmes de l’Italie ; il n’a rien fait sur les problèmes de l’école et de l’Université ; sa réforme de l’article 18 du Statut des Travailleurs sur les licenciements a été maladroitement présentée, a provoqué l’hostilité des syndicats, et n’a pas apporté de changements notables. Sa réforme de l’IMU (Impôt Municipal Unique) ne parvient pas à supprimer les privilèges fiscaux de l’Église catholique. Il n’a pas “aboli les privilèges”, selon son expression de candidature, ni ceux de l’Église, ni ceux des possesseurs de comptes en Suisse. Sous son gouvernement, la dette publique est passée de 1.906,768 milliards à 2.020,668 milliards d’euros.

6) Les élections législatives de février 2013

Trois regroupements semblent se dessiner :

a) Un regroupement de centre-gauche

Le leader en sera Pier Luigi Bersani, dirigeant du Parti Démocrate (PD). Il est né en 1951 en Émilie-Romagne, région dont il a été président dans les années 1990 ; il a été ministre (Industrie et commerce dans le gouvernement Prodi I, Transports et Navigation dans le D’Alema II et dans le Amato II, Développement économique dans le Prodi II). Il a été élu Conseiller Régional du Parti Communiste Italien (PCI) en Émilie, puis président de la Région comme élu du Parti Démocrate de Gauche (PDS) qui succède au PCI. Il est un des dirigeants des Démocrates de Gauche (DS) qui succède au PDS. En 2009 il est élu Secrétaire du PD (342.000 votants), où il succède à Dario Franceschini. Les élections primaires du Centre-gauche des 25 novembre et 2 décembre 2012 l’ont désigné largement comme candidat à la Présidence du Conseil de cette coalition, par 44,9% des votants (3.100.000) du 1er tour devant Matteo Renzi (25,5%), Nichi Vendola (215,6%), Laura Puppato (2,6%) et Bruno Tabacci (1,4%). Au second tour, il obtient 60,9% devant Matteo Renzi (39,1%). Il prend l’initiative originale de faire des élections primaires dans chaque région les 29 et 30 décembre 2012, pour la nomination des candidats aux élections législatives de 2013, où pourront voter ceux qui ont renouvelé leur adhésion au PD et ceux qui avaient voté pour les primaires de décembre. Il y avait 6.000 sièges ouverts et 50.000 militants pour les organiser. Les électeurs pouvaient émettre deux votes préférentiels, l’un en faveur d’un homme, l’autre en faveur d’une femme ; quand les préférences donnaient deux candidats du même sexe, le second était annulé, mais on pouvait n’exprimer qu’une préférence. Plus d’un million de personnes ont voté. Cela rompt avec l’habitude de voir les candidats désignés par les secrétariats nationaux des partis, et pourrait rapporter des voix nouvelles au PD, à qui les sondages donnent environ 35% des voix. Les jeunes et les femmes sont sortis en majorité de ce scrutin : renouvellement prometteur de la classe politique. Encore faut-il que ce vote soit respecté dans la constitution définitive des listes... Cependant le Secrétariat a prévu une liste bloquée de candidats (10% des candidatures) pour pouvoir choisir des personnalités nécessaires à un gouvernement efficace. Un autre groupe de centre-gauche organisait aussi des primaires, la Sinistra Ecologia e Libertà (SEL), fondé en 2009 à l’occasion des élections européennes, à partir de plusieurs petits partis de gauche. Son responsable est Nichi Vendola qui avait participé aux primaires du PD en 2012 ; les 2 partis iront unis aux élections de 2013. * L’Alleanza per l’Italia (API) de Bruno Tabacci, qui avait été le dernier candidat aux primaires du PD ? Fondée en décembre 2009, héritage de La Margherita de Franco Rutelli, elle hésite entre centre libéral et centre gauche. Sera finalement en coalition avec le centre gauche, de même que le nouveau Partito Socialista Italiano (PSI), recréé en 2007 (qui n’a plus d’élus depuis 2008), au moins dans certaines circonscriptions. Le Sud Tirolo Volkspartei s’est également rallié à cette coalition “Italia. Bene comune”.

b) Le regroupement du centre de Mario Monti

Celui-ci a donc décidé de former une coalition, sans être lui-même candidat puisqu’il est déjà Sénateur à vie. Le 31 décembre 2012, il a proposé un programme en 7 points, affirmant la nécessité de renouveler la démocratie italienne en profondeur, dans une rigueur administrative maximale, qui serait en même temps un programme de renouveau de l’Europe, et dépassant l’opposition entre “une vieille droite conservatrice et libérale et une gauche progressiste et étatique”. Il présente une coalition de 3 listes à la Chambre et une liste au Sénat : Une liste au nom de Monti “Scelta civica. Con Monti per l’Italia”), une liste de l’Union du Centre (UDC), de Pier Ferdinando Casini, un des héritages de la DC, et une liste de Futuro e Libertà per l’Italia (FLI) de Gianfranco Fini, né en 2010 de l’ancienne Alleanza Nazionale (néofascistes) ; au Sénat, une liste unique intitulée seulement “Con Monti per l’Italia”.

c) Le regroupement de droite guidé par Berlusconi

Qui comprend 9 partis à la Chambre et 14 au Sénat :

* La Lega Nord de Roberto Maroni

* Le Movimento per le autonomie (MPA). N’existe qu’en Calabre, Campanie et Sicile, créé en 2005 d’une dissension interne à l’UDC, partisan de l’autonomie du Sud, relié à la Lega Nord.

* Les petits groupes Fratelli d’Italia, Partito dei Pensionati, Libertà da Equitalia, Intesa popolare, Moderati in Rivoluzione, les Popolari d’Italia Domani (PID) de Calogero Mannino, scission de droite de l’UDC, etc.

* Grande Sud, fédération de petits partis du Sud fondée en 2011.

* La Destra di Storace, néofasciste dur.

Que feront :

* Les Libéraux démocrates (LibDem) de Lamberto Dini, qui avaient flirté avec Berlusconi ?

* L’Azione Popolare (AP), de Silvano Moffa, scission des néo-fascistes ?

* Le Movimento di Responsabilità Nazionale (MRN) de Massimo Calearo, 2 anciens du PD, achetés par Berlusconi ?

d) Un regroupement de gauche autour de La Rivoluzione civile

De Antonio Ingroia ? avec La Federazione dei Verdi, de Grazia Francescato ? et avec le PCDI et Rifondazione comunista, fondée en 1991 par scission du PCI, et dirigée actuellement par Paolo Ferrero. Il avait eu 6% des voix en 1992, 5,8% en 2006, mais est éliminé du Parlement dans les élections de 2008. La coalition comprendra aussi L’Italia dei Valori (IdV), lancé à Rome en 1998 par Antonio Di Pietro, après sa démission de la magistrature.

e) Les Groupes extra parlementaires

* Le Movimento 5 Stelle, inspiré par Beppe Grillo : créé en 2009, il obtient un premier succès électoral aux élections municipales de 2012, en conquérant la mairie de Parme. C’est un mouvement anti-tout, de type libertaire, dont beaucoup de membres sont issus de la gauche. Son leader Beppe Grillo (1948- ), comique, satiriste et acteur, lancé par Pippo Baudo. En 1987, il attaqua violemment Bettino Craxi ; en 2008, il est poursuivi en justice par Mediaset pour diffamation ; il est ami du secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone ; en 2007, il anime une journée “V-day” (Vaffanculo–Day = Va te faire foutre), et il est devenu très populaire, faisant de nombreux meetings très suivis, et sur un des blogs les plus suivis d’Italie. Il semble devoir aller seul aux élections, mais propose des alliances incohérentes avec l’extrême gauche et avec l’extrême droite néofasciste (par exemple le groupe néofasciste CasaPound créé en 2003 à Rome).

* Et toutes les petites listes de 2008, Retraités, Consommateurs, etc.

f) Les Radicaux Italiens

“Amnistia, Giustizia e Libertà” présenteront quelques listes autonomes et n’entreront dans aucune coalition. Feront de même Stefania Craxi (Riformisti popolari), “Io amo l’Italia” de Magdi Cristiano Allam et L’Union des Démocrates pour l’Europe (UDEUR) de Clemente Mastella, ancien DC., devenu UDEUR-Popolari per il Sud.

7) Après les élections de février 2013

a) Les résultats des élections

Ils vont être à l’origine d’une situation difficile. La coalition de gauche obtient 340 sièges à la Chambre des députés sur 618 députés (PD = 8.642.700 voix, 25,4%, 292 sièges ; SEL = 1.090.802 voix, 3,2%, 37 sièges ; Centro Democratico = 167.201, 0,5%, 6 sièges ; Südtiroer Volkspartei (SVP) = 146.804 voix, 0,4%, 5 sièges) ; la coalition Silvio Berlusconi obtient 124 sièges (Pdl = 7.332.121 voix, 21,6%, 97 sièges ; Lega Nord = 1.390.156 voix, 4,1%, 18 sièges ; Fratelli d’Italia = 666.001 voix, 2%, 9 sièges) ; la coalition Mario Monti obtient 45 sièges (Scelta Civica con Mario Monti =2.823.814 voix, 8,3%, 37 sièges ; UDC = 608.292 voix, 1,8%, 8 sièges). Mais la surprise vient du M5S qui obtient 108 sièges (8.688.545 voix, 25,5%). Aucune autre liste n’obtient assez de voix pour avoir des élus. Le centre gauche a donc une large majorité. La situation est différente au Sénat (309 sénateurs), du fait de la différence légale du mode d’élection : la coalition de gauche obtient 113 sièges (PD = 8.399.991 voix, 27,4%, 105 sièges ; SEL = 912.347 voix, 3,0%, 7 sièges) ; Liste Crocetta = 138.581 voix, 0,4%, 1 siège) ; la coalition Silvio Berlusconi obtient 116 sièges (Pdl = 6.829.164 voix, 22,3%, 98 sièges ; Lega Nord = 1.328.555 voix, 4,3%, 17 sièges ; Grande Sud = 122.100 voix, 0,4%, 1 siège) ; la coalition Monti obtient 18 sièges (Con Monti per l’Italia = 2.797.451 voix, 9,11%, 18 sièges). Mais là aussi la surprise vient du M5S qui obtient 54 sièges (7.285.648 voix, 23,8%). Il n’y a donc pas de majorité de gauche au Sénat, sauf alliance, qui ne se réalisera pas, entre le PD et le M5S.

b) L’élection des présidents

Les premières tâches du Parlement seront d’élire les présidents des chambres et le président de la République, et de former un gouvernement. À la présidence de la Chambre des Députés, la gauche réussit à faire élire Laura Boldrini. Née en 1961 à Macerata, dans les Marches, elle fait des études de droit, part travailler dans une rizière au Venezuela, revient en Italie comme journaliste à la RAI puis à la Radio de l’ONU pour la FAO (alimentation et agriculture, devient porte-parole du Programme Alimentaire Mondial (PAM), puis membre du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UHNCR), où elle défend les “migrants” qui arrivent sur les côtes italiennes, accusant les gouvernements de droite et de Mario Monti de ne les considérer que comme des “clandestins” à expulser ; elle est alors violemment attaquée par le Ministre de la Défense de Berlusconi, Ignazio La Russa. En 2013, elle est élue député de Sicile sur la liste du SEL, puis présidente de la Chambre des Députés au 4e tour de scrutin, le 16 mars 2013, par 327 voix sur 318 contre 108 voix au candidat du M5S, Roberto Fico, 29 voix dispersées ou nulles et 155 votes blancs. Elle est la 3e femme élue présidente de la Chambre après Nilde Jotti (1920-1999), du PCI (1979-1992) et Irene Pivetti (1963- ) de la Lega Nord (1994 - 1996). Au Sénat, ce sera plus difficile. Est élu Pietro Grasso. Né en 1945 à Licata, en Sicile, il devient magistrat à Palerme, chargé entre autres du premier procès contre la mafia, avec 475 inculpés (1984-1987), puis il devient procureur auprès de la Commission antimafia, et procureur de Palerme, puis procureur en chef de la Direction Nationale antimafia. Il est élu sénateur en 2013 sur une liste du PD, et le 16 mars 2013, il est élu président du Sénat par 137 voix sur 313 sénateurs contre 117 à Renato Schifani, candidat du PDL et 59 voix blanches ou nulles. Il a donc reçu l’appui d’une quinzaine de sénateurs du M5S.

L’élection du Président de la République du 18 au 20 avril posera plus de problèmes. D’abord hostile à sa réélection à la présidence, il laisse la place au candidat choisi par le M5S, un membre du PD, Stefano Rodotà (1933- ), juriste calabrais du parti Radical puis du PDS, ancien vice-président de la Chambre des Députés, très estimé de tout le monde politique et judiciaire. C’aurait été une possibilité exceptionnelle de réaliser une unité entre la gauche et le M5S ; mais le PD de Bersani, après l’échec de tentatives de candidatures de Franco Larini et de Romano Prodi, choisit finalement de convaincre Napolitano de se représenter malgré ses 87 ans, appuyé par le Pdl et par la Lega Nord ; c’était le signe d’une ouverture vers le centre droit plutôt que vers le M5S. Giorgio Napolitano est finalement réélu par 738 voix contre 217 voix à Stefano Rodotà, le 20 avril 2013. Mais la conséquence sera que les gouvernements de gauche qui suivront devront négocier avec la Silvio Berlusconi, qui peut encore bloquer les décisions du Sénat où il est élu.

c) Les gouvernements de centre gauche

Le premier est dirigé par Enrico Letta, membre du PD. Il est à Pise en 1966, dans une famille démocrate-chrétienne, son oncle est Gianni Letta, ami et ministre de Berlusconi. Il a été membre de la DC, puis du Parti Populaire Italien qui lui succède en 1994, et il est pendant 4 ans président des Jeunes Chrétiens Démocrates européens pendant 4 ans à partir de 1994, et en 1996 il devient secrétaire adjoint du PPI, puis il est ministre dans les gouvernements d’Alema, Amato et Prodi. Il rejoint alors le parti de la Marguerite, Democrazia e Libertà, où se retrouvent un certain nombre d’anciens DC plus à gauche. Il passe enfin au PD en 2007. Il est député de Lombardie en 2008, et il est nommé secrétaire adjoint du PD en 2009. En 2013, Bersani ayant démissionné du secrétariat du PD après l’élection de Napolitano, ce dernier nomme Letta Président du Conseil, avec mission de former un gouvernement d’union nationale avec le PD, le Pdl et le parti de Mario Monti. On trouve dans ce gouvernement 9 ministres, 5 vice-ministres et 2 sous-secrétaires du PD, plus Emma Bonino, du parti Radical, Ministre des Affaires Étrangères, 6 ministres, 2 vice-ministres et 8 sous-secrétaires du Pdl, dont Angelino Alfano, vice-Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur, plus un ancien ministre de Berlusconi et 1 ministre, 1 vice-ministre et 1 sous-secrétaire de Scelta Civica de Monti, plus 7 “techniciens” (ancienne préfète, médecin, banquier, universitaire, athlète, magistrat). Le ministère comprend 7 femmes, dont une ministre noire, Cécile Kyenge, qui ne cessera d’être attaquée et insultée par les élus de la droite (un député de la Lega Nord la traite d’orang-outang). Ils sont tous des personnages de second rang, surveillés de l’extérieur par les “boss” des partis, de D’Alema à Silvio Berlusconi. Beaucoup disent que cela met le PD en crise profonde, en même temps que cela suscite la déception de tous ceux, de droite et de gauche, qui espéraient être ministres.

Les réalisations du gouvernement Letta resteront donc peu abouties ; par exemple il doit accepter la proposition de Berlusconi de ne pas faire payer l’IMU, impôt institué par Monti : cela flatte les Italiens qui n’ont pas encore compris qu’il était normal de payer un impôt sur les immeubles qu’ils possèdent. Le 13 février 2014, la direction nationale du PD, sur proposition de Matteo Renzi, vote la défiance). Enrico Letta qui doit donner sa démission de Président du Conseil. Le 22 février 2014, Matteo Renzi prend ses fonctions de Président du Conseil (Voir le détail des décisions du gouvernement Letta en tapant : Governo Letta-Wikipedia). Le second gouvernement de la législature sera donc gouverné par Matteo Renzi. Né en 1975 à Florence, il est le fils d’une élue démocrate-chrétienne de la ville ; il est formé par le scoutisme catholique. Il fait des études de droit à l’Université de Florence, et travaille un temps comme journaliste. En 1996, il adhère au Parti Populaire Italien, devient coordinateur puis secrétaire de La Margherita de Florence. En 2004, il est tête de liste de l’alliance de centre-gauche de L’Olivier aux élections provinciales, et élu au premier tour. En 2009, il est élu conseiller municipal, puis maire de Florence. En 2012, il se présente comme candidat aux primaires du centre-gauche, mais il n’arrive que second derrière Pier Luigi Bersani, avec 39,1% des voix. En 2013, après la démission de Bersani, il devient secrétaire du PD, rassemble autour de lui une équipe plus jeune et plus féminine. Il se fait finalement élire, contre son camarade Enrico Letta, Président du Conseil, faisant un discours volontariste qui promet une réforme de fond par mois à partir d’avril 2014, et il est surnommé le “Rottamatore” (= le démolisseur), et par certains “Renzusconi”, tant il partage les méthodes de Silvio Berlusconi, en particulier dans les médias. Il est le plus jeune Président de toute l’histoire italienne. Mais en août 2014, ses projets de réforme n’ont toujours pas abouti (réforme du Sénat et de la loi électorale, réforme de l’administration, protection du territoire, sécurité des écoles, coût de l’énergie, réforme des provinces, etc.).

d) La fracture de la droite et la fin politique de Berlusconi

Le 16 novembre 2013, Berlusconi décide de dissoudre le Pdl pour refonder l’ancien parti de Forza Italia. Une tendance du parti, guidée par Angelino Alfano, décide alors de faire scission et de fonder le NCD, Nuovo Centrodestra, le Nouveau Centre droit, qui maintiendra son alliance avec Letta puis avec Renzi ; il comprend une trentaine de députés, autant de sénateurs et 2 députés européens. Quant à Silvio Berlusconi, après sa condamnation d’août 2013 dans l’affaire Mediaset, il est déchu par le Sénat de son mandat de sénateur le 27 novembre 2013. Il est désormais inéligible à une fonction publique. Il reste néanmoins un des hommes les plus riches d’Italie, propriétaire de chaînes de télévision et de radio, et patron (extérieur) d’un groupe important de parlementaires.

8) Quelques grands problèmes de l’Italie. Qui les réglera ?

a) La dette publique

Selon la Banca d’Italia, la dette se monte maintenant à 2020,7 milliards d’euros et a augmenté de 113 milliards en 2012, dont 73 milliards dus aux besoins de l’Administration Publique. Par contre les rentrées d’impôts ont augmenté de 3% dans les 11 premiers mois de 2012. La dette aurait légèrement diminué en décembre 2012, à mettre au compte de la politique de Monti. Cette dette coûte environ 90 milliards d’intérêt par an.

b) L’évasion fiscale

L’Italie est au premier rang en Europe. 270 milliards de sommes imposables “s’évadent” chaque année, ce qui représente une perte de rentrée d’impôts d’environ 120 milliards chaque année, dont seulement 10 milliards ont été récupérés en 2010, ce qui représente une perte de 3000 euros par an pour chaque contribuable honnête ! Et les lois votées par le gouvernement de Berlusconi ont encore diminué les possibilités de récupération (par exemple la Mondadori, dont Berlusconi est propriétaire), poursuivie depuis plus de 10 ans pour une évasion fiscale dont les 5% prévus par la nouvelle loi aurait dû représenter 174 millions d’euros, elle n’a finalement payé que 8,6 millions ! Une autre loi a été votée réduisant à 2,5% des sommes dues l’amende à payer en cas de rapatriement de sommes illégalement placées à l’étranger. Or on calcule que les sommes évadées représentent de 500 à 700 milliards d’euros, mais les divers “boucliers fiscaux” votés par Berlusconi ont fait qu’en 2010, l’État n’a encaissé que 640 millions, etc. L’évasion représente aussi bien les factures gonflées que la dissimulation de factures et l’envoi d’argent à l’étranger.

c) La corruption de l’Administration et des politiques

C’est un produit typique de l’Italie, qui aurait augmenté de 229% en 2010 par rapport à 2009. C’est une tare mondiale, certes, mais l’Italie est en tête ; les “mazzette” (les dessous-de-table) remis à l’administration ou aux politiques pour obtenir une “faveur” représentent 60 milliards par an, dont par exemple 600 millions dans le domaine de la santé en 2010.

d) L’économie souterraine, le travail au noir.

Elle représente 154 milliards d’euros = richesse produite par le travail au noir (7% du PIL, Produit Intérieur Brut). Le résultat est : 52,5 milliards de sommes imposables soustraites au fisc, soit une perte de 10,8 milliards. Environ 3 millions de personnes travaillent ainsi au noir (ISTAT), mais les syndicats l’estiment à au moins 3,5 millions, ce qui représente 12,2% des travailleurs italiens. Ce travail au noir est le fils légitime de l’évasion fiscale : on cache une partie de ses factures pour payer moins d’impôts, et on doit donc déclarer un nombre moins important de personnel = perte d’impôts due à la fois aux employeurs et aux travailleurs. L’économie souterraine représente environ 20% du PIL, soit 300 milliards d’euros. Cela regarde évidemment le Sud (travailleurs agricoles étrangers), mais aussi le Piémont, la Lombardie, l’Ombrie, l’Émilie-Romagne, etc. ; la moitié des travailleurs au noir sont des femmes. En cela, les travailleurs ne sont pas seulement victimes, mais ainsi ils ne payent pas d’impôts sur leur salaire.

e) La mort par accident du travail.

La conséquence est un travail moins sûr! en 2009, presque 2000 morts par accident du travail, en 2010 un peu plus de 10.000 victimes en 5 ans. Le coût des accidents pour la société est de 43 milliards par an = 3,21% du PIL + 6 milliards d’indemnités versés aux victimes. Alors que le coût moyen d’investissement pour éviter les accidents ne serait que de 50.000 euros par entreprise. Chaque jour, 27 personnes restent invalides à vie à cause d’un accident du travail.

f) La contrefaçon

= 7,1 milliards de facturation au noir, 130.000 postes de travail non déclarés, 5,3 milliards de pertes d’impôts. Sur le plan mondial, la contrefaçon représente 10% des échanges, soit un total de 433 milliards d’euros. Dans ce marché parallèle, l’Italie occupe la première place en Europe et la troisième dans le monde, après la Corée du Sud et Taiwan. Elle se pratique dans l’habillement, les CD et DVD, les produits alimentaires et boissons, le matériel électrique, informatique, la parfumerie, les bijoux, parfums, cosmétiques, produits pharmaceutiques...

g) Les mafias

= 100 à 135 milliards de facturation annuelle = 10% du PIL + 9 milliards d’extorsions + 27 milliards de trafic de cocaïne et 20 milliards d‘usure. Les mafias ont désormais conquis le Nord (Cf. rapport Pinotti pour la Banque d’Italie). La mafia est une sorte de holding organisée en une chaîne de sociétés à gestion généralement familiale ; elle a d’une part sa main d’œuvre criminelle et d’autre part sa masse d’avocats, de managers, d’experts financiers ; elle donne donc du travail à beaucoup de gens, ce qui est apprécié dans une période de chômage : un administrateur délégué gagne de 10.000 à 40.000 euros par mois, un vendeur de drogue mineur (souvent moins de 16 ans : voir Gomorra de Roberto Saviano) gagne 1000 euros par mois, un guetteur de quartier mafieux à Naples un peu plus, un « percepteur » de « tangente » auprès des « clients » gagne 2000 euros par mois, un bon killer peut gagner 25.000 euros par mois. Les fonds viennent des « pizzi » (taxes illégales) payées par les commerçants, industriels, etc. (un supermarché de Palerme paie environ 5.000 euros par mois, de Naples 3.000 euros), des prêts usuraires, des extorsions. La mafia gère environ 1/3 du marché de l’usure, s’emparant de commerces honnêtes qui ne peuvent plus fonctionner, et qui sont rachetés par la mafia. Les grands marchés publics, la construction d’immeubles, de bâtiments publics sont une source de fonds importante grâce à la corruption, de Milan à Palerme ; un accident comme le tremblement de terre des Abruzzes est un bonheur pour cette spéculation. Par ailleurs la ‘Ndrangheta s’infiltre de plus en plus dans les banques (celle du Vatican...), dans la société mondaine du Nord comme du Sud, dans les administrations, etc.

h) Les "écomafias"

Il faudrait citer encore les « écomafias » et d’autres problèmes. Les crimes contre l’environnement coûtent des milliards d’euros : constructions abusives, pollutions chimiques (7.000 morts prématurées par an dans la plaine du Pô), etc. (17 villes italiennes sont parmi les 30 villes d’Europe les plus polluées. Cette pollution coûte 28 milliards à l’Italie chaque année. Les écomafias encaissent plus de 20 milliards : ciment de mauvaise qualité avec trop de sable, béton d’une résistance de 40 kgs par centimètre alors que la loi impose 250 kgs, d’où l’écroulement rapide des édifices construits ; la gestion mafieuse des décharges et du ramassage des ordures et des déchets industriels dangereux est un autre business juteux (décharges abusives, etc. : on en compte 5.000 en Italie), ainsi que le nettoyage des cimetières (Cf. Saviano). Les remises de peine (il « condono ») par l’État sont légion, dues à la corruption, etc.

On n’en finirait pas d’énumérer ces problèmes qui ruinent l’Italie, où la corruption et l’illégalité sont devenues un système global auquel adhèrent nombre de citoyens (qui risquent de voter à nouveau pour Berlusconi pour pouvoir continuer). Comment faire pour changer ce système et redonner à l’Italie une vie digne ? Voir pour beaucoup de chiffres : Nunzia Penelope, Soldi rubati, Ponte Alle Grazie, 2011, 336 pages, 14,60€.


Jean Guichard, 5 août 2014