La Commedia dell’Arte
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Che commedia dell’Arte ! En observant attentivement la situation politique et le comportement du gouvernement de la Ligue d’extrême-droite alliée au Mouvement 5 Étoiles (M5S), j’ai eu la confirmation que les Italiens étaient vraiment de grands acteurs de Commedia dell’Arte. Les gouvernants italiens jouent avec une grande habileté. Pourquoi ? L’objectif de Salvini est unique, arriver au pouvoir (premier ministre et qui sait plus tard ? président de la République) ; pour cela il a besoin des applaudissements du public (on est après tout en « démocratie »). Et aujourd’hui, pour se retrouver à la tête du courant européen hongrois, polonais, et tous les antimigrants et  eurosceptiques, quoi de mieux que de jouer au fasciste, au raciste, xénophobe, hostile à toute entrée de migrants, de fermer ses ports et de crier avec Steve Bannon et Marine Le Pen à la supériorité de la race blanche et à la protection naturelle de « l’identité nationale » ? Alors Salvini joue au fasciste, au raciste, au criminel, et il rit quand on le lui reproche. Il n’EST pas fasciste, raciste, criminel, il n’est pas grand-chose en réalité, il n’est que ce qu’il joue, et en ce moment, il JOUE au fasciste, au raciste, au criminel, parce qu’il sent que ce jeu rapporte des voix (de l’argent des multinationales, pas encore, speriamo bene), alors il JOUE. Un admirable CAPITANO SPAVENTA, bravache, hurleur, insultant, provoquant, Di Maio, et même Conte ne sont que des ZANNI plus ou moins habiles et retors, et ainsi de suite. Le jeu est de provoquer l’Europe, dont tous (Salvini aussi) savent qu’elle ne peut que refuser un programme irréalisable et outrancier, et Salvini sait que plus l’Europe réagit durement, plus il pourra dire à son public : Voyez, si je ne tiens pas mes promesses, ce n’est pas de ma faute, c’est de celle de l’Europe. Et le public rit de ce duel, on lui a promis un salaire de citoyenneté, une diminution de ses impôts et un avancement de l’âge de sa retraite. Bravo, bravo ! et à bas les étrangers ! Au début des années 1920, les Italiens (pas tous heureusement) ont applaudi l’ex-socialiste devenu fasciste, Benito Mussolini, qui jouait aussi ; ils ont attendu un ventennio pour applaudir son cadavre pendu par les pieds sur une place de Milan. Aujourd’hui, l’histoire va plus vite, mais combien d’années faudra-t-il supporter cette nouvelle forme de fascisme ? Jeu dangereux que celui-ci. Jusqu’à ce que les Italiens réalisent que Salvini a joué sur leur peau pour arriver au pouvoir et jusqu’à ce qu’ils l’envoient jouer à autre chose, comme ils l’ont déjà presque fait pour Berlusconi. En tout cas cela m’a donné l’idée de republier une ancienne conférence de 2001 sur la Commedia dell’Arte, ce genre inventé et encore pratiqué par l’Italie, mais Strehler et Dario Fo ne le pratiquaient qu’au théâtre, souvent pour ridiculiser ceux qui le jouent sur la scène politique. Ce n’est donc là qu’une approche pour attirer votre attention sur la Commedia dell’Arte.                                                    Jean Guichard, 29 octobre 2018 Un apport de l’Italie à la culture européenne,    La Commedia dell’Arte (1) Le génie de l’improvisation. On ne peut pas dire que l’Italie a inventé le théâtre. Mais, dans ce domaine, le rôle qu’elle a joué a été important  : elle recueilli, réélaboré, inventé et transmis à l’Europe entière. L’Italie a ainsi inventé au moins deux formes d’art  : la Commedia del’Arte et l’Opéra, qui représentent des apports culturels de dimension européenne. La Commedia dell’Arte, c’est plutôt la mise en scène de la vie populaire, la mise en scène de l’hostilité au pouvoir, d’où le mépris fréquent des critiques. On a souvent considéré que c’était un art mineur, parfois grossier, dont les scénarios n’étaient pas d’un raffinement, d’une intelligence, et d’une diversité très grandes. Cette hostilité au pouvoir a provoqué aussi la condamnation de l’Église Catholique, dont la censure s’est traduite par l’exil des comédiens, l’excommunication, l’interdiction de sépulture en terre religieuse, etc. Et pourtant, la Commedia dell’Arte a joué un rôle très important dans l’histoire du théâtre, et elle a fait l’objet de réflexions très abondantes et de la théorisation de la part de beaucoup d’hommes de théâtre. A la fin du XVIIe siècle, dans son grand Traité De l’art de l’improvisation préparée et improvisée, Andrea Perrucci (2), après avoir montré que la comédie italienne avait emprunté non seulement à la  tradition populaire, mais aussi à des textes littéraires, a fait une synthèse de l’expérience des troupes et a rendu compte de l’influence européenne de cet art. 1) D'où vient la commedia dell'Arte ? On la voit apparaître à peu près dans la seconde moitié du XVIe siècle. Elle se développe considérablement pendant tout le siècle suivant en Italie et dans toute l'Europe et atteint là le niveau le plus réussi, le plus brillant avant de vivre son déclin. Ce fut une forme qui avait tellement marqué la tradition du théâtre italien qu'elle ressuscitera dans les années 1950 de notre siècle par exemple : on s'apercevra alors que c'est du grand théâtre joué par de grandes troupes, comme le Piccolo Teatro de Milan, et beaucoup d'autres compagnies, à Venise en particulier. On réalise aussi que c’est l’expression la plus authentique du théâtre populaire. On l'appelle Commedia dell'Arte, Arte reprenant l'un des sens du « ars » latin, c'est-à-dire le métier, la corporation, (comme on dit encore « les Arts et Métiers »). C'est en effet une comédie de profession, apparue au moment où les « théâtreux » du Moyen-Âge, les saltimbanques de rue, un peu marginaux, non professionnels, sont remplacés par des comédiens de métier. On l'appellera aussi « Comédie improvisée », ou tout simplement en Europe « Comédie italienne ». On a beaucoup cherché ses origines : D'où vient qu'on ait inventé cette forme de théâtre ? On a cherché des liens avec le théâtre populaire latin, ce qu'on appelait les atellanes, apparues vers le IVe siècle av.J.C., en langue osque,et disparues ensuite, mais dont on voit une continuité dans l’improvisation, l’usage des canevas, la pratique des masques. Les atellanes, chez les Latins, sont des comédies bouffonnes qui, selon la tradition, avaient pris naissance à Atella, ville osque de Campanie. On y représentait:, en dialecte osque, des farces nationales comportant des personnages conventionnels : Maccus, le goinfre, Pappus, le vieillard, Sannio, le bouffon, Dossénus, le bossu. Ces comédies étaient jouées sous le masque par des citoyens, et non par des comédiens de profession. Leurs personnages traditionnels devinrent les ancêtres des types célèbres de la comédie italienne. On voit bien le rapport entre une représentation de Commedia et ce qu'on sait d'une représentation latine d'atellane, mais on est bien incapable de dire comment la forme aurait survécu pendant le Moyen-Âge, on n'a pas de trace intermédiaire. Par contre, on a vu un rapport avec le théâtre laïc médiéval, celui qui s'épanouissait dans les foires, les carnavals, les fêtes … , ce théâtre populaire d'une très grande vitalité qui s'installait de façon improvisée sur une place (on installait des tréteaux ... et on jouait la comédie) et qui, interprété par des laïcs, manifestait souvent un anticléricalisme non dissimulé. À ces héritages, il faudrait ajoute celui de la comédie latine, comédie écrite, savante, très souvent reprise par les troupes de la Commedia dell' Arte. Sans doute connaissaient-elles des auteurs latins comme Plaute, Térence, et leurs personnages et masques dont l'un revient très souvent, c'est le très important et célèbre « miles gloriosus » qui deviendra « le capitaine » de la comédie italienne. Parallèlement, l'opéra a voulu ressusciter une tradition du théâtre, plutôt celle de la tragédie grecque telle que l'imaginaient les humanistes à la fin du XVIe siècle. Commedia dell'Arte et opéra se sont épanouis à la même période, la fin du XVIe siècle (la période baroque qui suit la Renaissance), période de crise religieuse, avec la grande rupture de l'Europe par la Réforme :        crise sociale,        crise politique ((l'Italie est en guerre; elle est l'enjeu de la guerre entre la France et l'Espagne). Les paysans sont ruinés par ces hordes de mercenaires qui traversent leurs terres, ravagent et volent leurs cultures, enlèvent leurs femmes et leurs filles,       grande crise morale, les valeurs morales ne semblent plus aussi solidement établies, comme l’évoque Machiavel,       crise intellectuelle :  les sciences changent toute la vision qu'on croyait éternelle non seulement de la terre, mais de l'univers tout entier, et cela met en cause la lecture traditionnelle de la Bible. Cette période baroque est donc une période de très grande liberté, de très grande recherche, de très grande créativité, aussi bien dans le domaine savant (voir l'opéra), que dans le domaine populaire. Ces deux formes d'art typiquement baroques, ont en commun le goût du fantastique, de la fantasmagorie, le goût des choses étonnantes, de l'incongru. 2) Les acteurs de la Commedia dell’Arte Vue comme une des manifestations importantes de la culture populaire, c'est-à-dire appréciée par les gens des campagnes comme des villes, petit peuple de paysans, d'artisans, de petits commerçants, d'ouvriers, et qui l'est restée, bien qu'elle soit devenue de tradition souvent savante, la Commedia dell'Arte peut être aussi appréciée des classes dominantes (on la jouera dans les cours, dans les théâtres des châteaux). Inversement, l'opéra, forme éminemment savante, est devenue une forme populaire, la forme privilégiée de musique pour les Italiens, même encore aujourd'hui. Donc, même si on n'arrive pas à renouer tous les fils, la Commedia dell'Arte dispose de tout un héritage, depuis les atellanes, la comédie savante latine, le théâtre laïc du Moyen-Age. Ce qui est certain, c'est que le facteur déterminant de naissance de la Commedia dell'Arte, a été l'apparition de noyaux d'acteurs professionnels Toutes les autres considérations seraient secondaires sans celle-ci. Par rapport aux comédiens de places, histrions, saltimbanques, jongleurs du Moyen-Âge, qui étaient souvent devenus des figures mythiques, voilà qu'on a des acteurs qui, dans des écoles, apprennent systématiquement des techniques d'improvisation, de gestuelle, de mimique, de jeu de scène, de dialogues dits improvisés. C'est la fin du dilettantisme théâtral, on a maintenant des professionnels d'une habileté extraordinaire. . En même temps que ces professionnels, naissent les troupes théâtrales. Ces structures sont passées en France, comme Molière, en bon héritier, en fournit l'exemple au XVIIe siècle. À cette époque, des troupes composées de 5, 6, 10, au maximum une quinzaine d'acteurs, n'ayant pas encore de théâtre fixe, allaient de lieu en lieu avec les fameux chariots des « commedianti » dans lesquels étaient transportés des décors sommaires. On tendait une toile comme fond de scène et quelques éléments de décor, des tréteaux, des escaliers qui permettaient d'accéder à la scène, un rideau ... Et on errait de village en village, sauf quand on trouvait refuge dans la cour d'un château, quand un noble de la région avait apprécié une représentation à laquelle il avait assisté sur la place de son village. Ariane Mnouchkine (1939- ) a donné une belle image de ces troupes et de ces chariots avec son Théâtre du Soleil, et la représentation de son Molière (à la TV en 1981). Comme les Académies, sociétés littéraires dont la création remonte approximativement à la même époque, les grandes compagnies de comédiens prirent des noms symboliques : « i Gelosi », les jaloux ... (de leur supériorité, bien sûr), les « Desiosi », désireux de plaire, les « Confidenti », confiants dans le succès, les « Uniti », les associés, les « Accesi », les ardents, les « Fedeli », les fidèles.... Toutes ces troupes étaient organisées un peu de la même façon : il y avait un capocomico, un caposocio, le chef des compagnons, qui étaient en majorité des hommes (quelques femmes aussi mais peu : le métier de comédienne était très mal apprécié de l'extérieur). Quelques compagnies petit à petit vont se fixer dans des cours (par exemple les « Accesi » passeront au service des Gonzague à Mantoue), deviennent troupes de comédiens de cour, protégés, financés. Toutes les autres continuaient à errer . Ces troupes étaient souvent formées à partir d'une famille ; on était acteur de père en fils, ou de mère en fille. Quelques générations de ces acteurs sont connues. Parmi les grands noms : Zanotti (3), qui jouait les amoureux (jusqu'à 70 ans ... ), Andreini (4)  (jusqu'à 73 ans il joue le Capitaine Spaventa) ... Ce sont des comédiens qui ont eu un succès extraordinaire à Paris, Andreini en particulier. Fiorilli (5) joue Scaramouche jusqu'à 83 ans, et à cet âge il se révèle encore capable de donner de grands coups de pied dans le derrière de ses partenaires ! Pallesini joue Pedrolino jusqu'à 87 ans ... et il forme ses fils à jouer. Un autre grand acteur fut Flaminio Scala (6) et l’actrice la plus célèbre fut Isabella Andreini (7) mais plusieurs autres nous sont connues, Vincenza Armani (8), ou Lidia Andreini, la petite-fille de Francesco, etc. La tradition de la Commedia dell’Arte est proche de celle du cirque et du théâtre de marionnettes. Si on cherchait un  équivalent dans notre région, on pourrait le trouver dans quelques familles dont celle des Mourguet qui crée le personnage de Guignol, dont la représentation est proche des techniques de la Commedia dell’Arte. Laurent Mourguet (1769-1844) était un ouvrier en soierie, qui se reconvertit en forain et arracheur de dents public. La tradition voulait alors qu’on attirât les clients en improvisant des saynètes avec des poupées animées. Mourguet utilisa ce moyen publicitaire avec la marionnette vedette de l’époque, Pulcinella, Polichinelle, et il innova bientôt en créant le personnage de Gnafron et vers 1808 celui de Guignol. Guignol est un petit artisan canut de condition très modeste. L’origine de son nom vient peut-être de «  guigne » (malchance) ou de « chignol » (canut). Il est toujours accompagné de son épouse la revêche Madelon et de Gnafron, ivrogne invétéré, et ils ont ensemble de fréquents démêlés avec l’autorité et les gendarmes ; aussi les pièces de Mourguet se teintent-elles souvent d’un accent de contestation sociale populaire. Le répertoire de Mourguet est toujours joué et actualisé aujourd’hui. Et puis, à partir du moment où les compagnies ont beaucoup de succès, leur fonctionnement se perfectionne : elles confient la gestion de leurs tournées à un imprésario, qui, en échange d’un pourcentage sur les recettes des tournées, organise et fait la promotion des spectacles. Venise a joué un rôle central mais pas exclusif dans le développement de la comédie italienne. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, de grandes troupes vénitiennes sont à l’origine d’une enracinement du genre. Par exemple, ce sont les « Gelosi » qui sont chargés de la gestion d’un des premiers théâtres fixes, celui de San Casciano, propriété d’une des grandes familles de Venise, les Tron. Une troupe comme celle des «Fedeli » joue à Venise où ils inaugurent et sont la source du succès du théâtre de San Mosè, ou encore celle des « Accesi » qui  inaugure le théâtre de Saint-Luc, maintenant Théâtre Goldoni. Il est certain aussi que le Carnaval fut l’un des moments où s’est développée la pratique de la Commedia dell’Arte, et le carnaval n’est pas seulement celui de Venise, sans doute le plus connu de la centaine de carnavals qui se déroulent sur le territoire italien. Dans la vie populaire des pays du Moyen-Âge, le carnaval joue un rôle très important, avec son usage des masques qui va être une des caractéristiques de la comédie italienne, avec sa pratique de renversement de la réalité sociale (dans les fêtes latines, les Saturnales, pendant un jour, l’esclave pouvait prendre la place du maître, ce qui avait une valeur de compensation de la misère, des inégalités, des injustices sociales, des dominations, des abus de pouvoir). Et ces pratiques inspirèrent probablement la comédie italienne, d’où l’assimilation que l’on va faire entre masques de carnaval et masques de la comédie italienne. Les choses se fixent ensuite petit à petit. À mesure que les troupes s’enrichissent, les tréteaux sommaires s’améliorent, se systématisent. Une symbolique des décors se fait jour : il y a toujours une place, des maisons, celle de gauche sera la maison de Pantalone, celle de droite la maison d’Isabella ; des jeux d’apparitions sont possibles, par les portes ou les fenêtres, permettant des évolutions en général très drôles (les décors de Guignol, c’est aussi cela). Et arrivera un moment où la Commedia dell’Arte, en parallèle avec l’Opéra là encore, utilisera de grandes machineries théâtrales, des plateaux tournants, une organisation de la scène permettant soit de faire s’engouffrer un personnage dan le sol, soit de l’enlever dans le ciel, de faire apparaître des personnages divins, des bois, la mer, des chevaux sur la scène, de faire survenir des tempêtes, etc. Voilà donc comment ce genre se met en place entre le XVIe et le XVIIe siècle. 3) Qu’est-ce qui caractérise la Commedia dell’Arte par rapport à d’autres formes de théâtre ?  Retenons trois éléments : l’improvisation, la pratique des «  lazzi  », l’usage des masques. a) L’improvisation : selon la  tradition, c’est l’acteur qui joue un rôle beaucoup plus important que l’auteur d’un texte dramatique. Comment travaillaient les comédiens ? Ils n’avaient pas de texte écrit à réciter ; ils disposaient d’un scénario, consistant en une, deux, trois pages d’indications sur la structure de la pièce, un « canovaccio », un canevas, en général déposé dans les coulisses, d’un côté de la scène ; les acteurs pouvaient le consulter entre deux scènes ; il était marqué par des signes conventionnels précisant que tel acteur devait entrer en scène, sortir, rester pendant que l’autre entrait, etc. et indiquant les moments de l’action, le début, quelques étapes et la fin. Ces canevas (on en a retrouvé et étudié environ un millier) nous sont connus par quelques traités, un livre de Basilio Locatelli (1627-1632) (9), un autre de Flaminio Scala (1611) et un de Domenico Giuseppe Biancolelli, arlequin célèbre (10) . Ce qui est très important dans la vie de ces groupes, c’est leur mode de travail et en particulier leur capacité à greffer leur jeu sur des faits. L’acteur improvise sur scène, d’abord à partir de son rapport au public ; il s’agit d’un public populaire (des plaisanteries pouvaient fuser, il fallait  savoir leur répondre et se rattraper). Ce rapport, on l’entretenait par une connaissance de ce public. Que faisaient les troupes quand elles arrivaient dans un village ? Des témoignages de cette époque nous rapportent que les acteurs commençaient à aller se promener dans le village, au marché, sur la place, sur le parvis de l’église, écoutaient les gens, parlaient avec eux, les questionnaient sur ce qui s’était passé dans le village, sur ce qu’ils pensaient. Tout cela, ils le répercutaient. Ils étaient libres, puisque pas liés par un texte, c’était un élément de succès car le public se reconnaissait. C’est un mode de travail très important qui ne sera pas le fait des troupes de théâtre savant. Et puis il faut s’entendre sur ce qu’était l’improvisation. Elle supposait une technique théâtrale et une culture exceptionnelles. Quand ils arrivaient sur scène, ces acteurs savaient des quantités de tirades, adaptées à chaque situation (de l’amoureux jaloux, de l’amoureux satisfait, de la colère du père qui admoneste sa fille …) et à chaque public. Ils possédaient tout un jeu de dialogues. Comme ils travaillaient en troupe, ils savaient ce que l’autre allait dire, comment ils allaient pouvoir répliquer, comment il fallait adapter la réplique pour faire rire en fonction de circonstances particulières, ils avaient des monologues, il y avait des concepts théâtraux qui commandaient des situation … Au fond, on va retrouver cela dans l’Opéra, mais ce sera un art savant écrit que l’acteur a moins de liberté pour interpréter. Autrement dit, c’étaient des comédiens rompus aux exercices de mémoire, et qui avaient une culture extraordinaire allant jusqu’à l’assimilation de pièces entières. À partir du XVIIe siècle, la Commedia dell’Arte va reprendre des comédies écrites et les jouer, les adapter, les utiliser partiellement (les droits d’auteur n’étaient pas si strictement réglementés que maintenant !). On connaît très bien les pièces de grands écrivains qu’ils utilisaient : l’Arianna d’Ottavio  Rinuccini (1562-1621) que Claudio Monteverdi (1567-1643) mettra en musique en 1608, l’Aminta (1573) de Torquato Tasso (1544-1595), la grande pastorale, une autre pastorale, Il pastor fido (Le berger fidèle - 1584) de Giovanni Battista Guarini (1538-1612). Surtout l’Aminta était un texte extraordinaire pour des acteurs de Commedia dell’Arte : il y avait une quantité de péripéties, des bêtes sauvages qui étaient censées avoir dévoré la belle bergère dont Aminta était amoureux. Plus tard il y aura des pièces de Nicolas Machiavel comme la Mandragore (La Mandragola, 1526) qui fera partie de leur répertoire, ou des pièces beaucoup plus libres de Pietro Aretino (1492-1556), dont ils aimaient beaucoup la liberté de mœurs, en particulier le langage sexuel (La cortigiana, 1525, La Talanta, 1542). L’improvisation, c’est cela : la disponibilité d’une très grande culture aussi bien de textes populaires que de textes savants qu’ils savent utiliser, car ce sont des gens de métier. C’est ce qui fait la vitalité de la Commedia dell’Arte, on n’avait jamais la même intrigue, ni tout à fait le même texte, on inventait des situations, et en cas de succès on les reprenait la fois suivante, avec une totale liberté. b) La pratique des « lazzi » : on ne connaît pas exactement l’origine de ce mot en italien, peut-être une déformation du mot « atti » (les gestes), peut-être une source espagnole ? En tout cas les lazzi sont l’ensemble des plaisanteries, des jeux de mots, des gestes, des mimiques de scène (les acteurs étaient des mimes extraordinaires), des travestissements (que l’opéra utilisera beaucoup lui aussi : hommes déguisés en femmes et l’inverse), des insultes. Ce sont les gags (de l’anglais = histoire drôle, objet de raillerie, bâillon) qui font toujours rire, le coup de pied au derrière, la tarte dans la figure, la gifle qui fait tourner le personnage deux fois sur lui-même, le jeu des larmes et du rire, la farce classique de deux vieillards amoureux de la même jeune fille qui se termine par une bastonnade … Au fond, il y a une technique de clown chez l’acteur de comédie italienne. Un livre de Philippe Monnier sur Venise au XVIIIe siècle (Perrin,1907) consacre un chapitre à cela. Parmi les lazzi cité, il y a les monologues du capitaine Spaventa, assortis de gestes, de quiproquos, de tâtonnements dans la nuit, de scènes où les acteurs se cognent, se renversent, font des pirouettes, estropient les mots. Il ne faut pas oublier non plus que cette pratique des lazzi est liée à la situation italienne de grande diversité linguistique qui fait qu’une troupe qui venait du Nord, de Bergame par exemple et qui parlait le bergamasque était incompréhensible au-delà de 50 km, cela impliquait par conséquent que le geste soit particulièrement expressif. Cette pratique des lazzi avait pour but de faire rire à partir du geste et à partir d’une façon de prononcer et de déformer les mots, on jouait donc abondamment des dialectes. Une scène tirée des Enfants du Paradis de Marcel Carné et Jacques Prévert (1945) n’est pas à proprement parler une scène de Commedia dell’Arte, mais elle  s’y apparente par ses jeux de mots et ses mimes. Le Carrosse d’Or de Jean Renoir (1953) comporte, lui, une reconstitution de véritable Commedia dell’Arte où l’on peut apprécier la présentation des personnages et l’atmosphère du spectacle, en particulier le doublage du spectacle théâtral par celui de la Cour, théâtre de la vie mondaine. On pourrait faire aujourd’hui un doublage identique avec la vie politique … c) La pratique du masque : la liberté de choix laissée à l’acteur n’était possible que s‘il incarnait un personnage unique, à la psychologie bien typée, et s’il reprenait toujours de façon presque automatique les ressorts de cette personnalité, quelle que soit la situation nouvelle dans laquelle il se trouvait. Par conséquent les acteurs de la Commedia dell’Arte n’incarnaient en général qu’un seul personnage de théâtre et toujours le même, ils seront connus non par leur nom, mais par le nom du personnage qu’ils incarnent, marqué par le port d’un masque. Le masque est une vieille tradition. La tragédie grecque est jouée avec un masque ; la comédie latine, les atellanes, étaient jouées avec des masques, on en a des représentations dans les mosaïques et les fresques anciennes. La grande invention technique de la Commedia dell’Arte est d’avoir systématisé et typé le masque. Le mot masque (en italien la maschera) ne vient pas du mot latin qui désignait le masque, le masque de l’acteur était désigné par le mot persona, qui voulait dire en même temps le rôle, le caractère, la personnalité qui devient la personne. Per sona (per sonare = pour résonner, pour jouer) avait une fonction technique, elle faisait un peu haut-parleur, porte-voix (on n’avait pas de micro à l’époque). Le mot maschera vient du mot mascara (fard à cils noir), qui vient d’un mot très ancien voulant dire « noir » et qui avait été donné peu à peu aux personnages inquiétants, démons, sorcières, spectres, mot qui passe en bas latin, puis dans les dialectes italiens, en Piémont, en Ligurie, en Sicile ; on le retrouve aussi dans la mascotte provençale, qui voulait dire à l’origine envoûtement, ensorcellement, sortilège et qui devient la personne qui, par envoûtement, porte bonheur. De mascara vient la mascarade qui consiste à se déguiser en se noircissant le visage. Dans le masque on retrouve cette idée d’envoûtement, de mystère. Le masque est lié dans toutes les religions anciennes au rituel religieux. Le masque a un lien avec le sacré, ce qu’on retrouve dans le masque de Carnaval. Les masques incarnent des types de psychologie qui sont toujours l’expression de réalités essentielles, car ils sont obligés de schématiser les choses. Il seront constamment combattus par l’Église Catholique et par les pouvoirs publics : on prend en France en 1514 un arrêté qui interdit le port du masque, puis François Ier en rétablira l’usage (11), et après lui, il sera à nouveau interdit ; même Venise a des lois très strictes sur l’usage du masque. Le masque, comme toute façon de cacher son visage, a toujours une ambiguïté aux yeux de la loi ; aujourd’hui on interdit le voile et la burqa… Et ce n’est pas un hasard si le masque se développe à l’époque baroque, au théâtre, à la ville, dans les fêtes et en architecture (le mascaron,  mascherone italien) est un motif ornemental grotesque que Giorgio Vasari théorise en 1550. La caractéristique de la Commedia dell’Arte est d’avoir figé les masques. Parmi ceux-ci, un certain nombre  sont restés et continuent à être utilisés sous des quantités de formes. Le premier, c’est le capitaine, héritage du miles gloriosus latin, soldat vaniteux, arrogant qui se livre volontiers à des abus de pouvoir mais qui est en réalité d’une profonde lâcheté : il cède dès qu’il se trouve affronté réellement à quelqu’un qui lui résiste. Évidemment c’est une caricature : au XVIe siècle, l’Italie est constamment parcourue de mercenaires, le Nord est occupé par les soldats espagnols qui sont très impopulaires car ils vivent aux dépens de la population, et sont très amateurs de jeunes filles piémontaises, ou lombardes ou autres. Le Capitaine est une caricature du capitaine espagnol. Il apparaît sous des noms très divers dans les scénarios de l’époque : Spavento di Vallinferno (Épouvante du Val d’enfer), Terremoto (tremblement de terre), Sangre y Fuego, Mattamoros, Rodomonte (souvenir des chansons de gestes), Rinoceronte, Brandimarte, Bombardi Tonante, Tallaricones, Tiff Toff Trapatapata, Tremimarte (Tremble Mars), Frangimonte (Brisemont), Spaccamonti (Brise montagnes), Tagliacantoni, Spezzaferro (Brisefer), Coccodrillo, Rompilancia (Briselance), Cardone, Spezzacapo (Brisetête),  Sputasaette (Cracheflèches), Dranganteo, Strappaferro, Corta Tincones, Tempesta … Tous ces noms sont déjà faits pour le rendre ridicule dès son arrivée ; il est très souvent amoureux de la jeune fille et se fait bâtonner par Léandre, le fiancé. Théophile Gautier  (1811-1872), qui avait étudié très attentivement toute cette tradition de la comédie italienne et qui en connaissait les scénarios s’en est inspiré pour écrire son roman, Le capitaine Fracasse (1863), dont Gaspard Huit a ensuite tiré un film (12). Les vantardises du Capitaine ont été fixées dans plusieurs textes, dont celui de Francesco Andreini, Le bravure del Capitano Spaventa (1624) : « Le capitaine Spaventa, pour peu que Pantalone mette la main à son pistolet, prend ses jambes à son cou et sur les routes, solitaire, de nuit, se donne peur ». Le deuxième type de masques, en contraste avec le Capitaine, ce sont les Zanni. Le nom vient du prénom courant Giovanni, dont le diminutif est Gianni, et en vénitien Zanni. Les Zanni sont les serviteurs, mis en scène surtout à partir de l’émigration bergamasque à Venise, où les tâches serviles n’étaient pas faites par les Vénitiens, mais par des paysans  venus entre autres du bout de la République, Bergame, Brescia, etc. Ces gens parlaient un dialecte différent, bizarre pour les Vénitiens. Un grand auteur du début de la Commedia dell’Arte, Angelo Beolco (13), fils d’un intellectuel de Pavie, a écrit des pièces extraordinaires de verve en divers dialectes avec ces personnages populaires de soldat, paysanne, mari, valet, etc. Les paysans de Bergame, devenus dockers, portefaix, sont évidemment méprisés par les Vénitiens, et ils donneront naissance à ces valets, personnages qui sentent leur terroir parce que tous nés hors de Venise, et constamment prêts à manger ou à faire la cour à une fille. Ils ont des noms très différents, et on en invente toujours de nouveaux : Arlequin (Arlecchino), Pasquino, et ce sont souvent des noms d’animaux ou de nourriture, Tortellino (les tortellini, pâtes), Polpettino (petite boulette de viande), Passerino (le petit moineau), Bagolino (le petit blagueur), Fagottino (le petit empoté), Fritellino (la petite frite) … Scapino (bien connu en France parce que repris par Molière dans Les fourberies de Scapin) vient de scarpino (la savate), Tabacchino est inventé lorsque le tabac fait son apparition en Europe, Flautino (la petite flûte), Brighella (le querelleur), Mezzettino (la demi-portion), Trivellino (le tourmenteur), Coviello, Beltrame, etc. Ils sont souvent les moteurs de l’action (on dit souvent que l’histoire avance par ses marges…), ils vont peser sur l’intrigue, permettre à l’amoureux de se retrouver avec la jeune fille malgré l’opposition du père, ce sont les porteurs de messages, qui décident de les porter ou non et qui vont modifier toute l’intrigue. Arlequin et Pulcinella sont les plus importants. Arlequin est un masque inventé dans un petit village de  la montagne au-dessus de Bergame, il porte à l’origine des haillons qui seront peu à peu remplacés par un vêtement extrêmement raffiné fait de petits losanges de couleurs différentes. Son nom est déjà cité par des auteurs comme Dante (1265-1321) (Alichino dans la Divine Comédie, Enfer, XXI, XXII, XXIII), et il est en réalité très ancien, on lui donne en général comme origine étymologique l’allemand Hôlle König (le roi de l’enfer), puis  Herleking = le roi des diables ; on le retrouve chez François Rabelais (1494-1543), et en vieux français, Hellequin est le nom d’un diable malfaisant des légendes du Moyen-Âge ; dans la mythologie germanique, Erlkönig, le roi des Aulnes, est un personnage diabolique, rendu célèbre par un poème de Johann Wolfgang Goethe (1749- 1842), mis en musique par Franz Schubert (1797-1828). Dans la Commedia dell’Arte, c’est aussi un personnage diabolique, au début simple paysan venu travailler à Venise, un peu empêtré, naïf et grossier, qui devient petit à petit un personnage raffiné, rusé, d’une intelligence prodigieuse et d’une langue bien pendue. C’est l’image qu’on en garde, doublée de celle d’un acrobate prodigieux, dont les acrobaties font partie des grands spectacles de la Commedia dell’Arte. Le masque d’Arlequin est un demi-masque laissant la bouche découverte et donnant l’impression d’une peau un peu grossière, velue, et quelque peu inquiétante, comme le personnage lui-même qui est assez machiavélien. Parmi les grands Arlequins de l’histoire, citons le premier, Alberto Naselli (1540-1584), de Bergame ou Ferrare, suivi de beaucoup d’autres jusqu’à Marcello Moretti (1910-1961) qui interprète Arlequin dans la pièce de Carlo Goldoni, Arlecchino servitore di due padroni, mis en scène par Giorgio Strehler.   Pulcinella, lui, est napolitain (Pulecenella en napolitain). C’est la reprise d’un personnage classique des atellanes, un descendant de Maccus ou de Kikirrus dit « petit poussin » parce qu’il a le nez crochu, vêtu de blanc, d’une tunique serrée à la taille par une corde, et de grands pantalons blancs aussi. Il est ventru, bossu, difforme, il a un grand nez, une petite barbe mal rasée, un petit chapeau gris. C’est l’acteur Silvio Fiorillo (1560-1632) qui le reprend dans une de ses pièces, La Lucilla costante con le ridicole disfide e prodezze di Policinella (1609). Il est un symbole de Naples, et il est devenu notre Polichinelle, resté dans le théâtre et dans le langage bien au-delà de la Commedia dell’Arte (« Avoir un polichinelle dans le tiroir  » = être enceinte)… Il y a beaucoup d’autres Zanni, parmi lesquels l’un apparaît tard, c’est Scaramouche (Scaramuccia), rôle de valet qui sera repris par exemple dans le film homonyme de Georges Sidney 1952), où l’aventurier révolutionnaire André Moreau trouve refuge dans une troupe de Commedia dell’Arte où il emprunte le vêtement de Scaramouche. Parmi les autres personnages, on trouve Pantalone. Il tient son nom soit de saint Pantaléon , soit du nom de son costume, c’est le moment où l’on va commencer à porter des pantalons. Il est le premier grand vieillard de la Commedia dell’Arte, et il devient un type permanent, personnage du père, le riche bourgeois de la Sérénissime République de Venise, qui s’est enrichi mais qui a gardé son costume de commerçant vénitien, sa culotte rouge et son manteau noir. Il est toujours en proie à un  désir effréné d’une très jeune fille, d’où ses problèmes, et l’intervention du valet, Arlequin ou un autre, qui va faire en  sorte que sa proie soit en réalité conquise par celui auquel elle est destinée, le jeune premier. Pantalone est un personnage important car il centre la comédie sur le problème du pouvoir, il est celui qui a le pouvoir, la richesse et c’est celui qui sera presque toujours ridiculisé à la fin des pièces par son valet et par la jeune fiancée. À travers ce personnage, la Commedia dell’Arte est souvent une comédie de l’anti-pouvoir. Son acolyte est Le Docteur (qui devient le Docteur de Bologne) qui est aussi une satire, non plus d’un militaire ou d’un homme de pouvoir, mais d’un intellectuel. C’est le second vieillard de la Commedia, qui apparaît à partir de la seconde moitié du XVIe siècle ; à cette époque, il s’appelait Graziano (du nom d’un juriste connu alors), puis il devint le Dottor Balanzone, puis le Dottor Bolognese. Il est juriste, docteur en droit plus qu’en médecine (Bologne était alors une des plus grandes Universités juridiques), et il réunit en lui tous les ridicules que l’on peut prêter à un intellectuel. Les autres personnages de la Commedia dell’Arte sont les amoureux et les servantes. Les amoureux ne sont pas masqués, et ils ont donc une vie plus immédiate, plus proche du réel. La jeune amoureuse Isabella se doit d’être belle, Isabella Andreini a bien tenu ce rôle, et on dira des amoureuses que ce sont des «  Isabelles ». L’amoureux n’est pas toujours totalement sympathique, il est quelquefois un peu ridicule et souvent un peu léger. Mais tous deux sont la présence de l’amour qui commande la plupart des intrigues dela Commedia dell’Arte. Quant aux servantes, leurs noms sont très divers : Colombina, Zerbina, Silvia, Corallina… La servante, comme les amoureux, s’exprime rarement en dialecte et presque toujours en toscan. La Commedia joue là encore sur cette diversité des langues en Italie, qui sera, nous l’avons vu, un ressort du comique. Vers la fin de la Commedia dell’Arte et vers la reprise Vers le milieu du XVIIIe siècle va se faire sentir un besoin de rénovation du théâtre, qui est en Italie l’objet d’un grand débat dont on a les échos dans le XVIIIe siècle français. Le tenant principal de la tradition est Carlo Gozzi (1720-1806) qui s’efforce d’écrire un théâtre qui doit être joué avec les techniques, les types de jeu de la Commedia dell’Arte. On connaît de lui au moins deux pièces qui ont franchi les siècles, l’Amour des Trois Oranges (1761 - L’amore delle tre melarance) et Turandot (1762), pièce de théâtre qui deviendra en un opéra de Giacomo Puccini (1858-1924), où l’on retrouve des personnages de la Commedia dell’Arte. Par contre, le grand homme de théâtre, théoricien de la réforme et producteur de nouvelles pièces, est le Vénitien Carlo Goldoni (1707-1793). Il est aussi presque français puisqu’il vit toute la seconde partie de sa vie à Paris où il meurt presque dans la misère quelque temps avant que le pouvoir révolutionnaire puisse lui donner une pension. Il est l’auteur de pièces qui à la fois reprennent tout ce qu’il y a de vivant et de populaire dans la tradition, mais il échappe à tout ce qu’il y avait de répétitif, et il crée ces comédies encore très jouées aujourd’hui, La Locandiera, La Villeggiatura, Les Rustres, etc. : sur ses quelque 200 pièces, une bonne trentaine sont encore au répertoire des troupes de théâtre. Goldoni réforme complètement le théâtre en reprenant ce qu’il y a de meilleur dans la Commedia dell’Arte, y compris l’usage du dialecte vénitien. On a souvent dit qu’il était le Molière de l’Italie. La Commedia dell’Arte est pratiquement abandonnée ou marginalisée pendant tout le XIXe siècle. Elle vit sous d’autres formes, à travers le Théâtre de Variétés et le spectacle de cabaret. Pourquoi parle-t-on de « variétés » ? Parce qu’on y faisait du théâtre entrecoupé de mimes, de spectacles de cirque, d’interventions de clowns, de tours de chant, d’animaux. Les variétés reprennent la tradition de la Commedia dell’Arte, les techniques de jeu, de mime, de fantaisie, d’inventivité, de jeux de mots, de chants… Mais la Commedia dell’Arte, en tant que telle, ne revivra pratiquement qu’après la seconde guerre mondiale et à travers de grandes troupes de théâtre comme celle de Giorgio Strehler (1921-1997) à Milan qui ressuscite littéralement la Commedia, en réutilisant les techniques de jeu appliquées à des pièces comme celle de Goldoni, Arlequin serviteur de deux maîtres. Un autre auteur qui a beaucoup travaillé et pratiqué la Commedia dell’Arte est Dario Fo (1926-2016) avec Franca Rame (1929-2013), que l’on connaît bien en France. Dans toute sa carrière, il a déclaré qu’il était un disciple de la Commedia dell’Arte, aussi bien au niveau de la mimique de scène que de la langue : il pratique le jeu sur la langue, écrit parfois en dialecte, et invente le « gramelot », une langue qui n’existe nulle part et dont les jeux de sonorité se révèlent extrêmement drôles. On retrouve ainsi toutes les techniques de la Commedia dell’Arte dans les pièces de Dario Fo. Voilà donc cette forme théâtrale, la Commedia dell’Arte. Elle exprime une réalité fondamentale du théâtre, parce qu’elle est la plus populaire et accessible à tous, parce qu’elle met l’acteur au premier plan, parce qu’elle privilégie la gestuelle et la liberté de créativité du texte, de la langue. En ce sens, il n’est pas étonnant que cette expérience de théâtre ait parcouru l’Europe, qu’elle ait influencé tout le théâtre européen. Elle reste maintenant un spectacle très amusant, joué essentiellement par des troupes vénitiennes et napolitaines, ou des troupes professionnelles de grande qualité comme le Piccolo Teatro de Milan. Son équivalent français serait le théâtre de marionnettes ; très souvent d’ailleurs, les troupes de Commedia dell’Arte mêlent les acteurs et le théâtre de marionnettes, en utilisant les masques qui reprennent des personnages populaires comme, dans la région de Padoue, Salvarello, lutin des forêts, qui sait et enseigne comment fabriquer le fromage, s’occuper des bestiaux, faire des farces (friser la queue des chevaux, s’insinuer dans le corsage des femmes …). Avec la Commedia dell’Arte et le Carnaval, rituel de la naissance du printemps, moment où la ville se donne en spectacle à elle-même, ce qui s’exprime c’est une critique de tout ce qui opprime l’homme, tout ou presque : il n’y a pas de masque qui représente le clergé ! C’est en tout cas une forme inventée par l’Italie et qui la caractérise bien. NOTES 1. Reprise, actualisation et révision d’une conférence de Jean Guichard à l’Université Tous Âges de Bourgoin-Jallieu le 13 mars 2001 (Transcription et illustrations de Thérèse Desroche, sauf la couverture du livre de Flaminio Scala). 2. Andrea Perucci (surnommé Casmiro Rugiero Ocono ou Enrico Preudarca ou Rolmidero dell’Oreto) est né à Palerme en 1651 et mort à Naples en 1704, c’est un jésuite italien, Docteur en Droit, auteur, librettiste et théoricien de la Commedia dell’Arte et du mélodrame, membre de plusieurs Académies, d’où ses surnoms. Son Traité est de 1699, Dell’Arte rappresentativa, premeditata e all’improvviso, donc écrit à une époque où le genre commence à connaître des difficultés, et il contribue à le discipliner et à le canoniser, portant involontairement à l’appauvrissement de l’improvisation. Le texte intégral est consultable on-line sur : html de Francesco Cotticelli (Biblioteca nazionale Vittorio Emanuele Terzo di Napoli). 3. Giovanni Andrea Cavazzoni Zanotti, né près de Bologne en 1622, est le fils de riches propriétaires terriens qui devient auteur sous le nom d’Ottavio ; formé on ne sait par qui, il passe à la cour d’un des ducs Farnese, puis à Rome, puis au service du duc de Modena, Francesco I d’Este ; en 1656 il est invité à la cour de Louis XIV, et il reste plusieurs années à la Comédie Italienne de Paris. Remarié en 1668, il eut 8 enfants dont quelques-uns devinrent célèbres, peintres, philosophes, physiciens. Il fut ami de Corneille, dont il joua des pièces en Italie, mais le nom de Molière n’apparaît jamais dans ce qu’on sait de lui. Louis XIV le fit citoyen français, signe de la dignité acquise par son métier. Il meurt en 1695. 4. Francesco Andreini, de Pistoia (1548-1624), ancien soldat, était le mari d’Isabella Andreini (née Canali), morte pendant son accouchement à Lyon en 1604, ce qui fit dissoudre la Comagnie des Gelosi, et provoqua un grand rassemblement lors de ses funérailles. 5. Tiberio Fiorilli, est né à Naples en 1601, mort à Paris en 1694. Directeur des acteurs de la Comédie Italienne, il est le créateur du personnage de Scaramouche, et dans la vie il fut souvent un mauvais sujet, voleur, calomniateur, jusqu’à ce qu’il épouse Marinette vers 1640 et vienne à Paris, où il fut apprécié de Louis XIII et de la reine. Il était grand ami de Molière et il fit tant rire le jeune Louis XIV que celui-ci le protégea jusqu’à sa mort. Son personnage a fait l’objet de films dont celui de George Sidney avec Stewart Granger, de 1952, Scaramouche. 6. Flaminio Scala (1552-1624), né à Rome, il commence sa carrière théâtrale en 1611 à Venise où il publie une cinquantaine de « canovaccci », canevas, dont l’un fut publié à Lyon en 1600 pour les noces de Marie de Médicis et Henri IV. Il commença en fondant la Compagnie des « Gelosi » en 1568, puis devint le capocomico des « Confidenti » où il joue avec son épouse Orsola (sous le nom d’actrice de Flaminia), en ayant comme imprésario Don Giovanni de' Medici. 7. Isabella Andrini (1562-1604) était de Padoue, poétesse (plus de 500 sonnets, madrigaux, églogues, etc.) et comédienne d’une grande beauté. C’était le type même de l’amoureuse de la comédie, célèbre aussi bien par ses écrits que par son jeu. Elle s’était mariée à 16 ans en 1578 avec Francesco Andreini. Elle arrive à Paris en 1603, première femme à monter sur scène dans la capitale française. Elle joua entre autres le rôle de Mirtilla, inspiré de l’Aminta de Torquato Tasso. Mais elle a surtout laissé son nom au masque d’Isabelle. Elle a été enterrée à Lyon, une foule immense avait suivi ses funérailles.. 8. Vincenza Armani (vers 1530-1569), née à Venise, écrivaine et actrice, elle joua aussi dans les drames pastoraux où elle avait le rôle de Chloris. Elle avait aussi participé à la compagnie des « Gelosi ». On l’appelait « la Divine », et elle a sans doute été empoisonnée par un de ses amoureux. 9. Basilio Locatelli, né à Rome vers 1590, dans un milieu oratorien lié à la famille des cardinaux Barberini, et acteur de la Commedia dell’Arte, membre des Académies des « Umoristi », des « Intrigati » (créée en 1606), et acteur des compagnies des « Desiosi », « Infiammati », « Fantastici », « Disuniti », « Vogliosi »… Il publie vers 1628 et 1632 un recueil de 103 scénarios surtout comiques, dont un est emprunté à Plaute, retrouvé en 1894, Della scena de’ sogetti comici. Le texte de Flaminio Scala, Il teatro delle favole rappresentative, était antérieur (Venise, 1611). De Locatelli, on ne connaît pas exactement la date de la mort, antérieure à 1654. 10. Domenico Giuseppe Biancolelli, né à Bologne en 1636, d’une actrice de Commedia dell’Arte, Isabella Franchini, titulaire du rôle de Colombina. Formé au rôle d’acteur par son parrain, l’acteur Carlo Cantù (Buffetto), il part à Paris en 1662 et devient une vedette de la Comédie italienne au Palais Royal, la même salle où jouait Molière, avec qui il jouait en alternance  ; il fut alors l’acteur privilégié de Louis XIV. On a conservé de lui un recueil de 79 canevas. 11.Voir Jean Savaron, Traité contre les masques, Paris, Adrian Perier, 1611, et le site: literes.hypotheses.org, ou encore : atraverslesages.over-blog.com. 12. Voir en particulier les chapitres II, Le chariot de Thespis ; et V, Chez Monsieur le marquis (Cf. texte en annexe. Le film de Pierre Gaspard Huit est de 1961, avec Jean Marais dans le rôle du Baron de Sigognac, Geneviève Grad dans celui d’Isabelle, Philippe Noiret, Louis de Funès, Sacha Pitoeff, etc. 13. Angelo Beolco (1496-1542) est connu sous le nom de Ruzzante ; fils naturel d’un médecin, il eut une éducation raffinée, et, sous la protection d’Alvise Cornaro, un jeune lettré de Vénétie, il commença à écrire des spectacles avec l’aide de jeunes nobles de Padoue dont chacun choisissait son personnage. Beolco choisit celui de Ruzzante (du verbe ruzzare = s’ébattre, folâtrer), paysan padouan sensuel, famélique et poltron. Son premier spectacle a eu lieu au Palais Foscari de Venise en l’honneur de Federico Gonzaga. Avec ses compagnons, il parcourt ensuite toutes les villes du Nord de l’Italie, quelquefois avec l’Académie des Infiammati. Toutes ses œuvres sont publiées en 9 volumes à Vicenza en 1594, et il a connu un nouveau succès vers la fin du XXe siècle. Parmi ses œuvres les plus jouées, La Moscheta, Betìa, La Pastorale. Voir sur Ruzante AA.VV. Il convegno internazionale di studi su Ruzante, 1987, Corbo e Fiori Editori, dont la communication de Gérard Luciani sur la fortune de Ruzzante en France, pp. 111-135. Page suivante : annexe