REECRIRE BRASSENS
Un nouveau livre sur Brassens de Perle Abbrugiati
Voilà un livre nouveau sur la connaissance de Georges Brassens en Italie, Perle Abbrugiati, Piero d’Ostra, Réécrire Brassens, Coll.
Chants Sons, 2021, Presses Universitaires de Provence, 406 pages, 28 euros.
Le titre le dit, plus que d’une « traduction », il s’agit d’une « réécriture » de Brassens, nous y
reviendrons.
L’ouvrage est important pour plusieurs raisons. D’abord il nous révèle le nom de Piero d’Ostra
(1923-2015), poète et écrivain dont le nom est peu connu en Italie (il n’est apparemment cité sur
Wikipedia italiano qu’à partir de ce livre de Perle Abbrugiati, qui lui a déjà consacré quelques
ouvrages) ou en France (où il émigre pourtant à partir de 1947). Elle a pour lui un grand
attachement.
Le livre est riche ensuite parce qu’il est accompagné d’un CD sur lequel Perle Abbrugiati enregistre
10 chansons dans la traduction de Piero d’Ostra, accompagnée à la guitare par Cyril Achard,
dans des styles divers, folk, swing, bossa, reggae, jazz. Cela aussi est une « réécriture » musicale
de Brassens : certes les mélodies sont respectées, mais on pourra critiquer… ou apprécier. En tout
cas, écoutez le disque avant de lire le livre.
Le livre comporte l’interprétation de 46 chansons de Brassens, qui font chacune l’objet d’une
explication littéraire du texte de Brassens et de sa traduction. Les textes de d’Ostra avaient un
objectif précis, pas simplement de faire comprendre à un
lecteur de langue italienne ce qu’a dit Brassens, mais
d’abord écrire un texte qui puisse être chanté en italien, c’est-à-dire privilégier le rythme métrique
et la fidélité syllabique à l’exactitude de la traduction. C’est en tenant compte de cela qu’il faudra
apprécier ces textes, on parle maintenant de la « chantabilité » d’une traduction de chanson.
Chacun jugera. Comparons deux traductions différentes, celle de Fabrizio De André (Volume
III, 1968) et celle de Piero d’Ostra (Livret II, chanson 12, 1989), on verra qu’il y a un texte
auquel l’auteur n’était pas toujours « contraint » par la « chantabilité ».
Perle Abbrugiati a déjà commenté cette traduction dans son article des Cahiers d’Études
Romanes, 24 / 2011, pp. 151-170. Vous pouvez vous y reporter sur Wikipedia. Ses
commentaires métriques et littéraires sont éclairants, même si elle ne souligne pas quelques
points importants. Par exemple, elle ne dit pas que De André a en effet changé le nom des
fleurs, mais c’est en fonction de sa réalité locale, celle de la Ligurie, productrice de la plus grande
partie des « mimosas » lors de la Fête des Femmes ; de même, on connaît bien dans cette
région le souffle de la « tramontane ». On appréciera ou pas la transformation de la « claire
fontaine » en un nom propre («Chiara Fontana ») ou l’invention étrangère à Brassens de la «
ninfa pagana », mais en réalité il ne s’agit pas vraiment d’une « traduction » mais de l’écriture
d’une autre chanson inspirée par celle de Brassens. Comme conclut Perle Abbrugiati dans son
article : « Ce que la traduction d’un texte en musique met ainsi en lumière est peut-être un grossissement de ce qu’est toute traduction :
la butée contre des limites, formelles ou non, qui sont autant de prétextes offerts au traducteur, hélas ou heureusement, pour laisser
couler, claire ou sombre fontaine, sa propre petite musique ». Je dirais plutôt « hélas », et je préfère dans la traduction, même d’une
chanson, plus de fidélité au texte traduit, même lorsqu’on doit le chanter : plutôt De André que Piero d’Ostra. Question d’opinion ! En
tout cas, écoutez et lisez cette « réécriture ».
Jean Guichard, 21 mai 2021
DANS L'EAU DE LA CLAIRE FONTAINE
(Brassens, 1962)
Dans l'eau de la claire fontaine
Elle se baignait toute nue
Une saute de vent soudaine
Jeta ses habits dans les nues
En détresse elle me fit signe
Pour la vêtir d'aller chercher
des monceaux de feuilles de vigne
Fleurs de lis et fleurs d'oranger.
Avec des pétales de roses
Un bout de corsage lui fis
La belle n'était pas bien grosse
Une seule rose a suffi
Avec le pampre de la vigne
Un bout de cotillon lui fis
Mais la belle était si petite
Qu'une seule feuille a suffi
Ell' me tendit ses bras, ses lèvres
Comme pour me remercier
Je les pris avec tant de fièvre
Qu'ell' fut toute déshabillée
Le jeu dut plaire à l'ingénue
Car à la fontaine souvent
Ell' s'alla baigner toute nue
En priant Dieu qu'il fît du vent
Qu'il fît du vent.