Poésie en musique - chapitre 8
Chapitre 8
Francesco Petrarca, poète inventeur de l’amour moderne
Lire la biographie de Pétrarque sur le site www.italie-infos.fr in « La littérature, la poésie, le théâtre »,
chapitre 3 du livre « Vingt-deux portraits d’une autre Italie ».
François Pétrarque (1304-1374) -
Il est né à Arezzo (Toscane) d’un père notaire, mais il passe son enfance à Avignon, parce que son père, guelfe blanc, avait été exilé
en même temps que Dante et il avait obtenu une charge à la Cour Pontificale, où le pape s’est réfugié de 1309 à 1418. En 1312, la
famille Petracco se transfère à Carpentras où François vit une enfance heureuse. Il parle deux langues, le vulgaire toscan et le latin
dans laquelle son père lui lit les œuvres de Cicéron. Après la mort de sa mère très aimé en 1318, il fait ses études de jusrisprudence à
Bologne, et revient à Avignon en 1326 pour la mort de son père qui lui laisse beaucoup d’argent. En 1327, le 6 avril, jour du Vendredi
Saint, il rencontre, peut-être au bain dans la Fontaine de Vaucluse, peut-être dans l’Église Sainte Claire d’Avignon, la bella Laura,
peut-être Laure de Noves, fille du seigneur Audibert de Noves et épouse du marquis Hugo de Sade, ancêtre du Marquis de Sade
; elle serait morte durant la pestede1348. Pour elle, il écrit son Canzoniere, son unique œuvre en italien, sur laquelle il travaillera toute
sa vie jusqu’à sa mort.
Pétrarque et Laure, fresque de la maison d’Arquà.
Puis après avoir dilapidé toute la fortune de son père, il se consacre à une carrière
ecclésiastique et aux études humanistes, recherche de manuscrits latins et grecs et
écriture d’une importante œuvre en latin. Vers 1335, il achète une maison près de la
Fontaine de Vaucluse pour pouvoir écrire tranquillement. Aujourd’hui c’est un Musée
Pétrarque que l’on peut visiter. Après de nombreuses ambassades et voyages de
recherche, il s’établit dans sa villa à Arquà (Vénétie), où il meurt.
Dans ses œuvres littéraires en latin, Pétrarque apparaît comme le premier grand humaniste, ancêtre de la
Renaissance du XVe siècle. Dans son Canzoniere (366 poésies), il devient l’inventeur d’une forme moderne de
l’amour, différente de celle décrite par Dante et par les écrivains du Dolce Stil Nuovo. À la différence de celui de Dante
pour Béatrice, l’amour pour Laure n’est plus une voie vers Dieu, mais une réalité sensible, psychologique, individuelle,
qui donne à l’homme plaisir et souffrance, une réalité douce et amère.
Nous avons ici une chanson de 5 strophes de 13 vers, 4 hendécasyllabes et 9 septenares, de rythme ABC ABC
CDEEDFF, avec un « congedo » de 3 vers (Cf le chapitre sur le Dolce Stil Nuovo). Dans chaque strophe, un « fronte »
(2 vers) et une « sirma » (la « volta » et la « 2a volta »).
Jusqu’au XVIe siècle, la poésie de Pétrarque influencera la poésie européenne, et surtout la poésie française, la poésie lyonnaise de Maurice Scève (1501-1564)
à Louise Labbé (1524-1566) et Pernette du Guillet (1518-1545), ainsi que la poésie de la Pléiade, Pierre de Ronsard (1524-1585), Joachim du Bellay (1522-
1560), etc. (Voir : Jean-Louis Nardone, Pétrarque et le pétrarquisme, Que sais-je ? 1998).
Pour Pétrarque aussi, la poésie est faite pour être « habillée » de musique (les « ornements » du congedo), et pétrarque serale poète le plus mis en musique
par les musicines, de sonépoque à Palestrina au XVIe siècle et à Monteverdi au XVIIe siècle.
Francesco Petrarca (1304-1374) -
Juste de Gand (1410 ?-1480), Portrait de Pétrarque, Urbino, Palais Ducal.
Nato ad Arezzo da un padre notaio, ma vive la sua infanzia ad Avignone, perché suo padre, guelfo bianco, era stato esiliato
insieme a Dante ed aveva ottenuto una carica alla Corte pontificia, dove il Papa s’è rifugiato dal 1309 al 1418. Nel 1312, la
famiglia Petracco si trasferisce a Carpentras dove Francesco vive un’infanzia felice. Parla due lingue, il volgare toscano e il
latino in cui suo padre gli legge le opere di Cicerone. Dopo la morte della madre amatissima nel 1318, fa i suoi studi di
giurisprudenza a Bologna, e torna ad Avignone nel 1326 per la morte del padre che gli lascia molti soldi. Nel 1327, il 6 aprile,
incontra, forse al bagno nella Fontana di Valchiusa, forse nella chiesa Santa Chiara di Avignone, la bella LAURA, forse Laure
de Noves, figlia del Signore Audibert de Noves e sposa del marchese Hugo de Sade, antenato del Marchese di Sade, che
sarebbe morta adurante la peste del 1348. Per lei, scrive il suo Canzoniere, l’unica sua opera scritta in italiano, sulla quale
lavorerà per tutta la sua vita fino alla sua morte. Poi, dopo aver dilapidato tutta la fortuna del padre, si dedica a una carriera
ecclesiastica e agli studi umanistici, ricerca di manoscritti latini e greci e scrittura di un’ importante opera in latino. Verso il 1335,
compra una casa vicino alla Fontana di Valchiusa per poter scrivere tranquillo. Oggi è un museo del Petrarca visitabile. Dopo
numerosi, ambasciate, e viaggi di ricercca, si stabilisce nella sua villa di Arquà, nel Veneto, dove muore.
Nelle sue opere letterarie in latino, il Petrarca appare comme un primo grande umanista, antenato del Rinascimento del
Quattrocento. Nel Canzoniere (366 poesie), diventa l’inventore di una forma moderna dell’amore, diversa da quella descritta da
Dante e dagli scrittori del Dolce Stil Nuovo. A differenza da quello di Beatrice, l’amore per Laura non è più una via verso Dio
ma una realtà sensibile, psicologica, individuale, che dà all’uomo piacere e sofferenza, una realtà dolce e amara.
Abbiamo qui una canzone di 5 stanze di 13 versi, 4 endecasillabi e 9 settenari, di ritmo ABC ABC CDEEDFF, con un congedo di
tre versi (Cf. lezione sul Dolce Stil Nuovo). In ogni strofa, fronte (2 versi) e sirma (1a volta e 2a volta).
Tombeau de Pétrarque à Arquà
Fino al Cinquecento la poesia petrarchesca influenzerà tutta la poesia europea, e soprattutto quella francese, la poesia lionese,
da Maurice Scève (1501-1564) a Louise Labbé (1524-1566) e Pernette du Guillet (1518-1545), e la poesia della Pléiade,
Pierre de Ronsard (1524-1585), Joachim Du Bellay (1522-1560), ecc. (Vedi : Jean-Luc Nardone, Pétrarque et le
pétrarquisme, Que sais-je ?, 1998).
Anche per il Petrarca, la poesia è fatta per essere « vestita » di musica (gli « ornamenti » del congedo). e il Petrarca sarà il più
musicato di tutti i poeti italiani, da musicisti della sua epoca al Palestrina nel Cinquecento e al Monteverdi nel Seicento.
Canzoniere, Chanson 126 (1340-1341)
Chiare, fresche e dolci acque
Claires, fraîches et douces eaux,
ove le belle membra
où baigna ses beaux membres
pose colei che sola a me par donna ;
celle qui seule à mes yeux est une femme ;
gentil ramo ove piacque
noble branche où il lui plut
(con sospir mi rimembra)
(c’est avec un soupir que je m’en souviens)
a lei di fare al bel fianco colonna ;
de faire à son beau flanc une colonne ;
herba et fior che la gonna
herbe et fleurs que sa jupe
leggiadra ricoverse
recouvrit de son charme
co l’angelico seno,
avec son sein angélique,
aere sacro, sereno,
air sacré, serein,
ove Amor co’ begli occhi il cor m’aperse ;
où l’Amour de ses beaux yeux m’ouvrit le cœur ;
date udïenzia insieme
donnez audience ensemble
a le dolenti mie parole estreme.
à mes dernières paroles de douleur.
S’egli è pur mio destino,
Si tel est bien mon destin,
e ‘l cielo in ciò s’adopra,
et le ciel s’y emploie,
ch’Amor quest’ occhi lagrimando chiuda,
que l’Amour ferme mes yeux dans les larmes,
qualche gratia il meschino
que quelque grâce recouvre parmi vous
corpo fra voi ricopra
mon pauvre corps,
e torni l’alma al proprio albergo ignuda.
et que mon âme retourne nue à son propre logis.
La morte fia men cruda
La mort sera moins cruelle
se questa spene porto
si j’emporte cet espoir
a quel dubbioso passo ;
en ce passage hasardeux ;
ché lo spirito lasso
car mon esprit fatigué
non porìa mai in più riposato porto
ne pourrait jamais dans un port plus calme
né in più tranquilla fossa
ni dans une fosse plus tranquille
fuggir la carne travagliata et l’ossa.
fuir ma chair tourmentée et mes os.
Tempo verrà ancor forse
Le temps viendra peut-être encore
ch’a l’usato soggiorno
où au séjour habituel
torni la fera bella e mansüeta,
reviendra la sauvage belle et douce,
et là v’ella mi scorse
et là où elle m’aperçut
nel benedetto giorno,
en ce jour bienheureux,
volga la vista disïosa et lieta,
elle tournera ses regards de désir et de joie
cercandomi : et, o pieta !
en me cherchant : et, oh pitié !
già terra infra le pietre
voyant déjà de la terre entre les pierres,
vedendo, Amor l’inspiri
l’Amour l’inspirera
in guisa che sospiri
de sorte qu’elle soupire
sì dolcemente che mercè m’impetre
si doucement qu’elle obtienne ma grâce
et faccia forza al cielo,
et fasse violence au ciel,
asciugandosi gli occhi col bel velo.
en essuyant ses yeux de son beau voile.
Da’ be’ rami scendea
Des belles branches descendait
(dolce ne la memoria)
(douce dans ma mémoire)
una pioggia di fior’ sovra ‘l suo grembo ;
une pluie de fleurs sur son sein ;
et ella si sedea
et elle était assise
humile in tanta gloria,
humble dans tant de gloire,
coverta già de l’amoroso nembo.
déjà couverte de l’amoureux essaim.
Qual fior cadea sul lembo,
Telle fleur tombait sur le bord de sa robe,
qual su le treccie bionde,
telle autre sur ses tresses blondes,
ch’oro forbito et perle
qui étaient ce jour-là, à les voir,
eran quel dì a vederle ;
de l’or poli et des perles ;
qual si posava in terra e qual su l’onde ;
telle se posait sur le sol, et telle sur les eaux ;
qual con un vago errore
telle, dans une gracieuse errance,
girando parea dir : Qui regna Amore.
semblait dire en tournant : Ici règne l’Amour.
Quante volte diss’io
Que fois me dis-je alors
allor pien di spavento :
plein d’épouvante :
Costei per fermo nacque in paradiso.
Cette femme, sans nul doute, est née au paradis.
Così carco d’oblio
Ils m’avaient si chargé d’oubli,
il divin portamento
son port divin
e ‘l volto e le parole e ‘l dolce riso
son visage et ses paroles et son doux sourire
m’aveano, et sì diviso
et si éloigné
da l’imagine vera,
de l’image vraie,
ch’i’ dicea sospirando :
que je disais en soupirant :
Qui come venn’io, o quando ?
Comment suis-je venu ici, ou quand ?
credendo esser in ciel, non là dov’era.
croyant être au ciel, et non pas là où j’étais.
Da indi in qua mi piace
Depuis ce moment j’aime tant
questa herba sì, ch’altrove non ò pace.
cette herbe, qu’ailleurs je n’ai point de paix.
Se tu avessi ornamenti quant’ài voglia,
Si tu avais autant d’ornements que tu en as envie,
poresti arditamente
tu pourrais hardiment
uscir del boscho, e gir in fra la gente.
sortir du bois et t’en aller parmi les gens.
(Musique : Giovanni Pierluigi Palestrina (1525-1594), in : Chiare, fresche e dolci acque, Simonetta Soro, RivoAlto, 1998)
Les critiques ont discuté sans fin sur la signification des vers 7 à 9 de la première strophe, certains disant que le « seno » signifiait les « plis » de la robe de Laura
(latin sinus). Un des plus lucides sur le sens du texte fut Georges Mounin qui disait qu’il fallait avoir un dictionnaire latin devant chaque œil pour ne pas voir queil «
seno » c’était le sein de laure se séchant nue sur le pré après son bain (on ignorait alors le maillot de bain et n se baignait nus), et non pas le « sinus » (le pli) de
sa robe. Plusieurs autres poésies de Pétrarque évoquent ainsi le poète contemplant secrètement la femme aimée nue après son bain.
Écoutons encore un autre sonnet de Pétrarque, qui évoque la « douce peine » provoquée par l’amour ; il est admirablement mis en musique
par Claudio Monteverdi.
Canzoniere, Sonnet 164
0r che 'l ciel e la terra e 'l vento tace
Maintenant que le ciel et la terre et le vent se taisent,
e le fere e gli augelli il sonno affrena,
que le sommeil apaise les bêtes et les oiseaux,
notte il carro stellato in giro mena
que la nuit mène son char étoilé dans sa ronde
e nel suo letto il mar senz' onda giace ;
et que la mer repose sans vagues dans son lit ;
Vegghio, penso, ardo, piango ; e chi mi sface je veille, pense, brûle, pleure ; et celle qui me tue
sempre m' è inanzi per mia dolce pena : toujours est devant moi, pour ma très douce peine :
guerra è 'l mio stato, d'ira e di duol piena ; la guerre est mon état, de colère et de deuil ;
e sol di lei pensando ho qualche pace. si quelque paix je trouve, c’est en pensant à elle.
Così sol d'una chiara fonte viva
Ainsi, c’est d’une source unique, claire et vive
move 'l dolce e l'amaro ond' io mi pasco ;
que viennent le doux et l’amer dont je me repais ;
una man sola mi risana e punge.
seule une même main me blesse et me guérit.
E perché 'l mio martir non giunga a riva,
Et pour que mon martyr à son terme n’arrive,
mille volte il dì moro e mille nasco ;
mille fois je me meurs chaque jour, mille fois je renais ;
Tanto da la salute mia son lunge.
tant de ma guérison je demeure éloigné.
(Musique : Claudio Monteverdi (1567-143), Madrigali guerrieri et amorosi, 8e Livre, 1638, Deller Consort de Londres, pour 6 voix, 2 violons et une
basse continue).
Ce sonnet a été mis en musique par de nombreux madrigalistes avant Monteverdi, et après par plusieurs musiciens dont Franz Shubert (Voir le texte
des Atti del convegno internazionale di Studi (Arezzo, 18-20 marzo 2004), a cura di A. Chegai e C. Luzzi, Lucca, LIM, 2005 (consultable sur : http
://www. Unisi.it/tdtc/petrarca/)
Ce texte de Pétrarque avait déjà été mis en musique plusieurs fois, avant Monteverdi. Une étude récente (2006) de Barbara Cipollone a reconstruit l’histoire de
cette « tradition musicale », qui de la frottola de Bartolomeo Tromboncino (1516, avec l’« intavolatura » pour orgue de Andrea Antico, 1517), passe par les
madrigaux de Arcadelt (1539, 1541, 1543), Cipriano de Rore (1542, 1544, 1562), Francesco Menta (1560), Stefano Rossetti (1560), Francesco Adriani
(1568), Ippolito Camaterò (1569), Filippo di Monte (1576), Orazio Vecchi (1604), Sigismondo d’India (1618), avant d’arriver au livre VIII des Madrigali
guerrieri e amorosi (1638) de Monteverdi. Mais nous pouvons également rappeler, dans les reprises après Monteverdi, le lied Nunmehr, da Himmel, Erde
schweigt und Winde (1818) de Schubert (D630), qui utilise une traduction allemande due au poète J. Diederich Gries (sur les lieder de Schubert inspirés par
Pétrarque, voir l’étude de Mariateresa Dellabora, Petrarca intonato da Schubert : i tre Lieder D 628-630 (con qualche considerazione sulla restante produzione
‘italiana’), dans Petrarca in musica. Atti del convegno Internazionale di Studi di Arezzo (Arezzo, 18-20 marzo 2004), a cura di A. Chegai e C. Luzzi, Lucca, LIM,
2005, pp. 435-453.
Pétrarque se souvient sûrement de Virgile, qui oppose, dans le livre VI de l’Énéide (v. 322-331), le calme de la nuit aux angoisses de la veille de Didon, mais
pousse plus loin sa réflexion sur une condition existentielle contradictoire et dramatique. Loin du port du salut, le poète est agité par une « guerre » intérieure
continuelle, dont il ne voit pas l’issue.