Poésie en musique - chapitre 11
Chapitre 11
Giovanni Boccaccio, poète de transition entre Moyen-Âge et Renaissance
Andrea del Castagno, Boccaccio, vers1450 - Uffizi, Firenze.
Giovanni Boccaccio (1313-1375), après Dante et avec Pétrarque, est le troisième créateur de la langue italienne, la
troisième « couronne » de la langue. Il exerce aussi une influence européenne, en Angleterre (Geoffrey Chaucer… ),
en Espagne (Miguel de Cervantès, Lope de Vega … ), en France (Marguerite de Navarre…)… Quand il rencontre
Pétrarque, il désespère d’être le second des grands poètes italiens et il jette au feu tous ses poèmes de jeunesse. Il
continue cependant à écrire de nombreux traités en vers (La caccia di Diana, autour de 1334, il Filòstrato (1335), il
Filocolo (1336-39), la Teseida (1339), l’Ameto(1341-42),L’Amorosa visione (1341-42),) et en prose (Elegia di Madonna
Fiammetta (1343-44), le Corbaccio, corbeau de malheur, après 1365… ), et surtout le Décaméron (entre 1348 et 1351)
qui le rend célèbre, et de nombreuses œuvres savantes en latin.
Tous les chapitres du Décaméron se terminent par une chanson, et il est souvent question de musique et de chanson
dans les nouvelles (Voir par exemple : 10e journée, 7e nouvelle ; 6e Journée, Nouvelle 10, etc).
Giovanni Boccaccio (Voir le dossier Italie-infos.fr, 22 portraits d’une autre Italie, chap. 4)
Ballata
Ballade
Come in sul fonte fu preso Narciso
Comme fut pris Narcisse à la fontaine
Si sè da sè, così costei, specchiando
ainsi elle, se mirant elle-même,
sè, sè ha preso dolcemente amando.
elle, elle fut prise elle-même d’un doux amour.
E tanto vaga sè stessa vagheggia
Et si charmante elle s’émeut de sa beauté
che ingelosita della sua figura
que rendue jalouse de sa propre figure
ha di chiunque la mira paura
elle a peur de quiconque la regarde.
Temendo sè a sè non esser tolta
Craignant de ne pas être prise par elle-même
quello ch’ella di me pensi, colui
ce qu’elle pense de moi, celui-là seul
sel pensi che in sè conosce altrui.
peut le penser qui en lui-même connaît autrui.
Se non m’inganno, mi par di fore
Si je ne me trompe pas, il me semble retrouver
qual fu tra Febo e Danne odio e amore.
ce que fut la haine et l’amour entre Phébus et Danaé.
Ballata
Ballade
Non so qual i’ mi voglia
Je ne sais pas ce que je désire
o viver o morir per minor doglia (ripresa).
ou vivre ou mourir pour moins souffrir (reprise).
Morir vorre’, chè’l viver m’è gravoso
Je voudrais mourir, car il m’est dur de vivre
vedendo me per altri lasciato (Piede 1)
en me voyant abandonné pour d’autres (Pied 1)
E morir non vorre’, chè trapassato
Et je voudrais ne pas mourir, car après mon trépas
più non vedre’ il bel viso amoroso (Piede 2)
je ne verrais plus le beau visage amoureux (Pied 2).
Per cui piango, invidioso
C’est pourquoi je pleure, envieux
di chi l’ha fatto suo e me ne spoglia (Volta).
de celui qui l’a faite sienne et qui m’en dépouille.
( Musica : Lorenzo da Firenze ( ? - 1372), su Landini and Italian Ars Nova, op.111, 1992. Écouter aussi le disque : Musique du temps du
Décaméron - Musica riservata, Dir. John Beckett, Trésors classiques, Phlips, s.d.)
Decamerone, Giornata nona, novella decima, conclusione
Io mi son giovinetta, e volontieri
Moi je suis toute jeune et volontiers
m’allegro e canto en la stagion novella
je me réjouis et je chante à la saison nouvelle
merzè d’amore e dei dolci pensieri.
prisonnière de l’amour et des douces pensées.
Io vo pe’ verdi prati riguardando
Dans les vertes prairies je vais regardant
i bianchi fiori e’ gialli e i vermigli
les fleurs blanches, jaunes et vermeilles
le rose in sule spine e i bianchi gigli
les roses sur les épines et les lys blancs
e tutti quanti gli vo somigliando
et toutes je les compare
al viso di colui che me, amando,
au visage de celui qui, en m’aimant,
ha presa e terrà sempre come quella
m’a prise et me tiendra toujours pour celle
ch’altro non ha in disìo ch’e’ suoi piaceri.
qui n’a pas d’autre désir que ses plaisirs.
De’ quai quand’io ne truovo alcun che sia,
Et quand je crois trouver une fleur qui soit,
al mio parer, ben simile di lui,
à mon avis, bien semblable à lui,
il colgo e bacio e parlomi con lui,
je la cueille et l’embrasse et je parle avec elle
e com’io so, così l’anima mia
et comme je peux, je lui ouvre mon âme
tutta gli apro, e ciò che’l cor disìa ;
tout entière, et ce que mon cœur désire ;
quindi con altri il metto in ghirlandella
puis je la mets en guirlande avec d’autres
legato ai miei crin biondi e leggieri.
attachée à mes cheveux blonds et vaporeux.
E quel piacer, che di natura il fiore
Et ce plaisir que par nature la fleur
agli cocchi porge, quel simil mi dona
donne aux yeux, elle me donne le même plaisir
che s’io vedessi la propria persona
que si je voyais sa propre personne
che m’ha accesa del suo dolce amore,
qui m’a embrasée de son doux amour,
quel che mi faccia più il suo odore
quant à ce que me fait son odeur
esprimer nol potrei con la favella,
je ne peux pas l’exprimer par des mots
ma i sospir ne son testimon veri.
mais mes soupirs en sont les témoins véridiques.
Li quai non escon già mai del mio petto,
Ceux-ci ne sortent jamais de ma poitrine,
come dell’altre donne, aspri nè gravi,
comme chez les autres femmes, âpres et lourds,
ma se ne vengon fuor caldi e soavi,
mais ils en sortent chauds et doux
e al mio amor sen vanno nel cospetto,
et s’en vont à la rencontre de mon amour,
il qual come gli sente, a dar diletto
et quand celui-ci les sent, pour me donner le plaisir
di sé a me si muove e viene in quella
de sa présence il s’empresse de venir vers moi
ch’i son per dir : Deh vien ch’i non disperi.
au moment où j’allais dire : Ah viens, que je ne désespère pas.
Enregistrement : Alessandro Fiori, www.youtube.com › watch › v=Mp0gsdDgDLI
Franz Xaver Winterhalter (1805-1873), Le Décaméron, 1837.
Lorenzo da Firenze ( ? - 1372-3 ?) fut compositeur et enseignant de musique à Florence, probablement
de Francesco Landini. Il participe à l’école de musique du XIVe siècle que l’on appela en Italie et en France
l’Ars nova, caractérisée par un nouveau mode de connotation musicale et par la pratique de la ballade, de
la « chasse » (la caccia), du madrigal et du motet. Le grand compositeur de cette école en Italie fut
Francesco Landini (1325-1397), compositeur, organiste, chanteur aveugle de Florence, le plus célèbre de
tous à cette époque. Proche de Pétrarque, il était aussi poète ; philosophe, il suivait la pensée de
Guillaume d’ Occam (1288-1347), théologien franciscain fidèle à l’idéal de pauvreté de François d’Assise,
hostile au pouvoir politique de l’Église et condamné pour hérésie par le pape Jean XXII.
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