Accueil Actualités italiennes Nature Histoire Sructures Langue Création de formes artistiques Creation de culture materielle Chanson Voyages Contacts
Réflexions sur Pinocchio
Réflexions préalables sur Pinocchio. Le livre de Carlo Lorenzini a toujours été parmi les publications les plus diffusées et les plus traduites dans le monde entier, dans toutes les langues, tous les dialectes, et même en latin, et Pinocchio est connu de tous. Mais c’est aussi un de ceux qui ont connu le plus d’interprétations différentes : simple livre d’enfant, livre pour des parents qui veulent éduquer leurs enfants, contenu psychologique, psychanalytique, politique, religieux riches, on en discute toujours. Vous trouverez sur ce sujet un long dossier sur le site www.italie-infos.fr , y-compris les chansons que le personnage a inspirées. Au fond, que représente ce pantin fait dans un morceau de bois brut vivant avant d’être taillé ? Le bois parle, proteste quand on veut le travailler à la hache ou à la râpe. La vie est déjà dans le bois : un bois vivant, un arbre qui parle ! Rien d’autre que l’idée qu’il y a dans tout animal ou dans tout végétal un être vivant ; c’est la vie « naturelle » qui apparaît, la vie biologique qui existe avant d’être socialisée. Le pantin est déjà une manifestation de vie naturelle avant d’être sculpté, avant d’être « socialisé », discipliné, domestiqué, éduqué d’abord par Geppetto, puis par la Fée. Et il tient à en rester à sa vie naturelle, spontanée, où il fait ce qui lui plaît le plus, où il ne veut pas « travailler » pour pouvoir manger. Et c’est cela qui convient à l’anarchiste qu’était Carlo Lorenzini. La nature animale et végétale a d’ailleurs une place centrale dans l’histoire, depuis le « poulain » du chapitre III, en passant par le « chevreau », le « jeune lièvre » et le « Grillon parlant » du IV, le « poussin » du V , le « chat » du VII, puis le « Renard », « le Chat » et le « Merle » du XII, pour nous en tenir à la première partie. Quant aux deux menuisiers, l’un est surnommé Maître « Cerise », et l’autre « Polenta » ! Et il faudrait parler du repas pris à l’Auberge  de « l’Écrevisse  Rouge ». La plupart des traducteurs français ont donc probablement tort de traduire le dernier « buffo » du livre par « ridicule » : « Com’ero buffo quand ero un burattino ». Non, mais comme j’étais « drôle » (« Quel drôle d’air j’avais ! » traduit Claude Sartirano) « L’Opera buffa » ne signifie pas « l’Opéra ridicule », mais « l’Opéra-Bouffe », comique, par rapport à « l’Opera seria ». Les dictionnaires traduisent par « cocasse », « comique », « drôle », et ne donnent « ridicule » que comme un « synonyme » de « buffo », avec « ameno », « bizzarro », « curioso », « divertente », « esilarante », « farsesco »,  « parodistico », « risibile », « scherzoso », « spassoso », « spiritoso », « strambo », « strano ». Les contraires suivants sont donnés : « commovente », « drammatico », « grave », « impegnato », « lacrimevole », « lacrimoso », « serio », « serioso », « toccante », « tragico », « triste ». Certes, Pinocchio est « contento » d’être devenu un bon petit garçon, mais il n’en trouve pas moins plus « drôle » d’être un pantin, dans une semi conscience de la contradiction. C’est ce que Celentano avait parfaitement compris dans sa Ballata di Pinocchio de 1972. « La « nuova avventura », celle de la vie d'homme, est-elle autre chose qu'« un pasticcio, anzi ... un pastocchio » (un « pétrin », un imbroglio) ? La vraie liberté n'était-elle pas celle du pantin ? Quelle femme est capable d'aimer comme la Fée ? La vérité n'est-elle pas dans le pantin plutôt que dans l'homme ? Un doute identique avait inspiré peu de temps avant le film de Luigi Comencini. Le temps du pantin est aussi le temps du plaisir, le temps du désir, le temps de la transgression, cette permanente déviance de Pinocchio refusant de se plier au modèle social dominant, multipliant les résistances et les fuites pour défendre son anormalité. En ce sens, comme l'avait suggéré Contini, Pinocchio ne fait pas partie de la « littérature pour enfants » ni même de la « littérature pour adultes qui veulent éduquer leurs enfants » ; c'est une fable métamorphique, l'histoire d'une cure analytique qui ne se termine pas, encadrée entre deux rêves, celui de l'Or (l'Albero degli zecchini) et celui de la Mère (l'apparition de la Fée dans le dernier chapitre) ; ce qui permet de dire que la transformation finale en bon petit garçon n'appartient plus au récit car le mythe est fini, l'éducation commence, mais cela n'est qu'un rêve, la cure n'aura jamais de fin, et la nostalgie de l'âge du pantin resurgira toujours » (Extrait de l’article sur Pinocchio dans le site : www.italie- infos.fr). Un autre point est suggéré par ce texte, qui fait de Pinocchio un texte très moderne, la question de l’argent. Qu’est-ce qui fait déraper Pinocchio dans la première partie ? le don de 5 pièces d’or par Mangiafuoco pour aider son père, pauvre de métier. Ce sont ces pièces qui feront que le Chat et le Renard le tueront finalement au chapitre XV : l’or est la mort du pantin, et dans la deuxième partie, c’est encore l’or qui lui attirera plein d’ennuis, et le fera condamner par le juge. Et l’or n’est qu’un rêve comme « l’Arbre aux sequins » du chapitre XII. Carlo Lorenzini a toujours été apparemment indifférent à l’argent, Quand il en avait, il le dépensait au jeu et faisait des dettes ; et pourtant il avait accepté d’avoir un travail très officiel et institutionnel (Préfecture, censure, Académie …) pour pouvoir vivre, jusqu’à ce que la publication de ses œuvres lui assure d’autres revenus. Le vice de cette société était pour lui que l’on ne vit pas sans argent, et donc sans travail pour gagner de l’argent. Et le rêve de Pinocchio est d’avoir de l’argent pour bien vivre sans travailler (Chapitre XIX : « Quel grand monsieur je deviendrais ! Je pourrais avoir un grand palais, plein de petits de bois avec leurs écuries pour m’amuser, une cave remplie de liqueurs, un magasin entier de fruits confits, de tartes, de brioches, de gâteaux aux amandes et de cornets à la crème ». Il était révolutionnaire, mais pas du tout dans le sens marxiste du terme ! Il n’y a pas dans son livre de « peuple », de « masse » qui luttent contre un pouvoir ; sa lutte contre le pouvoir (les gendarmes, les juges, les médecins …) est individuelle, et Pinocchio serait un individu parfois d’un total égoïsme s’il n’avait pas un besoin très fort d’amour, de son père, de la Fée, de camarades ; c’est même cela qui va peu à peu l’entraîner vers sa transformation en petit garçon obéissant à son papa et travaillant pour lui. Voyons plus précisément si les personnages du livre confirment cette première analyse. Le premier est Mastro Ciliegia, qui disparaît bientôt dès le chapitre III ; or la cerise est bien sûr souvent symbole de sensualité, de vie, mais elle représente aussi me sang, la passion du Christ qui meurt : voir une de nos plus célèbres chansons, Le Temps des cerises. Pinocchio sera un livre de mort, destiné à se terminer dans la mort de ce qui est la véritable vie, celle du bois parlant. Le second homme du livre est Geppetto, le symbole du peuple pauvre, celui dont le « métier » est d’être « pauvre ». Les autres hommes seront        1) des représentants de la loi, de l’ordre, de la société organisée, des gendarmes, des juges, des savants ignorants, les médecins. Ils sont stupides, voire méchants, ils font du mal au pantin.        2) Il y a le peuple anonyme, celui qui regarde courir Pinocchio, celui qui regarde s’enfoncer la barque de Geppetto. Et dans tout ce peuple, de paysans, de commerçants, de gendarmes, etc., une seule profession est totalement absente, celle du prêtre : aucune présence religieuse dans ce livre. Seule la forme exprime des allusions à la passion du Christ, mais ce n’est que pour mieux séduire le lecteur, dont Collodi sait qu’il est religieux et habitué à des représentations de la vie du Christ. Dans ce peuple, les petits camarades d’école, bagarreurs, ou qui entraînent Pinocchio dans des aventures dangereuses comme Lucignolo.  3) Il y a des hommes qui sont de véritables monstres, comme le Pêcheur Vert, ou Mangiafuoco au nom effrayant qui domine cruellement les pantins, et se laisse parfois émouvoir si on le complimente, comme sait faire Pinocchio, ou l’homme qui conduit les enfants au jardin des Jouets pour les transformer en ânes, ou d’autres organisateurs de distractions comme le directeur du cirque qui ne pense qu’à l’argent que vont lui rapporter les ânes et les élimine dès qu’ils ne rapportent plus, ou le commerçant qui ne pense qu’à la valeur de la peau de l’âne. Une humanité peu reluisante !  4) Il n’y a qu’une femme, la Fée, mais elle appartient à un autre monde, celui du rêve : elle est en réalité une « fée » de plus de mille ans, peu humaine, même dans sa couleur, le bleu. C’est elle qui réalise la transformation du pantin en petit garçon, mais ce sera la mort du pantin, elle tue donc le pantin, mais en plus elle n’est qu’un rêve, et la richesse est un rêve, et la « bonne » humanité n’est qu’un rêve (le « bon petit garçon »). Et le rêve est un mensonge : pensons à la scène de l’allongement du nez de Pinocchio, il se fait en présence de la fée, il est le résultat des mensonges racontés par le pantin : « la femme, le mensonge, le rêve », redoutable association, lorsque apparaît le rêve (la Fée), le nez s’allonge, le désir suscité par la Fée (être un vrai petit garçon) est mensonger, la vie n’est pas là, elle est dans le plaisir véritable, celui du pantin. Il faudrait aussi étudier les animaux.        1) Quelques-uns aident Pinocchio, le merle (il en est tué par le Chat), le Thon qui sauve Geppetto et Pinocchio du Requin, le Pigeon qui emporte Pinocchio jusqu’à la mer. 2) La plupart sont domestiqués par les hommes, le chien, l’âne, le Faucon, les souris du carrosse de la Fée, le Grillon, la Chouette et le Hibou, médecins stupides et incompétents, les 4 lapins. Ils sont indifférents à Pinocchio, comme les poissons tués par le Pêcheur Vert, seuls certains, surtout le chien, l’aident parce qu’ils lui sont reconnaissants de les avoir sauvés. Et puis, le Grillon Parlant, qui n’est que la voix de la Fée, ou la Limace qui est sa domestique.  3) Certains sont foncièrement méchants, le Requin d’abord, irréel dans sa monstruosité, et le Chat et le Renard, assassins, trompeurs, et finalement éliminés ; moins redoutables, le Perroquet qui se moque de Pinocchio, ou les fouines qui mangent les poules du fermier Donc un monde animal ou dangereux, ou domestiqué par l’homme, assimilé à sa vie, et qui peut redevenir bon s’il prend conscience que c’est Pinocchio qui a raison.
Toute reproduction (papier ou numérique) est interdite sans une autorisation écrite du propriétaire du site.