8.5. Création de culture matérielle : Gastronomie - le “tramezzino”
Le « tramezzino », un délice culinaire italien
Si vous avez déjà mangé dans un bar ou un restaurant italiens, vous avez
sûrement vu sur une étagère des « tramezzini ». Ce sont ces petits «
sandwichs » (« panino ») triangulaires constitués de deux tranches de pain
de mie (« pancarré » ou « pane in cassetta ») farcies de toutes sortes de
bonnes choses, charcuterie (jambon), beurre et anchois, fromage, légumes
verts coupé très fins, cornichons, fruits de mer, poulet, viandes diverses,
langue en sauce verte, langoustes, œufs, lard chaud, mayonnaise, crème de
pois chiches… On l’accompagne d’un verre de vin (à Venise, un’ « ombra »,
un « canon » !) ou de vermouth.
D’où vient ce mot étrange pour une nourriture ? On les appela d’abord des « paninetti » (petits sandwichs), puis un jour, à
Gabriele d’Annunzio, venu à Turin, on servit ces petits pains triangulaires en apéritif ; enthousiasmé par leur bon goût, il aurait
demandé au garçon un autre de ces « tramezzini », qu’il utilisa pour dire « intramezzo ». Le mot lui était venu des « cloisons
» (signification de « tramezzo » ou « tramezza ») de sa maison pour indiquer cette nourriture que l’on mangeait entre deux
repas, ou à cause des deux tranches de pain de mie qui entouraient le « ripieno » (la farce intérieure). C’était dans les années
1920, le fascisme interdisait les mots étrangers comme « sandwich », et on ne pouvait ignorer le mot créé par un grand poète
officiel comme d’Annunzio.
Un article du dernier numéro de la revue Radici (n° 88, novembre/décembre 2016, pp. 56-59) en donne une bonne description,
mais le déclare d’origine italienne. Plus probablement, comme le « sandwich », il est d’origine anglaise, inventé par la duchesse
de Bedford au début du XIXe siècle pour accompagner son thé de 17h en attendant le repas du soir, comme le « sandwich »
inventé, dit-on, par John Montagu (1718-1792), 4e Comte de Sandwich qui, ne voulant pas quitter sa partie de cartes, se fit
apporter par son domestique une tranche de viande entre deux tranches de pain.
Par contre, ce qui est vrai, c’est qu’il est introduit en Italie par un restaurateur piémontais en 1925 : Angela Demichelis et
Onorino Nebiolo, revenus d’une émigration aux Etats-Unis où ils avaient fait fortune dans la restauration, s’installent à Turin où
ils rachètent un café historique en crise, le Mulassano.
Le Mulassano fut créé Via Nizza à Turin dans la seconde moitié
du XIXe siècle par Amilcare Mulassano, titulaire d’une distillerie
célèbre, la Sacco, et en 1907, il transfère le café au 15 de la
piazza Castello, où il se trouve encore aujourd’hui ; il a été
construit en style Liberty par l’Ingénieur Vandone, dans une petite
surface de 31m2 ; en 1925, Mulassano vendit le café aux époux
Nebiolo pour 300.000 lires. Angela chercha alors à créer de
nouveaux produits pour accompagner l’apéritif, en se servant du
grille-pain qu’il avaient apporté des USA, et elle inventa le «
tramezzino » en coupant la tranche de pain de mie en diagonale,
d’où la forme triangulaire. Ayant eu un grand succès, elle le servit
ensuite à 16 heures, puis toute la journée, jusqu’à en faire un petit
repas rapide, ou un petit coupe-faim (« spezzafame »).
Le petit bar Mulassano devint célèbre, grâce aussi à ses marbres, à ses boiseries,
à ses décorations en onyx et à ses miroirs, de nombreuses personnalités le
fréquentèrent. Le bar fut revendu en 1938, un peu abandonné, et repris et restauré
en 1970, connaissant depuis autant de vie et de lumière. (Voir dans « Histoire
des villes-Torino-Visite de la ville » notre dossier sur les cafés historiques de
Turin).
Quant au « tramezzino », il devint si apprécié que d’autres villes que Turin en
revendiquèrent l’invention, en particulier Venise, où on l‘appelle « el tramesin » en l’accompagnant de spritz, et où
Mestre a réalisé en 1999 un « tramezzino » long de plus 356 mètres avec 2 quintaux de pain de mie ! Le climat
humide de Venise était particulièrement favorable au bon état du « tramezzino ». Mais toute l’Italie le fabrique
maintenant, depuis le Mulassano qui en sert une cinquantaine de spécialités (dont une à la truffe, au homard, et à la «
bagna càuda »), jusqu’à toutes les autres régions, avec des produits locaux ; partout, il est fait de pain de mie sans
croûte et servi enveloppé de serviettes humides pour lui garder son aspect moelleux. Exporté dans le monde entier, le «
tramezzino » reste cependant un symbole de l’art de vivre et de manger de la civilisation italienne.
J.G. 21 janvier 2017
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