Nouvelles de ces derniers temps : édition du 26 mai 2018
Nouvelles de ces derniers temps, 26 mai 2018
Davide Casaleggio, le patron du M5S, Emmanuel Macron, le gouvernement italien
Vers un régime et un homme nouveaux ?
Les élections législatives s’étaient déroulées le 04 mars dernier, et mi mai l’Italie n’avait toujours aucun gouvernement nouveau. On disait
qu’il fallait un peu s’y attendre, vu le système électoral du Rosatellum, mais ce n’en était pas moins inquiétant pour la situation politique
du pays. Elle était « dramatique » pour le Président de la République, disait-on, cette République qui n’avait jamais connu une telle
impossibilité de former un gouvernement depuis 1976.
Car l’Italie est dans une situation très mauvaise, tous les observateurs le confirment, à l’intérieur et à l’étranger, comme cela a bien été
résumé dans un article du Monde de mai dans son supplément économique : croissance très faible, chômage élevé, surtout chez les
jeunes (près de 40% parfois) et au Sud, dette publique très élevée, sans compter les scandales de corruption qui coûtent cher,
l’importance des mafias, et grâce à tout cela la permanence des grandes familles au pouvoir (certaines depuis le XVe siècle !).
L’Italie doit aussi envoyer une délégation à la prochaine réunion du Parlement européen qui devra prendre des décisions importantes sur
l’immigration, et sur le prochain budget de l’Europe. Qui pourrait y représenter l’Italie si elle n’a pas de gouvernement ?
Mattarella avait tenté une première formule en donnant un mandat de recherche à la présidente du Sénat, la berlusconienne Maria
Elisabetta Casellati, mais un gouvernement centre droit + M5S s’est révélé impossible, le M5S n’acceptant que si Berlusconi était éliminé
tandis que la Ligue (Lega) n’acceptait qu’avec la participation de Berlusconi. Exit Casellati ! Un second mandat a été ensuite proposé à
Roberto Fico, le président M5S de la Chambre des Députés pour chercher un accord avec le PD. Le secrétaire du PD, Maurizio Martina,
avait fait une ouverture à la discussion, mais lors de la réunion du 03 mai de la direction du PD, Renzi, qui a encore une légère majorité
(105 sur 195 à peu de choses près), a fait repousser l’hypothèse d’un gouvernement avec le M5S. En effet, celui-ci se serait fait sans lui,
or sa préoccupation actuelle n’est pas de contribuer à résoudre les problèmes de l’Italie, mais de garder le contrôle du PD, même réduit à
peu d’adhérents et d’électeurs. Dernière solution mathématique : une alliance entre le PD et le centre droit, mais toute une partie du PD
ne l’accepterait pas, c’est l’impasse, « lo stallo ».
Le Président se donna alors jusqu’au lundi 07 mai pour consulter à nouveau toutes les forces politiques, et constituer un gouvernement
sans majorité parlementaire mais qui serait possible par une abstention majoritaire, un gouvernement « di tregua » (de transition), disait-
on, qui permettrait d’aller jusqu’en décembre pour organiser de nouvelles élections et éventuellement réformer la loi électorale, ce
Rosatellum qui semble n’avoir été voté que pour ne pas fonctionner, ne pas permettre d’arriver à une majorité gouvernementale, et en
tout cas d’éliminer une arrivée au pouvoir du M5S. Mais Luca Di Maio, le leader du M5S, refusa et exigea des élection immédiates
début juillet 2018 ! L’Italie semblait marcher sur la tête au niveau de l’État central, heureusement que les Régions étaient encore là pour
faire fonctionner correctement un certain nombre d’institutions : c’était ce qu’on disait et lisait dans la presse.
Pendant ce temps, Beppe Grillo, le garant du M5S, relançait sur le mensuel français Putsch, le 3 mai, son idée de faire un référendum
pour demander aux Italiens quelle place ils voulaient que l’Italie occupe dans l’Europe, et leur proposer de quitter l’euro. Il envisageait
aussi de faire au Parlement européen une alliance avec les députés macroniens de La République en Marche. Y aurait-il une
proximité entre le M5S et les macroniens ? C’était une première intuition de ce qui allait se passer.
Maintenant, voilà que se profile un gouvernement M5S + Ligue, concocté par Luca Di Maio et Matteo Salvini, avec deux points clés,
d’une part la lutte contre l’immigration et le refus de l’Europe actuelle, d’autre part une addition incohérente de baisse des impôts et
d’augmentation des dépenses (revenu universel minimum de 780 euros, augmentation des retraites, plus d’argent pour les écoles et les
hôpitaux, diminution du chômage …). Alors l’Europe, à commencer par la France, a dit son inquiétude d’un abandon de l’Europe par
l’Italie et de l’arrivée au gouvernement d’un réactionnaire raciste, xénophobe, à la limite du fascisme comme Salvini.
Notre hypothèse (à vérifier et à discuter) est qu’on n’a pas bien compris ce qui se cache derrière tout cela.
Une hypothèse sur la proximité entre Macron et le M5S
Certes dans l’immédiat, Macron est gêné par l’euroscepticisme du M5S et de la Ligue (mis un peu entre parenthèses dans les
discussions actuelles) dans son entreprise de réforme de l’Europe ; il est également peu favorable à la présence d’une Ligue proche du
FN français. Mais on n’a pas assez évoqué, derrière la fumée voltigeante de ce que nous fait apparaître le discours dominant, la pensée
réelle du M5S, et combien elle est proche de celle de Macron. Une interview de David Casaleggio du 04 mai sur Il Sole 24 Ore devrait
nous éclairer, car David Casaleggio, le fils né en 1976 du défunt créateur du M5S, Gianroberto, est probablement le véritable patron du
M5S. Il conclut ainsi son interview : « Il n’est plus possible de raisonner avec les catégories du XXe siècle de droite, gauche et centre.
Elles ne font plus partie du vécu des citoyens. Elles ont épuisé leur « tâche » (Il loro compito), si on peut dire. Comme je le disais, le
succès du M5S signifie aussi qu’il est au pas avec les temps (al passo coi tempi). Les idéologies n’existent plus ». N’est-ce pas
exactement ce que dit et pense Macron ?
Peu importe donc l’alliance politique, elle peut être soit avec la « gauche » (le PD) soit avec l’extrême droite (la Ligue, proche en Italie du
FN français), cela revient au même, la seule réalité solide, c’est notre M5S, dit Casaleggio. Macron ne pouvait pas s’allier avec l’extrême
droite du FN, puisqu’il a été élu contre elle, il ne s’est allié qu’avec la droite (les dissidents LR) et avec la
droite de la gauche (des « socialistes » comme le ministre de l’intérieur, Gérard
Colomb). Mais si un jour il y a une nécessité de s’allier au FN, pourquoi pas ?
Il n’y a plus d’« idéologie » ! Bien sûr les discours ne le disent pas ! Ils disent
seulement : nous sommes en « démocratie » , vous pouvez donc dire tout ce
qui vous plaît, je l’écoute, mais je ferai de toute façon ce que J’ai décidé,
autrement dit : causez toujours, je m’en fous, vous n’êtes que des ignorants et
des perturbateurs, et si vous exagérez, je lâche ma police.
Quelle est l’autre réalité du M5S pour Davide Casaleggio : c’est un parti de la
« Rete », de la Toile, qui existe essentiellement par Internet, il est né par la
Toile et continue à exister par la Toile. C’en est fini de ces petites assemblées
de sections ou de cellules, maintenant les adhérents s’expriment par un vote
Internet sur l’association créée par Casaleggio, qui a pour nom « Rousseau ».
Encore ces derniers jours, les 44.000 adhérents ont voté par Internet pour
approuver à une grande majorité l’alliance gouvernementale avec la Ligue.
C’est par la Toile qu’on va « imaginer le futur ». Et Casaleggio se réfère à «
l’intelligence artificielle » comme moyen unique de créer des entreprises modernes qui
pourront gagner le marché. Il ajoute : « Rousseau continuera à jouer son rôle de faire s’exprimer les
inscrits du M5S dans toutes les questions où ils seront impliqués sur décision de leur chef
politique ». C’est clair : le « chef politique » du M5S décide des questions qu’il y a à discuter et les
« inscrits » répondront par Internet OUI ou NON, nouvelle forme de « démocratie ». Pour cela
commençons par limiter le nombre de parlementaires (pour certains, supprimons une des deux
chambres…), et le « chef politique » se réduira à un plus petit nombre de personnes à contrôler (ci-contre
Davide Casaleggio).
Au fond, il s’agit bien de créer un « homme nouveau », débarrassé des faiblesses, désordres, déséquilibres, irrationalité de l’homme du
passé qu’expriment les actuels dirigeants politiques, un homme calme, réglé, ordonné, discipliné, sportif, bien dans son corps, et libre de
toute forme d’idéologie, et de pensée propre, et à qui éventuellement des puces intégrées à son cerveau rappelleront ce qui est bien et
ce qui est mal, comment il faut conduire, quand prendre ses médicaments, etc. Cette création d’un « homme nouveau » avait déjà été
l’idéal de plusieurs mouvements, du communisme et du socialisme d’abord, du fascisme ensuite, du nazisme aussi (une humanité
débarrassée de ses scories juives, roms, homosexuelles, puis « nègres » … grâce à leur élimination physique dans des camps de
concentration). Toutes ont échoué, on ne réforme pas l’homme de cette façon : il faut éradiquer en lui son intelligence naturelle héritée
du passé pour en faire un homme rationnel enfin piloté scientifiquement par l’intelligence artificielle qu’on lui aura inculquée
électroniquement. Notre hypothèse est que Macron couvre actuellement cette idéologie d’un voile de discours « humanistes », sur la
« dignité » humaine, de « philosophie » héritée de Paul Ricœur, mais qu’en réalité il méprise profondément le « peuple », sous toutes
ses formes, de celle des « migrants » (dont il faudrait limiter le nombre, comme le M5S et la Ligue se proposent
d’expulser d’Italie 500.000 étrangers) ou celle des syndicalistes malades de « grévitude » qui sèment le désordre dans
l’économie, ou celle de ces faux paysans qui prétendent créer à Notre-Dame-des-Landes une nouvelle forme sociale
de coopération agricole, ce ne sont que des perturbateurs anarchistes. Entre Casaleggio et Macron, il y a plus de
points communs qu’on ne pense. C’est notre hypothèse (encore une fois à vérifier et à
discuter). Et quant à l’Italie, il est probable que Casaleggio
méprise aussi profondément un homme du passé comme
Salvini, et qu’il pense simplement l’utiliser pour obtenir un
plus grand pouvoir politique.
Derrière cet « homme nouveau » informatisé se profile
aussi autre chose, le pouvoir des grandes multinationales qui profiteront de
cette transformation. On ne peut pas dire pour autant que le M5S ou le
macronisme sont des formes nouvelles de « fascisme » : c’est une autre
forme de « dictature douce », plus redoutable que celle de 1922 car moins
visible, moins identifiable, plus protégée par des moyens de
« communication » dont on n’avait pas la moindre idée il y a quatre-vingt ans.
Et cela n’est pas le fait que de l’Italie et de la France, mais le phénomène de
régression s’étend aussi aux Etats-Unis, à la Russie, à la Turquie
musulmane, à la Pologne catholique, à la Hongrie, etc. Le pape François a aussi beaucoup de
peine à limiter le pouvoir autocratique des cardinaux du Vatican … Mais relisez donc Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) et
1984 (1949) de Georges Orwell, vous comprendrez très bien quel avenir nous réservent le macronisme et l’idéologie de Casaleggio.
Et maintenant ?
Voilà que Sergio Mattarella, le Président de la République, semblait avoir remporté une « victoire » politique en
imposant aux deux partenaires un président du Conseil venu du passé, de la Démocratie Chrétienne, Giuseppe
Conte, né dans les Pouilles près de Foggia en 1964, professeur de droit privé à l’Université de Florence (la ville de
Renzi), formé à l’université de Rome, la Sapienza, et ayant la réputation d’avoir été de « gauche », c’est-à-dire d’avoir
voté Renzi à Florence (Ci-contre, Giuseppe Conte).
Sa nomination suscite aussitôt un petit scandale, car son curriculum vitae déclare qu’il avait étudié dans plusieurs
universités étrangères, de New York à Paris, de Vienne à Malte alors que toutes ces universités ont répondu que son
nom leur était inconnu… Mais on avait déjà eu sous Renzi une ministre qui s’était attribué un diplôme de Sciences
Sociales qui en réalité n’existait pas ! Tout cela n’est-il qu’une campagne de calomnies lancées
par l’opposition (laquelle ?) ou la réalité d’un curriculum vitae
mensonger ? On exprime aussi quelques soupçons sur certains
services plus ou moins légaux qu’il aurait rendus comme avocat.
Il est soutenu par Salvini comme par Di Maio. Attendons : cela
n’est peut-être qu’une dernière magouille avant la décision finale!
Car personne n’a envie d’avoir à retourner aux élections
législatives en juillet ou à l’automne.
Mais à ce jour, le gouvernement n’est pas encore constitué, se fera-t-il ? Il y a de grands désaccords entre M5S et Ligue sur le nom des
ministres.
Jean Guichard, 26 mai 2018