Nouvelles de ces derniers temps : édition du 2 novembre 2017
M. Minniti à Tripoli le 15 mai 2017
(Photo du Monde du 15 /09/ 2017)
Nouvelles de ces derniers temps - 02 novembre 2017
1) MOSTRE- EXPOSITIONS : l’art et la mode en Italie.
* Rome, la Galerie Borghese et le couturier Fendi. La Galerie fête les vingt ans de sa réouverture au public et
célèbre aussi ses noces avec le monde du luxe, le couturier Fendi, dont le directeur, Pietro Beccari a rencontré la directrice
de la Galerie, Anna Coliva, pour annoncer leur accord financier : pendant trois ans le groupe de prêt-à porter de luxe va
financer (on ne sait pas pour quel montant ?) la création entre autres d’un Centre d’Études sur le Caravage, afin de lutter
contre les fausses attributions depuis la mort des plus grands spécialistes du peintre.
Fendi est depuis 2001 propriété du groupe LVMH ; la Présidente honoraire du Groupe, Carla
Fendi (image ci-contre à droite), est morte en juin 2017 à 80 ans ; le groupe est maintenant
installé dans le Palais de la Civilisation italienne (le « Colisée carré») de l’EUR à Rome ; dès les
années 1980, Carla avait décidé de subventionner le Festival des Deux Mondes de Spoleto,
grâce à son amitié avec son créateur, le musicien Giancarlo Menotti (1911-2007): le groupe
soutient l’Académie Nationale de Sainte-Cécile à Rome, opération de « pur mécénat et non de
sponsorisation », précisait Carla Fendi et il a déjà financé un certain nombre d’opérations à
Rome, dont la récente restauration de la Fontaine de Trevi, au prix d’un grand défilé de mode où
les mannequins marchaient sur l’eau en passant sur une passerelle transparente. L’accord avec la Galerie Borghese prévoit
aussi le financement de grandes expositions, dont la première est la monographie dédiée à Gian Lorenzo Bernini, du 1er
novembre 2017 au 4 février 2018 (avec réservation obligatoire à www. galleriaborghese.it). Voir ci-contre à gauche
l’Enlèvement de Proserpine (Il Ratto di Proserpina) du Bernin, 1621-22.
Les couturiers de luxe sont actuellement parmi les plus grands mécènes italiens : les mocassins
Tod’s ont récemment financé pour 25 millions d’euros la restauration du Colisée, le joaillier Bulgari
a permis le nettoyage des escaliers de la Trinità ai Monti, l’assureur Generali a permis l’ouverture
au public des Procuratie Vecchie sur la place Saint-Marc à Venise ; Gucci a assuré la restauration
biologique des Jardins de Boboli à Florence (image à droite), au prix d’un grand défilé de mode à
l’intérieur du Palais Pitti, qu’Athènes a refusé malgré l’offre de 2 millions d’euros pour la réparation
de l’Acropole ; Eni et Tim ont participé à la récupération des colonnes du Bernin à Saint-Pierre ;
et en 1998, Laura Biagiotti avait contribué à la restauration du Capitole ; à Florence, les
chaussures Ferruccio Ferragamo ont donné 600.000 euros pour améliorer la Galerie des Offices
et ont demandé à des designers de réinterpréter les chaussures de leur musée de Florence et
l’horloger Officine Panerai (créé à Florence en 1860) a financé la réparation de l’horloge du Dôme
de Florence ; à Milan, c’est le restaurateur Eataly qui a financé la sauvegarde de l’Ultima Cena de
Léonard de Vinci, permettant d’augmenter le nombre de visiteurs, limité aujourd’hui à 1320 visiteurs
par jour ; à Venise, Renzo Rosso (Diesel), styliste créateur de la marque « Diesel » a sponsorisé les travaux du Rialto.
Ainsi s’affirme le lien entre l’art et la mode, depuis les années 1990 : les stylistes sont devenus de véritables promoteurs de l’art.
La Fondation Biagiotti Cigna a donné 170 œuvres de Giacomo Balla, le peintre futuriste, à la ville de Rome, et avait sponsorisé le rideau du Théâtre de
la Fenice de Venise ; un styliste comme Gianfranco Ferré était un passionné d’art du XXe siècle, de la peinture futuriste, etc. ; des organismes comme
la Fondation Trussardi (créée en 1911) ou la Fondation Prada (née en 1995 ; directeur artistique : le critique d’art Germano
Celant, révélateur de « « l’Arte povera »), fondations pour la diffusion de l’art et de la culture créées par des stylistes sont très
actives dans la diffusion de la peinture contemporaine. Miuccia Prada et son mari, Patrizio Bertelli, expliquent souvent le sens
de l’intérêt des stylistes pour l’art. Et on connaît le travail d’un personnage comme François Pinault à Venise (Punta della
Dogana et Palazzo Grassi).Inversement beaucoup d’artistes s’inspirent de la mode. On se souvient que, dès les années 1950, la
maison Max Mara (créée par le couturier Achille Maramotti en 1951) a accumulé une collection
importante d’œuvres d’art à Reggio Emilia : Francis Bacon, Capogrossi, Fontana, Burri, Pizzi
Cannella etc. Le nouveau patron français des assurances Generali depuis mars 2016,
Philippe Donnet, vient de rappeler aussi son intérêt pour la place Saint-Marc (Cf. Le Monde
du 3 octobre 2017) ; la société Generali est la première société d’assurances en Italie, et la
3e en Europe ; créée en 1931, elle a son siège à Venise depuis 1832 et a le lion de Saint-
Marc dans son logo (Voir ci-contre son logo et sa place dans le monde, en rouge : 72
millions de clients).
Voilà un sujet de réflexion intéressant et sur l’art moderne et sur la signification de la mode de luxe.
* Venise, Galerie de l’Académie, du 29 septembre au 2 avril 2018, exposition sur les créateurs de ce Musée
de peinture vénitienne du XIVe au XVIIIe siècles. En 1815, la France doit rendre à Venise les 4 chevaux de la
Basilique Saint-Marc volés par Napoléon, et en 1817 est créé le Musée de l’Académie par le comte Leopoldo
Cicognara (1767-1834), intellectuel président de l’Académie des Beaux-Arts, avec l’aide du sculpteur Antonio
Canova (1757-1822) et du peintre Francesco Hayez (1791-1882). Ils achètent des œuvres et organisent le Musée,
créant un des plus magnifiques ensembles d’art vénitien. Dans le 200e anniversaire de la création, l’exposition
Canova, Hayez, Cicognara présente une centaine d’œuvres représentatives de cette création, dont plusieurs sont
présentées pour la première fois depuis l’origine. Elle sera ouverte les lundis, mardis et dimanches de 8h15 à 19h15
(Voir : www.gallerieaccademia.it).
La Galerie se trouve au pied du Pont de l’Académie sur le Canal Grande dans l’édifice du XIIe siècle où se trouvait
l’église Santa Maria della Carità fermée en 1806, le couvent de l’ordre des chanoines du Latran supprimé en 1768, et
la Scuola Grande di Santa Maria della Carità, fondée en 1260. C’est le grand architecte Andrea Palladio (1508-1580)
qui avait commencé à le refaire entre 1561 et 1562 et qui a réalisé entre autres l’actuelle porte d’entrée (Cf. ci-
contre). Une première Académie y fut fondée en 1750 ; puis l’occupation napoléonienne ferma tous les monastères
et couvents, et les oeuvres d’art qui ne furent pas emportées en France finirent dans ce Musée qui fut par la suite
modernisé et enrichi.
* À Turin, plusieurs expositions parmi lesquelles :
– J’Arrive. Napoléon Bonaparte. Les cinq visages du triomphe, du 28 octobre au 28 janvier 2018, au Palais
Cavour, via Cavour, 8 : un ensemble d’objets d’époque et d’objets personnels de Napoléon, armes, documents, costumes,
reconstitution du tombeau des Invalides, etc. Une exposition qui a déjà fait le tour du monde.
– Giacomo Grosso. Une saison entre peinture et Académie, au Musée de la Fondation Accorsi-Ometto, Via Po,
55, du 28 septembre au 7 janvier 2018. C’est un des peintres les plus connus de son époque (1860-1938) pour ses portraits
de personnalités et de femmes de l’aristocratie piémontaise (Voir à droite un de ses Nus de 1938).
– La vie et l’activité de l’égyptologue Ernesto Schiaparelli (1856-1928), Mission Égypte 1903-1920. L’aventure
archéologique M.A.I. racontée, jusqu’au 28 janvier 2018 ; c’est le grand archéologue, qui a découvert la tombe de la reine
Néfertari, épouse de Ramsès II, et celle de l’architecte Kha (ci-contre) que l’on peut voir à Turin : c’était le temps où les égyptologues
italiens rapportaient à Turin tout ce qu’ils retrouvaient, source du grand musée égyptien de Turin, le plus riche du monde après celui du
Caire.
– Une grande exposition Giovanni Boldini (1842-1931) à la Reggia de la Venaria Reale, jusqu’au 28 janvier 2018, qui
reconstruit le parcours de ce grand peintre italo-français, dans ses œuvres où il fascine par sa
représentation du charme et de la beauté des femmes de l’aristocratie de l’époque.
– Toujours à la Venaria Reale, l’exposition Caravage Expérience jusqu’au 11 février 2018
; à travers l’utilisation d’un système sophistiqué de multi-projections à très grandes dimensions,
combiné avec des musiques suggestives et des parfums, la Reggia propose une approche très
intéressante et contemporaine de l’œuvre de celui qui révolutionna l’histoire de la peinture
européenne : un spectacle d’environ 50 minutes qui parcourt 57 œuvres du Caravage et qui
redécouvre les lieux de sa vie.
– Enfin, à partir de fin octobre jusqu’au 18 janvier 2018, Turin offre aux visiteurs
ses « Luci d’artista », les lumières d’artistes qui éclairent toute la ville : la Mole
Antonelliana avec le vol des nombres de Mario Merz, la place Carignano avec les
Cosmométries de Mario Airò, la place Palazzo di Città avec le Tapis volant de Daniel Buren, la rue Garibaldi avec le Vol sur …
de Francesco Casorati, la place San Carlo avec le Royaume des fleurs : Nid cosmique de toutes les âmes de Nicola De
Maria, la via Roma avec le Planetario de Carmelo Giammello, la Via Po avec Palomar de Giulio Paolini, etc. etc.
Sans oublier la première Foire du Livre d’Art, autant de raisons de faire un tour à Turin dans la période de novembre à début janvier.
2) POLLUTIONS :
* Mantoue (Photo ci-dessous) serait la ville qui respecte le mieux l’environnement par son ramassage différencié des ordures (Décrets Ronchi
de 1997), sa gestion de l’eau, la qualité de son air, la présence d’arbres, et le bon fonctionnement de ses
transports publics. Derrière elle viennent Trente et Bolzano, Parme, Pordenone e Belluno. Reggio Emilia est la
14e, Venise la 21e, Bologne la 22e, Milan améliore ses prestations arrivant maintenant à la 31e place, Vérone
est la 45e, Rome la 88e, Naples la 86e. En queue de liste, Enna (104e),
et Turin n’est pas loin à cause de son smog (81e). Ce sont en tout cas les
résultats de l’enquête annuelle Ecosistema Urbano 2017 de Legambiente,
en collaboration avec l’Institut de Recherche Ambiente Italia
(Environnement Italie) et le journal Il Sole 24 Ore.
Rappelons que l’association Legambiente (image d’une manifestation ci-
contre : en marche pour le climat) est née en 1980, suite aux
mouvements antinucléaires des années 1970 ; elle élabore tous ses projets et toutes ses enquêtes sur le maximum
de données scientifiques ; elle a plus de 115.000 adhérents dans un millier de groupes locaux, volontaires pour des
activités de recherche et de diffusion des informations sur la prévention, le recyclage, l’élimination des ordures, etc.
pour promouvoir une grande révolution culturelle, économique et sociale (Voir son site : www.legambiente.it).
* Solfatara de Pozzuoli fermée : depuis la mort d’une famille de trois personnes le 12 septembre dernier dans un cratère qui s’est ouvert sous leurs
pieds, les magistrats ont ordonné la fermeture au public de tout le site, y-compris le camping et la zone de
restauration L’entreprise privée propriétaire du site a été mise en cause pour son absence de sécurité qui
est nuisible aussi bien aux travailleurs de la zone qu’aux visiteurs ; le protocole d’évaluation des risques
n’avait pas été revu depuis 2009 ; la pression des gaz sous la fragile croûte qui soutient les visiteurs est
très forte et provoque une désagrégation des matériaux. La famille accidentée avait dépassé la zone
autorisée, trop peu protégée, et était tombée dans la boue bouillante des sables mouvants de trois mètres
de profondeur.
La solfatara de Pozzuoli est un des volcans des Champs Phlégréens ; c’est une oasis de 33 hectares, qui
est un des objectifs privilégiés des touristes.
* L’Italie sur la TV française :
Récemment , la TV française (Arte, France 5 et Netflix) ont présenté trois films très documentés sur les problèmes
actuels : L’un d’eux a beaucoup frappé les auditeurs français, sur la Calabre empoisonnée par les déchets toxiques
illégaux (Arte, 24 octobre). Le journaliste Sergio Mattioli a enquêté sur les méfaits de la ‘Ndrangheta, la forme calabraise
de la Mafia, qui déverse dans la région une masse de déchets toxiques venus de tous les pays d’Europe, polluant les
côtes et les fonds marins, faisant exploser le nombre de cas de cancers dans les villages où on enfouit les déchets,
dans des carrières abandonnées, des décharges trop vieilles ou des vergers. En se chargeant de cette nouvelle activité,
les mafieux se rendent utiles aux pouvoirs politiques et les infiltrent, obtenant leur appui en échange d’un traitement
moins coûteux de ces produits dont personne ne veut plus. On estime à 50 milliards d’euros le chiffre d’affaires des
clans mafieux qui gèrent cette activité. Le port de Gioia Tauro est au cœur de ces trafics, écoulant de 70 à 80% des
déchets européens. Depuis longtemps déjà on parle de la « Terra dei Fuochi », en Campanie et en Calabre, où on
comptait déjà en 2014 plus de 50 sites gravement contaminés ; l’étude scientifique « Sentieri » qui dénonce ces faits
est connue du Parlement depuis 2013, mais aucun gouvernement n’est jamais vraiment intervenu pour arrêter ce fléau
mortel pour beaucoup d’enfants du sud. Un document bouleversant, que viendraient confirmer plusieurs romans dont
nous reparlerons.
Le 22 octobre, France 5 a montré un document sur la mort de Mussolini, dont on ne connaît toujours pas les
conditions exactes ; une nouvelle hypothèse, déjà présentée par Pierre Milza dans son livre de 2013, Les derniers jours
de Mussolini (Fayard) qui propose d’y voir la main de Winston Churchill qui aurait échangé avec Mussolini une
correspondance compromettante que le Duce portait avec lui lors de son arrestation par la Résistance et qui a disparu
depuis ; les services secrets britanniques auraient donc été chargés par Churchill de supprimer Mussolini au plus vite ; le chef du peloton qui fusilla
Mussolini, le colonel Valerio aurait chargé le capitaine Neri de remettre ces documents aux pouvoirs publics, mais le capitaine Neri a disparu peu de temps
après et son corps n’a jamais été retrouvé.
Une troisième série diffusée par Netflix est tirée du livre de Giancarlo De Crescenzo, Suburra, dont nous vous avons parlé sur l’activité romaine de la
mafia, de l’Église et des politiques.
3) QUELQUES BONS LIVRES À S’OFFRIR POUR NOËL
* Monica Cirinnà, L’Italia che non c’era - Unioni civili : la più dura battaglia per una legge storica (Fandango Libri,
299 pages, 2017, 14,02€). C’est un récit passionné et passionnant de la Sénatrice Monica Cirinnà (photo ci-
contre), qui a rapporté le texte de loi instituant ce que les Italiens ont appelé les « unions civiles » plutôt que le «
mariage pour tous », votée le 11 mai 2016. C’est une juriste née à Rome en 1963, élue conseillère municipale de
Rome en 1993 sous l’étiquette des Verts, réélue en 2001 et 2005, puis en 2008 dans la liste du Parti Démocrate
qui vient de se fonder en 2007 ; elle est élue en 2013 au Sénat de la République, où le journaliste du Monde
Philippe Ridet dira en 2016 qu’elle est la championne du Pacs à l’italienne et les Gays l’éliront « personnage gay
» de 2016, bien qu’elle soit tout à fait hétérosexuelle et mariée. Elle raconte la discussion de cette loi qui fut une
des plus controversées de la République, avec les retournements, les trahisons (y-compris celle, à la fin, du M5S),
les injustices de ceux-là mêmes qui l‘avaient proposée. C’est un peu un livre d’histoire, un peu une histoire
d’amour et de Constitution. Et puis ce « trou dans la loi » qui exclut les couples homosexuels de toute possibilité
d’adoption, pour satisfaire le Vatican et les démocrates-chrétiens. En somme un voyage passionnant dans les arrières du
Parlement et de l’histoire du pays et de sa « démocratie ».
* Un grand livre d‘explication de l’évolution de la société contemporaine, Enzo Traverso, Mélancolie de gauche, la force d’une tradition
cachée (XIXe-XXIe siècle), éditions La Découverte, 2017, 228 pages, 20€. Enzo Traverso est un philosophe italien, né en 1957 à Gavi, près
d’Alessandria, qui étudie l’histoire contemporaine à Gênes, puis passe son doctorat à Paris ; il a enseigné à l’université de Picardie, à Paris-VIII, en
Belgique, en Italie, avant d’être nommé Professeur à l’Université Cornell des Etats-Unis où il s’est spécialisé dans l’histoire de la philosophie juive
allemande, du nazisme et des deux guerres mondiales. Il a été membre de la Ligue communiste Révolutionnaire (LCR) jusqu’à sa disparition en 2009.
Vous trouverez un long extrait de son livre dans : www.contretemps.eu/traverso.
La présentation de son livre est très explicite : « Depuis le XIX
e
siècle, les révolutions ont toujours affiché une prescription
mémorielle : conserver le souvenir des expériences passées pour les léguer au futur. C'était une mémoire « stratégique », nourrie
d'espérance. En ce début de XXI
e
siècle, cette dialectique entre passé et futur s'est brisée et le monde s'est enfermé dans le
présent. La chute du communisme n'a pas seulement enterré, une fois pour toutes, la téléologie naïve des « lendemains qui
chantent », elle a aussi enseveli, pour un long moment, les promesses d'émancipation qu'il avait incarnées.
Mais ce nouveau rapport entre histoire et mémoire nous offre la possibilité de redécouvrir une « tradition cachée », celle de la
mélancolie de gauche qui, comme un fil rouge, traverse l'histoire révolutionnaire, d'Auguste Blanqui à Walter Benjamin, en passant
par Louise Michel ou Rosa Luxemburg. Elle n'est ni un frein ni une résignation, mais une voie d'accès à la mémoire des vaincus qui
renoue avec les espérances du passé restées inachevées et en attente d'être réactivées.
Aux antipodes du manifeste nostalgique, ce livre - nourri d'une riche iconographie : des tableaux de Courbet aux affiches
soviétiques des années 1920, des films d'Eisenstein à ceux de Théo Angelopoulos, Chris Marker ou Ken Loach - établit un
dialogue fructueux avec les courants de la pensée critique et les mouvements politiques alternatifs actuels. Il révèle avec vigueur et
de manière contre-intuitive toute la charge subversive et libératrice du deuil révolutionnaire. »
Le mouvement de ceux qui voulaient changer le monde connaît aujourd’hui une profonde défaite, il s’agit donc, par une réflexion «
mélancolique » sur le passé des révoltes, de retrouver la raison et la possibilité d’améliorer un monde qui s’en va souvent vers sa
perte humaine sur tous les plans, écologique, économique, moral, etc. et que la pratique grandissante des « fake news », les fausses nouvelles, le
mensonge des discours politiques ne nous permet plus de comprendre correctement.
Un grand livre, de lecture aisée, et qui donnera à réfléchir à tous, les « libéraux » comme les « insoumis ».
* Un autre livre d’Enzo Traverso vient de paraître en traduction française, La fin de la modernité juive, Histoire d ‘un tournant
conservateur, La Découverte, 2013, 192 pages, 19,50€.
La modernité juive s’est déployée entre les Lumières du XVIIIe siècle et la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’arrivée
au pouvoir d’Hitler, entre les débats qui ont préparé l’Émancipation et le génocide nazi. Pendant ces deux siècles, l’Europe
a été le cœur de cette modernité, affirmée depuis Spinoza (1632-1677), ce temps où le créateur juif a été « l’homme du
contrepoint et de la dissonance » ; sa richesse intellectuelle, littéraire, scientifique et artistique s’est révélée
exceptionnelle, surtout en Allemagne, et aussi en France, en Italie, en Russie, en Pologne, etc., faisant des intellectuels
juifs, des artistes, des scientifiques, les plus belles figures de la pensée européenne et de la tradition progressiste critique.
Et aussi la tête de ses mouvements révolutionnaires : Marx était juif, et Freud, et Trotski, et Heine, et Walter Benjamin, et
Rosa Luxembourg, et Franz Kafka, et Einstein, et Hannah Arendt ; Traverso résume : « Si la première moitié du
XXe siècle a été l’âge de Franz Kafka, Sigmund Freud, Walter Benjamin, Rosa Luxembourg et Léon Trotski, la seconde a
plutôt été celle de Raymond Aron, Leo Strauss, Henry Kissinger et Ariel Sharon. » ; la modernité juive a épuisé sa
trajectoire. Après avoir été un foyer de la pensée critique du monde occidental, les juifs se sont retrouvés, par une sorte de
renversement paradoxal, du côté de la domination, du fait de leur choix de la terre d’Israël, allié inséparable des
impérialistes américains, et soutenus par le pro sionisme des droites européennes.
De gauche à droite : Henry Kissinger, Walter Benjamin, Léon Trotski,
Rosa Luxembourg, Franz Kafka, Hannah Arendt, Raymond Aron
Les intellectuels ont été rappelés à l’ordre et les subversifs se sont assagis, en devenant souvent des conservateurs.
L’antisémitisme a cessé de modeler les cultures occidentales, en laissant la place à l’islamophobie, la forme dominante du
racisme en ce début du XXI
e
siècle. Transformée en « religion civile » de nos démocraties libérales, la mémoire de
l’Holocauste a fait de l’ancien « peuple paria » une minorité respectable, distinguée, héritière d’une histoire à l’aune de laquelle l’Occident démocratique
mesure ses vertus morales. Et l’État juif d’Israël est à la source de la création d’un nouveau peuple « paria », les Palestiniens. Traverso analyse
l’exemple de DSK, et il montre qu’en des périodes antérieures, ce scandale sexuel aurait provoqué une débauche de critiques antisémites, contre lui et sa
femme, juive elle aussi, alors que l'on n’a jamais fait allusion à sa judéité.
Dans cet essai novateur, Enzo Traverso analyse cette métamorphose historique. Son bilan ne vise pas à condamner ou à absoudre mais à réfléchir sur
une expérience achevée, afin d’en sauver le legs, menacé tant par sa canonisation stérile que par sa confiscation conservatrice par un État d’Israël qui
marque la fin de la modernité juive, dans sa violence contre les Palestiniens (les « damnés de la terre » ne sont pas toujours les mêmes !), dans ses
tentatives d’épuration ethnique de 1948, mais aussi dans sa violence vis-à-vis des juifs orientaux ou africains, etc
On lira ce livre avec un grand intérêt, et on y apprendra des quantités de choses du fait de l’érudition de Traverso. Peut-être sous-estime-t-il parfois la
permanence du vieil antisémitisme, comme le montrent les violentes réaction antisémites de quelques musulmans contre les femmes qui ont porté plainte
pour viol contre Tariq Ramadan ou l’insistance du courant de Jean-Marie Le Pen. Mais il analyse avec une grande perspicacité cette « confiscation »
d’une pensée juive stérilisée par le pouvoir israélien, en insistant sur les distinctions que souvent on ne sait plus faire, entre antisémitisme et antisionisme
(Marine Le Pen n’est-elle pas « sioniste » ?), critique des Juifs et critique de la politique israélienne, etc. Un livre utile pour comprendre ce qui se passe
autour de nous.
Car derrière tout cela, il y a une réflexion stimulante sur ce qu’a été cette tradition juive complexe, où le Juif est à la fois le persécuté et le prophète d’un
autre avenir, l’homme du Livre ancestral de l’Occident et l’homme de la révolution radicale, il y a le « juif » orthodoxe, le « juif non juif », le « juif d’État
», etc. ; et à travers cela, il nous oblige à réfléchir à tous nos problèmes contemporains, et à ceux de l’Europe.
* Si vous aimez la botanique et la mythologie, lisez le livre de Françoise Frontisi-Ducroux, Arbres filles et garçons fleurs, Métamorphose
érotique dans les mythes grecs, Librairie du XXIe siècle, Éditions du Seuil, 2017, 176 pages, 19€. On croit souvent que les filles se transformeront en
fleurs dans les métamorphoses grecques, et les garçons en arbres. Or c’est souvent le contraire qui se produit, question
de langue d’abord, qui n’étonnera pas trop les Italiens pour qui la fleur est au genre masculin, il fiore. On connaît bien
Daphné qui, poursuivie par le désir d’Apollon, se transforme en laurier, ou Narcisse qui, commettant la faute de refuser
l’amour des garçons comme des filles, est transformé en une fleur, le narcisse (illustration ci-contre dans un ouvrage de
Christine de Pisan). Dans la mythologie les jeunes gens qui veulent échapper au désir amoureux des dieux harceleurs se
transforment en végétaux, dans des récits où le tragique se mêle à l’érotique. Françoise Frontisi-Ducroux, née en 1937,
est helléniste et mythologue, mais elle connaît bien la botanique dont elle a étudié les traités grecs anciens, dont les
Recherches sur les plantes de Théophraste, le disciple d’Aristote. Elle a travaillé aussi avec Jean-Pierre Vernant.
Alors, si vous êtes amateurs de mythologie, de botanique, ou simplement d’histoires divertissantes et enrichissantes,
lisez ce livre pendant vos vacances.
4) DE PETITES NOUVELLES POLITIQUES
* Renzi reçoit une nouvelle claque après la nomination de Visco à la Présidence de la Bankitalia.
On arrivait en décembre au moment de choisir à nouveau qui serait gouverneur de la Banque d’Italie ; selon la loi
262 de 2005, ce choix revient au Président de la République, sur proposition du Président du Conseil au Conseil
Supérieur de la Banque ; le Parlement n’a donc pas à intervenir sur ce problème ; or Matteo Renzi, Secrétaire
national du Parti Démocrate, a fait déposer par son groupe et voter par la Chambre des Députés une motion
demandant que le gouvernement propose un nouveau Gouverneur autre que Ignazio Visco (Naples, 1949-) qui
aurait manqué de vigilance bancaire ces dernières années : ceci constitue évidemment une atteinte grave aux
normes républicaines de la Constitution. De plus, le jour même où le président de la République a signé la
nomination de Visco, les ministres partisans de Renzi se sont absentés de la réunion du Conseil des Ministres qui
devait discuter de cette nomination : ils voulaient s’en désolidariser pour permettre à Renzi de dire que lui, il voulait
la démission de Visco, mais que c’est Mattarella et Gentiloni qui n’ont pas voulu. Pourquoi une telle manœuvre
politique ?
Les élections législatives sont proches, et Renzi n’est pas sûr de gagner ; il veut donc se présenter aux élections comme pur et sans taches ; car il est
très impliqué dans les opérations bancaires catastrophiques de son gouvernement, où celui-ci a dû renflouer des banques suspectées d’opérations
illégales, comme la Banque Etruria, dont le vice-président est Luigi Boschi, le père de la ministre préférée de Renzi, Maria Elena Boschi, dont beaucoup
demandent aujourd’hui la démission. Renzi tente donc de se libérer de ce poids en faisant porter les responsabilités sur celui qui était déjà gouverneur de
BankItalia, Ignazio Visco. Il a échoué à l’emporter sur ses camarades de parti, Sergio Mattarella et Pietro Gentiloni, et cherche à ne pas payer le prix de ce
nouvel échec. Il fait donc profil bas, et se revendique comme le meilleur soutien d’Emmanuel Macron dans son article du Monde du mardi 31 octobre, où il
évite de parler de tous les problèmes difficiles de l’Italie, en montrant que tout va mieux et en faisant la louange de la politique européenne de Macron. On
verra déjà le résultat des élections siciliennes du 5 novembre !
* Les référendums de Lombardie et Vénétie :
les deux référendums ont donc eu lieu comme nous l’avions annoncé. En Lombardie, 38,25% de votants, en Vénétie 57,2%,
et environ 98% de ces votes pour l’autonomie : réussite pour Luca Zaia en Vénétie, échec pour Roberto Maroni en
Lombardie. Cela correspond à l’histoire des deux régions : plus que la Lombardie, la Vénétie a derrière elle toute l’histoire
d’un grand empire, elle a conscience d’avoir été abandonnée et mutilée après 1815 et aussi par l’unité d’Italie et elle reste
plus attachée à son autonomie.
De toute façon, quelle est la conséquence de ces votes ? Juridiquement, aucune, ils n’ajoutent rien à ce que prévoit la
Constitution italienne de 1948 qui affirme le principe de l’autonomie des régions, réalisée peu à peu à partir de 1973, avec la
création des 5 régions autonomes dans le cadre de la Constitution, Val d’Aosta, Trentino-Alto Adige, Friuli, Sardegna, Sicilia.
Et il suffit à un Conseil régional de demander une nouvelle forme d’autonomie pour qu’elle doive être discutée au Parlement.
Les référendums n’étaient qu’une opération de la Lega (Ligue du Nord) avant les prochaines élections pour montrer son appui
« populaire ». Un Ministre du gouvernement Gentiloni a aussitôt répondu qu’il ouvrirait la discussion sauf sur les questions
fiscales (les référendums demandaient le versement à la région de 90% des taxes fiscales recouvrées) et sur le terrorisme,
mais les 23 matières autonomisables sont prévues par la Constitution (articles 116 et 117 : Justice, Santé et Environnement
ne peuvent pas être discutés). Zaia a précisé qu’il voulait un statut semblable à celui du Val d’Aoste, et ce n’est que lui qui a
vraiment remporté une victoire, en faisant porter le référendum non seulement sur la question fiscale, mais sur des questions chères aux Vénètes,
culturelles, linguistiques, etc.
C’est encore une défaite pour le Parti Démocrate et pour son secrétaire Renzi qui avaient sous-estimé l’importance du référendum et l’avaient un peu
considéré comme du folklore. En espérant que ce peu d’intérêt ne sera pas de nature à créer une évolution à la catalane, qui pour le moment est hors de
l’esprit de tous.
Et c’est surtout une épreuve de force à l’intérieur de la Ligue (Lega Nord) pour savoir qui en sera le leader, Matteo Salvini ? Luca Zaia ? Sûrement pas
Roberto Maroni qui a perdu des plumes dans cette affaire, ayant fait dépenser 50 millions à la Région pour organiser ce référendum inutile, et fait des
promesses financières dont tout le monde sait qu’elles ne sont pas réalisables sans un changement profond de la Constitution. Salvini vise une prise de
pouvoir nationale, et pour cela, pour essayer de gagner des voix dans le sud, il estompe les revendications régionales au profit des problèmes de sécurité
et d’hostilité aux migrants ; il ne met donc pas trop en valeur les résultats de Vénétie. De son côté, Berlusconi essaie de faire entendre sa petite voix en
soulignant que l’appui de Forza Italia avait permis à la Ligue de gagner des voix !
* On reparle de Cesare Battisti :
Réfugié au Brésil en 2004 après avoir fui la France où il résidait depuis 1990, quand Jacques Chirac avait cessé de lui
appliquer la « doctrine Mitterrand », Battisti était parti au Mexique puis au Brésil, où le Président Lula lui avait accordé
l’asile politique et un statut de réfugié permanent. Le président Temer, dans la perspective des élections qui s’approchent,
tente de demander l’extradition de Battisti vers l’Italie qui réclame toujours que le condamné à la prison à vie lui soit rendu ;
par ailleurs les partis brésiliens de gauche hésitent à soutenir un ancien militant de la lutte armée en Italie, ne voulant pas
rappeler leur propre lutte armée jusqu’en 1985, et souhaitant se développer vers le centre aux prochaines élections. Battisti
est donc très seul, soutenu par ses seuls avocats et attend la décision de la Cour Suprême Brésilienne, car en principe la
décision du président Lula est maintenant prescrite depuis 2015.
Rappelons que Cesare Battisti avait été reçu à la Médiathèque de Bourgoin-Jallieu, et avait reçu en France l’appui de
nombreux personnages politiques (Delanoë, Hollande…), culturels (Fred Vargas, Bernard-Henri Lévy, Valerio Evangelisti,
Georges Moustaki, Guy Bedos …), religieux (l’abbé Pierre …). « L’affaire Battisti » risque-t-elle de reprendre en Italie et en
France ? On discute toujours d’une possible amnistie pour les délits des « années de plomb ». Rappelons aussi que
Battisti a publié en France une dizaine de romans policiers, parmi les rares qui évoquent les années 1980 en Italie (voir
notre dossier sur le roman policier en Italie, du 14 juin 2017).
* Nouvelle loi électorale :
La loi électorale votée par la Chambre des Députés a été confirmée par le Sénat, lui aussi soumis à la question de confiance au gouvernement Gentiloni,
appliquée pour la huitième fois. Elle a obtenu une majorité très juste, grâce aux voix du PD, de Forza Italia, de la Ligue du Nord et d’Alternativa Popolare,
contre celles du M5S, MGP (les scissionnistes du PD) et Sinistra italiana, sans parler de tous ceux qui avaient préféré s’absenter de cette séance éclair et
le petit groupe de ceux qui étaient présents mais qui ont refusé de voter, une forme de retrait sur l’Aventin.
Des centaines de personnes ont manifesté contre la loi, et contre le moyen peu démocratique employé pour la
faire voter sans discussion et sans amendements possibles. Le président du Sénat, Pietro Grasso (image ci-
contre), membre du PD, vient de démissionner du parti le 27 octobre dernier pour protester contre cette politique
menée par le PD, décision grave qui confirme le déclin que connaît le PD. L’ancien Président de la République,
Giorgio Napolitano a lui aussi protesté contre cette « confiance forcée » qui a contraint Gentiloni à se soumettre
à de « fortes pressions » de Renzi. Espérons qu’un jour prochain, une coalition de tous ceux qui croient encore à
la République de la Constitution de 1948, et qui ont fait échouer la tentative de Renzi le 4 décembre 2016, pourra
bientôt se former.
Les sondages donnent aujourd’hui le M5S en tête de tous les partis, indiquent que la Ligue progresse, et que le PD et Forza Italia perdent des points. Par
contre les forces d’opposition de gauche à Renzi, arriveraient encore à peine à 9%.
Jean Guichard, 02 novembre 2017
P.S. : nous avons oublié de vous signaler la belle exposition de Giuseppe Penone, le grand artiste
de l’Arte povera, Des corps de pierre, jusqu’au 26 novembre au Château La Coste, 2750, Route de
la Cride, Le Puy-Sainte-Réparate (13610, Bouches du Rhône), entre l’agglomération aixoise et le
Lubéron. Le pavillon où se trouve l’œuvre de Penone est dans le domaine d’un homme d’affaires
irlandais, aménagé par Renzo Piano. On aperçoit d’abord un immense arbre de bronze portant dans
ses branches une large pierre, et un massif bloc de marbre évidé pour montrer ses nervures «
anatomiques ». L’artiste a choisi de montrer une dizaine d’œuvres, dont quelques-unes n’ont jamais
été exposées, faites de roches travaillées par l’eau dont il fait des copies ; il avait déjà exposé le
principe dans son exposition de Grenoble en 2014.
Le Monde des 10-11 septembre, dont est tirée cette image (« Anatomia »), avait déjà annoncé cette
expo dont on a trop peu parlé. Allez la voir, elle en vaut la peine, dans un paysage par ailleurs
séduisant.