2.5. L’actualité religieuse en Italie et au Vatican : quelques initaitives du Pape François
Quelques initiatives du pape François positives pour la société italienne
Ses rapports conflictuels avec la Curie qui en sont la conséquence.
1) La demande de pardon à la communauté vaudoise
Le pape François s’est rendu à Turin à l’occasion de l’exposition du Saint Suaire. Il a bien sûr visité la cathédrale de Turin, s’est recueilli
devant le suaire et l’a caressé du bout des doigts, attitude différente de celle de son prédécesseur qui s’était contenté de s’agenouiller
devant (Cf. les deux photos en bas de page). Serait-ce une attitude à la saint Thomas devant les plaies du Christ ? Mais rappelons que
le Vatican ne reconnaît pas le caractère sacré du Saint Suaire (Cf. émission d’Arte du 3 juillet 2015), il parle d’« icône » ou de « relique »
Mais il a profité de son séjour à Turin pour une autre visite, à l’église vaudoise. Depuis la création du mouvement vaudois il y a 841 ans,
et depuis la condamnation (par le concile de Vérone en 1184) et l’excommunication du mouvement pour « hérésie » (en 1215 par le
concile du Latran) il y a 8oo ans (Voir notre dossier sur les Vaudois dans la rubrique « Histoire religieuse »), François est le premier
pape à prendre un contact direct avec l’église vaudoise et à entrer dans un temple vaudois ; le temple de Turin a été construit après la
reconnaissance des Vaudois par Charles Albert, roi du Piémont -Sardaigne, qui reconnaît leurs droits civiques en 1848. Et là le pape a
déclaré : « De la part de l’Église catholique je vous demande pardon pour les attitudes et les comportements non chrétiens,
et même inhumains que, dans l’histoire, nous avons eus contre vous. Au nom du Seigneur Jésus-Christ, pardonnez-nous ».
On connaît en effet le nombre effrayant de procès d’inquisition, de condamnations au bûcher et de massacres auxquels l’Église s’est
livrée contre les Vaudois, par l’intermédiaire des États et de leurs armées.
Le pape et le modérateur de la « Table vaudoise » se sont embrassés, et, avec l’assemblée, ils ont envisagé la possibilité de nouvelles
relations entre l’Église catholique et ceux que les catholiques n’appellent que « communautés ecclésiales ».
Cette rencontre et cette demande de pardon sont un moment historique dans l’histoire des églises et de l’Italie : peut-être que
maintenant, la collaboration entre les deux églises ne sera plus rendue impossible par les différences sur de nombreux problèmes
théologiques (voir les « Principes constitutifs » des Vaudois), anthropologiques et éthiques. Les Vaudois sont dans la tradition laïque des
rapports entre l’Église et l’État, et ils se sont prononcés pour des lois que les catholiques traditionalistes et beaucoup d’ecclésiastiques
combattent avec acharnement (voir les dernières manifestations catholiques contre les projets d’union civile de type PACS) ; et c’est
cela qui rend les Vaudois de plus en plus sympathiques pour les catholiques italiens, dont beaucoup versent leur 0,8 pour mille à l’Église
vaudoise plutôt qu’à l’Église catholique. (Le « 0,8/1000 » est la part de leurs revenus que les Italiens peuvent déduire de leurs
déclarations d’impôts pour le verser à une église de leur choix, somme sur laquelle ils ne payent donc pas d’impôts).
2) L’Encyclique Laudato si’
La seconde grande initiative du pape François est sa dernière encyclique, datée du 24 mai 2015, Laudato si’, sur les problèmes
d’environnement, de pollution, de pauvreté, d’écologie. C’est la première fois qu’un pape se prononce aussi longuement et aussi
solennellement sur ces problèmes ; certes le pape rappelle au début les allusions faites par ses prédécesseurs depuis Jean XXIII, et par
le Patriarche Oecuménique Bartholomé. Son autre référence est François d’Assise, son comportement vis-à-vis de la nature et des
animaux, son Cantique des créatures, cité une dizaine de fois. La terre est notre « sœur » et notre « mère » et elle nous nourrit ; elle
proteste aujourd’hui « pour le mal que nous lui provoquons, à cause de l’usage irresponsable et de l’abus des biens que Dieu a mis en
elle ». Et il compare l’amour que nous devrions avoir pour la nature, à la manière de François d’Assise, à l’amour que l’on pratique
lorsque l’on est « amoureux d’ une personne », comparaison peu usuelle sous la plume pontificale (11). Il va enfin se référer dans son
analyse à tous ceux qui cherchent et travaillent à « la recherche d’un développement soutenable et intégral », aux scientifiques qui nous
expliquent la réalité de nos comportements envers la nature et des « formes de pouvoir qui dérivent de la technologie » (16).
Certes, c’est d’abord un grand texte religieux, et qui sait, quelque peu mystique, à la manière de Dante Alighieri : on ne peut pas ne pas
remarquer que son texte comporte 246 rubriques, dont 16 d’introduction et 230 de texte ; or 16 = 5 fois la Trinité + 1, le chiffre de l’Unité
divine. Quant au 230, c’est 2 fois 100, c’est-à-dire le chiffre parfait = 3 fois 33 + 1 (33 est l’âge du Christ, au nom de quoi Dante écrit sa
Comédie en 100 chants, 3 cantiques de 33 chants + 1 chant d’introduction) ; et 40, c’est 10 x 3 (la Trinité) + 10. Donc un ensemble qui
n’est peut-être pas sans signification mystique à interpréter. Ce n’est qu’une hypothèse d’italianiste et « dantiste » (à la manière de
Francesco Fioretti dont nous rendons compte du livre dans « actualités -livres »).
Mais c’est surtout un grand texte sur tous ces problèmes, auxquels il appelle les catholiques mais aussi tous les hommes à en prendre
conscience et à lutter pour que soit respectée et bien construite notre « maison commune » de la terre « opprimée et dévastée » parmi
les « pauvres les plus abandonnés et maltraités » par les refus des « puissants » ou « l’indifférence » des autres. Il a d’ailleurs déjà
suscité l’expression du désaccord des catholiques traditionalistes, en particulier aux USA, les 5 candidats républicains catholiques de la
prochaine élection présidentielle.
Pour une fois, le pape parle clair, appelle un chat un chat, un exploiteur puissant un exploiteur puissant, un pollueur un pollueur ; il
abandonne toute l’habituelle langue de bois pseudo religieuse de beaucoup de textes pontificaux : c’est bien à tous les hommes,
croyants ou non, qu’il s’adresse solennellement. Nous devrions tous prendre connaissance de ce texte, disponible sur Internet en tapant
« Laudato si’ texte français, ou : texte italien ».
Le premier chapitre (17-61) analyse d’abord ce qui arrive de nouveau dans notre « maison commune » : la confiance dans le
changement et dans le « progrès » a ignoré « la lenteur de l’évolution biologique » (il insiste sur le respect du temps) et n’a pas envisagé
que cela devait être orienté vers le « bien commun » et non vers le bénéfice de quelques-uns. Mais la notion de « bien commun »,
traditionnelle dans la pensée catholique, prend ici un sens précis : nos comportements plongent la majorité des personnes dans la
pauvreté et la misère, ce sont les pauvres qui paient le « progrès ». Le pape analyse d’abord la pollution et les changements
climatiques, le problème des déchets et du gaspillage, et comment cela frappe d’abord les « exclus », de même que cela transforme les
choses en ordures, touchant la terre entière ; et il dénonce notre modèle de « développement » qui provoque la déforestation, la hausse
du niveau des eaux, les migrations animales et humaines des pauvres qui portent le poids de ces nouveaux phénomènes ; et les riches
pratiquent une « indifférence générale » envers ces migrants, montrant que nous avons perdu tout sens de nos responsabilités envers
nos semblables. Tout cela est analysé avec une précision que l’on ne trouve pas toujours dans les textes de la société politique, ainsi
que la « question de l’eau », la quantité et la qualité de l’eau « disponible pour les pauvres », tandis que certains cherchent à privatiser
les ressources en eau transformées en « marchandises ». Il analyse ensuite la dégradation de la « biodiversité ». « Le milieu humain et
le milieu naturel se dégradent ensemble », conclut-il, et ce sont les gens les plus pauvres qui subissent la dégradation du milieu.
Son analyse va jusqu’aux conséquences sociopolitiques de ces phénomènes, comme le fait que « les peuples en voie de
développement, où se trouvent les réserves les plus importantes de la biosphère continuent à alimenter le développement des Pays les
plus riches ». Face à cela, il note « la faiblesse de la réaction politique internationale », la corruption, la spéculation et la recherche de la
rente financière, créant ainsi « le scénario favorable à de nouvelles guerres ». Le pape conclut en reconnaissant que l’Église n’a pas de
solution définitive à proposer, mais il est vrai que l’analyse de cette première partie pourrait fournir les bases d’un programme politique
de vrai progrès.
Le second chapitre (62-100) va tenter de justifier cette analyse, faite à partir des constats des scientifiques, à partir de la tradition
biblique et de l’idée d’un « créateur » de la nature, établissant une dialectique entre science et religion. Il ajoute (63) : « Les solutions ne
peuvent pas venir d’une façon unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire de recourir aussi aux diverses richesses
culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité. Si l’on veut vraiment construire une écologie qui nous
permette de réparer tout ce que nous avons détruit, alors aucune branche des sciences et aucune forme de sagesse ne peut être
négligée, pas même la forme religieuse avec son langage propre ». Voilà enfin, pour une des premières fois, l’affirmation que l’Église n’a
pas le monopole de la Vérité, n’est pas la seule à pouvoir s’exprimer dans la recherche d’une reconstruction de la nature abîmée et
détraquée. Il est dit seulement que les « convictions de la foi » offrent aux chrétiens et à d’autres croyants « de hautes motivations pour
prendre soin de la nature et de leurs frères et sœurs les plus fragiles ».
Le pape s‘applique ensuite à une lecture de la Bible que nous n’avons pas à juger, mais dont on peut remarquer qu’il s’éloigne de
beaucoup d’interprétations traditionnelles : par exemple il ne se réfère pas au second récit de la création de l’homme qui présente la
femme fabriquée à partir de la côte de l’homme, ce qui va soutenir l’idée d’une supériorité de l’homme sur la femme ; ici « toute
personne » a la même dignité, c’est le principe sur lequel peuvent s’entendre croyants et incroyants. Et plus largement « toute créature »
a la même dignité, et c’est avec tous les êtres et avec toute la nature que les hommes doivent se réconcilier, comme appelle François
d’Assise cité ici presque à l’égal de la Bible. « La terre nous précède et nous a été donnée » non pas pour que nous la « dominions »
mais pour que nous « cultivions et gardions le jardin du monde », c’est-à-dire le protégions et le soignions, en respectant les lois de la
nature. En ce sens, la nature comme l’homme a droit au « repos du dimanche » (les catholiques devraient-ils se prononcer contre
l’ouverture des magasins le dimanche ?...) et, comme on le pratiquait, la nature a droit tous les 7 ans à une année de repos. Il y a donc
une « priorité de « l’être » par rapport à une priorité de l ‘« être utile » ».
L’égale dignité de toutes les personnes implique aussi une égale possibilité d’épanouissement. Or, « nous ne nous apercevons plus que
quelques-uns se traînent dans une misère dégradante, sans réelle possibilité d’amélioration, tandis que d’autres ne savent même pas
quoi faire de ce qu’ils possèdent, montrent avec vanité une prétendue supériorité et laissent derrière eux un niveau de gaspillage tel qu’il
serait impossible de le généraliser sans détruire la planète ». Il y a une « destination commune des biens ».
Outre François d’Assise, dont tout le Cantique des Créatures est cité (87), le pape cite Thomas d’Aquin, Charles de Foucauld, Dante
Alighieri, Paul Ricoeur, Romano Guardini, Sainte Thérèse de Lisieux, Saint Jean de la Croix, même Teilhard de Chardin (note 53, c’est
inhabituel sous une plume pontificale) et plusieurs textes de divers épiscopats, souvent asiatiques.
Le troisième chapitre (101-136) ) s’intitule « La racine humaine de la crise écologique », de la machine à vapeur aux biotechnologies
et aux nanotechnologies, tous « produits merveilleux », mais quelle éthique conduit ces progrès ? Or c’est souvent le « paradigme
technocratique » qui impose sa domination, et on ne peut plus être indépendants de la technique. Toute l’analyse est intéressante et
mérite d’être lue. Remarquons seulement que sont dépassées dans ce texte les tendances théologiques qui condamnaient le progrès
comme instrument du diable : un pape n’avait-il pas condamné les trains et la machine à vapeur ? Il faut procéder « d’urgence à une
courageuse révolution culturelle » (114).
Le pape en tire parfois des conclusions discutables, telles la condamnation de l’avortement : si on veut défendre les plus faibles,
comment ne pas protéger un embryon humain, dans le cas où « son arrivée est cause de désagréments et de difficultés ». On ne
contestera pas au pape le droit d’interdire l’avortement aux catholiques, mais on peut penser aussi que sur ce problème, il passe un peu
vite sur les analyses scientifiques, sur les débats visant à savoir à quel moment un fétus commence vraiment à être une personne, etc.
Et même beaucoup de démocrates-chrétiens italiens avaient compris que les États n’avaient pas à prendre leurs décisions en fonction
des options théologiques de l’Église catholique.
Mais son analyse l’amène aussi à dénoncer quelques maux de notre société : « S’il n’y a pas de vérités objectives ni de principes
stables, en-dehors de la satisfaction de ses aspirations et des nécessités immédiates, quelles limites peuvent avoir la traite des êtres
humains, la criminalité organisée, le narcotrafic, le commerce de diamants ensanglantés et de peaux d’animaux en voie d’extinction ?
N’est-ce pas la même logique relativiste celle qui justifie l’acquisition d’organes des pauvres dans le but de les vendre ou de les utiliser
pour l’expérimentation, ou la mise à l’écart d’enfants parce qu’ils ne répondent pas au désir de leurs parents » (123). Le pape termine
son chapitre sur les problèmes du travail, une des formes de rapport des hommes avec la nature ; c’est l’occasion de défendre les petits
producteurs des pays pauvres, que veulent éliminer les monopoles partisans de monocultures. Et il évoque le problème des OGM, qu’il
ne dénonce pas en eux-mêmes, mais dans la trop grande rapidité de ces transformations par rapport au rythme lent des transformations
naturelles et par rapport aux conséquences sociales possibles (disparition des petits propriétaires, destruction des écosystèmes,
développement des oligopoles qui contraignent les petits paysans à passer par eux pour acheter leurs semences, etc.).
Le quatrième chapitre (« Une écologie intégrale, 137-162). Le pape rappelle d’abord que la nature n’est pas séparée des hommes,
elle n’est pas un simple « cadre », mais nous faisons un tout avec elle et avec tous les êtres animaux et végétaux. L’écologie est donc
un problème global, on doit résoudre à la fois les problèmes naturels et les problèmes sociaux, la solution des problèmes
d’environnement n’est pas séparable d’une vision « humaniste » de l’ensemble et donc de questions d’organisation de la société, et
donc aussi d’organisation politique (le mot n’est pas prononcé), le pape parle d’écologie « institutionnelle », « d’administration de l’État »,
de « relation des habitants entre eux » et de politique internationale (142). Il précise encore en parlant de protection du « patrimoine
naturel » en même temps que de « protection du patrimoine culturel », dans toute sa diversité et avec une participation de tous les
habitants : les solutions ne sont pas purement techniques, car les problématiques locales sont plus profondes et complexes, et on doit
tenir compte des droits des peuples et de leur propre culture (144) ; « la disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que
la disparition d’une espèce animale ou végétale ». On doit donc porter une attention particulière aux traditions culturelles des
communautés aborigènes, lutter contre « les organisations criminelles » qui introduisent des comportements antisociaux et la violence
dans les quartiers les plus défavorisés. Cela doit commander aussi le travail des responsables locaux, des architectes, des entreprises
de travaux publics dans l’organisation des espaces publics, urbains et ruraux. Le texte dénonce aussi le « manque de logement » qui
affecte les plus pauvres qui sont marginalisés, l’insuffisance des transports publics au profit d’une multiplication des voitures individuelles
qui augmentent le trafic, la pollution, la marginalisation des zones rurales défavorisées. Il faut enfin développer une « écologie de
l’homme », habituer celui-ci à « apprécier son propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité » : on ne peut pas « effacer la
différence sexuelle ». Et le pape conclut en rappelant la référence traditionnelle au « bien commun », au principe de « subsidiarité », où
la famille a un rôle fondamental, et il appelle à une « solidarité et à une option préférentielle pour les plus pauvres ». C’est cela qui
assurera aussi la justice entre les générations et nous permettra de ne pas léguer à nos descendants des situations ingérables, trop de
ruines, de déserts et de saleté. Ne soyons pas individualistes, et ne pensons pas qu’à notre « consommation ».
Le chapitre cinq (163-201) propose quelques lignes d’orientation et d’action. Après ces chapitres d’analyse de la situation actuelle de
l’humanité et de sa dégradation environnementale, le pape indique les lignes possibles d’un « changement de route » et de nouvelles
solutions de politique internationale d’abord : une agriculture diversifiée, un développement des énergies renouvelables, une meilleure
gestion des ressources forestières et marines, un accès de tous à l’eau potable. Il propose de préférer les énergies renouvelables à
l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz, et il appuie en ce sens le mouvement écologique, et critique le manque ou l’insuffisance
de politique efficace des Sommets internationaux, le fait qu’ils imposent les pays pauvres (qui émettent peu de gaz) autant que les pays
industrialisés (qui en émettent beaucoup), le fait qu’ils se laissent gagner par la corruption, qu’il fassent décharger leurs produits
polluants dans les pays sous-développés, leur mauvaise gouvernance des océans, la faiblesse de leur lutte contre le réchauffement
climatique : il devient urgent de mettre en place une « Autorité politique mondiale ».
Un dialogue doit permettre d’examiner les diverses politiques nationales et locales et d’analyser leurs contradictions internes. Le pape
critique explicitement les gouvernements qui n’agissent qu’en fonction des prochaines élections, pour maintenir leur « espace de pouvoir
» : on doit agir sur la base de grands principes et en pensant au bien commun à long terme, ce que le pouvoir politique peine à faire ; il
encourage l’action des « coopératives » de construction et de gestion d’énergies renouvelables, les lois qui travaillent à l’amélioration
des constructions en vue d’une moindre consommation d’énergie, celles qui favorisent les investissements en faveur des régions
pauvres et l’aide aux petits producteurs ; il faut donner plus d’espace à une « saine politique, capable de réformer les institutions, de les
coordonner et de les doter de bonnes pratiques ».
Il faut plus de « transparence », éviter les accords ambigus qui cachent leur impact écologique, élaborer des plans d’évolution sur la
base des vœux des habitants, en évaluant correctement les risques et les bienfaits d’une opération, respecter le principe de précaution.
« La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux dictats et au paradigme de l’efficacité de la
technocratie », il faut en finir avec les « critères obsolètes qui continuent à gouverner le monde », la protection de l’environnement ne
peut pas se faire sur la base d’un « calcul financier des coûts et des bénéfices » et n’est pas compatible avec la recherche d’un
maximum de profit pour les entreprises et pour les individus, la « biodiversité » ne peut pas être considérée comme une simple « réserve
de ressources économiques ». Tout cela n’est pas une volonté d’arrêter le progrès, mais veut considérer que « ralentir un rythme
déterminé de production et de consommation peut donner lieu à une autre modalité de progrès et de développement » (191) que le
pape tente ensuite de préciser, en particulier dans ses dimensions politiques, et en rappelant le rôle positif que peut avoir la religion
dans cette élaboration.
Enfin le dernier chapitre (202-246) s’intitule « éducation et spiritualité écologique » : « Beaucoup de choses doivent réorienter leur
route, mais avant tout c’est l’humanité qui a besoin de changer. Il manque la conscience d’une origine commune, d’une appartenance
mutuelle et d’un avenir partagé par tous. Cette conscience de base permettrait le développement de nouvelles convictions, de nouvelles
attitudes et de nouveaux styles de vie. On voit ainsi émerger un grand défi culturel, spirituel et éducatif qui impliquera de longs
processus de régénération » (202). On ne peut pas continuer à suivre le mécanisme compulsif du marché (il ne précise pas « du marché
capitaliste ») qui nous pousse à acheter et à consommer toujours plus : la « liberté » n’est pas la liberté de consommer toujours plus, et
« ceux qui possèdent la liberté sont ceux qui font partie de la minorité qui détient le pouvoir économique et financier », c’est de là que
viennent tous les maux qui affectent notre société, un sentiment d’insécurité, les crises sociales, mais il faut espérer que les
mouvements de consommateurs plus conscients feront pression sur le pouvoir politique et pousseront à un changement de style de vie.
Nous nous trouvons donc face à un « défi éducatif ».
Le pape tente ensuite de définir la nature de ce qui pourrait être une véritable « éducation à l’environnement ». il ne suffit pas de voter
des lois pour limiter les mauvais comportements, il faut encore que chaque individu ait les motivations et les convictions nécessaires
pour les appliquer, pour avoir « des comportements qui ont une incidence directe et importante dans le soin de l’environnement, comme
d’éviter l’usage de matériel plastique ou de papier, réduire la consommation d’eau, faire le tri des déchets, ne cuisiner que quand on
pourra raisonnablement manger, traiter avec soin les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou partager un même véhicule
entre plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles, et ainsi de suite. Tout cela fait partie d’une créativité
généreuse et digne, qui montre le meilleur de l’être humain. Réutiliser quelque chose au lieu de s’en défaire rapidement, en partant de
motivations profondes, peut être un acte d’amour qui exprime notre dignité » (211). Le pape prêche ensuite pour une « bonne éducation
» donnée à tous niveaux, en commençant par la famille ; et cette formation des consciences revient à « la politique et aux diverses
associations », mais aussi à l’Église, l’éducation esthétique et environnementale entrant dans le système.
Et à partir de 216, le pape ne parlera alors plus que de « l’éducation chrétienne », montrant la « grande richesse » due à « vingt siècles
d’expériences personnelles et communautaires » sur la base de l’enseignement de l’Évangile. Il ne s‘agit pas d’idées et de doctrines, dit-
il, mais de spiritualité et de mystique, en reconnaissant que les chrétiens n’ont pas toujours « fait fructifier les richesses que Dieu a
données à l’Église » : il faut donc que les chrétiens acceptent aussi une « conversion écologique », en se souvenant du modèle de
François d’Assise. Le discours redevient alors religieux et adressé non plus tellement à « tous les hommes » qu’à « tous les chrétiens »,
et il offre une sorte de modèle de comportement chrétien, certes très positif et contradictoire avec beaucoup d’habitudes négatives de
nos sociétés capitalistes. Mais on a l’impression qu’à partir de 228, il est nécessaire d’avoir la foi pour comprendre et appliquer
pleinement les nécessités écologiques affirmées antérieurement, de croire en un Dieu d’amour créateur de cette « maison commune »
dont il a parlé pendant les cinq premiers chapitres : « L’univers se développe en Dieu, qui le remplit tout entier » (233) ; la participation à
l’Eucharistie du dimanche est particulièrement importante, la référence à la Trinité est nécessaire pour comprendre toute la réalité de la
nature, et c’est « Marie, la mère qui prit soin de Jésus, (qui) prend soin avec affection et douleur maternelle de ce monde blessé » (241).
Et le texte se termine en 246 par deux prières, qui ne sont qu’une pâle imitation du Cantique des Créatures de François d’Assise.
Or, en même temps que je terminais ce texte, je suis frappé de lire dans l’éditorial du dernier numéro de Radici, signé du Directeur de la
revue, Rocco Femis. Il parle du film récent de Fernando Muraca, La Terra dei Santi, sur la violence destructrice de la ‘Ndrangheta en
Calabre, et il dit qu’à la fin du film, une question pressante lui est venue à l’esprit : « Depuis combien de temps ne penses-tu pas à
l’amour ? », parlant non pas seulement de l’amour privé entre deux êtres, mais de « l’importance de l’amour et à la place qu’il occupe
dans le corps d’une société, surtout quand ce corps est malade ». Il précise plus loin : « l’amour que nous portons aux personnes, aux
choses, à notre ville, à notre pays ». Et c’est cela qui permettrait « d’ouvrir une brèche dan la carapace d’une culture violente. D’une
culture qui, au fond, tue avant tout la possibilité d’aimer ». Il conclut : « Il est remarquable que dans un film sur un sujet aussi délicat, ce
soient les femmes qui nous rappellent que le véritable amour est la mesure première, la preuve la plus évidente et intelligente que nous
sommes encore vivants. Que nous pouvons y arriver ».
Le pape prêche l’amour au nom de sa foi en un Dieu créateur de la terre par amour. C’est très positif. Mais il doit savoir que l’on peut
vivre dans la perspective d’une société d’amour sans avoir besoin d’un Dieu Trinitaire et sans prier Jésus et Marie, que l’on est en droit
de considérer comme de beaux personnages historiques mais pas comme des dieux.
3) Un conflit central dans le monde et dans la société italienne.
Que conclure ? Certes, on ne s’étonne pas que le pape termine son discours par un appel religieux qu’il n’avait jamais cessé d’affirmer
tout au long de l’Encyclique, et il reste que l’essentiel de son texte pourrait fournir des éléments de pensée intéressants à un véritable
parti écologique et « révolutionnaire ». C’est pourquoi il est important de le lire attentivement, chacun pourra mettre sur les faits cités les
noms de personnes, d’entreprises et de partis qu’il convient d’y mettre, et il est bien que le discours pontifical se soit élevé au-dessus de
ce qui aurait été une dénonciation bien terre à terre. Les catholiques traditionnels et les partis de droite (comme les Républicains
américains) ne semblent d’ailleurs pas s’y être trompés.
Mais dans la conjoncture mondiale et italienne actuelle, le texte peut aussi susciter l’idée que le meilleur parti écologique serait un parti
qui sache intégrer aussi bien les revendications économico-politiques que les propositions spirituelles et catholiques : ne serait-ce pas
un renouveau de parti démocrate-chrétien qui aurait renoncé à toutes ses corruptions et qui se prononcerait pour un véritable
changement tout en intégrant dans son programme une sorte de « morale sociale chrétienne » ? Il serait intéressant d’analyser
parallèlement à ce texte l’évolution du Parti Démocrate italien (PD) dirigé maintenant par un leader sorti de l’ancienne démocratie
chrétienne. Il faut dire aussi que les traditionalistes seraient très favorables à un retour à l’ancien parti Démocrate-Chrétien, la DC, avec
toutes ses corruptions, compromissions avec la mafia, scandales financiers, etc.
Au-delà, cette Encyclique est un nouveau document qui marque la volonté du pape François de se détacher des comportements
traditionnels de son Église et de la Curie romaine. Récemment, dans un éditorial de la Repubblica du 24 mai, Eugenio Scalfari a
souligné combien celle-ci s’organisait actuellement pour combattre la volonté de changement du pape François. Face à la sécularisation
et au déclin actuel de la foi, l’institution ecclésiale réagit souvent en se retranchant dans une tradition non seulement théologique mais
aussi politique, dans un mélange de « moralisme » et de fondamentalisme qui ont comme cible les interventions de François et sa «
révolution » (même s’il n’aime pas le mot) qui consiste à revenir à la racine du christianisme des origines avant qu’il devienne un pouvoir
temporel à partir du IVe siècle.
Les évêques et cardinaux n’hésitent pas à contredire publiquement le pape. Au début de 2014, quand le pape a appelé à dénoncer les
prêtres pédophiles à la justice civile, puisqu’ils avaient commis un crime contre la société et non seulement contre l’Église, et alors qu’il
venait de nommer une victime de pédophilie ecclésiastique dans la Commission pour la protection des mineurs, la Conférence
Épiscopale Italienne (CEI) rappelle, quelques jours après, que l’évêque n’a aucune obligation de dénoncer un prêtre pédophile, puisqu’il
n’a aucune qualification d’officier public (Cf. Il Fatto Quotidiano, 28 mars 2014). Pour prendre un autre exemple, on pourrait analyser le
grave problème des rapports de l’Église catholique avec les mafias dont le pape François vient d’excommunier les dirigeants, pendant
que dans une procession religieuse sicilienne, on fait en sorte que la statue de la Vierge s’arrête devant la maison du boss local à peine
condamné, et s’incline devant sa fenêtre ; les compromissions de l’IOR, l’Institut des Œuvres de Religion, la banque du Vatican, avec
l’argent de la mafia qu’elle recycle et blanchit, viendraient confirmer cette analyse récemment faite par un documentaire d’Arte, qui
soulignait que pour la majorité des prêtres, Dieu était représenté sur la terre par l’Église romaine, et qu’il fallait donc tout faire pour la
renforcer et la développer, surtout dans cette période où elle est de plus en plus contestée, ad majorem gloriam Dei, pour la plus grande
gloire de Dieu. Généralement pas pour une politique d’enrichissement personnel, sauf pour un certain nombre de cardinaux, comme le
cardinal Tarcisio Bertone, écarté par le pape François de la charge de « Camerlingue » (Secrétaire d’État) du Vatican, et dont on a
dénoncé le palais de 700 m2 qu’il habite à Rome. Avant tout il faut sauver l’Église, et les mafieux sont finalement de bons chrétiens : ils
font une prière avant d’assassiner un homme, et une prière après pour le salut de son âme. C’est tout cela que le pape François veut
réformer, notant que « Saint Pierre n’avait pas de compte en banque », et cela lui attire l’hostilité d’une forte partie du haut clergé, dont il
a rappelé les péchés dans son homélie du 22 décembre 2014, dénonçant les 15 plaies qui affligeaient la bureaucratie de l’Église :
langage « politiquement peu correct » qui ne veut plus du contraste entre la splendeur de la Curie et du Vatican et la misère spirituelle
qu’elle manifeste.
Dans cette lutte entre qui veut abattre le « temporalisme » qui domine la vie ecclésiastique depuis 16 siècles et qui veut le maintenir au
nom de la « tradition », le pape François est devenu une des cibles principales des traditionalistes. Il fait béatifier l’archevêque Oscar
Arnolfo Romero, que l’Église renvoyait depuis longtemps, n’était-il pas solidaire des représentants de la théologie de la libération, ce qui
avait provoqué son assassinat par les bandits des Escadrons de la mort ? Et il ne le fait pas au nom d’une politique, mais au nom d’une
foi qui interdit à ses fidèles d’être des « puits à sec » : « La sensibilité ecclésiale, – dit-il lors de son allocution à la dernière Conférence
épiscopale italienne –, comporte de ne pas être timides et insignifiants dans le désaveu et la défaite d’une mentalité diffuse de corruption
publique et privée qui est parvenue à appauvrir sans aucune honte les familles, les retraités, les travailleurs, oubliant les jeunes,
systématiquement privés de toute espérance dans leur avenir, et marginalisant les faibles et les nécessiteux ».
Voilà l’analyse de Scalfari, elle met l’accent sur un problème important de la vie spirituelle, sociale et politique de la société italienne, où
l’Église a encore aujourd’hui plus de pouvoir que l’on ne l’imagine souvent.
Jean Guichard, 4 juillet 2015
Le pape François devant le Saint Suaire le 20 juin 2015
Le pape Benoît XVI devant le Saint Suaire le 2 mai 2010
Toute reproduction (papier ou numérique) est interdite sans une autorisation écrite du propriétaire du site.