L’actualité politique et judiciaire
Romano Prodi : « ne laissons pas l’Allemagne dénaturer le projet européen »
Après le troisième compromis avec la Grèce du 13 juillet, l’Allemagne continue à résister aux plans d’aide à la Grèce : « Le ministre des
finances allemand, Wolfgang Schäuble, aurait en effet proposé, au cours d'une réunion de l'Euro-groupe, de réduire les pouvoirs de la
Commission européenne et de confier les principales décisions de politique économique à une autorité indépendante. Jean-Claude Juncker
n'a réagi que timidement à cette proposition. En tant qu'ancien président de la Commission européenne, j'estime avoir le devoir politique et
moral de prendre position pour m'y opposer », écrit Romano Prodi dans le Monde du 14 août 2015. Cette décision serait un affaiblissement
mortel de l’Union Européenne. C’est, hélas ! le sens de la politique allemande actuelle : maintenant que l’Europe a permis à l’Allemagne de
refaire son unité et de devenir pratiquement l’économie la plus forte, celle-ci semble préférer soutenir ses intérêts nationaux et ceux de ses
satellites plutôt que de poursuivre une politique d’intégration : « L'ancien ministre des affaires étrangères allemand Joschka Fischer l'a
également relevé en écrivant récemment que l'Allemagne est en train de transformer l'eurozone en une sphère d'influence. L'ancienne
solidarité européenne est désormais considérée comme « maladivement euroromantique » et l'Europe allemande est maintenant sur le
point de prévaloir sur l'aspiration d'une Allemagne européenne ». Ce serait la fin de l’unité européenne, et de toute démocratie dans la
construction de l’Europe. Il faut donc que les gouvernements et les partis européens se battent pour que la Commission Européenne
conserve tout son pouvoir.
Or la seule réaction gouvernementale a été une déclaration commune d’Harlem Désir et de Sandro Gozi, responsables de la politique
européenne de la France et de l’Italie (Le Monde du 31 juillet 2015). C’est bien peu, et il semble que même ces deux pays continuent à
préférer ne pas s’opposer à l’Allemagne sur les sujets importants et à ramper devant Angela Merkel, comme ils l’ont déjà souvent fait. Il
faudrait donc que la France et l’Italie convoquent tout de suite un sommet des chefs d’État et de gouvernement pour refuser clairement
toute forme de politique telle que celle que veut l’Allemagne : « Seul un appel conjoint de la France et de l'Italie pourrait imposer la
convocation d'un tel sommet. Mais avant même de réunir nos partenaires, il faut rappeler qu'aucun transfert de souveraineté ne peut être
fait vers des institutions où les décisions ne seraient pas prises à la majorité et sous le contrôle du Parlement de Strasbourg, comme le
prévoient les textes fondateurs de l'UE. La légitimité démocratique du projet européen est à ce prix ».
L’Allemagne veut avant tout détruire en Europe toute politique démocratique, comme le montre sa volonté prioritaire d’éliminer le
gouvernement grec de gauche de M. Tsipras et de combattre la montée de mouvements semblables en Espagne, en Italie … et en
Allemagne. L’Europe est à ce tournant entre la poursuite d’une construction démocratique ou la victoire d’une politique réactionnaire
néolibérale, telle que celle qu’impose l’Allemagne depuis des années, souvent avec la complicité des sociaux-démocrates allemands à
l’intérieur ou français et italiens à l’extérieur.
Le résultat de ce néolibéralisme risque d’être une montée de populismes analogues à ceux du Front National en France ou de la Lega Nord
de Salvini en Italie. Comme le souligne Romano Prodi, « Il ne s'agirait pas de discuter des aspects techniques ou de mesures d'urgence à
prendre, mais des raisons d'être de l'Union et de ce qu'elles peuvent offrir à nos peuples. Parlons enfin de politique. Dans le monde et aux
yeux des citoyens européens, l'UE ne cesse de perdre de son prestige. Sans changer de cap, nous sommes condamnés à l'insignifiance ».
Ceux qui sont attachés à l’Europe auraient intérêt à répondre fortement à l’appel de Romano Prodi, qui fut un des meilleurs présidents de la
Commission Européenne de 1999 à 2004.
J.G. 15 août 2015