Sur l’émigration italienne en France
Un grand livre sur les Italiens à Lyon
Les éditions Lieux Dits (17, rue René Leynaud, 69001 Lyon) viennent de publier en octobre 2016 une seconde édition d’un grand livre de
Jean-Luc de Ochandiano,
Lyon à l’italienne, deux siècles de présence italienne dans l’agglomération lyonnaise,
272 pages intelligemment illustrées.
C’est un ouvrage à la fois rigoureux et riche d’informations contrôlées entre autres par la participation de
nombreuses associations et personnalités italiennes locales, et en même temps il est de lecture agréable, évitant le
jargon souvent utilisé par les « spécialistes » d’une discipline. L’auteur a utilisé de nombreux documents conservés
par des migrants italiens ou par leurs descendants, photos, cartes d’identité, permis de séjour, cartes de travail, qui
témoignent d’une histoire collective des Italiens à Lyon.
On connaît assez bien l'importance de la présence florentine, lombarde ou piémontaise à Lyon durant le Moyen-Âge
et la Renaissance, et ce que Lyon leur doit, mais, bien qu’elle soit encore largement présente parmi nous (combien
d’entre nous ont une ascendance italienne !), on connaît souvent moins bien les diverses migrations d’Italiens venus
travailler dans notre région, quittant les Royaumes de Sardaigne et des Deux-Siciles, ou le centre et le nord de
l’Italie. Avec la révolution industrielle, nous entrons aux XIXe et au XXe siècles dans une ère de migration qui
continue aujourd’hui sous d’autres formes, et on va compter dans l’agglomération lyonnaise autour de 25.000 Italiens
entre 1930 et 1960.
Tous les responsables des nombreux Musées de l’émigration d’Italie vous diront que leur travail sur le départ des
Italiens peut nous aider à mieux comprendre notre situation d’aujourd’hui et le problèmes des migrations.
Jean-Luc de Ochandiano étudie donc d’abord l’histoire, dans la période qui s’étend de 1815 à 1914, puis dans celle
qui va d’une guerre à l’autre, dans ce moment où le fascisme créera aussi une émigration politique complexe, enfin
dans l’époque moderne, de 1940 à 2013. Tout cela est très riche et instructif, expliquant par exemple les problèmes
liés à cette immigration, les conflits qu’elle provoque. Cela nous aide sans doute à mieux analyser les problèmes et
les conflits de notre France devenue multiculturelle du fait de ces mouvements internationaux de migration.
Au XIXe siècle, ces immigrations sont évidemment diverses, économiques
pour les petits paysans piémontais qui sont loin de toute pensée politique nationaliste et du mouvement pour
l’Unité qu’ils ne comprennent pas, mais qui n’arrivent plus à vivre toute l’année sur leurs terres, plus politiques
pour la partie de l’aristocratie et de la bourgeoisie qui lutte pour l’unification et l’indépendance de l’Italie. Le livre
analyse – c’est un de ses aspects nouveaux – les métiers exercés par ces petits migrants, dont ceux de plâtrier-
peintre, de menuisier et sculpteur sur bois, de mosaïstes (les Frioulans), de décorateur, de paveur, de travailleur
de la soie (qu’un Piémontais avait introduite à Lyon au XVIe siècle), de chapelier, d’étameur, de verrier, mais aussi
de saltimbanque et de musicien ou de petit commerçant (glacier). Les conditions de vie, de pratique religieuse,
etc. sont aussi analysées avec précision et agrément, faisant revivre l’histoire de quelques rues et quartiers
lyonnais. Le livre montre bien aussi comment ces arrivées provoquèrent des conflits et des mesures anti-
italiennes, en particulier à partir de l’assassinat du Président Sadi Carnot dans la rue de la République par un
anarchiste italien, Sante Caserio, dont un colloque tenu à Lyon en 1994 avait bien analysé l’histoire et dont nous
connaissons bien les descendants de son avocat, Maître Dubreuil.
Dans une seconde partie, l’auteur analyse la présence des Italiens entre les deux guerres, à partir de 1914. La mobilisation entraîne une perte de main-
d’œuvre, et on doit recourir à la population italienne, puis africaine et chinoise. Pendant la guerre de 14-18, les Italiens de Lyon s’engagent dans l’armée
française ou rejoignent les rangs de l’armée italienne à partir de 1915, après la guerre, l’immigration connaît un boom car la France a perdu plus d’hommes
que l’Italie et a besoin de main-d’œuvre ; puis à partir du fascisme, se produit une vague d’émigration politique, due à la répression policière de tous les
antifascistes. On peut rappeler qu’en 1926 se tient à Lyon un Congrès du nouveau Parti Communiste d’Italie, en présence d’Antonio Gramsci. Le livre nous
offre une bonne image des baraquements italiens, du « village nègre » des Italiens à Monplaisir la Plaine, des logements de banlieue (Saint-Priest, Vaulx-
en-Velin). Il nous rappelle aussi le rôle de l’Église et des organisations caritatives catholiques dans l’aide aux immigrés (Voir l’église de la Sainte-Famille de
Villeurbanne récemment restaurée). Contre les courants antifascistes, importants et divers (en 1927, beaucoup soutiendront Sacco et Vanzetti). Les
relations franco-italiennes en seront aussi affectées., le gouvernement italien cherche à exercer un contrôle sévère, d’où les conflits entre italiens, fascistes
et antifascistes.
La seconde guerre mondiale aura un impact sur la présence italienne, la xénophobie se développe vis-à-vis des Italiens, accrue par « le coup de poignard
dans le dos » qu’est l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Allemagne nazie : à Lyon, une manifestation brise les vitres du Banco di Roma et des
magasins italiens (Café Giudici de la rue Mazenod, salons de coiffure Appolino, rue Centrale et Moschella rue Villeroy,
etc). La Préfecture fait arrêter les agents du fascisme, mais aussi les militants anarchistes et communistes ; elle
procède au recensement de tous les hommes italiens de 17 à 60 ans. Plus tard, un certain nombre d’italiens
antifascistes entreront dans la Résistance (comme Luc Ricci, Titta Coïs, Eusebio Giambone, …), et plusieurs seront
arrêtés et condamnés à mort.
À partir de 1945, l’immigration italienne va reprendre, la France a besoin de bras ; c’est l’Office National de l’Immigration
(ONI) qui a le monopole de ces arrivées ; on choisit les « bons immigrés », les Italiens du Nord plutôt que ceux du Sud.
Quant à l’Italie, elle « vend » volontiers ses hommes à la France ou à la Belgique (rappelons l’accident de Marcinelle,
qui tue plus de 100 mineurs italiens) ; on expulse les clandestins. L’attitude xénophobe des centres lyonnais se
perpétue, en particulier de la part des forces de police. En 1946, les Italiens ne sont plus à Lyon que 14.000.
L’immigration ne reprendra qu’entre 1955 et 1965, de la Ciociarìa, de Frosinone, de la zone du Liri, et d’autres régions
du Sud (les Siciliens après les deux sécheresses de 1947 et 1956), Sardaigne, Pouilles, Calabre, Abruzzes ... Il y a
28.800 Italiens dans le Rhône à partir de 1956, et Jean-Luc de Ochandiano note leurs difficultés d’installation, de
logement, etc., même si les Italiens vont toujours plus loin en banlieue.
Il étudie ensuite leur « stabilisation » entre 1965 et 1990, c’est l’âge d’or des maçons, et ils commencent à prendre des
responsabilités publiques. L’Église italienne s’intéresse toujours aux migrants, que l’État lui avait souvent confiés, et elle
envoie des « missionnaires » dans notre agglomération. De nombreuses associations italiennes se constituent, souvent
sur une base régionale (Frioul, Ciociarìa, etc.). Beaucoup d’Italiens demandent la nationalité française (le livre cite Ugo
Iannucci, avocat lyonnais que nous avons bien connu).
La suite est notre histoire. M. Ochandiano la raconte jusqu’en 2013. Lisez ce livre, dans une de ses deux éditions, italienne et française, il vous
passionnera, pas seulement si vous avez un ancêtre italien, c’est aussi une belle histoire de Lyon.
Et le 2 décembre 2016, Jean-Luc de Ochandiano animera une conférence sur l’histoire de l’immigration à La Guillotière et dans le reste de l’agglomération
lyonnaise (Cf ci-dessous).
Jean Guichard, 24 novembre 2016
La rue Grôlée vers 1885
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