Un grand livre initiatique sur l’Italie
Un grand livre initiatique sur l’Italie : Yannick Haenel, Je cherche l’Italie, Folio, Gallimard, 2016, 215 pages, 17,50€ J’ai lu le livre de Haenel d’une traite, sans m’arrêter, c’est rare, j’ai abandonné tout le reste pour le finir, tant j’étais pris par l’écriture. J’essaie maintenant de comprendre pourquoi. Je crois que c’est d’abord parce que ce n’est pas un nouveau livre de “ tourisme ” qui s’extasierait sur les beautés des paysages et des tableaux. Certes il est fasciné par certains paysages, et pour commencer celui du lac de Nemi, près de Rome, et il revient toujours regarder quelques monuments de Florence, d’abord la Porte du Paradis de Ghiberti, pour finir par l’Annonciation de Fra Angelico, ou de Rome, le Moïse de Michel- Ange à Saint-Pierre aux Liens, ou des Pouilles, le château de Castel del Monte. Mais le livre est d’abord un livre politique, qui ne supporte pas, quand il arrive à Florence, de voir les murs couverts du visage au sourire permanent de Berlusconi entouré de jolies fille en tenues légères, dans le Bunga-Bunga de ses orgies. Une de ses premières rencontres est un jeune vendeur sénégalais à la sauvette de parapluies et de briquets surexploité par la mafia, et un de ses chapitres est consacré aux Africains qui se noient en Méditerranée avant d’arriver à Lampedusa. Ce récit n’est pas une évasion “ touristique ”, pas une distraction, mais sa recherche de “ l’Italie ” n’est rien d’autre qu’une recherche du sens qu’il peut donner à sa vie. Je me disais : l’Italie est une source, et celui qui parvient à vivre à la source s’ouvre le chemin du bonheur. Voilà : nous venions ici pour être heureux ” (p. 15). Il vient pour “ faire le point ”, dans ce monde et contre ce monde en cours de décomposition : “ Le point le plus vivant n’habite plus dans le monde qu’on dit “ réel ”, celui de la valeur chiffrée, celui de la circulation instantanée de l’argent. À une époque où la crise financière a débordé le monde, où elle a remplacé pour toujours l’idée de destin, où la spéculation financière prévaut sur l’ensemble des inscriptions, et les réduit l’une après l’autre à rien, le point s’éloigne (…) Car en même temps que je contemplais les formes dorées de la porte (de Ghiberti), j’entendais deux mots qui me gâchaient la fête : “ BUNGA BUNGA “. Ces deux mots me harcelaient, comme des mouches ; j’avais beau faire vibrer dans le nom de Florence toute la densité de poésie qu’il contient, me concentrer sur le sacrifice d’Isaac ou sur la beauté des sibylles de Ghiberti, je n’arrivais plus à chasser de mon esprit cette sonorité grotesque : BUNGA BUNGA “ (pp. 20-21). Enfin un voyageur qui ne peut pas ignorer que l’Italie est ruinée, que Berlusconi et ses successeurs plongent le pays dans “ l’abjection “, avilissent la culture italienne et qu’il faut les combattre.  “ Difficile, dans ces conditions, de discerner le point de poésie. Si la société organise son effacement, chaque expression de vulgarité participe à sa liquidation : l’exil du point résume notre époque “ (p.22). Voilà une première qualité de ce livre. Une deuxième réside dans la qualité de la réflexion de l’auteur. Pour lui aussi, l’Italie est une base pour connaître mieux l’homme, sa vie, sa réalité, ses problèmes, (en y ajoutant une lecture des oeuvres complètes de Georges Bataille !). Le récit de ses amours avec Barbara, par exemple la baignade dans le lac de Némi (chapitre 3, où est évoqué aussi le roi de Némi, que son successeur devait tuer pour pouvoir le remplacer : le pouvoir repose sur un meurtre), est aussi séduisante, la mythologie n’en est jamais absente, Diane et Actéon, il n’y a pas de parts séparées dans la vie de Haenel. Et sa pensée sur la solitude et le silence est suggestive, de même que ses remarques sur la mort de la politique dans les mutations sociales actuelles, ou sur la mafia comme élément essentiel du pouvoir. On remarque souvent l’influence des Essais de Pasolini sur beaucoup de passages du livre, souvent aussi pessimiste, et dont il analyse longuement le film Porcherie (chapitre 11). Et enfin, il y a de nombreuses analyses visionnaires passionnantes de certaines oeuvres, le Déluge de Paolo Uccello (chapitre 2 -Image ci-dessus à gauche), la Porte du Paradis de Ghiberti au Baptistère, les lieux franciscains de la Verna (François d’Assise est l’un des personnages de l’histoire italienne qui inspire l’auteur), le château de Castel del Monte et la réflexion sur Frédéric II de Hohenstaufen (image ci-contre), et puis le beau  chapitre 20, où l’auteur raconte comment il attendit l’arrivée de l’aube pour voir la lumière naturelle apparaître sur l’Annonciation de Fra Angelico au couvent de San Marco (ci-dessus à droite), se substituant au rayon divin absent dans la fresque, une autre façon, plus riche, de regarder une oeuvre d’art sans les déformations apportées souvent par la lumière électrique. On voudrait tout citer. Voilà un livre sur l’Italie que chacun lira sans difficulté, avec un grand plaisir, et qui sera une nouvelle source de réflexion sur la vie politique de l’Italie d’aujourd’hui.                                                           Jean Guichard, 18 avril 2017
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