2.4.1. L’actualité culturelle : les livres - 1
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Je commence à comprendre Michelangelo Antonioni. Arléa (2014) - 14€ Un très court livre. Quelques pages, préfacées par Erica Antonioni, et suivies des notes éclairantes du traducteur Jean- Pierre Ferrini. Trente-cinq pages de pensées, notes et courts récits, ordonnés chronologiquement et séparés d’espaces blancs, qui accueillent les projections du lecteur, et rendent la page légère. Trente-cinq pages intimes et historiques, la rencontre des jeunes Jeanne Moreau et très jeune Brigitte Bardot en 1951 lors du casting des Vaincus, et les divers tournages de films, en donnent les repères. Je retiens d’abord le tournage de L’Avventura, sur l’île de Lisca Bianca, le vent et la tempête, les pêcheurs qui ne veulent plus prendre la mer et Antonioni, têtu, qui part quand même, seulement accompagné de Monica Vitti et d’une équipe très réduite : Les seuls prêts à me suivre, quels  que soient la mer, les obstacles matériels ou l’état de notre moral, pour ne pas arrêter le film. (p.22)  Le récit de l’aventure réelle du tournage réveille les souvenirs des images du film, c’est une des forces de ce petit livre, et donnent au mot de réalisation son poids de réalité. Le plus étonnant dans ce va-et-vient entre réalité et cinéma, - qui traverse les changements du monde, l’amour, l’argent et la vieillesse, le soleil, la connaissance, les tournesols et les nuages, - c’est le rapport à l’espace d’Antonioni, dans sa vie quotidienne comme dans son travail de cinéaste. Paysages urbains de Rome ou de New-York (Le car qui, de l’aéroport Malpensa va à Milan, emprunte un passage aérien d’où l’on voit un magnifique paysage urbain se détachant parfaitement dans l’encadrement de la fenêtre comme un tableau. p.18 De la fenêtre de l’hôtel, (…) on voit juste à côté, deux gratte-ciels. A six heures du matin, en cette saison à New- York, c’est l’aube. Obscurité, silence. Quelques fenêtres des deux gratte-ciels  sont éclairées. La position des lumières est parfaite. p.32), paysages le plus souvent mouvants, dont il note évidemment les lumières et qu’il décrit en termes de tableau, scène, ou image, en tout cas source pour lui de beauté et d’émotion, par exemple dans ce texte magnifique sur les papiers et les ordures : … j’ai vu une des plus belles scènes qui m’ait été donné de voir. J’ai arrêté la voiture et je suis descendu. A droite, les prés étaient parsemés de bouts de papier.(…) des feuilles entières, des emballages, des taches blanches surtout, étoilant l’espace, jusqu’à l’horizon, où se réflétait, dans une extraordinaire lumière, un rai éclatant de soleil sur les maisons. (…) En me tournant pour les voir s’envoler, je fus émerveillé par une autre image : la plupart des bouts de papier se plaquaient contre le grillage qui délimitait l’aéroport (…) Le grillage, sur une distance de cent mètres, était presque complètement recouvert par les bouts de papier : blancs, noirs, rouges, jaunes, bleus. Un grand tableau abstrait, vivant, que je n’oublierai jamais. 5 avril 1962 Roma. (p.36, 37). Mais ce qui est, ne suffit pas, parfois la réalité salit l’image et Antonioni raconte son besoin de modifier la configuration des espaces intérieurs : Chaque fois que j’entre dans un endroit, un bureau, un lieu public, une maison privée, je suis tenté d’en modifier la situation existante.(…) S’agit-il d’une déformation professionnelle ou d’un besoin instinctif de me sentir dans un rapport physique avec l’endroit  où je me trouve ? Je crois davantage à cette seconde hypothèse. De ce besoin d’être dans un rapport physique avec un lieu, il déduit sa méthode de travail : En effet je ne réussis pas à filmer si je ne reste pas au moins une demi-heure seul sur le lieu du tournage, pour le comprendre et individualiser ainsi chaque prise de vue. (p. 23) Antonioni formule très clairement le lien entre la sensibilité particulière d’une personne et une pratique artistique, ici cinématographique. Le travail du réalisateur commence avec la compréhension de sa propre perception. Savoir comme on regarde. Et ce savoir est historique : Le cinéma aujourd’hui regarde autrement. Mais il est aussi transformation, et rupture avec la vie : Les bonnes idées pour un film ne sont pas nécessairement de bonnes idées pour notre vie.  (p.26)  Antonioni casse l’identification qui englue très souvent la parole sur le travail du cinéma et du théâtre : Mais entre eux (les personnages) et nous, il y a le film, il y a ce fait concret qui réclame précision et lucidité, cet acte de volonté et de courage qui nous détermine irrévocablement, qui nous protège de toute abstraction et nous contraint à garder les pieds bien sur terre. Et lorsque cette précision lui fait formuler les règles de fabrications propres à son art, le mouvement s’inverse et révèle la perception produite par la technique de filmage : Selon moi il existe un lien entre les mouvements de caméra et les couleurs. Le vert supporte moins que le rouge la vitesse d’un panoramique. Le noir assimile mieux que le blanc un zoomage. (p.40). Revenons au titre, Je commence à comprendre, pris dans le dernier fragment, justement commenté par Jean-Pierre Ferrini, et à la préface. Enrica Antonioni avance ici l’hypothèse qu’Antonioni faisait des films pour mieux comprendre le monde. Et qu’il  écrivait pour se comprendre. Elle précise que ces notes ont été publiées en 1999. Quand Michelangelo ne pouvait plus écrire, se relire est devenu une façon de comprendre ce qu’il savait, lui qui ne pouvait plus s’exprimer verbalement. Depuis 1985, une forme d’aphasie très grave l’avait contraint au silence. Ecrire pour se comprendre. Se relire pour comprendre ce qu’il savait. Antonioni a vécu 22 ans sans pouvoir parler. De 1985 jusqu’à sa mort, en 2007. Pendant cette période il tournera quand même, notamment aidé par Wim Wenders. Cette réalité-là pèse son poids. Laissons–lui les mots de la fin, ceux des premières phrases du livre : Je n’ai rien à dire mais j’écris. Peut-être que j’ai envie de montrer des mots ici sur du blanc. Nanouk Broche, 12 décembre 2015
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