Deux chansons sur la conquête de l’Abyssinie et quelques images. La conquête de l’Abyssinie fut pour le régime fasciste un moment privilégié. Mussolini est acclamé pour sa réussite intérieure et  internationale, loué par l’Église catholique comme un homme de la providence. Ce consentement populaire est construit sur 861 une  propagande intense, qui exploite le grand « mal d’Afrique » qui s’est créé surtout depuis l’Unité italienne de 1861 : le peuple de paysans  qu’était alors l’Italie, en expansion démographique, manquait de terres et vivait souvent dans une épouvantable pauvreté. Les conquêtes  africaines lui sont présentées comme un espoir d’avoir enfin des terres et de vivre mieux. En réalité, ceux qui partiront en Afrique seront  moins des paysans que des commerçants, des artisans, des petits fonctionnaires, des techniciens … et des soldats. Évidemment, les Italiens  ne sauront rien sur les massacres et les cruautés envers les populations civiles, et les minorités qui savent et ont le courage de les dénoncer  sont traitées comme des « traîtres à la Patrie ». Il faudra attendre les travaux d’historiens de années 1990 pour que la vérité commence à  être mieux connue ; mais ni l’école ni l’idéologie officielle, fasciste d’abord, démocrate-chrétienne ensuite, ni même souvent des  mouvements de gauche, ne firent un travail de lutte contre cette ignorance et ce racisme nouveau, pas encore mort aujourd’hui : les «  nègres » et les Juifs restent des « races » inférieures à la race aryenne italique.  Parmi les principaux moyens de propagande utilisés par le fascisme, il y eut certainement la chanson. En une période où la radio a  commencé à se développer, le régime a pris conscience de la puissance de la chanson sur l’esprit des gens simples, et va les inonder de  chansons de propagande. L’Afrique est une terre à conquérir, ou plutôt à re-conquérir, puisqu’elle fit partie de l’Empire Romain de  l’Antiquité, que Mussolini est en train de reconstruire. Et le meilleur symbole de cet objet de conquête est évidemment la femme africaine,  docile, soumise aux désirs des mâles italiens qui la sortiront du régime esclavagiste où elle vit encore. En attendant que la pureté de la race  l’emporte sur la sensualité et que l’on interdise aux soldats italiens de faire l’amour avec les Africaines, de peur que cela ne produise des  enfants métissés qui affaibliraient cette pureté. C’est ce qu’expriment très bien ces deux chansons.  La première est Faccetta nera, écrite en 1935, au début de la guerre d’Éthiopie : Renato Micheli l’écrit en dialecte de Rome (le  romanesco) pour la proposer au Festival de la chanson romaine, en harmonie avec la propagande officielle qui fait rage depuis déjà  longtemps, que l’on fait chanter toute la journée aux enfants en uniforme de Balilla (l’organisation fasciste des enfants) en répétant les  noms des villes africaines qu’il faut conquérir, et que tous les journaux reprennent tous les jours. Et comme toutes les guerres coloniales,  celles-ci sont présentées comme guerres de libération de l’esclavage et de la misère. La femme africaine est donc une terre vierge à  pénétrer, à réduire comme dit la chanson en « esclavage d’amour ».  Micheli ne parvient pas à faire accepter sa chanson au Festival. Mais, mise en musique par Mario Ruccione, et chantée par Carlo Buti, un  des chanteurs les plus populaires de l’époque, elle obtient un succès énorme à partir de sa présentation au Théâtre des Quatre Fontaines de  Rome : une jeune femme noire est portée sur scène enchaînée, la grande chanteuse Anna Fougez, vêtue d’un drapeau tricolore, la libère à  coups d’épée. Et tous les combattants en Afrique, tous les Italiens du pays la chantent, c’est un des plus grands succès avec Giovinezza et  quelques autres chansons coloniales.   Mais la chanson ne plut pas au régime, car outre une allusion à la bataille d’Adua (l’atroce défaite, que les Italiens ont toujours voulu  venger, de leur armée vaincue par une armée africaine), une strophe qualifiait la « belle Abyssinienne » de « notre sœur, belle italienne ».  Comment une africaine noire pouvait-elle être italienne et égale à nous, alors que le Manifeste de la race la qualifiait d’inférieure ? La  chanson était cependant si populaire que Mussolini ne put pas la faire supprimer, il ne put que l’amender. Il fit alors composer en 1936 une  seconde chanson, Faccetta bianca, par Nicola Macedonio et Eugenio Grio, où une jeune épouse blanche, mère depuis peu, vient saluer  son mari bersaglier qui part pour combattre en Afrique, et qui reviendra avec une médaille blanche : dans ces guerres, on tue, on ne meurt  pas ! Et puis comment penser que les bons Italiens pratiquaient l’adultère avec des Africaines ?  Cependant toujours jusqu’à aujourd’hui les Italiens ont préféré la disponibilité sexuelle de la belle Abyssinienne de Faccetta nera : quoi de  plus désirable qu’un beau corps noir soumis ?  Un autre moyen de populariser et de banaliser les guerres coloniales fut l’image. Nous vous en proposons quelques-unes, tirées de  l’œuvre  du dessinateur sicilien Enrico De Seta (1908-2008), des cartes postales et dessins à thème raciste des années 1930, dont vous trouvez un  grand nombre en tapant son nom sur Internet.  Faccetta nera (Testo : Renato Micheli, poeta romano Musica  : Mario Ruccione Int. : Carlo Buti 1935) Se tu dall'altipiano guardi il mare, Moretta che sei schiava fra gli schiavi, Vedrai come in un sogno tante navi E un tricolore sventolar per te. Faccetta nera, bell'abissina, Aspetta e spera che già l'ora si avvicina! quando saremo insieme a te, noi ti daremo un'altra legge e un altro Re. La legge nostra e schiavitù d'amore, il nostro motto Libertà e Dovere (ma libertà de vita e de penziere) vendicheremo noi camicie nere, Gli eroi caduti liberando te ! Faccetta nera, piccola abissina te porteremo a Roma libberata dar sole nostro tu sarai baciata starai in camicia nera pure te ! Faccetta nera, sarai romana e pe’ bandiera tu c’avrai quella italiana, noi marceremo insieme a te e sfileremo avanti ar Duce e avanti al Re !  Faccetta bianca (Testo : Nicola Macedonio Musica : Eugenio Grio e Arnaldo Stazzonlli Int. : Renzo Mori 1936) Faccetta bianca quando ti lasciai     Petit visage blanc, quand je te quittai quel giorno al molo, là presso il vapore Ce jour-là sur le quai, là près du bateau e insieme ai legionari m’imbarcai, et quand avec les légionnaires je m’embarquai l’occhio tuo nero mi svelò che il core          ton œil noir me révéla que ton cœur s’era commosso al par del core mio, était aussi ému que le mien mentre la mano mi diceva l’addio ! tandis que ta main me disait adieu ! Faccetta bianca,           Petit visage blanc, amore mio,           mon amour, pallida e stanca,           pâle et fatigué, t’ho detto addio,           je t’ai dit adieu io lascio come un dì lasciò papà  comme un jour me quitta papa, je quitte un figlio che di me ti parlerà !           un fils qui te parlera de moi ! Ed a quel figlio canta con fermezza :           et à ce fils chante avec fermeté : viva l’Italia, il Duce e Giovinezza !.  Vive l’Italie, le Duce et Giovinezza ! Faccetta bianca, proprio stamattina, Petit visage blanc, c’est justement ce matin, in una marcia lunga e faticosa,          dans une marche longue et fatigante, e nel combattimento a me vicina, et que dans le combat tu étais près de moi, io t’ho sognato, giovane mia sposa, que j’ai rêvé à toi, ma jeune épouse, avevi dell’Italia il portamento          de l’Italie tu avais l’allure e mi spronavi per il gran cimento ! et tu m’encourageais pour la grande épreuve ! Faccetta bianca, i baci che m’hai dati         Petit visage blanc, les baisers que tu m’as donnés nella trincea mi tornano alla mente,        dans la tranchée me reviennent en tête, in mezzo a tanti visi affumicati                au milieu de tant de visages enfumés è il tuo visino più del sol splendente,        c’est ton petit visage plus resplendissant que le soleil, quasi in contrasto a quelle facce nere        comme en opposition à ces visages noirs è fiamma e luce pel tuo bersagliere !                 il est flamme et lumière pour ton bersaglier ! Faccetta bianca, sola mia passione, Petit visage blanc, ma seule passion, mi guida il compimento del dovere, c’est l’accomplissement de mon devoir qui me guide, verrà quel giorno che di commozione le jour viendra où plein d’émotion ti stringerà al suo petto il bersagliere         ton bersaglier te serrera contre lui e la tua bella faccettina stanca         et ton beau petit visage fatigué si poserà sulla medaglia bianca ! se posera sur sa médaille blanche ! Sur ce sujet, outre les livres cités dans le texte, on peut consulter : Igiaba Scego, La vera storia di Faccette nera, Internazionale, 6 août 2015 Paul B. Henze, Histoire de l’Éthiopie - L’œuvre du temps ; traduit de l’anglais par Robert Wiren, Paris, Moulin du Pont, 2004 Marie-Anne Matard-Bonucci, La conquête de l’Éthiopie et le rêve d’une sexualité sur ordonnance (2), dormirajamais.org Deux disques de chansons fascistes sur la Libye et  l’Éthiopie (Fonografo Italiano, Fonit Cetra, IV, 7 (Tripoli italiana !) et IV, 9 (Alla guerra per faccetta nera). J.G., 23 février 2019 , -o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-                
Si de tes hauts plateaux tu regardes la mer Petite noire toi qui es esclave parmi les esclaves, Tu verras comme en rêve beaucoup de navires Et un drapeau tricolore flotter au vent pour toi.  Petit visage noir, belle Abyssinienne, Attends et espère car déjà l'heure approche ! Lorsque nous serons avec toi Nous te donnerons une autre loi et un autre Roi. Notre loi c'est l'esclavage d'amour; Notre devise est Liberté et Devoir (mais liberté de vie et de pensée) Nous vengerons, nous, chemises noires, les héros tombés en te libérant ! Petit visage noir, petite Abyssinienne,  nous t’emmènerons à Rome libérée, par notre soleil tu seras embrassée, tu seras en chemise noire toi aussi !   Petit visage noir, tu seras Romaine, Ton seul drapeau sera l'Italien ! Nous marcherons avec toi Et nous défilerons devant le Duce et devant le Roi !